PREMIÈRE PARTIE : LE GROENLAND FACE AU DÉFI DE L'INDÉPENDANCE
I. L'ESPRIT D'INDÉPENDANCE GROENLANDAIS
Cinq cent ans avant la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, les Vikings sont venus au Groenland, rattaché géographiquement au continent américain. En 875, l'Islandais Gunnbjørn, fils de Ulv Krake, découvrait la côte est du Groenland. Ce n'est qu'un siècle plus tard, en 982, que le Groenland a été nommé « pays vert », lorsque Erik le Rouge, Viking banni trois ans d'Islande, a entrepris le voyage jusqu'au pays vu par Gunnbjørn.
Une autre période de l'exploration du Groenland marque le début de la relation moderne entre le Danemark et le Groenland. En 1721, le pasteur Hans Egede, d'origine danoise mais né et établi en Norvège, a emprunté le fjord de Godthaab afin de s'établir dans ce qui allait devenir la capitale du territoire, Nuuk. Aujourd'hui, la célébration du tricentenaire de la fondation de Nuuk en 2021 est vue par certains indépendantistes comme une date propice à l'indépendance du Groenland.
La redécouverte du Groenland en France au XVII e siècle Le fonds de livres anciens de la Bibliothèque du Sénat recèle un ouvrage publié en 1647 par Isaac La Peyrère et intitulé Relation du Groenland . Mi-érudit mi-aventurier, dont les écrits et théories connurent des fortunes diverses, Isaac La Peyrère avait été en poste en Scandinavie comme secrétaire d'un diplomate français. Celui-ci y avait été envoyé pour faire office de médiateur afin de trouver une issue à la guerre qui opposait le Danemark et la Suède. Cette Relation du Groenland est sans doute le plus ancien des livres consacrés à ce pays et édités en français. Il eut d'ailleurs pour effet de « ressusciter » le Groenland au sein des sociétés savantes de l'époque. L'île avait à peu près disparue des annales depuis l'abandon entre la fin du XIV e et le début du XV e siècles des liaisons entre le continent européen et les premières installations scandinaves, qui toutes allaient prendre fin sans laisser de survivants. Le Groenland allait ensuite être « redécouvert » de loin en loin au cours du XVI e siècle. Hans Egede, fondateur de la colonie danoise qui devait perdurer, n'y arrivera lui-même qu'en 1721. Le livre se présente comme une espèce de somme encyclopédique sur le Groenland. Isaac La Peyrère s'est attaché à réunir l'essentiel des connaissances - plus ou moins affirmées scientifiquement, et souvent franchement fantaisistes - que l'on pouvait alors avoir de cette terre lointaine. Il comprend notamment une carte présentant un Groenland - ou plutôt une partie de la côte groenlandaise - aux contours très largement imaginaires. L'existence même de cette carte et le regain d'intérêt dont le Groenland fait l'objet à l'époque ne sont cependant pas sans rappeler les développements des plus contemporains : parmi les routes théoriques que l'on projetait alors pour joindre plus rapidement l'Asie, dans un contexte de concurrence commerciale féroce entre puissances européennes, figurait déjà un passage par le nord de la planète. Le livre d'Isaac La Peyrère a fait l'objet en 2014 d'un ouvrage scientifique reprenant l'intégralité du texte original, Le Groenland retrouvé , publié par Mme Fabienne Queyroux aux éditions Anacharsis.
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A. LES GROENLANDAIS EN QUÊTE D'AUTONOMIE VIS-À-VIS DU DANEMARK
1. La vie politique groenlandaise de l'après-guerre à 1979
Avant l'introduction de l'autonomie interne en 1979, la population groenlandaise n'était que peu associée à la gestion du territoire. Des débuts de la colonisation en 1721 au milieu du XIX e siècle, le Groenland était administré par le gouvernement danois sans que les organes groenlandais interviennent. Le changement constitutionnel de 1953 au Danemark a marqué une intégration pleine et entière du Groenland au sein de la communauté du Royaume, mettant fin à la période coloniale et attribuant au Groenland deux représentants au sein du Parlement danois.
