B. DES RESSOURCES « EXOGÈNES » PRÉCAIRES EXPOSÉES À DES ARBITRAGES INCERTAINS.
1. Une faible dynamique d'ensemble
Les ressources en quelque sorte « exogènes », de l'établissement, se décomposent en une taxe affectée, la « taxe hydraulique », diverses subventions et des cofinancements.
Les ressources allouées à VNF sont en 2014, de 30 % plus élevées qu'elles n'étaient en 2005 montrant ainsi une augmentation apparente de 1,9 % l'an en glissement au cours de cette période 7 ( * ) .
Cependant, deux observations s'imposent qui modèrent un satisfecit qui serait hâtif :
• après un pic en 2009 (à
416,6 millions d'euros) du fait du plan de relance de l'économie,
les ressources de VNF ont été progressivement réduites
pour être ramenées à 342 millions d'euros en 2012
à la veille de la mise en oeuvre de la loi, ce qui témoigne d'un
rapide retour vers un régime de croisière ;
• derrière la progression
nominale des moyens de VNF, c'est à peine une stabilité des
ressources réelles qu'il faut constater une fois pris en compte les
différents déflateurs pertinents.
La modestie de la dynamique des ressources perçues par VNF a un retentissement particulier sur ses moyens d'investissement.
La « capacité d'autofinancement » ressort comme plus faible en 2014 qu'en 2005 (97,7 millions d'euros contre 110,6 millions soit - 12,9 millions d'euros).
Dans l'appréciation de cette réduction, il faut prendre en considération les effets d'un arbitrage entre la « subvention pour charges de service public », classée en ressources de fonctionnement, et la dotation de l'AFITF créée en 2011 et classée, de son côté, en ressources d'investissement.
Celle-ci s'élève selon l'année à 40 ou 30 millions d'euros, si bien que, prises dans leur totalité, les ressources d'investissement ont progressé depuis 2005.
Par rapport à 2005, elles se trouvent majorées de 42,8 millions d'euros. Elles ont été portées à 205,7 millions après avoir fluctué entre un creux de 162,8 millions en 2005 et un pic de 291,9 millions en 2009.
Il n'empêche que, là aussi, il faut tenir compte d'évolutions qui conduisent à nuancer le diagnostic plutôt favorable qu'inspire la tendance des ressources disponibles pour l'investissement :
. la dérive des prix des investissements auxquels procède VNF qui modère, voire annule, l'apparente augmentation des moyens d'investissement de VNF en affectant leur valeur réelle ;
. la montée en charge des moyens consacrés au projet de canal Seine Nord Europe supérieurs de 14, 7 millions d'euros en 2014 par rapport à 2005 qui contribue pour plus d'un tiers à l'accroissement des disponibilités de VNF et conduit à ramener la progression des moyens accessibles pour le programme d'investissement ordinaire de l'établissement à 28,1 millions d'euros, en progression de seulement 19 % en glissement.
. si les moyens d'investissement ont progressé par rapport à 2005, ils ont connu des évolutions récentes moins favorables malgré le vote de la loi et la conclusion du protocole avec les organisations syndicales, si bien que les ressources d'investissement disponibles en 2014 seraient inférieures à celles de 2011.
En toute hypothèse, les ressources libres pour investir sont en deçà des besoins associés au programme d'investissement de VNF prévu dans le cadre du projet « Voies d'eau 2018 ».
Ce constat semble annoncer une forte révision à la baisse des ambitions d'investissement qui pose des problèmes de cohérence avec les choix stratégiques de VNF.
2. Des subventions de l'État incertaines
Les subventions apportent à VNF l'essentiel de ses ressources mais souffrent d'insuffisance et d'imprévisibilité
Les subventions versées à VNF ont connu une évolution heurtée du fait des réactions de politique économique suivant le déclenchement de la crise de 2007 et de réorganisations administratives, avec la création de l'AFITF et l'intervention de la loi sous revue.
Les subventions versées à VNF proviennent désormais de l'État ou de l'AFITF.
VNF perçoit de l'État une « subvention pour charges de service public » 8 ( * ) dont le niveau, longtemps stable (autour de 55 millions d'euros), avait été triplé à l'occasion du plan de relance de 2009 pour être porté à 160,3 millions d'euros.
Cette augmentation exceptionnelle a donné suite à une normalisation, la subvention étant ramenée ultérieurement à un niveau inférieur à celui de son régime de croisière.
