C. LA RÉSORPTION DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET DES INÉGALITÉS SOCIALES : LE DÉFI DE LA « VIE CHÈRE »
La Nouvelle-Calédonie compte près de 55 000 entreprises mais seulement 6 000 d'entre elles emploient des salariés. Le tissu économique regroupe donc essentiellement des petites et moyennes entreprises voire de très petites entreprises. Le poids de l'administration y est encore important puisque Mme Cherifa Linossier, représentante de la CGPME entendue par vos rapporteurs, avançait qu'un quart des salariés calédoniens sont employés dans le secteur public. Le secteur privé se distingue par la place de choix de l'industrie, grâce à l'activité minière, au risque d'ailleurs de l'hypertrophie de l'exploitation du nickel.
Du fait de son insularité et de la faible population qu'elle accueille, au regard des pays voisins tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie se situe à l'écart des circuits de distribution. Ajouté à des habitudes de consommation tournées vers les produits métropolitains et à des frais de transport maritime ou aérien, ce facteur explique le niveau moyen des prix particulièrement élevé. Mandaté par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l'Autorité de la concurrence nationale a dressé, dans ses rapports du 21 septembre 2012 45 ( * ) , un diagnostic qui a confirmé les obstacles à la libre concurrence. Ce phénomène a pu être aggravé par une fiscalité grevant les importations.
1. Des mouvements sociaux successifs et de grande ampleur
Cette situation a abouti à des mouvements sociaux en février 2011 puis mai 2013 qui se sont traduits par un mouvement général de grève et à des blocages notamment du port de Nouméa. Un sommet social réunissant les syndicats et le patronat aux côtés du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et sous l'égide de l'État a permis d'aboutir à la signature d'un protocole d'accord le 27 mai 2013. Il prévoyait une baisse immédiate de 10 % des prix sur 300 produits alimentaires et d'hygiène et sur 200 produits non alimentaires selon des listes établies conjointement entre l'intersyndicale, les distributeurs et les fournisseurs. De même, la liste des produits à marge contrôlée a été étendue à l'ensemble des produits qui bénéficient d'une exonération totale de droits et taxes à l'importation, les représentants des entreprises s'engageant sur la disponibilité de ces produits jusqu'au 31 décembre 2014, et à défaut, à leur remplacement.
En outre, le gel des prix à compter de la signature du protocole, et jusqu'au 31 décembre 2014, de l'ensemble des produits et services offerts en Nouvelle-Calédonie hors alcool, tabacs et boissons et produits sucrés a été décidé, sous réserve de strictes dérogations.
Le protocole envisageait enfin d'autres mesures nécessitant l'adoption de délibérations de la part du Congrès de la Nouvelle-Calédonie pour compenser les coûts de surenchérissement des produits du fait des coûts de transport du fret hors de l'agglomération de Nouméa, réformer les structures administratives de contrôle des prix et les obligations d'information des entreprises sur les prix qu'elles pratiquent.
2. Un effort croissant mais récent en faveur de la concurrence
Ces décisions se sont traduites par l'adoption de la loi du pays du 24 avril 2014 46 ( * ) qui a créé l'autorité de la concurrence locale 47 ( * ) et a introduit des règles de prévention et de sanction des pratiques anticoncurrentielles. Saisie par la présidente de l'assemblée de la province Sud, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs validé toutes les dispositions dont il était saisi, au vu notamment des « particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie » ou de « la situation particulière de la concurrence dans certains secteurs économiques en Nouvelle-Calédonie » 48 ( * ) . Lors de son audition devant votre commission le 12 novembre 2014, la ministre des outre-mer a indiqué que le recrutement des membres du collège et de son président était en cours.
Les représentants de l'intersyndicale entendus par vos rapporteurs ont relevé que ces avancées avaient été acquises grâce à la mobilisation de la population, 10 % de la population étant venu manifester à Nouméa. Mme Chérifa Linossier, représentant la CGPME, regrettait que les accords sociaux ne soient pas signés par les organisations patronales, à l'exception du protocole « vie chère » de 2013 conclu, selon elle, sous la pression de la rue.