Dans la première moitié des années 1970, une réforme communale mise en place au Groenland a conduit au transfert d'un certain nombre de domaines, jusqu'alors gérés par l'État, aux communes groenlandaises. La période a été propice aux critiques quant à la gestion du Groenland depuis Copenhague, d'où une volonté de transferts importants de compétences envers le conseil territorial.
Dans un contexte où l'État commençait à voir sa gestion centralisée contestée, le référendum du 2 octobre 1972 sur l'adhésion aux Communautés européennes s'est révélé être l'élément déclencheur du processus allant mener à l'introduction de l'autonomie interne au Groenland. Malgré une désapprobation de l'entrée du Groenland dans le Marché commun par 70,8 % des votants, le territoire, alors partie intégrante du Royaume ne bénéficiant pas d'un statut d'autonomie, est devenu membre des Communautés européennes le 1 er janvier 1973, la majorité des Danois dans leur ensemble votant en faveur de l'adhésion. Alors que les Îles Féroé, autonomes depuis 1948, avaient pu choisir de rester en dehors des Communautés européennes, le vote des Groenlandais enclenchait un processus visant l'autonomie de l'île.
En 1973, le conseil territorial du Groenland adoptait une demande destinée au Gouvernement danois en vue de la création d'une commission dano-groenlandaise chargée d'étudier les liens du Groenland avec le Danemark. Ce dernier a pour sa part souhaité que soit instituée une commission strictement groenlandaise, afin que les Groenlandais puissent émettre leurs choix et faire part de leur vision quant à l'avenir des relations entre le Groenland et l'État danois. Les conclusions de la commission remises au ministre danois en charge du Groenland en février 1975 délimitaient les domaines de compétence devant être gérés par le Groenland et ceux restant du domaine régalien. L'élection par la population d'un organe politique, duquel serait issu un gouvernement, allait fonder les bases de la vie politique groenlandaise actuelle.
En octobre 1975 fut installée une commission dano-groenlandaise relative à l'autonomie interne, devant notamment statuer sur l'ordre dans lequel les domaines de compétence pourraient être transférés au Groenland ainsi que l'échéance de tels transferts et l'accompagnement financier de l'État danois dans ce cadre.
Le Parlement danois a adopté la loi relative à l'autonomie interne du Groenland en novembre 1978 et un référendum portant sur cette loi s'est tenu au Groenland le 17 janvier 1979. Avec une participation de 63,3 %, les électeurs se sont exprimés à 73,1 % en faveur de l'autonomie interne, qui est entrée en vigueur le 1 er mai 1979.
2. L'autonomie interne (1979-2009) : première étape vers une éventuelle indépendance
« Les années Siumut »
L'analyse politique au Groenland ne procède pas d'une lecture bi-partisane des débats. L'orientation des partis politiques groenlandais s'est longtemps polarisée autour de la formation dominante, Siumut , considérée historiquement comme sociale-démocrate. Les trois chefs de l'exécutif que le Groenland a connus entre 1979 et 2009 sont tous issus du parti Siumut . Chacun caractérise à sa manière trente années de la vie politique groenlandaise, qui peut être analysée à travers la personnalité de ces trois hommes.
Jonathan Motzfeldt (1938-2010), qui a dirigé le Groenland de 1979 à 1991, puis de 1997 à 2002, a été l'un des principaux artisans d'une orientation nordique du Groenland. Pasteur au sein de l'Église d'État, après des études de théologie à Copenhague, Jonathan Motzfeldt est considéré comme le père du Groenland moderne. Sa connaissance du Danemark lui a permis de maintenir une relation apaisée avec le Danemark, bien que déterminé à construire l'avenir du Groenland et à acquérir le respect de ses partenaires danois, avec lesquels il a su négocier les intérêts du Groenland. Père de l'autonomie interne en 1979, aux côtés de Lars-Emil Johansen et Moses Olsen, il a été impliqué dans l'instauration de l'autonomie renforcée, en 2009, en tant que président de la commission dano-groenlandaise chargée d'élaborer le statut d'autonomie renforcée. Son ancrage spirituel a pu expliquer ses relations privilégiées avec la famille royale du Danemark et son orientation résolument en faveur de la coopération nordique, du dialogue avec le Danemark et le continent européen. Co-fondateur du parti Siumut , en faveur du retrait groenlandais du Marché commun, Jonathan Motzfeldt a su rester ouvert sur le monde, montrant un intérêt particulier pour les relations du Groenland avec l'Europe, à une période où le Groenland était en quête de développement économique. En 2000, Jonathan Motzfeldt a accueilli Romano Prodi au Groenland. Ce fut la première fois qu'un président de la Commission européenne se rendait au Groenland. En 2002, le principe de « fenêtre arctique » dans la dimension nordique de l'Union européenne a été introduit durant la présidence danoise du Conseil de l'Union européenne, avec une forte implication de Jonathan Motzfeldt . À l'apogée de sa carrière politique, le débat autour de l'interdiction d'importer les produits dérivés du phoque au sein de l'Union européenne n'a toutefois pas manqué de faire réagir l'ancien chef de l'exécutif groenlandais.
