C. L'OUVERTURE DES DONNÉES PUBLIQUES : AUCUNE OBLIGATION LÉGALE, UN DROIT DE RÉUTILISATION ENCADRÉ

L'information publique est, on l'a vu, « quérable », dans le cadre du droit d'accès aux documents administratifs ; elle est également « portable » 106 ( * ) , au titre des obligations et politiques de publication de l'administration ; elle est enfin réutilisable, dans les conditions fixées par l'ordonnance du 6 juin 2005 107 ( * ) qui a introduit un chapitre II, intitulé « de la réutilisation des informations publiques », dans le titre 1 er de la loi du 17 juillet 1978, à l'occasion de la transposition de la directive européenne du 17 novembre 2003 108 ( * ) .

Même s'il est exerçable sur un périmètre très important de données, ce droit de réutilisation n'emporte pour autant aucune obligation légale pour les acteurs publics de procéder à l'ouverture et au partage de leurs données (1). Il s'exerce en outre sous certaines conditions, dont la méconnaissance est passible de sanctions (2), et dans le respect des droits des tiers (3).

1. Un droit de réutilisation des données mais aucune obligation d'ouverture

La démarche d'ouverture des données publiques, destinée à faciliter une « réutilisation libre, facile et gratuite des informations publiques » 109 ( * ) , engagée en France depuis 2011 110 ( * ) , porte, potentiellement, sur un volume considérable de données publiques sur lesquelles s'exerce un droit à réutilisation (a) sans qu'existe un droit pour autant un droit à l'ouverture de ces données (b).

a) Le droit de faire librement usage des informations publiques mises à disposition

Le droit de réutilisation est ouvert à toute personne et les informations susceptibles d'être réutilisées sont les informations publiques sur lesquelles s'exerce le droit général d'accès introduit en 1978.

• Un droit exerçable par toute personne physique ou morale

L'ordonnance de 1985 est venue répondre aux insuffisances du cadre juridique initialement fixé en 1978, dont l'article 10 se contentait de préciser que le droit à communication « exclut, pour ses bénéficiaires ou pour les tiers, la possibilité de reproduire, de diffuser ou d'utiliser à des fins commerciales les documents communiqués », ce qui ne le rendait pas compatible avec le principe de réutilisation des documents, y compris à des fins commerciales, posé par la directive.

Il résulte dorénavant de la nouvelle rédaction de l'article 10 que la réutilisation des données publiques recouvre l'ensemble des usages faits, par toute personne, des informations publiques mises à disposition par les administrations soumises au droit d'accès aux documents administratifs 111 ( * ) .

Ces usages ne sont pas limitativement définis alors même que, par définition, lorsqu'elle est le fait d'acteurs extérieurs, cette réutilisation est réalisée à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les données concernées ont été produites ou reçues 112 ( * ) .

• Les données réutilisables : les informations accessibles au public

Aux termes de l'article 10 modifié de la loi du 17 juillet 1978, le droit de réutilisation porte sur l'ensemble des informations communicables sur le fondement de l'article 1 er de cette loi, c'est-à-dire les informations contenues dans les documents produits ou reçus dans le cadre des missions de service public des administrations de l'État, des collectivités territoriales et des personnes publiques ou privées chargées d'une mission de service public 113 ( * ) .

Autrement dit, le champ du droit d'accès aux informations publiques et celui du droit à leur réutilisation coïncident .

De ce fait, les exceptions au droit à la communication des informations publiques, énumérées notamment par l'article 6 de la loi de 1978, s'appliquent également à leur réutilisation. Celle-ci reste cependant de droit, même dans le cadre de l'une de ces exceptions, lorsque les informations concernées font l'objet d'une diffusion publique.

L'article 10 de la loi de 1978 prévoit toutefois une exception pour les informations produites ou reçues dans le cadre d'une mission de service public à caractère industriel ou commercial , que celle-ci soit exercée par un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) ou par une administration dans le cadre de ses activités commerciales : ces données n'entrent en effet pas dans le champ du droit de réutilisation prévu par la loi de 1978 114 ( * ) .

