2. Les heures de formation à l'égalité, dont le volume varie d'une ESPE à l'autre, ont, semble-t-il, fortement régressé
Il est ressorti des discussions de la table ronde du 15 mai 2014 consacrée à la formation des professeurs, un décalage certain entre les bonnes intentions affichées du ministère de l'Éducation nationale et la réalité de terrain.
D'un côté, la responsable du bureau de la formation au ministère de l'Éducation nationale, cheffe de la formation des enseignants à la DGESCO, a témoigné de la volonté du ministère de se doter des outils adéquats pour renforcer la formation des enseignants à la transmission des valeurs de la République, dont fait partie le principe d'égalité, notamment entre les sexes. Selon elle, l'intégration d'un certain nombre de valeurs 48 ( * ) dans le référentiel concerté des compétences professionnelles pour les métiers du professorat et de l'éducation doit servir de cahier des charges commun à l'ensemble des personnels, mais doit aussi être un outil de dialogue avec les personnes responsables en charge de la définition des actions mises en oeuvre au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE).
D'un autre côté, la description de la réalité du terrain est sans appel :
- selon Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, co-créatrice de Corpus, groupe interassociatif et intersyndical travaillant sur les programmes scolaires, la formation continue n'existe quasiment pas ;
- d'après Fanny Lignon, enseignante-chercheure à l'Université Lyon-1, la formation initiale, déjà aléatoire, est en voie d'être réduite dans le cadre de la mise en place des ESPE .
Notre délégation ne peut se satisfaire de ce constat. Nous estimons que deux chantiers doivent être aujourd'hui considérés comme prioritaires :
- former des formateurs compétents sur le sujet ;
- consacrer un certain nombre d'heures obligatoires à la thématique au sein des maquettes des ESPE.
a) Former les formateurs
Rappelons tout d'abord que l'accès au statut de formateur est strictement encadré et que devenir formateur implique de réussir un examen professionnel exigeant, à la hauteur de l'enjeu de la tâche, qui consiste à accompagner et évaluer les pratiques pédagogiques des enseignants tout au long de leurs parcours.
Il existe ainsi deux examens spécifiques, propres au premier et au second degré.
Dans le premier degré, les professeurs des écoles qui souhaitent accéder au statut de formateur doivent obtenir le certificat d'aptitude aux fonctions de maître formateur. Ils se soumettent donc à une procédure, qui dure un an, qui débute par une inspection de leur pratique pédagogique en classe : ils sont inspectés par un jury de cinq personnes, dont l'inspecteur départemental, et doivent obtenir une note minimale de 15. Ils doivent ensuite être capables de réaliser une critique de leçon, c'est-à-dire de s'adresser à un collègue pour le faire avancer dans ses pratiques professionnelles. Le processus s'achève par la soutenance d'un mémoire.
Comme l'a précisé Virginie Houadec 49 ( * ) , chargée de formation dans les ABCD de l'égalité 50 ( * ) , le « vivier » se sépare ensuite en deux groupes, le premier ayant la charge de la formation initiale et le second celui de la formation continue. Les premiers assument la formation initiale des jeunes qui viennent d'être reçus au concours et délivrent donc des enseignements à l'ESPE, mais ils peuvent aussi intervenir en classe trois jours par semaine. Les seconds deviennent conseillers pédagogiques et assurent la formation continue des enseignants en poste.
Dans le second degré, toujours selon la responsable du bureau de la formation au ministère de l'Éducation nationale, cheffe de la formation des enseignants à la DGESCO 51 ( * ) , le statut de formateur n'existe pas encore, contrairement au premier degré, mais il est en cours d'élaboration.
À l'heure actuelle, dans les ESPE, certains formateurs sont recrutés à temps partagé, sur la base de leurs qualités pédagogiques. Ces formateurs peuvent se former à la formation, de manière théorique, mais ce n'est pas une obligation. Ils sont généralement qualifiés de formateurs de « terrain ». Les autres, souvent des maîtres de conférences en sociologie, en psychologie, en sciences de l'éducation ou en communication, entrent aussi directement dans les ESPE. Ils sont recrutés par des commissions, selon les modalités de l'université et deviennent alors formateurs à temps plein.
Pour Gisèle Jean 52 ( * ) , professeure de sciences économiques et sociales, la formation des formateurs sur des questions comme celle de l'égalité dépend fortement des maquettes des ESPE.
Pour notre délégation, ce caractère aléatoire ne peut pas être satisfaisant.
La représentante du ministère de l'Éducation nationale nous a informés de la mise en place actuelle d'un référentiel spécifique aux formateurs du second degré, et nous estimons que ce référentiel commun est indispensable.
