ANALYSE DES OUVERTURES ET ANNULATIONS DE CRÉDITS

Le présent projet de décret d'avance prévoit des ouvertures et annulations de crédits pour un montant total de 401,1 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 308,3 millions d'euros en crédits de paiement (CP).

Soumis pour avis à votre commission des finances, il lui a été notifié le 24 mars 2015. Conformément à l'article 13 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), « la commission chargée des finances de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification qui lui a été faite du projet de décret ».

I. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

A. LA RÉGULARITÉ DU PROJET DE DÉCRET AU REGARD DE LA LOI ORGANIQUE DU 1ER AOÛT 2001 RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

Les conditions de régularité organiques du projet de décret d'avance

Source : commission des finances du Sénat

1. Le respect de l'équilibre budgétaire : des ouvertures intégralement gagées par des annulations de crédits

Les ouvertures de crédits, aussi bien en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement, doivent s'accompagner d'annulations de même montant, conformément à l'article 13 de la LOLF qui dispose que les décrets d'avance ne doivent pas porter atteinte à l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances de l'année en cours.

Le présent projet de décret d'avance ne déroge pas à cette règle : les ouvertures de crédits demandées sont compensées par des annulations à due concurrence.

2. Des ouvertures de crédits s'élevant à moins de 1 % des crédits prévus en loi de finances pour 2015

L'article 13 de la LOLF dispose que « le montant cumulé des crédits (...) ouverts (par décret d'avance) ne peut excéder 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année », et l'article 14 que « le montant cumulé des crédits annulés par décret en vertu du présent article et de l'article 13 ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours » .

La somme des crédits ouverts comme annulés par le présent projet de décret d'avance ne représente que 0,05 % des crédits de paiement 1 ( * ) et 0,07 % des autorisations d'engagement 2 ( * ) ouverts en loi de finances pour 2015 .

Les deux plafonds fixés par la LOLF sont donc respectés .

3. Une appréciation du critère d'urgence nuancée selon les ouvertures de crédits proposées

L'article 13 de la LOLF dispose que les décrets d'avance sont pris « en cas d'urgence ». Le critère d'urgence répond selon la Cour des comptes 3 ( * ) « aux deux conditions que sont la nécessité , constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l' imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face ». Par conséquent, « le recours à la procédure dérogatoire du décret d'avance doit être estimé au regard de la nécessité de mettre en place les crédits supplémentaires dans des délais qui ne sont pas compatibles avec la préparation, le vote et la promulgation d'une loi de finances rectificative ».

Votre rapporteur général a déjà eu l'occasion de souligner, notamment à l'occasion de son rapport relatif au décret d'avance de novembre 2014 4 ( * ) , la banalisation du recours au décret d'avance pour financer des dépenses imprévues, mais pas imprévisibles - résultant par exemple de sous-budgétisations récurrentes ou d'un dérapage systématique de l'exécution de certaines dépenses, qui appellent des réformes de structure pour être durablement maîtrisées.

Dans le cadre du présent projet de décret d'avance, le caractère imprévisible de la plupart des dépenses ne fait aucun doute : la mise en place d'un plan de lutte contre le terrorisme fait suite aux attentats intervenus sur le sol français au début du mois de janvier, la hausse du nombre cible de contrats de service civique résulte des annonces Gouvernement de janvier et février et l'élargissement du périmètre du marché de maintien en condition opérationnelle des avions de la sécurité civile découle de l'échec du premier appel d'offres, déclaré infructueux en octobre 2014.

Il est cependant possible de s'interroger sur la nécessité d'ouvrir des crédits supplémentaires dès le mois de mars , en particulier concernant des crédits de personnel qui représentent, pour six des sept programmes concernés, moins de 0,5 % des crédits de titre 2 ouverts en loi de finances initiale (cf. tableau ci-après). Les dotations des programmes concernés auraient en effet pu permettre de retarder de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, l'impasse budgétaire anticipée par le présent projet de décret d'avance.