Lars-Emil Johansen , chef de l'exécutif groenlandais entre 1991 et 1997 et autre père de l'autonomie interne, a souhaité dès son arrivée au pouvoir que le Groenland devienne un acteur de la scène internationale. Une représentation du Groenland à Bruxelles a ainsi été établie en 1992. En tant qu'éphémère ministre groenlandais des Finances et des Affaires étrangères en mai 2007, Lars-Emil Johansen a de nouveau montré un intérêt pour les relations extérieures du Groenland, principalement avec les États-Unis. Il s'est montré durant sa carrière politique en faveur d'une diversification des contacts commerciaux du Groenland avec l'étranger, notamment avec l'Amérique du Nord, au travers de l'ALENA, plutôt qu'avec l'Union européenne. Il peut en cela être considéré comme l'un des représentants de la branche nord-américaine du parti Siumut .
Le Président du Parlement, Lars-Emil Johansen a déclaré lors d'une audition accordée à l'auteur de ce rapport : « Pour être une véritable nation, nous devons beaucoup plus considérer le monde entier et non pas seulement le Groenland dans sa relation avec le Danemark et ses voisins nordiques ».
Hans Enoksen , à la tête du gouvernement groenlandais de 2002 à 2009, a incarné la branche nationaliste du parti social-démocrate Siumut . Son ambition peut se résumer en une volonté d'indépendance du Groenland en 2021. Il a quitté Siumut pour créer en 2014 Partii Naleraq , formation à l'orientation nationaliste. Du fait de sa très faible population et du nombre attendu de travailleurs étrangers, la réalisation de grands projets industriels au Groenland pourrait entrainer des difficultés sociales supplémentaires. Un risque exprimé par Hans Enoksen, qui incarne pour certains une image d'« homme du peuple » recherchée par une partie des Groenlandais issus des villages, une frange de la population en partie marginalisée durant l'introduction de l'autonomie interne. Il vient de réussir son pari, puisque son nouveau parti est l'un des vainqueurs du scrutin du 28 novembre 2014 avec 11,6 % des voix.
La « groenlandisation »
Le processus de « groenlandisation » a connu des phases intenses à l'approche d'évolutions institutionnelles entre le Danemark et le Groenland. Ainsi, le parti Atassut dénonçait les changements rapides préconisés par Siumut sur une « groenlandisation » de la société à l'aube de l'autonomie interne dans les années 1977-1979. Une nouvelle étape de ce processus a eu lieu en 2007, sous l'impulsion de Hans Enoksen. L'événement majeur aura été l'annonce d'un regroupement des ministères avec à leur tête des locuteurs groenlandais. L'introduction de ce critère linguistique a permis aux autorités groenlandaises de privilégier des locuteurs groenlandais, les Danois en poste n'ayant pas le niveau demandé en groenlandais. Le regroupement de quatorze entités gouvernementales en sept grands ministères est alors apparu comme un révélateur du manque d'élites au Groenland pour répondre à ce critère linguistique. Les partis danois de droite comme de gauche, voire très à gauche, se sont montrés critiques à l'égard de ce projet, considérant que le déficit important de personnes hautement qualifiées au sein de la population groenlandaise était le vrai enjeu.
