B. DES ATTENTES SOCIALES EN MATIÈRE D'ACCÈS AU SOIN ET DE POUVOIR D'ACHAT

Quelques jours avant l'arrivée de la délégation à Wallis, la signature de deux protocoles d'accord 26 ( * ) mettait fin à un mouvement social qui avait entraîné le blocage de l'île, y compris de son aéroport. Les revendications, à l'origine, liées à la publication d'une ordonnance relative à la fonction publique 27 ( * ) se sont étendues aux conditions de vie dans l'archipel.

Vos rapporteurs ont été sensibles aux difficultés dont les représentants syndicaux et les acteurs économiques leur ont fait part. Ces difficultés résultent en grande partie des handicaps structurels de la collectivité, comme l'éloignement qui renchérit le coût des marchandises importées ou le nombre limité de consommateurs. S'y ajoutent de nouvelles habitudes de consommation, notamment alimentaires, qui renforcent la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. À l'inverse des exportations qui sont quasi inexistantes, les importations croissent au sein du territoire.

Deux sujets ont appelé, par leur caractère de première nécessité, l'attention de vos rapporteurs : le problème de l'accès aux soins et de la lutte contre la « vie chère » qui semble produire ses premiers effets.

1. L'accès aux soins à garantir

L'offre de soins repose localement sur l'activité de deux hôpitaux, celui de Sia à Wallis et celui de Kaleveleve à Futuna. Ces établissements assurent les soins généralistes. Les médecins spécialistes - ophtalmologue, oto-rhino-laringologue, cardiologue, rhumatologue, psychiatre, etc. - ne résident pas sur place mais effectuent des visites selon un calendrier pluriannuel. Dans les deux établissements, il n'existe pas de système de garde. En cas de prescription urgente, il est possible de se fournir dans la pharmacie de la salle des urgences.

Les établissements hospitaliers à Wallis-et-Futuna

Situé à Mata'Utu, l'hôpital de Sia regroupe un service de médecine (vingt-un lits et deux médecins), un service de chirurgie (seize lits, un chirurgien et un anesthésiste) et un service de gynécologie-obstétrique (quatorze lits, un gynécologue obstétricien et quatre sages-femmes).

L'hôpital dispose également d'un service de radiologie conventionnelle et d'un laboratoire d'analyses médicales (un pharmacien-biologiste et cinq techniciens de laboratoire) qui peut effectuer des analyses de routine et d'urgence. Les analyses de biologie spécialisée sont ensuite transmises en Nouvelle-Calédonie ou en métropole. L'hôpital comporte un service de pharmacie, avec un pharmacien et des aides préparatrices, et de deux kinésithérapeutes pour les rééducations fonctionnelles.

Trois dispensaires - l'un à Hahake, l'autre à Hihifo et le dernier à Mua - disposent, chacun, de médecins généralistes, d'un dentiste et d'une antenne de pharmacie. Le dispensaire de Hahake dispose en outre d'un service de rééducation.

A Futuna, l'hôpital de Kaleveleve est doté de vingt-un lits de médecine et fonctionne avec trois médecins. Il comporte également une antenne de la maternité de Wallis avec une sage-femme diplômée. Le laboratoire de biologie emploie deux techniciens effectuant les analyses de base, les autres examens étant transférés à Wallis. Un manipulateur effectue une radiologie conventionnelle minimale. La pharmacie compte une préparatrice qui fournit les médicaments sur présentation d'une ordonnance. Un kinésithérapeute et un dentiste exercent également à Futuna.

Source : ministère des outre-mer

Les investissements pour maintenir voire améliorer l'offre de soins devraient se poursuivre. Entendue par votre commission le 12 novembre 2014, la ministre des outre-mer a précisé que « il est nécessaire de fournir à ce territoire les équipements indispensables : scanner, mammographie, salle d'obstétrique », relevant que « cela coûtera certes neuf millions d'euros, mais cela permettra des économies en termes de transport à moyen terme » 28 ( * ) . En effet, les examens médicaux qui ne peuvent s'effectuer sur place donnent lieu à une évacuation sanitaire vers Nouméa.

