B. SECURISER LE PLAN D'INVESTISSEMENT DE VNF

1. Mieux programmer les investissements nécessaires à la relance du transport fluvial
a) Évaluer les charges obligatoires

Il est à ce jour hasardeux d'évaluer les besoins financiers correspondant aux missions de VNF, et en particulier, aux besoins du transport fluvial.

Les nombreux engagements qui ont été pris, que ce soit dans le cadre des outils de contractualisation entre l'État et l'établissement, par le conseil d'administration de VNF ou dans le protocole conclu avec les syndicats, relèvent plutôt d'orientations que d'une programmation rigoureuse.

Ces engagements financiers correspondent par ailleurs plus à une « programmation » des moyens devant être consacrés à l'investissement qu'à une estimation rigoureuse des besoins.

Celle-ci est tributaire de variables discrétionnaires - comme les objectifs de développement du réseau - mais également de variables moins « arbitrables » comme celles liées à l'état du réseau ou à des obligations légales.

À cet égard, on peut mentionner les effets du décret n° 2007-1735 du 11 décembre 2007 relatif à la sécurité des ouvrages hydrauliques qui prescrit que des études de danger de ces ouvrages (barrages de retenue, digues...) soient réalisées périodiquement avec des réactualisations tous les dix ans.

Cette obligation est susceptible de peser très lourdement sur le budget de VNF. L'établissement gère 3 756 km de digues et estime que les coûts des diagnostics prescrits s'échelonnent entre 5 000 euros TTC/km pour de simples mesures géophysiques à plus de 20 00 euros TTC/km pour des analyses comportant des sondages. Ainsi, le coût des seules études pour diagnostic - hors ouvrages - pourrait mobiliser entre 18,8 et 75,1 millions d'euros.

De même, les obligations concernant la continuité écologique - passes à poisson, passes à faune - peut impliquer des coûts considérables pour VNF même si l'établissement bénéficie à ce titre de financements extérieurs, notamment de la part des Agences de l'eau. Pour illustration, le seul équipement des sept barrages de navigation sur la Seine aval entre Paris et Rouen est estimé à 30 millions d'euros.

b) Pour des scénarios précis des besoins d'investissement dans le réseau...

La dégradation du réseau fluvial par défaut d'entretien des voies navigables et ouvrages du fait du sous-investissement dans l'actif fluvial est la toile de fond du diagnostic porté sur cet actif et sur sa capacité à remplir ses diverses fonctions (transport, gestion hydraulique, hydroélectricité, biodiversité,...)

Dans ces conditions, la réalisation et la publication de scénarios financiers précis inscrits dans le temps associés à l'ambition de combler le « déficit fluvial » accumulé seraient souhaitables.

Les actuels exercices de programmation ne réunissent pas les conditions d'une programmation financière précise des investissements.

Vos rapporteurs recommandent d'autant plus que cette démarche soit entreprise qu'une telle programmation, outre ses vertus d'éclairage des choix publics, doit être l'occasion de mesurer finement le coût des projets individuels et des différentes perspectives de réalisation concrète de ceux-ci, en particulier en les situant dans le temps.

c) ...au service d'une meilleure gestion des investissements

Une programmation financière rigoureuse doit permettre d'introduire aussi plus d'efficacité opérationnelle.

A cet égard, deux observations s'imposent.


L'expérience paraît démontrer que les évaluations financières des projets sont assez systématiquement biaisées dans le sens d'une sous-estimation des coûts. On en a développé un exemple particulièrement spectaculaire, celui du canal Seine-Nord Europe, mais cette situation n'est pas réservée à des projets d''une telle dimension ; elle prévaut aussi pour d'autres, de taille plus réduite.

De fait, VNF semble éprouver quelques difficultés à maîtriser l'évaluation des coûts de ses interventions.

Le rapport annuel de performances (RAP) de la mission « Écologie, développement et aménagement durables » rappelle que le premier objectif de gestion budgétaire consiste à optimiser les coûts des projets d'infrastructure.

À ce titre, il comporte un indicateur mesurant l'écart entre les coûts des avant-projets détaillés de certaines opérations et les coûts finalement supportés ou réestimés.

Le RAP annexé au projet de loi de règlement pour 2013 mentionne les dérives d'une opération importante concernant l'aménagement du barrage de Chatou, dont le coût avait été estimé à 38 millions d'euros (en valeur 2008). Un surcoût égal à 71 % de l'estimation de l'avant-projet a dû être constaté, le barrage coûtant finalement 65 millions d'euros (constants 2008).

Le bilan du COM 2005-2008 offre une autre illustration spectaculaire des difficultés à évaluer les coûts prévisionnels des interventions de VNF. Dans le cadre de ce contrat, VNF avait arrêté un programme de reconstruction de barrages manuels qu'il avait estimé à 500 millions d'euros. Ce programme a dû être actualisé de sorte que le bilan du COM publié par VNF évoque désormais un coût de 750 millions d'euros , ce qui représente un glissement de 50 % par rapport aux estimations initiales.