• Le contrôle de la Cada

Tout comme en matière de refus de communication d'une information publique, une décision défavorable en matière de réutilisation de données publiques peut donner lieu à une saisine pour avis de la Cada , dont l'intervention constitue, en cette matière également, un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux.

Aux termes de l'article 20 de la loi du 17 juillet 1978, la Cada émet en effet des avis en cas de « décision défavorable en matière de réutilisation d'informations publiques ».

b) Des données à caractère personnel non réutilisables, sauf exceptions

L'accès aux données à caractère personnel étant réservé aux intéressés, ces données ne sont pas réutilisables par des tiers.

Il peut cependant arriver que des informations publiques portant spécifiquement sur une personne physique fassent l'objet d'une publication. Ainsi en est-il par exemple des données relatives à l'activité des professionnels de santé ou encore des résultats d'examens scolaires ou de concours administratifs.

En pareil cas, la réutilisation de ces données à caractère personnel est strictement subordonnée à l'une des trois conditions énoncées à l'article 13 de la loi du 17 juillet 1978 : le consentement de la personne intéressée, l'anonymisation par l'administration qui détient les données, dès lors qu'elle ne demande pas d'efforts disproportionnés de sa part 115 ( * ) , l'autorisation expresse par un texte législatif ou réglementaire.

La réutilisation de données à caractère personnel ne peut par ailleurs être mise en oeuvre que dans le cadre fixé par la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 116 ( * ) , conformément à la directive du 24 octobre 1995 117 ( * ) . Ces textes fixent notamment le principe selon lequel des données à caractère personnel ne sauraient faire l'objet, après leur collecte, d'un traitement ou d'une utilisation incompatibles avec les finalités de celle-ci 118 ( * ) .

c) L'ouverture des données publiques (l'open data) : une simple faculté pour les pouvoirs publics

Si les données publiques sont réutilisables en droit, sous les réserves et exceptions présentées plus loin, les administrations n'ont pas pour autant l'obligation de les publier dans des formats qui en permettent la réutilisation technique, autrement dit dans des formats lisibles par machine 119 ( * ) .

En effet, le droit français ne prévoit pas, en l'état, d'obligation d'ouverture des données publiques : la démarche engagée en la matière repose sur l'incitation et le volontariat, l'objectif étant simplement de faciliter une « réutilisation libre, facile et gratuite des informations publiques » 120 ( * ) .

On notera toutefois que, d'ores et déjà, le droit d'accès aux documents administratifs permet d'obtenir communication de bases de données publiques 121 ( * ) , réutilisables en droit et souvent exploitables techniquement par des tiers lorsque les formats retenus sont courants (par exemple des fichiers Excel).

2. Un droit de réutilisation sous conditions et sanctions éventuelles

Les articles 12 à 16 de la loi de 1978 définissent les conditions générales de réutilisation des informations mises à disposition par l'administration : le respect du droit moral du producteur (a), l'égalité de traitement entre les réutilisateurs (b), l'acquittement éventuel d'une redevance et des limitations conventionnelles (c).

Ces conditions ne s'appliquent pas aux données des organismes culturels, d'enseignement et de recherche, qui bénéficient d'un régime propre (d).

La Cada est chargée de sanctionner la méconnaissance de ces prescriptions légales ou conventionnelles (e).

a) Le respect du droit moral du producteur

L'article 12 de la loi de 1978 impose une obligation générale à toute réutilisation d'informations publiques : celle-ci n'est possible qu'à la triple condition que les informations ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé, enfin que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées.

Cette obligation revient à accorder aux informations publiques, et donc aux administrations qui en sont les producteurs, et en sont donc considérées comme les auteurs, une protection comparable à celle procurée par le droit moral dans le cadre de la propriété intellectuelle. Elle s'impose quel que soit le régime d'ouverture des données, c'est-à-dire que leur réutilisation soit ou non encadrée par une licence.

b) L'égalité de traitement entre les réutilisateurs

Dès lors qu'elle se fait en principe au bénéfice de tous et dans le respect des principes protégeant la libre concurrence, l'ouverture des données publiques doit garantir l'égalité de traitement des réutilisateurs et prévenir l'appropriation des données par des intérêts privés.