La délégation souhaite qu'il soit l'occasion de rendre obligatoire et général la sensibilisation des formateurs du second degré à la question de la transmission des valeurs d'égalité et de la lutte contre les stéréotypes de sexe . Elle formulera donc une recommandation en ce sens.
b) Rendre les enseignements sur le thème de l'égalité incontournables, tant dans la formation initiale que continue
Selon Claire Pontais, formatrice à l'égalité dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, la mise en place des ESPE 53 ( * ) , a eu pour conséquence une réduction des heures de formation d'environ 30 %.
Les professionnels de l'éducation entendus par la délégation ont reconnu une baisse globale des heures de formation.
Comme l'a rappelé notre collègue Marie-Christine Blandin lors de la table-ronde du 29 avril 2014, l'article 70 de la loi de refondation de l'école qui crée les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) dispose : « Elles organisent des formations de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes [...] , dont des formations à la prévention et à la résolution non violente des conflits » .
La question de l'égalité entre les hommes et les femmes a donc bien été intégrée dans les enseignements transversaux des maquettes de formation des ESPE, au sein desquelles il faut néanmoins traiter également beaucoup d'autres sujets...
Il en résulte donc que, là où se trouvent des personnes investies et sensibles à la problématique, la formation à l'égalité existe.
C'est le cas, d'après la représentante du ministère de l'Éducation nationale, dans les ESPE de Nice et de Rennes.
Ainsi, comme elle le rapportait, l'ESPE de Nice propose un parcours en Master 1 et 2 (M1 et M2) pour savoir se situer dans son environnement professionnel, connaître les principes qui fondent l'école (laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, lutte contre les discriminations, etc.). En M1, les apports viennent de la philosophie politique, de la sociologie ou de l'histoire de l'éducation, avec le regard de professionnels. En M2, l'accent est mis sur l'analyse des pratiques, dans le cadre du stage professionnel.
L'ESPE de Rennes, quant à elle, propose une approche réflexive sur le métier, au travers de programmes menés avec des laboratoires de recherche. Il s'agit de contrevenir aux stéréotypes et de travailler sur de la documentation concernant les problématiques du métier, en les mettant en regard des pratiques professionnelles dans une approche critique.
En revanche, à l'ESPE de Lyon, Fanny Lignon, enseignante-chercheure 54 ( * ) , nous a appris que la réforme de la formation initiale des professeurs (des écoles, de collèges ou de lycées) qui, depuis septembre 2010, a élevé le niveau de recrutement à un niveau master 2 (bac+5) et s'est traduite par la fin de la formation pratique délivrée dans les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), s'est accompagnée de la chute des formations à l'égalité entre les femmes et les hommes : Particulièrement affectée par cette régression, elle a regretté que, alors que dix heures y étaient consacrées il y a quelques années, rien ne soit plus prévu en M1 et que les actions spécifiques en M2 ne soient plus obligatoires.
L'analyse des maquettes d'ESPE, passées au crible par Claire Pontois et Gisèle Jean 55 ( * ) , a confirmé cette régression : constatant une grande disparité dans la manière dont les ESPE prenaient en compte cette question, elles ont reconnu que, si Bordeaux, Rennes ou Nantes faisaient partie des « bons élèves », les plans de formation étaient, dans l'ensemble, extrêmement réduits, et la place accordée à la question des valeurs limitée à la « portion congrue ».
Pour la délégation, il faut rendre ces enseignements obligatoires au sein des logiques disciplinaires mais aussi pour elles-mêmes, en créant des Unités d'enseignement (UE) spécifiques portées par des spécialistes de ces questions, avec un nombre d'heures et de crédits (ECTS) obligatoires dans le parcours des futur-e-s enseignant-e-s.
La délégation formulera donc une recommandation en ce sens.
* 48 Parmi ces valeurs, Virginie Gohin a cité la compétence 1 qui s'intitule « faire partager les valeurs de la république » et inclut la lutte contre toute forme de discrimination. Quant à la compétence 6, « agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques », elle valorise la capacité à se mobiliser et à mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre, à promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons et à identifier toute forme d'exclusion et de discrimination.
* 49 Conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale (IEN) Toulouse rive-gauche.
* 50 Lors de son audition par la délégation le 15 mai 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.
* 51 Lors de la table ronde du 15 mai 2014 précitée.
* 52 Auditionnée par la délégation le 15 mai 2014 dans le cadre de la table ronde « Former les enseignants à la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes » précitée.
* 53 La commission de la culture, qui a nommé Jacques-Bernard Magner, consacre actuellement un rapport d'information à la mise en place des ESPE.
* 54 Auditionnée par la délégation le 15 mai 2014 dans le cadre de la table ronde « Former les enseignants à la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes » précitée.
* 55 Auditionnées par la délégation le 15 mai 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.