Pour les représentants de l'intersyndicale, cette pression populaire a justement permis de faire avancer la question économique et sociale au sein d'une classe politique locale tournée essentiellement vers des débats institutionnels. Pour eux, les prochains affrontements ne seront pas autour de l'indépendance mais de la « vie chère » qui rend la vie quotidienne insupportable pour les foyers les plus modestes. M. David Meyer, secrétaire général de la fédération des fonctionnaires, voyait une illustration de cette déconnexion dans la baisse de la participation aux dernières élections provinciales qui étaient pourtant porteuses d'enjeux institutionnels importants.
Les représentants de l'intersyndicale ont précisé à vos rapporteurs qu'un obstacle à la concurrence était la faible culture du contrôle et de la sanction - à l'exception du domaine fiscal - donnant un sentiment d'impunité aux contrevenants. Ils dénonçaient également un manque de courage politique sur la question de la fiscalité, les ressources étant présentes mais n'aidant pas au développement économique. Ils ont plaidé particulièrement pour un « rééquilibrage » des impositions qui se caractérisent aujourd'hui par une prévalence des impôts indirects et un poids fiscal plus fort sur les revenus du travail que du capital, point que M. Daniel Ochida, représentant le MEDEF, a contesté par comparaison avec la métropole.
De leur côté, les représentants du patronat ont estimé que le défaut de concurrence résultait aussi du manque de soutien public à l'initiative entrepreneuriale. Ils soulignaient l'éclatement des compétences en matière de formation et d'enseignement entre les provinces, la Nouvelle-Calédonie et, dans une moindre mesure, l'État. À titre d'exemple, les procédures règlementaires en matière de formation continue peuvent différer d'une province à l'autre : M. Xavier Benoist, président de la fédération des industries de Nouvelle-Calédonie, dénonçait un « labyrinthe » pour les entreprises. M. Jean-Louis Laval, représentant l'Union professionnelle artisanale, a tempéré ce constat en estimant que le découpage provincial n'empêchait pas en lui-même la création d'entreprises.
Le patronat a souligné la conjoncture défavorable avec la baisse de la consommation intérieure et de la commande publique, principalement dans le secteur du bâtiment. Ses représentants se sont retrouvés sur la nécessité de maintenir les dispositifs de défiscalisation mais en souhaitant une plus forte réactivité dans la délivrance des agréments, le temps de l'administration n'étant pas forcément celui de l'entreprise.
3. Des inégalités sociales persistantes
S'agissant des inégalités sociales, la Nouvelle-Calédonie est marquée par une situation plus dégradée qu'en métropole. En prenant en compte, l'indice de Gini 49 ( * ) , la Nouvelle-Calédonie se situe à un niveau intermédiaire (0,32), moins égalitaire que la France (0,42), l'Australie (0,35) et la Nouvelle-Zélande (0,36) et même que Mayotte (0,46) ou Wallis-et-Futuna (0,50).
M. Guénant-Janson, secrétaire général de l'Union des syndicats des ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie, a souligné que « l'injustice sociale recoupe aussi un problème ethnique » car les personnes les plus touchées résident dans les îles et à l'extrême-nord de la Grande Terre.
Les représentants de Calédonie ensemble ont également insisté sur l'effort à mener en matière de logement pour satisfaire les besoins croissants sur le Grand Nouméa. M. Philippe Michel, président de l'assemblée de la province Sud, a relevé que le prix de revient moyen du logement social est de 25 % supérieur à celui d'un département d'outre-mer, ce qui rendrait indispensable le maintien des mécanismes de défiscalisation et de la contractualisation avec l'État sur la période 2016-2020 pour l'équilibre financier global des opérations de construction. Cette action est prioritaire compte-tenu des demandes en logement, 15 % à 20 % du parc social étant suroccupé.
4. Des réformes annoncées
Les 20 et 21 août 2014, s'est tenue à Nouméa la conférence économique, sociale et fiscale qui a conclu, sous la forme d'un agenda partagé, à des réformes de nature à « orienter le modèle économique calédonien vers un développement endogène plus compétitif et plus profitable à tous ».
Cet accord a été conclu par les formations politiques locales, les représentants syndicaux et patronaux, les représentants du gouvernement calédonien et le représentant de l'État. Ces conclusions, particulièrement ambitieuses, nécessitent pour certaines d'entre elles l'adoption d'une loi du pays.