3. L'autonomie renforcée à compter de 2009
• Les débuts du Groenland
« moderne » (2009-2013)
Après trente années de gouvernements dirigés par Siumut , le Groenland a connu en 2009 deux mutations d'importance : l'introduction de l'autonomie renforcée, perçue comme la dernière étape avant une éventuelle indépendance, et l'arrivée au pouvoir d'une autre formation politique, Inuit Ataqatigiit , située le plus à gauche de l'échiquier politique groenlandais bien que pouvant avoir des approches perçues comme libérales.
Le 25 novembre 2008, 75 % des Groenlandais se sont prononcés pour une autonomie renforcée lors d'un référendum consultatif. Ce nouveau statut est entré en vigueur avec le soutien du Gouvernement danois, le 21 juin 2009, jour de la fête nationale du Groenland. Il prévoit, entre autres, de donner au Groenland le pouvoir sur sa police, ses tribunaux, et ses garde-côtes, de faire du groenlandais, qui est une langue inuit, la langue officielle. Il accorde également aux Groenlandais le droit de contrôle sur leurs propres ressources. Le texte, soumis à la population, proposait, au total, des transferts de compétence dans trente domaines différents.
L'approche de Kuupik Kleist, chef du Gouvernement groenlandais de 2009 à 2013, se voulait pragmatique : envisager dans un premier temps un Groenland autonome économiquement, puis réfléchir à la formalisation de l'indépendance au travers de la constitution d'un État.
• Les crises de confiance des
dernières années
Les élections législatives de 2013 ont vu le retour du parti Siumut au pouvoir et l'élection pour la première fois d'une femme, Aleqa Hammond, à la tête d'un gouvernement qui aura finalement duré moins de deux ans. Durant cette période, le Groenland a été marqué par plusieurs crises de confiance.
Tout d'abord au sein de la société groenlandaise, au sujet de la question de l'exploitation de l'uranium : une tolérance zéro avait été instaurée en 1988 avant d'être levée en 2013. Le sujet divise toujours les formations politiques ainsi que la société groenlandaise. Cette crise de confiance au sujet de l'uranium s'est étendue à la relation dano-groenlandaise, où l'approche initiale prônée par le Gouvernement d'Aleqa Hammond, à savoir un Groenland maître de ses ressources, y compris lorsque celles-ci ont un lien avec la politique étrangère et de sécurité du Royaume, a rendu, un temps au moins, les relations entre Nuuk et Copenhague difficiles.
La crise de confiance, cette fois au niveau international, a également été présente lorsque le Groenland a boycotté la réunion ministérielle du Conseil de l'Arctique à Kiruna (Suède) en mai 2013, pour des raisons d'affirmation identitaire : cette démarche, qui n'a pas manqué d'être critiquée au Groenland, au Danemark et à l'international, a isolé le Groenland à une période où la globalisation de l'Arctique n'a jamais été autant perceptible.
• La notion de réconciliation au
service de la construction du discours national ?
Au-delà des questions de statut ou de compétences, les relations symboliques entre une ancienne puissance coloniale et une ancienne colonie se trouvent bien souvent au coeur du processus d'affirmation nationale de cette dernière. A fortiori lorsque l'ancienne colonie dépend toujours formellement - quoique différemment - de son ancienne puissance coloniale. Le Groenland ne fait pas exception. De manière objective et factuelle, d'abord, ne serait-ce que parce beaucoup des inégalités sociales sont encore au moins partiellement explicables par ce passé colonial. De manière plus politique, ensuite, puisque, comme on l'a vu, le discours vis-à-vis du Danemark alterne - selon les personnalités politiques, les événements et le lieu d'où l'on s'exprime (on ne parle pas toujours de la même façon à Nuuk et à Copenhague) - entre fermeté plus ou moins grande et marques de compréhension réciproque plus ou moins poussées.