Il n'entrait pas dans la mission de vos rapporteurs d'examiner la totalité des opérations d'investissement de VNF afin de vérifier systématiquement l'existence de tels dérapages.

Force est d'appeler l'attention sur les difficultés et risques particuliers auxquels VNF se trouve confronté dans la conduite de ses investissements. À cet égard il convient tout particulièrement de faire ressortir les enjeux pour VNF de disposer de ressources d'ingénierie et d'expertise diversifiées, de se voir offrir la faculté de surmonter les faiblesses financières résultant de ses particularités (nature et structure de son financement, retours marchands sur investissement limités, incapacité statutaire et économique à recourir à l'emprunt...).

Il faut encore souligner que les opérations d'investissement sur le domaine fluvial sont soumises à des contraintes réglementaires qui supposent en soi des délais importants exposant VNF à subir les effets du renchérissement des coûts de construction.

Cependant, des évaluations plus réalistes des projets devraient être fournies par VNF. Les dépenses d'études effectuées par l'établissement sont suffisamment conséquentes pour que cette exigence apparaisse atteignable.


Les faiblesses de la programmation financière alliées aux errements constatés dans la conduite des choix publics d'infrastructure dénoncés dans le premier chapitre du présent rapport conduisent à des engagements opérationnels très hasardeux qui peuvent être sources de gaspillages financiers.

Le renoncement à des projets d'envergure ayant mobilisé des dépenses élevées a entraîné des dépenses à fonds perdus.

On a dans le premier chapitre évoqué les dépenses déjà réalisées à l'occasion du projet de canal Seine-Nord-Europe.

Il faut ajouter le coût d'indemnisation des participants au dialogue compétitif à la suite de son abandon qui s'élève à plusieurs millions d'euros (selon certaines informations, de 10 à 15 millions d'euros par participant au dialogue compétitif).

Par ailleurs, la lenteur des processus de conduite de projets qui est attribuable à des lourdeurs largement extérieures à VNF, fait peser des risques de renchérissement qu'il faut prendre en compte. Ils peuvent inviter à rechercher des voies de réalisation rapide des investissements qui, pouvant déterminer certains choix contestables de conduite des projets, ne sont pas sans risques.

Si vos rapporteurs souhaitent que VNF développe son expertise programmatique, ils déplorent que l'établissement soit trop souvent tributaire d'options qui lui échappent, situation qui n'est que l'une des illustrations de la vulnérabilité, notamment financière, de l'établissement.

Qu'il s'agisse des paramètres économiques dont dépend la rentabilité des projets, des décisions de développement, particulièrement erratiques dès que le projet concerné représente de forts enjeux financiers, ou des choix concernant les modalités de conduite des projets, la responsabilité des décisions paraît souvent échapper à VNF.

2. Donner à VNF les moyens de réaliser un plan d'investissement adapté aux choix stratégiques affichés

Le programme d'investissements de VNF, quelque modeste qu'il apparaisse au regard des ambitions affichées pour les autres modes de transport, est soumis à de fortes incertitudes si bien qu'il est impossible à vos rapporteurs d'apprécier les besoins réels de l'établissement et d'indiquer l'ampleur des investissements à venir.

Il faut déplorer cette situation qui est une manifestation de l'existentialisme excessif de la programmation des investissements de VNF attribuable apparemment à la conjonction d'estimations très contingentes des besoins et d'arbitrages budgétaires qui manquent de clarté.

À cet égard, une première observation, qualitative, conduit à s'interroger sur la conciliation entre la stratégie qui les inspire et les projets envisagés, qui n'apparaît pas clairement.

En particulier, si l'accent est mis sur le grand gabarit, ce n'est que sous l'angle du développement du réseau. En réalité, c'est bien le principe d'une conservation de la navigation sur l'ensemble du réseau qui est posé, ce qui implique de moderniser l'ensemble, y compris le petit gabarit, avec la perspective d'en automatiser les ouvrages simples mais aussi d'en restaurer les ouvrages sensibles.

Compte tenu des incertitudes relatives aux charges financières du petit gabarit sur lequel les interventions d'urgence peuvent mobiliser des moyens importants, la proclamation d'une « orientation résolue sur les enjeux des voies à fort trafic, et notamment du réseau principal porteur du développement du fret fluvial », pourrait se révéler n'être que rhétorique.

Au demeurant dans le dernier état connu des intentions d'investissement de VNF le petit gabarit absorberait une part significative des investissements.

En second lieu, les imprécisions sur les enjeux financiers totaux des projets couverts par la programmation accentuent les incertitudes qui l'accompagnent.

En particulier, on reste insuffisamment informé de l'ampleur des moyens qui seront mobilisés pour « les opérations de développement du réseau accompagnant la réalisation du canal Seine - Nord-Europe » et, par conséquent, du taux de couverture de ce grand projet par la programmation publiée.

Mais c'est aussi le cas pour la plupart des projets évoqués. Présentés comme des « réalisations », ils semblent devoir n'être souvent que des « débuts de réalisation ».

