IV. UN IMPÉRATIF BESOIN D'INFORMATION ET DE FORMATION

Bien que ponctuellement perfectibles, les règles juridiques dont on dispose aujourd'hui en matière de discrimination sont donc nombreuses. Elles sont toutefois largement méconnues. De même, les stéréotypes à l'origine des discriminations et les mécanismes parfois inconscients qui les produisent sont bien souvent ignorés. Devant ce constat, les personnes entendues en audition ont insisté sur la nécessité d'une meilleure diffusion de l'information ainsi que de la formation de chacun. Ils ont en outre attiré l'attention de vos rapporteurs sur l'importance d'une information tant des personnes discriminées que des auteurs de discrimination. Mme Gwénaële Calvès suggérait par exemple la formation des cafetiers à la non-discrimination avant la délivrance de la licence de débit de boisson.

Il ressort des auditions effectuées par vos rapporteurs qu'il existe d'ores et déjà de très nombreuses actions menées en la matière, « tous azimuts », dont quelques exemples seront ici présentés. Il apparaît cependant indispensable d'assurer plus spécifiquement la formation des professionnels en charge de faire appliquer ou de mettre en oeuvre le droit de la discrimination. Un effort sur l'information du public est également à fournir, et ce, dès le plus jeune âge. Rien de tout cela ne portera toutefois ses fruits en l'absence d'un discours fort des pouvoirs publics dont le message doit être clarifié.

A. LA FORMATION DES PROFESSIONNELS PUBLICS ET PRIVÉS

Si, comme on l'a vu précédemment, l'arsenal juridique de la lutte contre les discriminations est riche, il semble être méconnu des personnes pourtant chargées soit de son application au sein des institutions étatiques
- fonctionnaires, magistrats -, soit de sa mise en oeuvre en faveur des victimes de discrimination - avocats, syndicats... En outre, les préjugés à l'origine des discriminations sont aussi présents parmi ces professionnels que parmi le reste de la population. Certains voient là notamment l'une des causes de la persistance des « contrôles au faciès » par les policiers et gendarmes, dont la formation ne comporterait pas suffisamment d'heures consacrées à la déontologie.

Cette situation a été déplorée par plusieurs intervenants qui ont souhaité que soient mis en place des plans de formation à destination de ces acteurs essentiels pour l'effectivité et l'efficacité de la lutte contre les discriminations. Mme Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, a ainsi recommandé que le droit de la discrimination fasse l'objet de cours à l'École nationale de la magistrature et dans les écoles de formation des forces de l'ordre. Elle a aussi insisté sur la nécessité de former les personnels de certaines administrations comme les agents préfectoraux en charge de l'accueil des étrangers. Mme Natacha Gorchon, représentant SOS Racisme, a également appelé à passer d'une « sensibilisation homéopathique » à une formation active des personnels en ce domaine. Elle a ainsi notamment regretté la tendance des fonctionnaires de police à renvoyer vers les associations les personnes se présentant dans les commissariats pour déposer plainte, commissariats dont les présentoirs ne porteraient plus de plaquettes d'information relatives à la lutte contre les discriminations ; les victimes seraient ainsi « perdues, en errance ».

En réponse, Mme Catherine Brusaferro, procureur adjoint au tribunal de grande instance de Bobigny, a fait part à vos rapporteurs de l'expérience menée à Lyon de la désignation de référents « discriminations » au sein des commissariats, spécifiquement formés à la réception des plaintes relatives à des faits de discrimination et à la problématique de la caractérisation de la pratique discriminatoire. Le pôle anti-discriminations de Bobigny a souhaité étendre ce dispositif à la Seine-Saint-Denis mais il souligne deux difficultés : d'une part, le faible effectif des commissariats qui comportent déjà des référents « violence conjugale » ou « pédophilie » et, d'autre part, la perte progressive de compétence des agents qui, à défaut d'être régulièrement sollicités sur le sujet, oublient peu à peu leur savoir-faire.

Par ailleurs, si, comme cela a déjà été noté, le rôle des associations est primordial, il y a tout de même nécessité pour les pouvoirs publics de réinvestir le champ de la lutte contre les discriminations. Cela signifie également une plus grande implication dans la formation qui fait l'objet d'une forte demande aussi bien de la part du secteur public que du secteur privé. En effet, certaines personnes entendues en audition ont attiré l'attention de vos rapporteurs sur la qualité médiocre des formations dispensées alors qu'une fiscalité avantageuse visant à les encourager pourrait conduire à l'essor d'un véritable « business ». En l'absence d'un dispositif d'agrément, Mme Natacha Gorchon, elle-même en charge de formations pour le compte de SOS Racisme, craignait ainsi que certaines formations ne produisent l'effet inverse à celui escompté en participant d'une « ethnicisation » des relations sociales au risque d'un renforcement des préjugés.

Vos rapporteurs jugent donc utile d'améliorer la formation des personnels afin de rendre la lutte contre les discriminations plus efficace.

Proposition n° 8 : améliorer la formation des différents acteurs de la lutte contre les discriminations, tout particulièrement des fonctionnaires et des magistrats

Une amélioration de la formation des agents des forces de l'ordre permettra probablement de limiter le phénomène communément dénoncé comme « contrôle au faciès ». Cette expression désigne une pratique discriminatoire du contrôle d'identité, tout particulièrement du contrôle préventif prévu au septième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale 53 ( * ) . Selon une étude menée par le CNRS, cette pratique aboutirait à ce que les « Noirs » auraient six fois plus de risque d'être contrôlés que les « Blancs », et les « Arabes » sept à huit fois plus 54 ( * ) .