L'article 38 du décret du 30 décembre 2005 122 ( * ) prévoit en ce sens que « les conditions de réutilisation des informations publiques sont équitables, proportionnées et non discriminatoires pour des catégories comparables de réutilisation ».

En application de l'article 14 de la loi de 1978, l'administration ne peut accorder un droit d'exclusivité sur la réutilisation de ses données publiques à une personne tierce. Par exception à ce principe, l'octroi d'un droit d'exclusivité sur la réutilisation est toutefois possible dans le cas où il serait nécessaire à l'exercice d'une mission de service public . Le contenu de l'accord octroyant un tel droit doit alors être publié au Journal officiel , conformément à l'obligation générale de transparence prévue par le droit de la concurrence.

Cette faculté, qui peut en pratique conduire à limiter fortement l'ouverture des données publiques à des fins de réutilisation, est cependant encadrée par une clause de réexamen . Le même article prévoit en effet que le bien-fondé d'une décision octroyant un droit d'exclusivité sur la réutilisation de données publiques doit faire l'objet d'un nouvel examen de manière régulière et au moins tous les trois ans 123 ( * ) .

Le caractère dérogatoire de ce régime limite autant que possible les monopoles d'exploitation de données publiques, qui constituent des exceptions aux principes d'ouverture et de partage, tout en laissant ouverte la possibilité de compenser, de manière ponctuelle, certains investissements importants réalisés par des entreprises privées.

c) L'acquittement éventuel d'une redevance et l'encadrement des conditions de réutilisation par une licence

Aux termes de l'article 15 modifié de la loi de 1978, l'administration dispose de la faculté de soumettre la réutilisation d'informations publiques au versement d'une redevance.

Cette faculté a été instaurée dans le but de tenir compte de la situation particulière de certains opérateurs de l'État, qui doivent supporter des coûts importants d'anonymisation pour la mise à disposition de données comportant des informations à caractère personnel, ou qui ont pour mission principale la collecte et le traitement d'informations et dont l'équilibre budgétaire repose très largement sur la valorisation de ces informations.

Au cours des dernières années, le Gouvernement a cependant résolument affirmé le principe de la gratuité de la mise à disposition d'informations publiques à des fins de réutilisation. Sous l'influence du droit européen notamment, la mise en place et le maintien de redevances de réutilisation sont ainsi devenus l'exception 124 ( * ) .

De ce fait, la faculté de percevoir une redevance au titre de la réutilisation de données publiques doit désormais avoir été expressément prévue par voie réglementaire.

Le décret n° 2011-577 du 26 mai 2011 125 ( * ) prévoyait ainsi que les informations ou catégories d'informations dont la réutilisation pouvait être soumise au paiement d'une redevance à compter du 1 er juillet 2011 devaient figurer sur une liste fixée par décret pris après avis du conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative (Coepia).

Quant aux redevances instituées avant cette date, elles n'ont pas été remises en cause dès lors que l'autorité compétente a demandé leur inscription sur une liste annexée à la précédente avant le 1 er juillet 2012.

L'établissement par l'administration (avec le concours de l'agence du patrimoine immatériel de l'État) du montant et des modalités d'une redevance doit par ailleurs respecter plusieurs règles visant à prendre en compte à la fois la nécessaire valorisation des informations publiques, les obligations incombant à la puissance publique dans le cadre de l'ouverture des données, ainsi que les principes du droit de la concurrence.

• Les bases de calcul de la redevance

L'article 15 de la loi de 1978 modifiée fixe l'assiette de la tarification. Celle-ci est principalement, mais non exclusivement, fondée sur une analyse des coûts assumés par l'administration qui prend en compte :

§ les coûts de mise à disposition des informations ;

§ le cas échéant, le coût de l'anonymisation ;

§ les coûts de collecte et de production des informations ;

§ une rémunération raisonnable des investissements de l'administration comprenant « le cas échéant, une part au titre des droits de propriété intellectuelle ».