Pour mémoire, on rappelle que la subvention pour charges de service public versée par l'État s'était élevée à 45,5 millions d'euros, dégageant un surplus de 17,9 millions par rapport aux dépenses de salaires permettant de couvrir d'autres dépenses.
Ce surplus faisait apparaître un repli par rapport à celui généralement disponible (et évidemment un très fort recul par rapport aux données exceptionnelles liées au plan de relance). Cette évolution qui a occasionné la baisse de la capacité d'autofinancement signalée plus haut semble avoir répondu une intention de limiter les marges de manoeuvre de VNF e fléchant les soutiens publics vers l'investissement.
De fait, combinée avec la subvention d'investissement de l'AFITF 9 ( * ) , versée à partir de 2011, la contribution de l'État 10 ( * ) a été augmentée de l'ordre de 50 % à partir du début des années 2010, soit un supplément de ressources de l'ordre de 20 millions d'euros.
Le transfert des personnels par la loi de 2012 a occasionné une nouvelle évolution, les ressources nécessaires au paiement des traitements et rémunérations des agents mis sous la responsabilité de VNF par la loi sous revue étant inscrites depuis 2013 dans la masse globale de la « subvention pour charges de service public ». Celle-ci s'est élevée en 2013 à 263,1 millions d'euros soit 217,7 millions de plus qu'en 2012.
Au total, l'effort cumulé de l'État et de l'AFITF, hors compensation salariale liée au transfert des effectifs à l'établissement, s'est accru depuis 2005 d'environ 22 millions d'euros.
Cette augmentation est inférieure à celle qui serait intervenue si la subvention nouvelle de l'AFITF, qui s'inscrit dans l'équilibre du programme d'investissement de VNF, avait apporté des ressources supplémentaires nettes.
Un arbitrage a donc eu lieu entre la « subvention pour charges de service public » versée par l'État et le soutien de l'AFITF qui a pris le relais de la première pour partie.
Si l'on ajoute que, contrevenant aux recommandations de la commission Mobilité 21, qui avait souhaité que la dotation AFITF soit portée à 60 millions d'euros, celle-ci a, au contraire, été rabotée d'une dizaine de millions d'euros pour faire face aux difficultés de financement de l'agence (voir infra ), force est de constater que VNF ne bénéficie pas effectivement des arbitrages budgétaires nécessaires aux ambitions dessinées par la loi.
Au demeurant, la situation financière de l'AFITF suscite des très grandes inquiétudes sur le devenir des soutiens qu'elle apporte aux investissements de VNF.
Dans son rapport consacré aux agences de l'État, publié en mars 2012, l'IGF s'inquiétait de la situation financière de l'AFITF.
« En charge de financer la participation de l'État aux projets d'infrastructures de transport, l'AFITF constitue une forme de débudgétisation particulièrement massive... Les nouvelles autorisations d'engagement sont votées sans que celles-ci n'aient été ni autorisées, ni limitées, par le Parlement qui n'en est même pas informé...
Cette débudgétisation concourt à la formation d'une trajectoire financière insoutenable. En effet, tandis que l'AFITF vote régulièrement de nouvelles autorisations d'engagement qui ne sont pas limitées, ses crédits de paiement sont en revanche annuellement liés au niveau des recettes. L'écart entre les engagements et les dépenses ne cesse de croître : 21 milliards d'euros d'engagements ont été contractés par l'AFITF et ne sont pas couverts en crédits de paiement d'ici 2014. »
Les événements qui ont conduit à l'abandon de l'écotaxe et à l'annonce de l'instauration d'un « péage de transit » au produit prévisionnel significativement inférieur à celui envisagé pour l'écotaxe ne sont pas de nature à conforter la situation financière de l'AFITF.
Dans ce contexte, vos rapporteurs souhaitent que les ressources jugées indispensables par la Commission Mobilité 21 - au demeurant, calibrées par elle sur les bases plutôt restrictives - soient préservées.
3. La taxe hydraulique, une taxe en péril ?
Entre 2008 et 2014, le produit de la taxe hydraulique a progressé de 20,2 millions d'euros, soit une augmentation de l'ordre de 1,8 % par an. Cette augmentation ne résulte pas tant d'une dynamique de l'assiette que des relèvements de tarifs intervenus au cours de la période.
