EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 17 juillet 2014, sous la présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente, puis de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur l'avenir des préfectures.

Mme Michèle André , rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » . - Rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE) depuis 2008, je vous ai rendu compte chaque année de son évolution. Mes conclusions sont le fruit du contrôle budgétaire que j'ai mené durant ces dernières semaines autant que de six ans de contrôle et de suivi.

Les préfectures et les sous-préfectures ont connu ces dernières années, une véritable révolution, silencieuse mais tangible, et qui n'est pas achevée. Elles ont fait de considérables efforts d'adaptation et ont rencontré de réelles difficultés. En quelques années, leur environnement administratif a été bouleversé. Depuis le 1 er janvier 2010, la réorganisation de l'administration territoriale de l'État (RéATE) a régionalisé la plupart des services déconcentrés de l'État, désormais regroupés en huit, et non plus vingt, grandes entités régionales : les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL)...

M. Michel Berson . - Nous les connaissons bien !

Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - ...des affaires culturelles (DRAC), de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), des finances publiques (DRFiP), les services du rectorat et les agences régionales de santé (ARS).

Des directions départementales interministérielles (les DDI) sont apparues. Les directions départementales des territoires (DDT) regroupent les anciennes directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et de l'équipement (DDE). Les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) reprennent les compétences des anciennes directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS), des affaires sanitaires et sociales (DDASS) en matière d'affaires sociales, des unités départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (UDCCRF) et des services vétérinaires. Dans les départements les plus peuplés, une direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) et une direction départementale de la protection des populations (DDPP) se substituent à la DDCSPP.

M. François Fortassin . - Quel ésotérisme !

M. Michel Berson . - Au-delà de trois lettres, ces acronymes sont difficiles à mémoriser...

Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Les préfets, surtout de région, ont dû s'adapter à cette nouvelle architecture. Leurs prérogatives budgétaires se sont étendues : le préfet de région identifie avec les directeurs régionaux les besoins des territoires et coordonne au niveau des budgets opérationnels de programme (les BOP) la ventilation des crédits entre les départements. Il apprécie les besoins en personnel dans les départements et arbitre les suppressions, les créations ou les redéploiements d'effectifs. Il lui revient d'optimiser l'allocation des moyens. Pour cela, il s'appuie de plus en plus sur un acteur relativement récent : le secrétaire général aux affaires régionales. Bien connu en région, et malheureusement moins en département, le SGAR coordonne l'action des services régionaux de l'État, s'assure de leur articulation avec les services départementaux, et met en oeuvre certaines politiques européennes. Les équipes de chargés de mission auprès des SGAR se sont rapidement étoffées. Veillons à ce qu'ils ne doublonnent pas les secrétaires généraux des préfectures départementales.

Les préfectures ont connu des évolutions technologiques majeures : passeport biométrique, nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) et, depuis septembre 2013, nouveau permis de conduire (FAETON). Des difficultés d'organisation et des dysfonctionnements informatiques ont dû être surmontés. Ainsi, la mise en place du passeport biométrique a occasionné des files d'attente en mairie à l'été 2009. Saluons le sens du service public, l'engagement et la résistance des personnels des préfectures qui ont traversé des moments difficiles, aux guichets, face à des usagers parfois impatients. Sans leur abnégation, la modernisation des préfectures aurait pu tourner à l'échec.

Pari hasardeux, au lieu d'évaluer d'abord les gains de productivité qu'apporteraient les nouvelles technologies, les effectifs, ont été considérablement diminués dès 2008, d'où des tensions extrêmement fortes dans les préfectures. Voilà bien les effets pervers de la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont le seul effet sensible aura été la réduction des emplois. Ainsi, la préfecture du Rhône a supprimé 50 emplois temps plein sur un total de 2 090 en 2014, en créant en contrepartie 54 de vacataires et de contractuels. Des emplois précaires prennent ainsi en charge des activités de guichet, alors que les personnels vacataires n'ont ni la formation professionnelle, ni l'expérience ou le sens du service public du personnel qu'ils remplacent.

Certaines réformes aideraient sans doute les préfets. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui a atteint ses limites, doit être améliorée. Pourquoi, pour certains travaux immobiliers, le préfet de la région Aquitaine doit-il faire avec trois ou quatre BOP et comptes d'affectation spéciale (CAS) ? Pourquoi ne pas créer un BOP commun « Support immobilier régional » ? La gestion des agents en préfecture et dans les DDI est un casse-tête en raison des différences de statut. Les commissions administratives paritaires (CAP) sont organisées par l'administration centrale à des dates différentes selon les ministères et les catégories. Déconcentrons la gestion des CAP pour les agents de catégorie B et C.