Or, les relations financières entre l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, d'une part, et les établissements de santé et la caisse d'assurance maladie (la CAFAT) calédoniens, d'autre part, sont, selon la propre expression de la ministre des outre-mer, « un sujet qui empoisonne les relations des Wallisiens et Futuniens avec la Nouvelle-Calédonie depuis trop longtemps ». L'agence de santé est effectivement redevable d'une dette, représentant près d'une année de fonctionnement de l'agence, envers le régime d'assurance maladie calédonien. Les conséquences financières de cette situation conduisent à une dégradation des rapports entre les acteurs sanitaires des deux territoires, laquelle pourrait à terme entrainer une dégradation de l'accueil des patients de Wallis et Futuna, qui se limiterait à la prise en charge des évacuations sanitaires urgentes ou conduirait à instaurer une commission spéciale pour analyser les entrées, séjours et sorties des patients originaires de Wallis-et-Futuna.

Plusieurs mesures ont été adoptées par l'État, qui assure la tutelle de l'agence de santé, pour circonscrire le montant de cette dette.

D'une part, le ministère de la défense a accepté, à titre exceptionnel, d'abandonner les créances détenues sur l'agence de santé, soit une aide financière indirecte de 1,4 million d'euros. Afin d'éviter que la dette ne se reconstitue chaque année, il a été mis fin, pour le projet de budget pour 2015, à la sous-évaluation chronique des crédits versés à l'agence de santé. Reste pour la triple tutelle - ministère des outre-mer, ministère du budget et ministère des affaires sociales - à apurer l'arriéré de la dette selon un plan de remboursement des créanciers de l'agence que le Gouvernement souhaite, dans la réponse qu'il a adressée à vos rapporteurs, « réaliste et soutenable dans le contexte actuel très contraint des finances publiques ».

2. La lutte contre la « vie chère » à poursuivre

Fléau commun aux outre-mer, la « vie chère » n'épargne pas les îles Wallis et Futuna. Ce phénomène a abouti à des mouvements sociaux en 2012 puis à la signature d'un accord pour une structure de contrôle et de suivi des prix.

La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer a instauré plusieurs instruments en faveur du pouvoir d'achat de la population locale.

Une négociation annuelle relative à des accords de modération de prix sur une liste de produits de consommation courante avec les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail, en présence de leurs fournisseurs est désormais rendue obligatoire par l'article L. 410-5 du code de commerce. L'accord « bouclier qualité-prix » entré en vigueur le 1 er mars 2013 a conduit à une première baisse des prix de l'ordre de 13,5 %.

Créé à l'initiative de l'administrateur supérieur en 2009 avant d'être consacré par la loi en 2012, l'observatoire des prix, des marges et des revenus de Wallis-et-Futuna, présidée par Mme Marie-Ange Gerbal, émet un avis avant la négociation. Lors de l'audition de Mme Gerbal, vos rapporteurs ont constaté la démarche volontariste de l'observatoire qui constitue une instance précieuse d'échanges entre les acteurs économiques et sociaux du territoire, à l'instar des associations de consommateurs et des représentants des chefferies.

La présidente de l'observatoire a souligné que l'action de l'observatoire a permis de poser la question de la formation des prix et donc des marges alors que « les marges étaient auparavant trop importantes et injustifiées ». S'il est dépourvu de pouvoir coercitif, l'observatoire a un rôle incitatif auprès des commerçants qu'il exerce en favorisant, par exemple, de manière concrète l'information du consommateur sur les prix via un système uniforme d'affichage avec des « stickers » ou des réglettes disposés dans les magasins.