ÉVOLUTION DES RECETTES NETTES DE TAXE
HYDRAULIQUE
(en millions d'euros)
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
122,4 |
123,7 |
120,5 |
124,5 |
129,4 |
124,6 |
138 |
148,8 |
149,2 |
142,6 |
Le nombre des redevables de la taxe hydraulique est faible, environ 3.300 selon les données fournies à vos rapporteurs. Ce constat est quelque peu étonnant, le nombre des parties prenantes au domaine fluvial devant être nettement plus élevé. Il est à mettre en relation avec le régime de la taxe hydraulique qui, complexe et quelque peu archaïque, comporte un nombre considérable de nuances, d'exemptions, d'abattements...
En bref, la fiscalité affectée à VNF n'a jamais été conçue autrement que sur les bases les plus pragmatiques avec sans doute pour effet de priver l'établissement des ressources qu'il aurait fallu pour assurer un traitement satisfaisant du domaine public fluvial considéré en ses potentialités de transport. D'autres usages ont été mieux traités et VNF en a certainement pâti.
La taxe porte sur deux types d'ouvrages : les ouvrages hydrauliques à usages industriel, alimentaire, agricole... ; les ouvrages hydroélectriques.
Pour les ouvrages hydrauliques , la taxe comporte deux éléments, le premier assis sur l'emprise des ouvrages, le second sur les volumes pouvant être prélevés ou rejetables appréciés en fonction de la capacité maximale des ouvrages.
Les tarifs sont nettement différenciés en fonction du lieu d'implantation des ouvrages notamment mais aussi du fait de l'application de coefficient d'abattement pour les ouvrages à destination agricole ou industrielle et, à l'inverse, de majorations quand le rejet nécessite une intervention pour rétablir le bon fonctionnement de l'ouvrage de navigation. Par ailleurs, des exonérations sont prévues, en particulier pour les réseaux de froid urbain.
Quant à l'élément concernant les ouvrages hydroélectriques , il est lui-même composite avec une part liée à l'emprise sur le domaine public fluvial et une autre relative à la puissance maximale brute de la chute d'eau. Les tarifs sont différenciés et de nombreuses exonérations sont appliquées, aux ouvrages hydroélectriques concédés, en particulier à ceux concédés à La Compagnie Nationale du Rhône, l'État percevant sur ces concessions des redevances dont la fraction non affectée aux collectivités territoriales est reversée à VNF. Mais, la qualité de l'eau rejetée n'est pas discriminante ce qui n'est guère cohérent avec les préoccupations écologiques d'ensemble.
L'assiette de la taxe est significativement mitée , de sorte que certains contributeurs importants y échappent aux termes d'arbitrage peu clairs ainsi qu'une myriade de petits utilisateurs de la voie d'eau assujettis à d'autres prélèvements mais qui ne profitent pas à VNF.
Par ailleurs, la détermination des taux ressort comme peu rigoureuse . Les tarifs sont fixés par référence à des besoins budgétaires de VNF- il faudrait écrire à des besoins normés par la direction du budget- sans qu'une doctrine de valorisation du domaine public fluvial ne semble réellement à l'oeuvre quand bien même la taxe hydraulique par sa dimension réaliste s'inspire d'une forme de tarification de l'usage du domaine à caractère sinon économique du moins patrimonial.
Il faut encore rappeler que la taxe hydraulique est frappée par la « charte de budgétisation » annexée à la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017.
On rappelle que la « charte » prévoit :
- le plafonnement des taxes affectées avec écrêtement des taxes dont le rendement est supérieur aux « besoins prévisionnels » ;
- l'inclusion dans la norme « zéro valeur » des taxes plafonnées en lois de finances ;
- la fixation d'un objectif global de baisse des taxes plafonnées à - 265 millions d'euros en 2014 et - 465 millions d'euros en 2015.
Ces dispositions qui se veulent vertueuses s'appliquent en l'espèce à une taxe censée financer des investissements destinés à sauvegarder ou enrichir le patrimoine de l'État et à contribuer à l'élévation du potentiel de croissance durable du pays. Elle bride à l'excès les capacités de VNF dont les ressources dépendent très étroitement du produit de la taxe.
Il est regrettable que la préoccupation d'améliorer la gestion des finances publiques, qui est sérieuse, dégénère en des solutions absurdes masquées derrière des pseudo-concepts de gestion.
La gestion publique n'y gagne rien.
La portée de l'écrêtement n`a certes pas été substantielle : en 2012, il a eu pour effet d'amputer les ressources de l'établissement de 3,3 millions d'euros contre un potentiel d'écrêtement estimé à 6 millions.
C'est que le plafond de recettes de la taxe hydraulique (148,6 millions d'euros) inchangé entre 2012 et 2013 n'a été dépassé que de peu en 2012.