Quel est l'avenir des sous-préfectures ? Mieux aurait valu leur laisser l'activité de délivrance de titres plutôt que de confier les passeports aux mairies, sur la base d'un volontariat sujet à caution.

Comme tel n'a pas été le choix retenu, la question de la pérennité de certaines sous-préfectures doit être abordée dans la concertation et en tenant compte des spécificités des territoires, notamment ruraux ou de montagne. La fusion de plusieurs arrondissements et le regroupement des services de l'État dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle ont été annoncés le 4 juillet. D'ici 2016, le nombre d'arrondissements dans le Bas-Rhin passera ainsi de treize à huit. La sous-préfecture de Wissembourg sera absorbée par celle de Haguenau. Les anciens chefs-lieux d'arrondissement accueilleront des permanences de service public et les bâtiments des sous-préfectures supprimées pourront accueillir des centres d'action sociale (CAS) ou des structures de formation. Les agents des sous-préfectures qui disparaissent seront redéployés, pour une économie, modeste, de 50 000 à 65 000 euros par an et par sous-préfecture. Les salaires des sous-préfets économisés seront reversés au budget général de l'État.

Que voulons-nous faire de nos préfectures, quelles missions doivent incomber aux préfets ? Un effort de redéfinition des missions de l'État est nécessaire. Le malaise qu'éprouve le personnel des préfectures trouve aussi sa cause dans l'absence d'une ligne d'horizon claire. La réforme en cours de la carte de nos régions ajoute à la complexité de cette réflexion. Elle implique en effet une adaptation des structures de l'État déconcentré. Remettra-t-elle en question la place et le rôle des préfets de département ? Après le président de la République, le ministre de l'intérieur a récemment évoqué leur montée en gamme. L'accroissement de la taille des régions pourrait conduire à un renforcement de la présence de l'État à l'échelon départemental. Mais, comme l'a souligné Daniel Canepa, ancien préfet de la région Île-de-France, ce renforcement réclamera des moyens, y compris humains. Il en va de même des directions départementales : la direction de la cohésion sociale souffre depuis l'origine du départ des médecins vers les ARS.

Ainsi, la modernisation des préfectures est loin d'être achevée. Leur évolution est nécessaire pour garantir une présence forte et dynamique de l'État dans les territoires. Leurs moyens et leurs missions doivent donc demeurer l'objet des travaux de notre commission.

- Présidence de M. Philippe Marini , président -

M. Philippe Marini , président . - Merci pour la continuité avec laquelle vous conduisez, avec ardeur, le contrôle de la mission « AGTE ».

M. François Marc , rapporteur général . - Je vous remercie de nous faire partager votre intérêt pour cette mission que vous suivez depuis des années. J'ai appris avec surprise que le Bas-Rhin comportait treize arrondissements.

M. Philippe Marini , président . - Le Haut-Rhin en comprend aussi beaucoup.

M. François Marc , rapporteur général . - Cela suppose sans doute des simplifications.

Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Les préfets font des propositions de remodelage...

M. Éric Doligé . - Au fil des années, le préfet de département perd de son pouvoir. Il est mis de côté par les directions régionales et autres ARS, qu'il maîtrise de moins en moins et qui prennent leurs instructions à Paris. Résultat : il n'a plus la main sur les dossiers sensibles, et il est devenu difficile d'obtenir, comme autrefois, des réponses claires et rapides. C'est inquiétant. D'ailleurs, comment s'étonner que les agents des préfectures vivent dans un grand malaise, puisqu'on parle de supprimer les départements ? Les cadres de haut niveau partent pour d'autres collectivités territoriales, alors qu'ils sont indispensables.

M. Francis Delattre . - La réforme de 2010 a été catastrophique pour les départements d'Île-de-France, puisqu'elle a entraîné la quasi-disparition des DDE. Les membres du Conseil général des ponts et chaussées sont tous à la Défense, alors qu'ils seraient plus utiles à conduire les nombreux projets en cours...

M. Philippe Marini , président . - Il faut bien des cimetières d'éléphants...

M. Francis Delattre . - Le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve annonce une montée en gamme des préfets et projette de faire disparaître les départements, curieux... Dans les grandes régions, il faudra de bons départements.

Mme Marie-France Beaufils . - Qu'attendons-nous des préfets ? S'ils sont porteurs des orientations de la politique de l'État, ils ont de vraies missions. Pour la délivrance des passeports, par exemple, les sous-préfectures demeurent l'échelon pertinent. Les préfets ont-ils gagné ou perdu du pouvoir par rapport aux directions régionales ? La baisse des moyens des directions départementales, qui a conféré plus de poids aux directions régionales, pose problème sur le terrain : celles-ci se renforcent par leur technicité, ce qui pèse parfois les orientations politiques. Le renforcement des régions accroîtra le rôle des préfets, parce que l'État voudra regagner du terrain.