La tarification déterminée sur ces bases est plafonnée : elle ne doit pas excéder la somme des coûts et rémunérations ainsi énumérés. La fixation pour une redevance d'un montant excessif au regard de ces conditions est susceptible de constituer un abus de position dominante susceptible d'être sanctionné par le juge 126 ( * ) .

• Une tarification non discriminatoire

L'administration doit veiller à ce que la redevance soit fixée de manière non discriminatoire. En particulier, lorsque les informations mises à disposition sont réutilisées à des fins commerciales, l'égalité de traitement entre les réutilisateurs commande que des conditions strictement identiques soient appliquées à l'administration elle-même et à l'ensemble des opérateurs concernés.

• Des conditions de réutilisation fixées par une licence type

Lorsque la réutilisation d'informations publiques est soumise au paiement d'une redevance, une licence en fixant les conditions de celle-ci doit être délivrée à l'utilisateur qui s'en acquitte. Les administrations qui fournissent ou détiennent des informations susceptibles de faire l'objet d'une redevance pour leur réutilisation doivent mettre des licences types à la disposition des personnes intéressées à titre informatif. Même lorsqu'il n'y a pas de redevance, l'administration a la faculté d'encadrer la réutilisation des données qu'elle met à disposition, dans les limites précisées par l'article 16 modifié de la loi de 1978.

Les conditions ainsi fixées ne peuvent apporter de restriction à la réutilisation que pour des motifs d'intérêt général et de façon proportionnée, et ne peuvent aboutir à une restriction de la concurrence. Il reste en revanche possible à l'administration de fixer des conditions particulières de réutilisation dans le but, par exemple, d'encourager l'innovation.

d) Le régime propre des données des organismes culturels, d'enseignement et de recherche

Par dérogation au droit commun de la réutilisation des données publiques fixé par la loi du 17 juillet 1978, les établissements et institutions d'enseignement et de recherche, d'une part, et les établissements, organismes ou services culturels, d'autre part, fixent le régime propre de réutilisation des informations qu'ils produisent ou reçoivent.

De cette catégorie d'organismes visés par l'article 11 de la loi du 17 juillet 1978 relèvent notamment les bibliothèques, les services d'archives ou encore les musées, qui conservent des informations publiques en quantité particulièrement importante. Ces établissements sont en effet exclus du champ d'application de la directive de 2003, ce qui s'explique par la nécessité de prendre en compte à la fois les enjeux attachés à la préservation de documents souvent fragiles, à la protection des droits de tiers liés à certaines données culturelles, et aux potentialités de développement de produits et de services à contenu numérique à partir de ce type de données.

Ces régimes propres doivent bien entendu respecter les principes généraux, notamment l'égalité de traitement dans la tarification. Ils peuvent en outre concéder des droits d'exclusivité temporaires, notamment pour financer des travaux de numérisation 127 ( * ) .

e) Des sanctions en cas de méconnaissance des prescriptions légales ou conventionnelles par les réutilisateurs

Le contrôle du respect des dispositions de la loi de 1978 relatives à la réutilisation des informations publiques incombe à la Cada, qui est dotée, par l'article 18 de la loi de 1978, d'un pouvoir de sanction en cas de non-respect des prescriptions fixées par la loi ou par voie conventionnelle en matière de réutilisation des informations publiques.

Son intervention est subordonnée à sa saisine par l'administration concernée. La décision intervient au terme d'une procédure contradictoire dont les modalités sont définies aux articles 20 à 26 du décret du 30 décembre 2005 : désignation d'un rapporteur pour instruire l'affaire, qui procède à toutes les diligences utiles, notamment à des auditions donnant lieu à l'établissement d'un procès-verbal, notifications de griefs à la personne mise en cause, production par celle-ci d'observations écrites, établissement et communication du rapport du rapporteur, examen par la commission au cours d'une séance permettant des auditions complémentaires éventuelles et la présentation de ses observations orales par le défendeur. La décision, motivée en droit et en fait, peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif.