Une solution pour remédier à ce phénomène est préconisée depuis maintenant plusieurs années : l'instauration d'un récépissé lors des contrôles d'identité. Ce récépissé aurait une triple vocation, comme le rappelait à vos rapporteurs Mme Sihame Assbegue, représentante du Collectif Stop le contrôle au faciès, lors de son audition. En premier lieu, il formaliserait le contrôle d'identité car seuls les contrôles suivis d'une garde à vue ou d'une retenue pour vérification d'identité sont aujourd'hui comptabilisés. En second lieu, il permettrait à la personne contrôlée de disposer de l'identification professionnelle de l'agent qui la contrôle. Enfin, il constituerait pour cette même personne une preuve pour démontrer, à l'appui d'un recours, le caractère abusif et discriminatoire des contrôles auxquels elle serait soumise. En aucun cas, en revanche, ce récépissé ne constituerait un sauf-conduit exonérant son porteur de l'obligation de répondre à toute nouvelle demande de justification de son identité.

Cette solution a fait l'objet de plusieurs propositions de loi, dont l'une à l'initiative de votre rapporteure 55 ( * ) . Elle a également été préconisée par le Défenseur des droits qui y a consacré une étude des dispositifs mis en place au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Espagne, ainsi qu'un colloque, avant d'opérer une synthèse de ces travaux dans un rapport publié à la mi-octobre 2012 56 ( * ) , qu'il avait d'ailleurs présenté à votre commission 57 ( * ) .

Ce dernier rapport concluait que si « la solution du « récépissé » [...] ne régl[ait] pas au fond le problème des contrôles discriminatoires lorsqu'ils se produisent », elle apparaissait en revanche « par ses seuls effets mécaniques, comme une source de réduction du nombre des contrôles et, par suite, du nombre de contrôles abusifs » 58 ( * ) . En effet, les expériences étrangères ont montré que la remise d'un formulaire entraîne une diminution quantitative des contrôles d'identité qui se révèlent alors qualitativement beaucoup plus pertinents. Cependant, le rapport note qu'« en dépit de l'existence de ces dispositifs, les associations de défense des droits de l'Homme, la presse et les organismes de contrôles mis en place affirment que la police continue de pratiquer des contrôles plus fréquents envers les populations « minoritaires ». En miroir, du point de vue de leur ressenti, ces dernières persistent à penser qu'elles sont également plus contrôlées que les populations « majoritaires » » 59 ( * ) .

Quand bien même le récépissé ne serait pas la panacée, toute réduction du nombre des contrôles d'identité abusifs marquerait une avancée. Aussi vos rapporteurs sont-ils favorables à la mise en place d'un tel dispositif qui, non seulement impliquerait une formation des agents, donc leur sensibilisation à l'enjeu de la lutte contre les discriminations, mais permettrait aussi de bénéficier d'éléments objectifs de mesure du phénomène.

En effet, le rapport du Défenseur des droits envisage quatre formes de récépissé, de la plus anonyme à celle apportant le plus d'éléments de connaissance :

- un ticket de contrôle anonyme ne comportant que les éléments d'identification de l'auteur du contrôle ;

- une attestation nominative faisant également apparaître le nom de la personne contrôlée, le motif, le lieu, la date et l'heure du contrôle ;

- une attestation enregistrée sous forme anonyme, sans mention du nom de la personne contrôlée, mais dont l'auteur du contrôle conserverait un double ;

- une attestation enregistrée sous forme nominative dont le double conservé par l'auteur comporterait le nom de la personne contrôlée.

Selon le Collectif Stop le contrôle au faciès, un prototype de récépissé répondant au troisième type mentionné aurait reçu l'aval de la CNIL. Ce récépissé, dont un organisme indépendant pourrait traiter les informations contenues dans le double après transmission par les forces de l'ordre, permettrait en effet de mieux cerner le phénomène du « contrôle au faciès ».

Si vos rapporteurs approuvent donc la démarche, ils rejoignent les préoccupations du Défenseur des droits qui estimait, au vu des expériences étrangères, qu'une expérimentation préalable était un prérequis indispensable au succès d'un tel dispositif. On rappellera à cet égard que, par un voeu émis au mois de septembre 2012, la Ville de Paris s'était déclarée « disposée à être un territoire d'expérimentation du dispositif de lutte contre les contrôles discriminants » 60 ( * ) .

Proposition n° 9 : expérimenter la remise d'un récépissé lors des contrôles d'identité et dresser un bilan de son application


* 53 « L'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens. »

* 54 Cf . l'étude « Police et minorités visibles : les contrôles d'identité à Paris », rédigée par Indira Goris de l' Open Society Justice Initiative , sur la base d'une enquête de MM. Fabien Jobard et René Lévy du CNRS, 2009, citée par le rapport du Défenseur des droits susmentionné.

* 55 Proposition de loi relative aux contrôles d'identité et à la lutte contre les contrôles au faciès (n° 104, 2011-2012).

* 56 Défenseur des droits, Rapport relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d'identité , 16 octobre 2012.

* 57 Cf . l'audition de Dominique Baudis, Défenseur des droits, le 5 novembre 2012, disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121105/lois.html#toc3

* 58 Ibidem , p. 51.

* 59 Ibidem , p. 30.

* 60 Conseil de Paris, séance des 24, 25 et 26 septembre 2012, cité par le rapport du Défenseur des droits précité, p. 38.

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