Dans ces conditions, les informations financières accompagnant les projets sont trop limitées pour permettre d'apprécier la contribution effective du programme d'investissement aux objectifs affichés.

Enfin, et surtout, force est de reconnaître que les données communiquées ne permettent pas de suivre finement les évolutions que le programme d'investissement à moyen terme de VNF paraît subir.

À cet égard, les informations transmises à vos rapporteurs en fin de mission font état d'un recul significatif (- 13 % sans compter les effets d'inflation) des « besoins » estimés pour la période 2014-2020 par rapport à ceux évalués par VNF dans le cadre du projet « Voies d'eau 2018 ».

Cette évolution qui porte sur des besoins et non sur des projets d'investissement vient confirmer l'observation mentionnée supra sur les imprécisions de l'estimation par VNF des besoins d'investissement accolables à l'adaptation du réseau à la stratégie fluviale.

Quant aux intentions d'investissement, elles diminuent fortement à 1 165 millions d'euros sur la période 2014-2020 selon les données transmises par VNF (pour les seules dépenses d'infrastructures envisagées qui « visent à assurer la sécurité du petit gabarit et à maintenir en état le réseau à grand gabarit » ).

Ces intentions et les chiffrages correspondants appellent des clarifications.

Pour l'heure, vos rapporteurs s'en tiennent aux ambitions affichées dans le cadre du projet « Voies d'eau 2018 ». Elles ne pourront être atteintes en suivant une trajectoire au fil de l'eau.

Ainsi, à supposer que l'ensemble du programme d'investissement prévu à fin 2013 soit réalisé, il faudra élever à 1,66 milliard d'euros (en valeur constante) l'effort d'investissement pour les cinq ans suivants.

Cette perspective conduit à envisager une amplification significative des dépenses d'investissement avec une augmentation de l'ordre de 60 % des dépenses annuelles (elles devraient passer de 210 à 332 millions d'euros entre la période 2010-2013 et la période 2014-2018).

Ce plan ne pourra d'autant moins être appliqué en l'état des équilibres financiers de VNF que l'état d'achèvement de la programmation à mi-parcours - fin 2013 -, encore incertain, semble accuser un certain retard si bien que l'évaluation théorique des besoins financiers à l'horizon 2018 est tributaire des rattrapages à effectuer tandis que certains engagements pris auprès de tiers pourraient alourdir les besoins à venir.

Les réponses transmises aux questionnaires budgétaires des rapporteurs sénatoriaux ne dissipent pas ces incertitudes.

S'agissant du seul volet contrat d'objectifs et de performance du plan d'investissements - soit 655 Millions d'euros des 2,5 milliards d'euros programmés à l'horizon 2018 - il est mentionné que :

« le COP a été mis en oeuvre à hauteur de 58 % environ en fin d'année 2012 laissant prévoir un retard d'avancement de 9 % du COP à fin 2013 ».

Quelques développements sont consacrés à des éléments plus qualitatifs :

« Il est estimé que 90 % (sic) des prévisions du COP concernant la remise en état et la mise en sécurité du réseau seront réalisées à la fin de l'année 2013. Ainsi, fin 2013, plus de 900 écluses, soit la moitié du parc, seront automatisées. De plus, le PPP barrages Aisne et Meuse respecte ses délais... En revanche, la reconstruction des barrages manuels a subi les effets des réductions budgétaires mais aussi d'une plus grande difficulté à faire émerger les propositions, avec sept reconstructions sur quinze prévues ».

Ces informations, pour intéressantes qu'elles soient, sont d'autant moins utiles pour apprécier finement les besoins financiers à venir qu'il est précisé d'emblée que le programme d'investissements du COP « a été ajusté en fonction des ressources effectivement mobilisables sur la période 2011-2013 » , si bien que la prévision concernant le taux de réalisation ne s'applique pas à l'enveloppe initiale mais à un programme ajusté pour tenir compte « des objectifs devenus caducs ou hors d'atteinte pour des raisons strictement externes à VNF ».

En réponse à vos rapporteurs, VNF a indiqué que seuls 720 millions d'euros sur les 840 millions envisagés pourraient avoir été exécutés.

Cette dernière indication semble traduire un renoncement au programme d'investissement prévu, qui avait été l'un des engagements pris par l'État auprès des personnels de VNF, que regrettent vos rapporteurs.

À l'évidence, les intentions d'investissement ajustées de VNF sont plus compatibles avec ses moyens. L'ajustement opéré s'inscrit d'ailleurs dans la logique d'une intégration de la contrainte de moyens imposée à VNF qu'il traduit plutôt qu'il ne reflète une authentique diminution des besoins.

Le niveau des investissements est ramené à 167 millions d'euros par an, mais au prix d'un renoncement à la logique de développement du réseau et de la poursuite de la déréliction d'une partie importante des voies navigables correspondant au petit gabarit dont VNF a pourtant décidé de poursuivre l'exploitation.

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