• Un quantum fonction du caractère commercial ou non de la réutilisation

Toute réutilisation d'informations publiques opérée en méconnaissance des dispositions légales relatives au rappel de l'origine et à la préservation du contenu des données, en contradiction avec les conditions stipulées dans une licence de réutilisation ou en violation de l'obligation d'obtention d'une telle licence est constitutive d'un manquement passible d'une amende infligée par la Cada.

Lorsque son objet n'est pas commercial, la réutilisation irrégulière d'informations est passible d'une amende dont le montant est plafonné à 1 500 euros.

En cas d'usage commercial des données irrégulièrement réutilisées, le montant de l'amende est fixé de manière proportionnelle, d'une part, à la gravité de l'atteinte aux règles encadrant la réutilisation, et, d'autre part, à l'importance des avantages retirés de l'opération par le réutilisateur.

Ce montant est plafonné à 150 000 euros pour tout manquement constaté pour la première fois et à 300 000 euros en cas de récidive, celle-ci étant constituée dès lors que l'irrégularité constatée a été réitérée dans un délai de cinq ans à compter d'une première condamnation. Lorsque le manquement est le fait d'une entreprise, le plafond est défini en proportion (5 %) de son chiffre d'affaires hors taxes pour le dernier exercice clos, également dans la limite de 300 000 euros.

Conformément au principe de légalité des délits et des peines, la sanction est proportionnée à la gravité des faits et à la situation de l'intéressé.

• Des peines complémentaires ou alternatives

La Cada a également la possibilité de prononcer des peines complémentaires, qui s'ajoutent à l'amende prononcée à titre principal ou s'y substituent.

Le contrevenant peut ainsi se voir interdire la réutilisation d'informations publiques pour une durée de deux ans (jusqu'à cinq ans en cas de récidive) ou se voir condamner à la publication, à ses frais, de la sanction prononcée.

Enfin, la commission peut décider la publicité de sa décision, selon les modalités et délais qu'elle fixe. La publication est fonction de la gravité de la sanction et adaptée à la situation de l'auteur de l'infraction. Toute sanction portant interdiction de réutilisation d'informations publiques est publiée par voie électronique.

Par une décision du 16 décembre 2008 128 ( * ) , la Cada a ainsi condamné à une amende de 50 000 euros et à la publication de cette sanction sur tous les supports utilisés pour sa campagne de publicité une société qui avait utilisé à des fins publicitaires, pour mettre en avant les bénéfices nutritionnels supposés d'un nouveau produit alimentaire, des données dénaturées à partir d'une étude de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et présentées comme des recommandations officielles.

3. La préservation des droits des tiers

Les administrations et les organismes publics ne sont pas en droit de mettre à disposition du public tous les documents et données qu'ils détiennent. Certains d'entre eux, on l'a vu, sont en effet couverts par des secrets qui en interdisent ou en limitent l'accès 129 ( * ) et, partant, la diffusion.

De très nombreux documents sont en revanche librement consultables dans leurs lieux de conservation, en particulier les bibliothèques, services d'archives 130 ( * ) ou musées, mais leur diffusion et leur réutilisation sont limitées par les droits de leurs auteurs, au titre de la propriété intellectuelle (a), et des droits d'exclusivité éventuellement consentis par l'administration à des tiers (b).

a) Les droits de propriété intellectuelle

Le c) de l'article 10 de la loi du 17 juillet 1978 rappelle que ne sont pas considérées comme des informations publiques susceptibles d'être réutilisées les informations contenues dans des documents « sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle ».

Pour l'essentiel, ces droits de propriété intellectuelle portent sur les oeuvres conservées par les institutions culturelles, certaines bases de données constituées par les administrations et les logiciels qu'elles ont conçus ou qu'elles utilisent.

• Les oeuvres conservées par les institutions culturelles publiques

La mise à disposition sous forme numérique des oeuvres de l'esprit 131 ( * ) conservées par les institutions culturelles publiques, est subordonnée au respect des droits patrimoniaux et moraux de leurs auteurs ou ayants droits.

