N° 655
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la protection de l' enfance ,
Par Mmes Muguette DINI et Michelle MEUNIER,
Sénatrices.
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Patricia Bordas, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
AVANT-PROPOS
LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA LOI DU 5 MARS
2007
La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a été précédée de nombreux rapports, publiés au début des années 2000 1 ( * ) , ayant tous mis en évidence la nécessité de modifier ce dispositif. Celui-ci est principalement issu des grandes lois de décentralisation et plus particulièrement de celle du 6 janvier 1986, qui a confié aux conseils généraux la responsabilité de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Depuis la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements, qui a créé le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée (Snatem), aucune réforme d'ampleur n'était intervenue dans ce champ. Or des constats partagés mettaient en lumière les défauts d'organisation du système, tels que le manque de coordination entre les différents acteurs ou la faiblesse du processus d'évaluation. « L'appel des 100 pour le renouveau de la protection de l'enfance » 2 ( * ) a largement contribué à l'émergence du projet de loi. Celui-ci est le fruit d'une large concertation menée tant au niveau national que local, les présidents de conseils généraux ayant été invités par le ministère de la famille à organiser des débats avec l'ensemble des acteurs. Ce texte, initialement articulé autour de trois grands axes - mieux prévenir, mieux signaler, mieux intervenir -, a été enrichi lors du débat parlementaire d'importantes dispositions en faveur des enfants et de leur famille comme celles visant à les protéger des dérives sectaires.
La réforme ne remet pas en cause la philosophie du dispositif français ; elle maintient la protection de l'enfance dans le cadre de l'autorité parentale, les parents étant les premiers protecteurs de l'enfant . En revanche, une nouvelle articulation des modalités d'intervention donne la priorité à la protection sociale, la protection judiciaire n'intervenant qu'à titre subsidiaire . Désormais, la distinction des interventions ne repose plus sur les notions de risque et de danger, mais sur la capacité des services départementaux à remédier aux risques encourus par l'enfant. Ainsi est introduite une méthode d'action , davantage fondée sur un objectif à atteindre et la recherche de la réponse adéquate plutôt que sur la problématique de l'instance décisionnelle compétente. Introduite par la loi du 10 juillet 1989 dans le code de l'action sociale et des familles (CASF), la notion d'enfants « victimes de mauvais traitements » est désormais recouverte par celle, plus large, d'enfants « en danger ou en risque de l'être » , ce qui permet de clarifier la marche à suivre pour les intervenants, notamment pour les personnes à l'origine de signalements.
La loi introduit dans le CASF les dispositions de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant en posant, dès son article 1 er , les priorités de la protection de l'enfance : « l'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits doivent guider toute décision le concernant » (article L. 112-4 du CASF). Elle précise également que le développement physique, affectif, intellectuel et social de l'enfant doit être protégé , lorsqu'il est compromis, au même titre que ses conditions d'éducation. En outre, des principes forts régissent les interventions dans l'intérêt de l'enfant : l'individualisation de la prise en charge, avec l'obligation d'établir un « projet pour l'enfant » (PPE) précisant les actions qui seront menées auprès de l'enfant, de ses parents et de son environnement (article L. 223-1 du CASF) ; la continuité et la cohérence de ces actions (article L. 221-4 du CASF) ; la stabilité affective définie comme l'un des besoins de l'enfant auquel la prise en charge doit répondre (article L. 222-5 du CASF). Poursuivant les évolutions amorcées dans les années 1980 visant à associer les parents à la démarche de protection, la réforme conforte leur place dans le dispositif et tente de trouver un équilibre entre la protection due à l'enfant et le respect de l'autorité parentale : - l'information des parents est améliorée : elle est prévue, tant au moment du signalement que lors de la prise en charge de l'enfant, sauf si elle est contraire à l'intérêt de ce dernier (article L. 223-5 du CASF) ; leur participation aux décisions les concernant est renforcée : ils peuvent être accompagnés d'une personne de leur choix dans leur démarche auprès de l'ASE et auprès de l'établissement accueillant leur enfant (article L. 223-1 du CASF) ; ils sont associés à l'élaboration du PPE ; - les règles applicables au droit de visite et d'hébergement ainsi qu'aux modalités d'exercice de l'autorité parentale sont aménagées (article L. 375-7 du code civil). Par exemple, lorsque le juge retire un enfant à sa famille, il peut subordonner le droit de visite des parents à la présence d'un tiers : la loi consacre ainsi les visites médiatisées. Le juge peut également décider, si l'intérêt de l'enfant le nécessite ou en cas de danger, que le lieu d'accueil de l'enfant reste anonyme. A l'inverse, si la situation le permet, il peut décider que les conditions d'exercice des droits de visite et d'hébergement sont déterminées conjointement entre les titulaires de l'autorité parentale et l'établissement à qui l'enfant est confié, cet accord étant consigné dans le PPE.