Le précédent Gouvernement avait ainsi décidé la mise en place d'une « commission pour la réconciliation » chargée d'évoquer les tabous subsistant entre Groenland et Danemark, le rôle historique de la colonisation, les leçons à en tirer et les conséquences pratiques en découlant - y compris en terme de réparation. Le tout devait donner lieu à un débat public, annoncé comme aussi inclusif que possible. Il est encore trop tôt pour dire ce qui sortira au final de l'initiative. Toutefois, les objectifs de celle-ci ont pu paraître relativement flous tant aux responsables qu'aux opinions publics groenlandais et danois ; d'autant que le discours de l'ancienne Première Aleqa Hammond sur le sujet, d'abord très ambitieux et volontariste, est ensuite devenu plus imprécis et consensuel.
On soulignera que ce débat sur la réconciliation entre Groenland et Danemark - entre les Inuit et les anciens colons - ainsi que le processus d'affirmation nationale du Groenland se heurtent à une particularité qu'il serait facile d'oublier. « Le Groenland est un pays unique et les Groenlandais sont un peuple unique » affirmait Aleqa Hammond dans ses voeux pour 2014, pour évoquer cette question. Cela est évidemment vrai mais minimise les différences culturelles bien réelles qui existent entre les Groenlandais eux-mêmes, sur leur propre territoire. Car il n'y a pas sur l'île une mais trois cultures autochtones, disposant de leurs propres dialectes voire de leurs propres langues, même si les liens entre chacune de ces trois cultures sont évidents. La langue officielle est ainsi la langue parlée, il est vrai, par l'immense majorité de la population, sur l'essentiel de la côte ouest et au sud du pays : le kalaallisut. La langue traditionnelle de la côte est, que Paul-Émile Victor jugeait aussi éloignée de celle de la côte ouest que l'italien peut l'être du français, est le tunumiit. Enfin c'est l'avanersuarmiutut qui est traditionnellement parlé aux alentours de Thulé. Les deux langues minoritaires ne totalisent certes, ensemble, que quelques centaines à quelques milliers de locuteurs. Reste que l'affirmation du kalaallisut comme langue officielle s'est aussi faite à leurs dépens, et que la représentation et l'intégration de ces minorités dans le processus de construction nationale ne se fait pas sans difficultés.
De la même façon, il arrive que l'utopie poursuivie par le Groenland - devenir à terme le premier État inuit - ait des effets paradoxaux sur sa relation avec les autres peuples Inuit, et au-delà avec les autres peuples arctiques. C'est ainsi que les Inuit du Canada s'opposent pour beaucoup à certains projets de prospection visant à développer, par exemple, l'exploitation de ressources naturelles dans le détroit de Davis... soit l'une des zones où le gouvernement groenlandais espère développer des projets de cette sorte.
4. Les élections du 28 novembre 2014 : l'affirmation d'une fracture générationnelle ?
Les électeurs groenlandais étaient appelés, moins de deux ans après les précédentes élections, à élire une nouvelle assemblée territoriale, dans un contexte de crises politique et économique. Siumut , qui dirigeait l'exécutif groenlandais avant ces élections, sort affaibli du scrutin du 28 novembre 2014, avec un score inférieur de 8,6 % à celui réalisé l'année précédente. De plus, outre une égalité en nombre de sièges au sein de la nouvelle assemblée avec le parti arrivé en deuxième position, Inuit Ataqatigiit - un peu moins de 400 voix seulement séparent les deux formations - le dirigeant de Siumut , Kim Kielsen, n'est arrivé qu'en deuxième position en nombre de voix portées sur son nom, derrière Sara Olsvig, chef de file du parti arrivé second de ces élections, Inuit Ataqatigiit . Siumut reste toutefois à la tête du nouveau Gouvernement de coalition 1 ( * ) .
Demokraatit , formation d'orientation socio-libérale fondée en 2002 sur un refus de la politique menée alors par Siumut , apparaît comme le grand vainqueur de ces élections : arrivé en troisième position, il est le seul parti en progression par rapport au résultat des élections législatives de 2013 et participera au nouveau Gouvernement.
Le fait marquant de ces élections est l'ancrage d'une branche nationaliste dure : après Partii Inuit et un score remarqué de 6,4 % pour son premier scrutin en 2013, c'est Partii Naleraq qui s'affirme dans le paysage politique groenlandais lors de ce scrutin avec un score de 11,6 %, soit près du double, toujours lors d'un premier scrutin. À l'inverse de Partii Inuit , Partii Naleraq est composé de personnalités politiques implantées de longue date et pour un certain nombre d'entre elles anciennement membres de Siumut . C'est le cas notamment du fondateur de Partii Naleraq , Hans Enoksen, ancien chef du gouvernement groenlandais.