Il résulte en effet du code de la propriété intellectuelle que « l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » 132 ( * ) . Or, ce droit interdit toute diffusion ou reproduction de l'oeuvre par un tiers, y compris celui qui la détient, sans l'autorisation préalable de l'auteur 133 ( * ) , et ce, jusqu'à l'entrée de l'oeuvre dans le domaine public, soit 70 ans après la mort de l'auteur 134 ( * ) .

Dès lors, seule la partie la plus ancienne des collections publiques numérisées peut être librement publiée sur les sites des institutions qui en sont propriétaires, et éventuellement autorisée à la réutilisation, sous réserve des droits moraux de l'auteur 135 ( * ) .

Il convient par ailleurs de relever que l'oeuvre numérique résultant de la numérisation d'une oeuvre tombée dans le domaine public peut elle-même être protégée au titre de la propriété intellectuelle, lorsque la reproduction est considérée comme une oeuvre.

• La production intellectuelle des agents publics

La production intellectuelle publique est protégée au titre du droit d'auteur dont le bénéficiaire est l'administration, en qualité d'employeur.

Toutefois, depuis 2006 136 ( * ) , les agents publics bénéficient d'un droit - limité - de propriété sur leur production intellectuelle, mais celle-ci n'apparaît pas susceptible d'avoir un impact substantiel sur la réutilisabilité de leurs travaux 137 ( * ) .

S'ils disposent d'un droit de divulgation, celui-ci s'exerce en effet dans le respect des règles auxquelles ils sont soumis dans le cadre de leurs missions. Ils ne peuvent notamment s'opposer à la modification de l'oeuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, dès lors que celle-ci ne constitue pas une atteinte à leur honneur ou leur réputation, ni exercer un droit de retrait, sauf accord de ladite autorité hiérarchique 138 ( * ) .

La situation des enseignants et des chercheurs exerçant leurs fonctions au sein d'établissements publics d'enseignement ou de recherche déroge toutefois à ce régime. Conduits à raison même de leurs missions à créer des oeuvres de l'esprit, ils sont en effet auteurs d'oeuvres - ouvrages, articles, présentations numériques - et par conséquent titulaires des droits d'auteur y afférents.

• Les bases de données publiques

Aux termes de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, « le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel . ».

Cette protection est indépendante et s'exerce sans préjudice de celle résultant du droit d'auteur ou d'un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs. Elle permet au producteur de la base de données d'interdire l'extraction, par transfert, permanent ou temporaire, de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de celle-ci sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit, ainsi que la réutilisation, par la mise à disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme. Ces droits peuvent en revanche être transmis ou cédés ou encore faire l'objet d'une licence.

Ces dispositions sont susceptibles de s'appliquer aux bases de données publiques. C'est ainsi, par exemple, que, dès lors que les informations contenues dans des documents originaux, par exemple des registres d'état civil ou des recensements, ont été classées et structurées de façon à permettre notamment, à partir du nom d'une commune ou d'une paroisse, d'un patronyme ou d'une profession, d'accéder à l'un des documents archivés et numérisés, « cet ensemble présente le caractère d'une base de données », dont l'administration peut, en l'état, encadrer, voire interdire, la réutilisation, ainsi que l'ont fait certains services d'archives départementales face à des demandes de réutilisation massive 139 ( * ) .

• Les logiciels utilisés par les administrations

Les logiciels bénéficient également de la protection du droit d'auteur 140 ( * ) .

Lorsque leurs concepteurs sont des agents publics, la propriété intellectuelle revient à leur employeur 141 ( * ) , qui choisit donc librement le mode d'exercice des droits qui y sont attachés.