La taxe hydraulique est suspendue à un contentieux dont la dernière phase - devant la Cour administrative d'appel - n'a pas été favorable à VNF. Il est reproché à la taxe de constituer une aide d'État faussant la concurrence. Par ailleurs, le défaut de notification du dispositif aux autorités européennes de la concurrence serait, dans ces conditions, prétendument fautif.
Vos rapporteurs n'entreront pas dans un débat juridique pendant devant le Conseil d'État qui ressort comme aussi complexe qu'artificiel au vu des activités concrètes de VNF qui, indubitablement, ne sont guère marqués par la dimension marchande.
Il n'empêche que la solution donnée à ce contentieux dans l'hypothèse où elle serait confirmée, pourrait poser un grave problème de financement de l'établissement.
Au-delà, dans la mesure où VNF développerait avec succès son offre d'infrastructures de transport, une certaine inquiétude pourrait venir de l'application à l'établissement de la jurisprudence « La Poste » qui a considéré que le statut d'établissement public par la garantie de l'État qu'il offrait apportait à l'entreprise un avantage faussant la concurrence.
4. Les cofinancements jouent un rôle important qu'il ne faut pas décourager
Les cofinancements , même en excluant ceux du projet Seine-Nord-Europe, sont essentiels à VNF. Ils équivalent à près de trois fois les recettes de péages et devraient s'élever en 2014 à 41,6 millions d'euros .
Une partie importante des investissements de VNF est contractualisée avec les régions.
Les contrats de plan État-Régions pour 2007-2013 portaient sur un montant de 544,1 millions d'euros dont 277,6 millions d'euros de participation de l'État - VNF.
Les CPER avec l'Ile-de-France (205,5 millions d'euros) et Nord-Pas-de-Calais (133,1 millions) concentrent 62,2 % des investissements avec quelques projets particulièrement notables : la modernisation de la Seine amont (118,4 millions d'euros) et des ouvrages de la Seine aval (93 millions d'euros), l'infrastructure du canal du Rhône à Sète (50 millions d'euros).
Les régions sont engagées pour des montants élevés (266,5 millions d'euros). Ils représentent une part essentielle des cofinancements perçus par VNF et apportent la moitié des ressources consacrées aux projets concernés.
Si l'on considère les masses budgétaires respectives des régions et de l'État, on mesure l'effort que les collectivités territoriales consacrent au transport fluvial alors même que la politique publique dont il relève est, dans son principe et dans ses réalisations concrètes, principalement une politique nationale.
Dans ces conditions, il serait à tout le moins souhaitable que les collectivités soient systématiquement impliquées dans les orientations stratégiques décidées en ce domaine exigence que l'existence de commissions territoriales et la participation au conseil d'administration de VNF ne suffisent pas à satisfaire entièrement.
Un organisme concertatif de niveau national, le « Conseil national du transport fluvial », devrait être constitué afin que les questions que n'aborde pas un conseil d'administration d'établissement public puissent être délibérées.
Enfin, il faut souhaiter que l'exécution des CPER soit plus rigoureuse du côté de l'État et que, concrètement, le taux de couverture des engagements de VNF en autorisations d'engagements, et, plus encore, en crédits de paiement, soit porté au niveau théorique des contrats, ce qui est loin d'être le cas.
* 7 Ces évolutions comparent des données constantes indépendantes de l'augmentation de la subvention pour charges de service public intervenue en 2013 à la suite de l'adoption de la loi objet du présent rapport pour traduire le « transfert » des personnels ministériels à VNF. La mise à niveau de la subvention pour charges de service public (passée de 45,5 à 263,2 millions d'euros entre 2012 et 2013-- + 217,7 millions d'euros -- a eu pour effet de porter les ressources de VNF à 573 millions en 2013 (+ 231 millions d'euros par rapport à 2012), augmentation qui traduit principalement un changement de traitement budgétaire et non un abondement effectif de moyens.
* 8 La subvention pour charge de service publique versée à VNF depuis 2012 est l'héritière de deux subventions : une subvention de fonctionnement et une subvention d'investissement.
* 9 Les subventions versées par l'AFITF sont diverses dans leur nature. Certaines sont fléchées (voir les « cofinancements »), mais il existe aussi une subvention pour remise en état du réseau existant - celle dont il est question ici - qui doit permettre à VNF de réaliser le programme de rénovation du réseau arrêté dans le cadre de son contrat d'objectifs et de performances.
* 10 On peut considérer l'AFITF comme « transparente » de sorte que ses soutiens sont ici assimilés à des soutiens de l'État.