Le droit applicable localement a été renforcé pour étendre à Wallis-et-Futuna l'application de règles du code de commerce, ce qui permet l'intervention de l'autorité de la concurrence. Le 5 novembre 2014, le Sénat a ainsi approuvé la ratification de l'ordonnance n° 2014-487 du 15 mai 2014 portant extension et adaptation aux îles Wallis et Futuna de dispositions du code de commerce. Lors de ce débat notre collègue André Reichardt, alors rapporteur du projet de loi, a soulevé la question des pouvoirs de contrôle des agents locaux qui, selon les échos recueillis localement par vos rapporteurs, ne sont pas investis des mêmes prérogatives que leurs homologues des services équivalents en métropole. Lors de son audition devant votre commission le 12 novembre 2014, la ministre des outre-mer s'est dite consciente de la difficulté soulevée et a souhaité pouvoir y apporter une réponse. A l'initiative de notre collègue André Reichardt, la commission mixte paritaire réunie le 25 novembre 2014 a complété l'ordonnance du 15 mai 2014 pour investir les agents du service économique et du développement de Wallis-et-Futuna des prérogatives souhaitées.

De manière générale, les avancées législatives butent sur l'état du droit à Wallis-et-Futuna. Comme le soulignait le président du tribunal de première instance, que valent les nouvelles obligations législatives quand il n'existe aucune obligation légale de tenue d'une comptabilité ?

Si la question du niveau élevé des prix à Wallis-et-Futuna n'est pas résolue - loin s'en faut -, vos rapporteurs ont constaté la mise en place d'une dynamique vertueuse qui a permis d'introduire plus de concurrence dans le secteur économique local.

*

* *

De ce déplacement à Wallis, vos rapporteurs retiennent la spécificité irréductible de ce territoire qui a choisi, au terme d'un compromis entre la coutume et la République, de rejoindre la France. Plus qu'un statut octroyé par l'État, la loi du 29 juillet 1961 marque les termes d'un contrat librement négocié avec les autorités de la République. Il serait injustifié de le modifier unilatéralement mais il appartient aux autorités locales, y compris coutumières, d'envisager son évolution - sans aller jusqu'à sa refonte complète - en conservant l'article 3 qui en constitue la clé de voûte.

L'appartenance des Wallisiens et des Futuniens à la Nation française est récente mais la ferveur patriotique est réelle, comme en témoigne, par exemple, la présence de près d'un millier de ses habitants au sein de nos Armées. Il serait juste qu'en retour, les jeunes de l'archipel puissent bénéficier du service militaire adapté (SMA), largement plébiscité outre-mer, par une implantation locale à Futuna ou, à tout le moins, comme l'a esquissé la ministre des outre-mer devant votre commission, par un contingent de places garanties pour les Wallisiens et Futuniens dans le régiment implanté en Nouvelle-Calédonie.

De même, la solidarité nationale doit continuer à s'exprimer lorsque les îles Wallis et Futuna sont frappées par des cataclysmes naturels comme les cyclones Evan en décembre 2012 et Tomas en mars 2010 dont les séquelles ne sont pas encore totalement réparées.

La pérennité du modèle social et culturel est aujourd'hui mise en cause. L'hémorragie démographique, notamment l'exode massif de ses jeunes, est réelle : si la perte de population se poursuit au rythme de la dernière décennie, le nombre des habitants de l'archipel pourrait chuter en dessous des 10 000 habitants d'ici 2040.

Cette situation invite plus que jamais les acteurs locaux à s'engager, avec l'appui de l'État, dans une démarche de développement de l'île, y compris au prix de certaines inflexions en matière coutumière.


* 26 Le 20 juillet 2014, ont été conclus deux protocoles d'accord de fin de conflit, qui prévoient notamment de mettre en place un statut d'agent permanent de droit public relevant de l'État et un statut identique pour le Territoire, ainsi que deux instances pour l'élaboration de ces statuts.

* 27 Il était réclamé l'abrogation de l'ordonnance n° 2013-81 du 25 janvier 2013 relative aux dispositions applicables à certains agents relevant de l'État ou des circonscriptions territoriales exerçant leurs fonctions sur le territoire des îles Wallis et Futuna.

* 28 L'audition de Mme George Pau-Langevin est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20141110/lois.html#toc9

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