La situation est en revanche différente lorsque le logiciel a été conçu par un tiers, qu'il ne s'agit pas d'un logiciel "libre" et que l'administration a simplement acquis des droits d'utilisation dans le cadre d'un marché public. La réutilisation par des tiers des données organisées à partir de ces logiciels n'est alors pas possible sauf à avoir été prévue dans le marché.

b) Les droits consentis par l'administration à des tiers

Les institutions et organismes culturels publics détiennent la propriété physique des oeuvres qu'ils conservent dans leurs collections. Dans le cadre de la politique de conservation et de valorisation qu'ils mettent en oeuvre, ils peuvent numériser ou photographier les oeuvres puis, dès lors que les oeuvres sont entrées dans le domaine public, publier les documents numériques ainsi réalisés et les ouvrir à la réutilisation, dans les conditions juridiques et financières qu'ils fixent.

Afin de trouver des sources de financement, ces institutions et organismes ont également la possibilité de céder à des tiers, pour une période limitée, les droits d'exploitation exclusifs des documents qu'ils ont numérisés. Ces clauses d'exclusivité leur interdisent alors, pendant cette période, d'ouvrir les documents numérisés à la réutilisation et d'autoriser un autre intervenant à procéder à leur numérisation. Les bénéficiaires de la clause ont en revanche la faculté de procéder à la réutilisation à des conditions financières et juridiques qu'ils fixent.

La directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifie sur ce point la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public. Si elle admet qu'un droit d'exclusivité puisse être concédé pour la numérisation des ressources culturelles « afin de donner au partenaire privé la possibilité d'amortir son investissement » 142 ( * ) , elle prévoit en effet le réexamen de toute période d'exclusivité supérieure à 10 ans et la publicité des accords d'exclusivité 143 ( * ) .

*

* *


Le droit français de l'information publique
: synthèse sommaire

• L'information quérable (celle à laquelle on peut exiger d'avoir accès)

Ø Un droit général d'accès aux documents produits et reçus par les administrations et les organismes publics en vertu de la loi du 17 juillet 1978,

sous réserve d' exceptions circonscrites :

§ les documents limitativement énumérés par la loi ;

§ les documents couverts par un secret protégé par la loi

§ les documents contenant des informations personnelles dont l'accès est réservé aux seuls intéressés

Ø Des droits spécifiques d'accès à certains documents.

• L'information portable (celle que l'administration doit diffuser
de sa propre initiative)

Ø Des obligations de publication des actes et documents administratifs limitativement définies par la loi et les règlements.

Ø Un droit général de réutilisation des documents communicables,

sous réserve des documents des organismes chargés d'une mission de service public à caractère industriel et commercial

Ø Aucune obligation légale d'ouverture des données publiques

PREMIÈRE PARTIE - LA TRANSPARENCE ADMINISTRATIVE À L'HEURE DU NUMÉRIQUE : UNE CONVERSION ENCORE INACHEVÉE

Les auditions auxquelles votre mission commune d'information a procédé, les nombreux témoignages recueillis par votre rapporteure ou postés sur la page électronique de la mission, les bilans et les éléments d'analyse qui lui ont été transmis ou dont elle a pu prendre connaissance, montrent que la transparence de l'action publique a progressé dans notre pays mais que les progrès réalisés restent en deçà des attentes . Il apparaît en effet que des obstacles techniques, des réticences culturelles, des contraintes juridiques et financières en limitent l'effectivité.

L'exercice du droit d'accès aux documents administratifs a ainsi connu des progrès substantiels mais se heurte encore trop souvent à l'inertie des administrations sollicitées (I). Sur le versant de l'offre, à laquelle l'essor du numérique ouvre des perspectives renouvelées, l'engagement des administrations doit être renforcé afin de répondre aux attentes qu'il a fait naître (II).


* 106 Selon les formules retenues par le rapport précité de l'atelier présidé par Dieudonné Mandelkern Diffusion des données publiques et révolution numérique.

* 107 Ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques.

* 108 Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public.

* 109 Décret n° 2011-194 du 21 février 2011 portant création d'une mission " Etalab " chargée de la création d'un portail unique interministériel des données publiques.

* 110 Création du portail unique des informations publiques de l'État «data.gouv.fr» (Circulaire du 26 mai 2011 relative à la création du portail unique des informations publiques de l'État data.gouv.fr par la mission Etalab et à l'application des dispositions régissant le droit de réutilisation des informations publiques. Les étapes de la politique d' open data sont rappelées dans le titre premier, II, B, ci-après.

