B. LA PARTICIPATION À DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES : UNE PLUS-VALUE RÉELLE MALGRÉ DES CONTRAINTES NON NÉGLIGEABLES
1. La spécificité de la situation des femmes en OPEX
Selon le colonel Anne-Cécile Ortemann, le postulat selon lequel une OPEX serait plus difficile pour une femme est erroné : elle a insisté sur le fait que chaque OPEX était différente et que les difficultés susceptibles d'être rencontrées tenaient avant tout à la nature de la mission, à la préparation et au contexte.
Pour autant, la plupart des témoins, en relatant leurs expériences par ailleurs très diverses (Bosnie, Afghanistan, Liban, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Mali...), relèvent - sans d'ailleurs s'en plaindre - la difficulté spécifique liée à la rusticité des conditions de vie sur place (promiscuité, tentes et blocs sanitaires non mixtes), évoquée avant même le danger et l'éloignement de la famille.
À cet égard, le colonel Anne-Cécile Ortemann a évoqué un « choix assumé » , au Mali, de conserver des tentes mixtes afin de « ne pas séparer les unités et de maintenir un rythme de travail commun » . Cette remarque souligne tant la spécificité de chaque opération extérieure que les exigences particulière du métier des armes.
Dans certains cas toutefois, l'importance des effectifs féminins sur place permet de constituer des tentes féminines. Certains témoignages ont évoqué de manière positive cette faculté, qui permet aux femmes de disposer d'un peu d'intimité.
L'adjudant-chef Nathalie Delahaye a par ailleurs fait état de la nécessité, lors de sa première opération en Bosnie, de « trouver sa place » alors qu'elle était « la seule femme au sein du détachement » , sa jeunesse et son manque d'expérience constituant, selon elle, des difficultés supplémentaires.
Sur un mode plus anecdotique, le commissaire en chef Dominique Moreau a illustré les conséquences de l'existence d'une minorité féminine dans un milieu extrêmement masculin en évoquant le « tollé » auquel s'exposait une femme, au camp de Gao au Mali, en cherchant à regarder autre chose que le football à la télévision...
Enfin, le confinement dans un camp et le stress, croissant avec le temps, sont également susceptibles de rendre la cohabitation entre hommes et femmes délicate, tout signe extérieur de féminité, même extrêmement discret, pouvant être ressenti par les hommes, selon certains témoignages, comme une sorte de « provocation » et les femmes se sentant tenues de « passer inaperçues » .
« Je ne sais pas si la société serait prête à accepter la mort d'une femme au combat. » Cette question décisive, soulevée avec une grande clairvoyance par l'adjudant-chef Nathalie Delahaye, doit être posée. Un tel drame est actuellement sans précédent. Les pertes déplorées à l'occasion d'opérations ne concernent pas des femmes tuées au combat.
L'article L. 4111-1 du code de la défense prévoit le sacrifice de sa vie comme un élément du statut : « L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, disponibilité, loyalisme et neutralité » . Il est très clair que, pour les femmes rencontrées par la délégation le 5 mars 2015, cette exigence ne suscite aucun doute.
Pourtant, si l'hypothèse de la mort d'une femme au combat survenait, cela n'induirait-il pas un recul du processus d'intégration des femmes dans les armées en raison de sa moindre acceptabilité ?
2. Une plus-value réelle
Le représentant de l'État-major des armées l'a rappelé en introduisant la deuxième table ronde : la présence des femmes en opération peut rendre plus aisé l'accès à une partie de la population locale , comme l'a montré par exemple le précédent afghan.
Ce point a été confirmé par le médecin principal Laure Navarro, qui a évoqué l'apport des femmes médecins en opération pour « examiner des femmes civiles, qui n'auraient pas accepté d'être prises en charge par un homme » .
Le commandant Gaëlle Moyen a également noté la surprise favorable suscitée auprès des populations locales par le fait de rencontrer une femme pilote et combien les contacts avec ces populations pouvaient s'en trouver facilités.
Selon l'adjudant-chef Nathalie Delahaye, la complémentarité entre hommes et femmes permet aussi de renforcer la « performance opérationnelle » d'une unité . La présence de femmes serait par ailleurs, dans un contexte marqué par une intense pression, un « facteur d'apaisement » .
Le médecin principal Laure Navarro a également mentionné l'utilité pour les militaires, dans l'environnement de stress et de pression caractéristique des opérations extérieures, de l' « écoute féminine » et du « sas de décompression » qu'offre aux militaires projetés la présence de médecins femmes et d'infirmières, qui les accueillent sans « jugement » ni « compétition ».
Ce témoignage rejoint d'une certaine manière celui, cité par une sociologue, d'un officier de marine qui relevait l'influence positive, pacificatrice en quelque sorte, des femmes à bord : « J'ai trouvé ça très bon pour la tenue générale du personnel masculin [...] , moins grossiers, plus propres, plus gouvernables en tant que commandant. [...] Dans la tenue générale de l'équipage, c'était un plus » 14 ( * ) .
* 14 Katia Sorin, Femmes en armes, une place introuvable ? , op. cit., p. 162.