Part des crédits ouverts par le présent projet de décret d'avance par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale, par programme

(en %)

Mission

Programme

% de crédits ouverts par le DA par rapport aux crédits ouverts en LFI

AE hors T2

CP hors T2

T2

Action extérieure de l'État

Action de la France en Europe et dans le monde

0,8%

0,8%

-

Sport, jeunesse et vie associative

Jeunesse et vie associative

25,7%

25,7%

-

Gestion des finances publiques et des ressources humaines

Facilitation et sécurisation des échanges

1,1%

1,1%

-

Administration générale et territoriale de l'État

Administration territoriale

0,3%

0,3%

-

Administration générale et territoriale de l'État

Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur

4,0%

3,7%

0,4%

Sécurités

Police nationale

6,6%

6,3%

0,2%

Gendarmerie nationale

1,9%

1,9%

0,2%

Sécurité civile

40,7%

0,0%

-

Justice

Justice judiciaire

3,5%

3,2%

0,4%

Administration pénitentiaire

1,2%

2,5%

0,5%

Protection judiciaire de la jeunesse

1,1%

1,1%

1,5%

Conduite et pilotage de la politique de la justice

7,2%

8,7%

0,5%

Source : réponse au questionnaire du rapporteur général

Si l'urgence est, dans l'ensemble, avérée au regard de l'imprévisibilité des dépenses concernées, votre rapporteur général émet donc quelques réserves quant à la nécessité budgétaire de certaines ouvertures de crédits auxquelles procède le décret d'avance .

L'ouverture de crédits en amont, sans attendre, par exemple, un éventuel projet de loi de finances rectificative, permet certes de donner de la visibilité aux gestionnaires de ces programmes ainsi qu'aux personnels en charge de cette mission , sur les moyens complémentaires qui y seront consacrés, mais pose la question de la doctrine du Gouvernement concernant le recours aux décrets d'avance . Ainsi, le calendrier du présent projet de décret d'avance laisse à penser que celui-ci doit ou peut intervenir dès lors qu'une inflexion dans les priorités budgétaires se traduit par l'insoutenabilité, à terme, de certains programmes - pourtant, force est de constater que le Gouvernement avait choisi, en 2013, de laisser sous tension pendant plusieurs mois les gestionnaires des programmes concernés par le plan contre la pauvreté 5 ( * ) annoncé en janvier et induisant des charges plus importantes que celles qui étaient prévues en loi de finances pour 2013.

De même, concernant l'ouverture de crédits de titre 2 (destinés à couvrir des dépenses de personnel), il a été indiqué à votre rapporteur que les recrutements supplémentaires n'étaient « autorisés en gestion que s'ils ne génèrent pas d'insuffisance de crédits prévisionnelle » : néanmoins, l'année dernière, les recrutements dans l'Éducation nationale n'ont pas été interrompus alors même que 327,3 millions d'euros ont dû être ouverts en novembre , par décret d'avance, sur la mission « Enseignement scolaire » pour couvrir une sur-exécution des dépenses de personnel. L'ouverture de crédits de personnel ne paraît donc pas dès aujourd'hui indispensable, notamment pour les programmes 152 « Gendarmerie nationale » et 176 « Police nationale » pour lesquels le dégel de crédits de titre 2 sur la réserve de précaution aurait pu suffire à couvrir les besoins nouveaux.

Pour autant, le recours au décret d'avance concernant des programmes dont l'exécution est d'ores et déjà mise sous tension par les exigences de la lutte contre le terrorisme paraît favoriser une bonne administration et une gestion efficace des ressources humaines , dans la mesure où les actes de gestion engagés au titre de la lutte contre le terrorisme pourraient fragiliser la conduite des autres actions menées par les programmes concernés en l'absence d'ouverture de crédits supplémentaires.

Il n'en reste pas moins que le recours au décret d'avance, qui déroge à l'autorisation parlementaire, doit demeurer exceptionnel et justifié par une urgence budgétaire avérée ; le rapporteur général invite par conséquent le Gouvernement à clarifier les circonstances dans lesquelles il lui apparaît nécessaire d'y avoir recours.


* 1 308,3 millions d`euros ouverts par le présent projet de décret d`avance contre 581 076 millions d`euros ouverts en loi de finances initiale pour 2015.

* 2 401,1 millions d`euros ouverts par le présent projet de décret d`avance contre  596 815 millions d`euros ouverts en loi de finances initiale pour 2015.

* 3 Cour des comptes, « Rapport sur les crédits du budget de l`État ouverts par décret d`avance », décembre 2014, p. 12.

* 4 Rapport d'information n° 121 (2014-2015) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2014, p. 11.

* 5 Un décret d`avance n`avait été présenté qu`en septembre 2013.

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