Le volet fiscal de l'agenda partagé est le plus important puisqu'il vise à mieux répartir la charge fiscale entre contribuables et à assurer le financement pérenne des régimes sociaux. Une refonte globale de la fiscalité locale est envisagée avec notamment la mise en place d'une contribution sociale généralisée (CSG) au taux de 2 % sur l'ensemble des revenus bruts du capital et du travail et d'une taxe générale à la consommation (TGA) pour moderniser les impositions indirectes.
En matière économique, plusieurs mesures ont été adoptées pour améliorer le pouvoir d'achat des Calédoniens. L'État interviendra sur la question des frais bancaires, qui relève encore de sa compétence, puisqu'un rapport 50 ( * ) de juin 2014 de M. Emmanuel Constans recommande la convergence avec les tarifs métropolitains. Une première baisse significative a été permise grâce à l'accord de concertation 51 ( * ) conclu le 23 décembre 2013 entre les banques calédoniennes et le Haut-Commissaire de la République.
Les aspects sociaux appelleront l'intervention du Congrès. Il est en effet prévu de modifier le cadre légal pour étendre la protection de l'emploi local à la fonction publique calédonienne, également de renforcer l'intéressement et la participation des salariés au résultat de l'entreprise ou d'nstaurer une aide aux frais de garde d'enfants, un régime de complémentaire santé ou encore un régime de retraite obligatoire pour les retraités indépendants.
*
* *
Lors de ce déplacement, vos rapporteurs ont cherché à mieux appréhender le devenir de la Nouvelle-Calédonie. Ils ont retiré des échanges qu'ils ont conduits et des visites qu'ils ont effectuées dans les trois provinces le constat que des progrès importants avaient été effectués depuis 1988, date des accords de Matignon et surtout depuis l'Accord de Nouméa.
La Nouvelle-Calédonie a retrouvé la paix civile et pose les jalons pour construire le destin commun de la société calédonienne. Le rééquilibrage suit son cours et, s'il n'est pas achevé à ce jour, il produit ses premiers effets tangibles dont le principal symbole est l'inauguration par le Président de la République, le 17 novembre 2014, de l'usine du Nord.
Un des progrès notables est, grâce à l'institution des provinces dotées de larges pouvoirs, l'émergence d'un nouveau vivier d'élus locaux actifs et compétents.
Par-delà la question institutionnelle - la Nouvelle-Calédonie étant depuis plusieurs décennies un laboratoire de solutions inédites -, la Nouvelle-Calédonie doit affronter à la fois les nouveaux enjeux économiques et le défi social et ethnique qu'est le « processus de décolonisation » engagé par l'Accord de Nouméa. À cet égard, le respect de l'identité kanak est une composante essentielle de la définition du destin commun.
La jeunesse kanak est à l'évidence attirée par le monde de vie urbain et en interrogation sur les conséquences de son appartenance à la coutume. Cette évolution oblige les formations politiques locales à prendre en compte les aspirations des nouvelles générations. La politique d'éducation et de formation professionnelle, telle qu'elle a été évoquée plus haut à propos des transferts de compétences, sera déterminante pour l'avenir partagé du territoire. Dans le sillage de la poignée de mains fondatrice entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou en 1988, les Calédoniens doivent définitivement emprunter le chemin de la réconciliation et bâtir ensemble les conditions de la concorde.
* 45 Sollicités par le gouvernement calédonien, ces rapports traitaient des mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande distribution et des structures de contrôle en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie.
* 46 Loi du pays n° 2014-12 du 24 avril 2014 portant création de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et modifiant le livre IV de la partie législative du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie
* 47 Introduit par la loi organique du 15 novembre 2013, l'article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999 permet à la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes aux fins d'exercer des missions de régulation dans un domaine relevant de ses compétences et de le doter de pouvoirs de règlementation, de sanction, d'investigation et de règlement des litiges.
* 48 Conseil constitutionnel, 1 er octobre 2013, n° 2013-3 LP.
* 49 Mesure statistique de la dispersion d'une distribution dans une population donnée, l'indice de Gini varie de 0 à 1, 0 signifiant l'égalité parfaite et 1 traduisant une inégalité maximale.
* 50 Emmanuel Constans, La tarification des services bancaires dans les départements et collectivités d'outre-mer, juin 2014.
* 51 Cet accord est prévu par la loi n° 2013-1029 du 15 novembre 2013.