* 111 Voir exemples dans la première partie.

* 112 Il résulte du dernier alinéa de l'article 10 que le simple échange d'informations entre administrations dans le cadre de l'exercice de leur mission de service public ne constitue pas une réutilisation au sens strict.

* 113 Voir A ci-dessus.

* 114 Toutefois, cette exclusion n'interdit pas à l'établissement public de procéder volontairement à l'ouverture de certaines de ses données, comme la RATP a pu le faire.

* 115 Article 40 du décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.

* 116 Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 117 Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

* 118 Il est renvoyé sur ce point au rapport d'information précité Sénat n° 469 (2013-2014) de nos collègues de la commission des Lois Gaëtan Gorce et François Pillet.

* 119 Voir glossaire.

* 120 Circulaire du 26 mai 2011 relative à la création du portail unique des informations publiques de l'État " data.gouv.fr" par la mission " Etalab " et à l'application des dispositions régissant le droit de réutilisation des informations publiques.

* 121 Voir A ci-dessus.

* 122 Décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.

* 123 En application de l'article 39 du décret précité, un nouvel examen doit en outre être effectué avant tout renouvellement de la convention accordant un droit d'exclusivité ; le renouvellement ne peut alors résulter que d'une décision explicite et motivée de la part de l'administration.

* 124 Cf . infra première partie, II, B.

* 125 Décret n° 2011-577 du 26 mai 2011 relatif à la réutilisation des informations publiques détenues par l'État et ses établissements publics administratifs qui a modifié l'article 38 du décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.

* 126 Voir notamment Conseil d'État, 29 juillet 2002, Société Cogedim .

* 127 Voir infra §3, b) .

* 128 Cada, sanction 20083162, séance du 16 décembre 2008, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) .

* 129 Voir supra A, §2 du présent chapitre.

* 130 Sous réserve des délais rappelés dans le A, § 2 du présent chapitre.

* 131 L'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle identifie 14 catégories d'oeuvres de l'esprit.

* 132 Art. L 111-1 du même code.

* 133 La propriété incorporelle est en effet indépendante de l'objet de la propriété matérielle (art. L. 111-3 du même code).

* 134 À l'exception des oeuvres orphelines selon le régime introduit par la loi n° 2012-287 du 1 er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle.

* 135 Le respect de la paternité de l'oeuvre et de son intégrité, (art. L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle), droits auxquels s'ajoutent le droit de divulgation et le droit de repentir ou de retrait : ces droits sont inaliénables, imprescriptibles et perpétuels.

* 136 Art. L. 111-1, quatrième alinéa, L. 131-3-1 à L. 131-3-3 du même code.

* 137 Voir l'audition de M. William Gilles, directeur du master droit du numérique-administration-entreprises à l'école de droit de la Sorbonne, le 20 mars 2014, dont le compte rendu est reproduit dans le tome II.

* 138 Art. L. 121-7-1 du code de la propriété intellectuelle.

* 139 Voir tribunal administratif de Poitiers, 31 janvier 2013, rejetant la requête de la société Notrefamille.com . Cette jurisprudence ne fait pas obstacle à la conclusion de licences de réutilisation. C'est ainsi que NotreFamille.com a signé des licences de réutilisation des archives publiques avec les départements de la Vendée, du Rhône et de la Savoie, qui permettent à la société éditrice du service généalogique en ligne Généalogie.com de réutiliser les images numérisées des archives départementales sur l'état civil et le recensement du 19 e siècle, soit plusieurs millions d'images. Le site souhaite constituer une collection de plus d'un milliard d'informations généalogiques sur les Français ayant vécu au 19 e siècle. Ces documents numériques seront intégrés à son moteur de recherche patronymique et mis à disposition des internautes dans le cadre d'un abonnement payant.

* 140 Art. L. 122-2, 13, du code de la propriété intellectuelle.

* 141 Art. L. 113-9, dernier alinéa, du même code.

* 142 Considérant 31.

* 143 Article 9, 2 bis nouveau.

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