Partis politiques |
Résultats élections 2013 |
Résultats élection 2014 |
Différentiel |
||
Voix |
Pourcentages |
Voix |
Pourcentages |
||
Atassut |
2 454 |
8,1 |
1 919 |
6,5 |
- 1,6 |
Demokraatit |
1 870 |
6,2 |
3 468 |
11,8 |
+ 5,6 |
Inuit Ataquatigiit |
10 374 |
34,4 |
9 776 |
33,2 |
- 1,3 |
Parti Inuit |
1 930 |
6,4 |
477 |
1,6 |
- 4,8 |
Parti Naleraq |
0 |
0 |
3 423 |
11,6 |
+ 11,6 |
Siumut |
12 910 |
42,8 |
10 102 |
34,3 |
- 8,6 |
Autres |
9 |
0 |
22 |
0,1 |
+ 0,0 |
(Taux de participation : 73 %) |
Aussi pour le politologue Damien Degeorges 2 ( * ) , deux enseignements majeurs sont à tirer de ces élections :
- une fracture générationnelle se confirme, entre d'un côté une jeunesse orientée davantage vers une relation pragmatique du Groenland avec le Danemark et qui se retrouve dans les idées d'un parti comme Demokraatit , crée au début des années 2000 et qui avait appelé à voter contre la loi relative à l'autonomie renforcée du Groenland lors du référendum organisé en 2008, et de l'autre une génération plus ancienne, bercée par un idéal nationaliste porté durant des décennies par différents partis, dont Siumut . À cela s'ajoute une fracture générationnelle, entre une jeunesse n'ayant pas connu l'époque du retrait du Groenland des Communautés européennes, et une génération plus âgée au sein de laquelle le sujet reste passionnel. Cela explique en partie l'essor au sein de la jeunesse groenlandaise, sensible notamment aux attraits de l'Union européenne en matière d'éducation, d'une formation comme Demokraatit , ouverte à un avenir de nouveau européen pour le Groenland. L'« élection à blanc » réalisée à l'université du Groenland, durant la campagne électorale pour les élections législatives de 2014, démontre cette tendance : la formation Demokraatit arrive non seulement en tête du vote des étudiants, mais obtient plus de la majorité absolue des étudiants votants, alors que ce même parti n'obtient aucune voix au sein des employés de l'université. Au lycée de Nuuk, lors d'une autre « élection à blanc », malgré un grand nombre de votes blancs, Demokraatit est en deuxième position du vote à la fois total et de celui ne prenant en compte que les électeurs en âge de voter. La formation d'orientation socio-libérale arrive derrière son principal partenaire de la coalition gouvernementale au pouvoir de 2009 à 2013, Inuit Ataqatigiit ;
- la question d'une réadhésion du Groenland à l'Union européenne s'est de nouveau invitée dans le débat politique groenlandais, mais d'une façon plus inattendue. C'est en effet au sein même du parti ayant mené la campagne pour la sortie des Communautés européennes dans les années 1980, Siumut , que le débat a eu lieu. Il est à noter que ce débat a été initié par un ancien ministre de l'Éducation, secteur auquel l'Union européenne contribue de façon très importante de par son soutien financier au Groenland. Cela peut être perçu comme une illustration de l'influence exercée par l'Union européenne sur le Groenland au travers notamment de son accord de partenariat avec l'île arctique.
* 1 Suite à un accord de coalition entre les partis Siumut, Atassut et Demokraatit, un nouveau gouvernement pourrait être composé de cinq membres de Siumut, 2 membres de Demokraatit, 2 membres d'Atassut
* 2 DEGEORGES Damien, Le rôle du Groenland dans les enjeux de l'Arctique (thèse de doctorat de sciences politiques rédigée sous la direction de Thierry Garcin et soutenue le 30 novembre 2011), Université Paris Descartes, 345 p.