La loi donne au conseil général une responsabilité essentielle dans l'organisation et le pilotage de la protection de l'enfance . Ainsi : - le président du conseil général est-il chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation des informations préoccupantes (article L. 226-3 du CASF) ; - il est aussi garant de la continuité et de la cohérence des actions menées auprès de l'enfant et de sa famille (article L. 223-1 du CASF) ; - un PPE doit être élaboré, avant la mise en place de toute mesure de protection, par le service départemental de l'ASE en partenariat avec les parents afin d'assurer la continuité et la cohérence du parcours (article L. 223-1 du CASF) ; - un observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE) doit être créé et placé sous l'autorité du président du conseil général (article L. 226-3-1 du CASF).
Pour la première fois, un texte législatif pose les objectifs et propose une définition de la protection de l'enfance. Celle-ci est très large : elle va de la prévention des difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités parentales jusqu'à la substitution familiale (article L. 112-3 du CASF). Le volet prévention de la protection de l'enfance repose, d'une part, sur la protection maternelle et infantile (PMI) à laquelle est donnée une compétence dans le domaine de la prévention sociale et médico-sociale beaucoup plus marquée qu'auparavant (article L. 2112-1 du code de la santé publique), d'autre part, sur la médecine scolaire (article L. 541-1 du code de l'éducation). Des moments clés de la prévention sont identifiés au cours de la période périnatale et de l'enfance. Ainsi, la loi rend obligatoire l'entretien psychosocial au cours du quatrième mois de grossesse 3 ( * ) ; elle prévoit également des actions d'accompagnement à domicile de la femme enceinte, des actions médico-sociales et de suivi en période postnatale, assurées en liaison avec le médecin traitant ou les services hospitaliers, pour les parents, à la maternité et à domicile. L'objectif est de détecter, le plus précocement possible, les situations de détresse et d'apporter l'aide nécessaire aux parents. Parallèlement, le suivi médical des enfants est renforcé . Est institué un bilan de santé pour tous les enfants de trois à quatre ans , notamment dans le cadre de l'école maternelle. A cette occasion et lors des actions médico-sociales préventives à domicile, le service de PMI contribue aux actions de prévention et de dépistage des troubles d'ordre physique, psychologique, sensoriel et de l'apprentissage, pour les enfants de moins de six ans. Par ailleurs, s'ajoutent à la visite médicale déjà prévue pour les enfants au cours de leur sixième année, trois nouvelles visites médicales au cours de la neuvième, douzième et quinzième année lors desquelles un bilan de l'état de santé physique et psychologique de l'enfant est effectué. Ces visites sont réalisées dans le cadre de la médecine scolaire, avec néanmoins la possibilité pour les parents d'avoir recours à des médecins libéraux. La loi prévoit leur montée en charge progressive : ainsi, dans un délai de trois ans à compter de sa publication, les visites obligatoires sont assurées pour la moitié au moins de la classe d'âge concernée et pour la totalité dans un délai de six ans.
La réorganisation du dispositif d'alerte et de signalement prend appui sur la création, dans chaque département, d'une cellule chargée du recueil, du traitement et de l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou en risque de l'être - la Crip - (article L. 226-3 du CASF). Cette nouvelle instance doit permettre de centraliser ces informations et de mettre en place un circuit unique de transmission, facilement repérable par l'ensemble des acteurs. Le rôle clef du président du conseil général dans l'organisation et l'animation de cette cellule est affirmé : il est chargé d'établir des protocoles avec les différents partenaires, en particulier avec l'autorité judiciaire, les services de l'Etat et les acteurs institutionnels concernés, précisant les modalités de concours de chacun à la transmission des IP (article L. 226-3 du CASF). Les IP collectées, conservées et utilisées uniquement pour l'accomplissement des missions d'ASE, sont transmises sous forme anonyme aux ODPE et à l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned). Afin de mieux coordonner protection sociale et protection judiciaire, la loi fixe des critères précis de saisine de l'autorité judiciaire (article L. 226-4 du CASF). Ainsi, lorsqu'un mineur est en danger, le président du conseil général doit saisir sans délai le procureur de la République dans les trois cas suivants : - lorsque les actions menées dans le cadre de la protection sociale n'ont pas permis de remédier à la situation de danger ; - lorsque ces actions ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d'accepter l'intervention du service de l'ASE et de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service ; - lorsqu'il est impossible d'évaluer la situation et dès lors que le mineur est présumé être en danger. Dans tous les cas, le président du conseil général doit faire connaître au procureur les actions déjà menées, le cas échéant, auprès du mineur et de la famille concernée. En retour, le ministère public informe, dans les meilleurs délais, le président du conseil général des suites qui ont été données à sa saisine. Ces dispositions visent à favoriser les échanges d'informations entre les deux acteurs principaux de la protection de l'enfance, dans le but de permettre un meilleur suivi et une prise en charge plus coordonnée des enfants. Dans l'objectif de mieux repérer et de mieux évaluer les situations de danger de l'enfant, le législateur a instauré le partage d'informations entre personnes soumises au secret professionnel, tout en l'encadrant strictement . Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection nécessaires. Dans ce cas, les parents et l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant.
