AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Qu'entend-on par « discrimination » ? Un rapport comme celui-ci ne peut évidemment faire l'économie d'une définition précise du mot, de ses déclinaisons, de ses variantes. Il doit aussi tenter de dresser un état des lieux distinguant discriminations directes et indirectes, volontaires et involontaires. C'est seulement dans un second temps qu'il est possible d'esquisser des solutions, des propositions concrètes susceptibles de les faire reculer peu à peu, dans le temps, tout en garantissant le respect des libertés individuelles indispensables à la bonne marche de la démocratie.
Le sujet est délicat et complexe. Les préjugés et les stéréotypes ancrés dans nos mentalités, qui fabriquent les discriminations, sont à la fois nombreux et prégnants. On évoque couramment l'existence de discriminations en raison des appartenances ethniques, raciales et religieuses 1 ( * ) , sans toujours vouloir ou pouvoir les circonscrire et les mesurer, alors qu'il faudrait précisément commencer par cela, ne serait-ce que pour rendre un peu plus efficaces les dispositions déjà existantes pour y remédier.
L'élaboration de ce rapport entend répondre à ces besoins divers. Il est fondé sur de très nombreuses auditions. Il est signé par deux sénateurs de sensibilités politiques différentes, élus de départements différents, mais l'un comme l'autre très concernés par la question.
Comme il ne s'agit pas toujours d'un fait tangible, immédiatement cernable, la discrimination est d'abord un ressenti que la loi ne peut pas définir directement. Par ailleurs, le nombre peu élevé d'affaires susceptibles de relever des dispositions nombreuses déjà en place souligne une réalité : les discriminations n'étant pas quantifiées, les moyens destinés à les combattre et à apaiser le ressenti qu'elles induisent, et dont parlent tous les témoignages, restent manifestement insuffisants. Les personnes subissant des discriminations gardent le plus souvent pour elles un ressenti qui les dévalorise à leurs propres yeux et empêche un meilleur vivre-ensemble dans notre société.
L'objectif de ce rapport était de faire le tour des problématiques relatives aux discriminations ethniques, raciales et religieuses, ainsi que des moyens permettant de les nommer et de les quantifier, afin de faire émerger des mesures plus globales susceptibles de les faire reculer progressivement. Il lance, une fois encore, un message fort à destination du Gouvernement pour qu'il prenne ses responsabilités et contribue à la formation tout au moins des agents relevant de son autorité. Le secteur privé doit lui aussi s'atteler à une tâche similaire pour agir dans la bonne direction. Les discriminations ne disparaîtront pas d'un coup de baguette magique. Il y faudra de la détermination et de la constance.
La quantification par des statistiques ethniques étant devenue un sujet polémique à chaque fois qu'on l'évoque, vos rapporteurs, qui n'y sont pas hostiles - à condition que les données recueillies ne débouchent pas sur un fichage ethnique -, proposent d'introduire, une fois tous les cinq ans, dans le recensement, une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure pour mieux se saisir des discriminations qui contribuent à la formation de ce fameux plafond de verre empêchant notamment les descendants d'immigrés, français de nationalité, de mieux réussir leur vie scolaire et professionnelle. Les discriminations, on ne le rappellera jamais assez, touchent à tous les secteurs et à tous les aspects de la vie sociale, allant de l'accès au logement à l'embauche, en passant par le « contrôle au faciès ».
Il est clair, par ailleurs, que le cadre juridique de la lutte contre les discriminations devrait être toiletté et les voies de droit ouvertes aux victimes de discriminations renforcées. Pour ce faire l'amélioration de la visibilité du Défenseur des droits dans sa mission de lutte contre les discriminations serait un pas en avant pour aider les personnes discriminées à saisir la justice, lorsque le dialogue avec les interlocuteurs concernés a échoué.
Il convient aussi de s'interroger sur l'institution de recours collectifs en matière de discriminations, dont la saisine reviendrait aussi bien aux associations, aux syndicats qu'aux individus se regroupant pour une discrimination subie sur le lieu de travail, y compris dans différentes succursales de la même entreprise en divers points du pays.
De même, la possibilité de fournir un récépissé aux personnes objets d'un contrôle d'identité, en garantissant un encadrement des données empêchant la constitution de fichiers, apparaît une bonne façon de lutter contre les contrôles à répétition humiliants, visant des personnes au même profil social et/ou ethnico-racial. De nombreux pays l'ont instaurée, avec des résultats probants. Un premier essai dans une zone considérée comme expérimentale serait souhaitable dans un premier temps.
En tout état de cause, la lutte contre les discriminations requiert un long travail en amont. L'école n'est pas seulement un lieu de transmission du savoir mais également un lieu de formation à la vie avec les autres, en connaissant mieux leur milieu culturel et religieux. L'enseignement du fait religieux à l'école peut pallier une méconnaissance souvent source de rejet. Il n'est pas nécessaire de créer un certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) ou une agrégation spécifiques, mais d'instaurer au moins une heure hebdomadaire d'enseignement neutre du fait religieux (les grandes religions, leur histoire, ce qui constitue leur substance et leur culte), sans avoir à entrer dans les détails de la foi et de la spiritualité, qui relèvent de l'intime. Parallèlement à cet enseignement du fait religieux, il serait également utile de rappeler ce qu'est la laïcité et ce que sont ses acquis dans l'espace public comme dans l'espace privé. L'instruction civique et les cours de philosophie peuvent s'avérer des cadres propices à cet enseignement, avec des maîtres formés à ces questions pendant leur cursus.
En ces temps de crise, de montée des fanatismes, et d'accès d'intolérance, un tel enseignement contribuerait à endiguer la propagation de stéréotypes divers, notamment islamophobes et antisémites, qui constituent un risque grave pour notre société, en justifiant l'exclusion de « minorités » qui y ont pourtant toute leur place. L'histoire a hélas assez montré à quelles impasses tragiques conduisent pareilles dérives.
* 1 Selon la formule retenue par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son rapport annuel au Premier ministre sur La lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie , ce rapport s'est limité aux discriminations à l'égard des personnes de confession juive et musulmane.