M. Philippe Marini , président . - En effet, nous avons souvent le sentiment que le préfet de département n'a plus la même capacité de décision. Lui qui était le chef des services déconcentrés de l'État et dont le rôle avait été renforcé pendant des années, semble désormais n'avoir plus qu'à mettre en oeuvre les options prises par le préfet de région, voire par les directions régionales. Si un préfet de région n'intervient pas dans un dossier, il laisse un directeur régional imposer bureaucratiquement son avis au préfet de département, pourtant en prise avec les élus, d'où des allers retours, des délais plus longs. Sans prendre parti sur la RGPP, que vous avez critiquée et à laquelle j'ai participé, comment voyez-vous l'avenir des préfets de département ?

Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Les préfets de département ont en effet connu un moment difficile lors de la décision, en 2008, de donner plus de pouvoir aux préfets de région. Qu'allaient-ils perdre ? Eux qui étaient les patrons dans leur département, comment allaient-t-il faire face à la montée en puissance, parfois brutale, de certaines directions régionales ? Certains préfets de région s'entourent systématiquement des avis de leurs préfets de département quand d'autres tranchent systématiquement. Les ministères sont-ils capables de laisser les préfets les représenter à l'échelle du département ? En d'autres termes, les ministres sont-ils prêts à déconcentrer leur pouvoir ? Dans mon département, un projet préparé par la DREAL sans consulter les élus a été interrompu par le préfet de région à leur demande. Certains DRAC imposent une autorité très lourde. La solution passe sans doute par la mise en place d'unités territoriales des directions régionales. Quand certaines ARS ont pris des initiatives éloignées de l'intérêt public, le préfet de région les a ramenées dans la ligne objective d'un travail collectif.

Les SGAR et leurs cabinets concurrencent fortement les secrétaires généraux des préfectures, alors que ceux-ci sont confrontés au quotidien et à l'accueil du public. Savons-nous faire une réforme à froid ? Michel Rocard disait qu'en France, nous ne savons évoluer qu'avec un conflit et une loi. Nous devons réfléchir aux missions régaliennes de l'État, que le préfet doit assurer. Une précision enfin : la suppression des départements comme circonscription administrative n'a jamais été évoquée. Il est question de transformer le rôle des conseils départementaux.

M. Éric Doligé . - De les supprimer !

M. Philippe Marini , président . - Si des méga-régions se réalisent, il y aura inévitablement des méga-DIRECCTE, des méga-DREAL : l'organisation déconcentrée de l'État s'adaptera aux nouveaux schémas. Les préfets de région, moins nombreux, seront d'essence supérieure...

Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Vous êtes bien pessimiste !

M. Philippe Marini , président . - Directement issus de la cuisse de Jupiter tonnant, ces méga-préfets contrasteront avec des préfets de département minorés, qui demeureront les interlocuteurs des élus, mais dans un rapport de force dégradé avec les services déconcentrés sectoriels : le ministre démentira rarement ceux-ci.

Mme Michèle André , rapporteure spéciale . - Si nous sommes capables de définir une répartition utile des tâches, ces évolutions offrent une opportunité de renforcer le rôle de chacun. L'opinion des élus sur les préfets de département varie ; il reste que ceux-ci sont leurs interlocuteurs naturels, au nom de l'État, sur les problématiques des territoires.

M. François Trucy . - Si le conseil général disparaît, les maires, surtout ceux des petites communes, se retrouveront orphelins. Conséquence immédiate de ces turbulences, les sénateurs pourront regagner auprès d'eux une audience et une importance qu'ils avaient perdues ces dernières années. Le préfet de département, et à plus forte raison celui de région, sont trop lointains...

M. Michel Berson . - Il n'y aura pas de suppression de départements, mais nous nous orientons vraisemblablement vers un regroupement, dans chaque grande région, de plusieurs départements entre eux.

M. Philippe Marini , président . - Certainement.

M. Michel Berson . - Pour être équilibrée, la réorganisation territoriale doit entourer des préfets de région forts de préfets de département renforcés. C'est possible, si l'on regroupe des départements qui ont l'habitude de travailler ensemble, par exemple le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, ou encore l'Ardèche et la Drôme. Les autorités territoriales de l'État gagneront ainsi en efficacité.

M. Philippe Marini , président . - Une France de cinquante départements, pourquoi pas ? Philippe Dallier avait proposé quelque chose d'analogue pour la petite couronne parisienne...

La commission a donné acte de sa communication à Mme Michèle André, rapporteure spéciale, et en a autorisé la publication sous forme d'un rapport d'information.

Page mise à jour le

Partager cette page