La loi vise à améliorer la formation des professionnels aux questions relatives à la protection de l'enfance. L'obligation de formation, initiale et continue, dispensée dans des conditions fixées par voie réglementaire, concerne l'ensemble des professionnels susceptibles de connaître des situations d'enfants en danger : médecins, personnels médicaux et paramédicaux, travailleurs sociaux, enseignants, policiers, animateurs, etc. (article 542-1 du code de l'éducation). Est également prévue une formation spécifique des cadres territoriaux qui, par délégation du président du conseil général, prennent des décisions relatives à l'enfance en danger.
La loi introduit de nouvelles formules d'accueil et d'intervention , permettant de sortir de l'alternative aide à domicile/placement de l'enfant et correspondant à une nouvelle façon de soutenir les familles : - l'accompagnement budgétaire est rénové : d'une part, la loi crée une nouvelle prestation d'aide sociale à domicile, dénommée « accompagnement en économie sociale et familiale » (AESF) (article L. 222-3 du CASF), d'autre part, elle réforme la mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial en modifiant notamment ses conditions d'ouverture et en l'inscrivant non plus dans le code de la sécurité sociale mais dans le code civil (article 375-9-1) ; - l'accueil de jour, soutien éducatif sans hébergement, est mis en oeuvre soit à la demande des parents sur décision du président du conseil général, soit sur décision judiciaire. Il s'agit, dans le premier cas, d'une nouvelle prestation d'ASE (article L. 222-4-2 du CASF), dans le second cas, d'un outil intermédiaire mis à disposition du juge, entre la mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) et le retrait de l'enfant de son milieu familial (article 375-3 du code civil) ; - l'accueil exceptionnel et périodique s'inscrit à la fois dans le cadre de la protection judiciaire et de la protection sociale. Dans le premier cas, il s'apparente à une modalité d'exercice particulière d'une AEMO et s'adresse donc à des enfants bénéficiant d'une mesure de protection à domicile (article 375-2 du code civil). Dans le second cas, l'accueil provisoire du mineur peut être à temps complet ou à partiel, modulable en fonction de ses besoins, en particulier de sa stabilité affective (article L. 222-5 du CASF) ; - l'accueil spécialisé peut se développer dans le cadre d'un accueil familial ou dans celui d'un établissement ou service à caractère expérimental (article L. 222-5 du CASF). Il permet d'associer, pour des mineurs rencontrant des difficultés particulières, hébergement, suivi socio-éducatif et prise en charge thérapeutique ;
- l'accueil d'urgence offre au mineur, ayant
abandonné le domicile familial et qui se trouve en situation de danger,
la possibilité d'être accueilli par le service de l'ASE, dans le
cadre d'une action préventive, pour 72 heures maximum, sans autorisation
des parents. Ces derniers, ainsi que le procureur de la République,
doivent toutefois être informés sans délai de cet accueil.
Au terme de cette période, deux solutions sont possibles, si le retour
de l'enfant dans sa famille n'a pas pu être organisé : une
procédure d'admission à l'ASE si les parents donnent leur accord
ou, à défaut, une saisine de l'autorité judiciaire.
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Les chiffres clés de la protection de l'enfance Au 31 décembre 2011*, le nombre de jeunes pris en charge par les services de la protection de l'enfance est estimé à environ 296 000 , dont : - 275 000 mineurs, soit 19 %o de l'ensemble des 0-17 ans ; - 21 000 jeunes majeurs, soit 9 %o des 18-20 ans. Le placement représente : - pour les mineurs : 48 % des mesures, dont 87 % sur décision judiciaire ; - pour les jeunes majeurs : 83 % des mesures, dont la quasi-totalité sur décision administrative. Le milieu ouvert** représente : - pour les mineurs : 52 % des mesures, dont 71 % sur décision judiciaire ; - pour les jeunes majeurs : 17 % des mesures, dont la quasi-totalité sur décision administrative. La quasi-totalité des mesures de protection de l'enfance sont financées par les conseils généraux. Ceux-ci ont consacré à l'ASE 6,9 milliards d'euros en 2012, ce qui représente plus de 21 % de leurs dépenses totales d'aide sociale. * Ces données sont les dernières disponibles, élaborées par l'Oned dans son neuvième rapport annuel au Gouvernement et au Parlement (mai 2014). ** Il s'agit, par opposition aux placements, des mesures de protection mises en oeuvre dans le cadre d'une prise en charge à domicile. Sources : Oned, rapport précité ; Drees (études et résultats n° 870, février 2014). |
* 1 Rapports de la mission d'information « Bloche-Pécresse » de l'Assemblée nationale, des sénateurs Philippe Nogrix et Louis de Broissia, du Défenseur des enfants, de l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned).
* 2 Cet appel a été lancé en septembre 2005 par le président du tribunal pour enfants de Bobigny et le directeur de l'enfance et de la famille du département de Seine-Saint-Denis.
* 3 Cet entretien était prévu par le plan « périnatalité » 2005-2007.