CONCLUSION

L'appréciation que l'on peut porter sur la réforme de la représentation devant les cours d'appel, trois ans après son entrée en vigueur, est nécessairement contrastée.

Sa nécessité ne faisait pas de doute, puisque la directive européenne dite « service », du 12 décembre 2006 20 ( * ) , l'imposait. La simplification qu'elle proposait, en offrant au justiciable un seul interlocuteur -l'avocat- pour la conduite de son affaire, de la première instance jusqu'à l'appel, apparaissait tout à fait pertinente.

Toutefois la contrepartie d'une telle réforme était l'organisation par la loi d'un véritable plan social touchant 430 avoués et leurs 1 800 salariés. Votre rapporteur tient à cet égard, une nouvelle fois, à rendre hommage à ses hommes et à ses femmes sur lesquels a pesé tout le poids de la réforme.

Si le Parlement et le Gouvernement ont veillé à compenser, aussi équitablement que possible, les sacrifices demandés aux uns et aux autres, les mesures proposées n'y sont parvenues qu'à moitié.

L'indemnisation a été correctement conduite, à la satisfaction de tous. Toutefois, des contentieux sont encore en cours, pour contester les principes de calcul retenus et pourraient aboutir à une remise en cause de l'enveloppe initiale.

En dépit du renforcement des dispositifs prévus, l'accompagnement social de la réforme n'a été que partiel, puisqu'il a concerné moins de la moitié des salariés licenciés et très peu d'avoués.

Les incertitudes qui planent sur la réforme sont encore nombreuses : incertitude financière, la recette envisagée pour la financer étant manifestement sous-calibrée ; incertitude sociale sur le sort des salariés d'avoués ; incertitude, enfin, sur le bénéfice que le justiciable en retirera à long terme. Face à de telles incertitudes, la vigilance du législateur est plus que jamais nécessaire.

EXAMEN EN COMMISSION

M. Patrice Gélard . - La loi du 25 janvier 2011 a supprimé la profession d'avoué en transférant ses prérogatives à la profession d'avocat, conformément à la directive européenne « service », de 2006.

L'indemnisation des intéressés a été efficacement conduite, mais les conséquences financières ont été mal maîtrisées. Les offres d'indemnisation ont été formulées par une commission, présidée par M. Jean-Louis Gillet, qui nous a indiqué avoir veillé à l'application stricte de la loi et tenté de présenter des offres claires. Sur les 235 offres présentées, 220 ont été acceptées, 13 contestées devant le juge de l'expropriation et 2 sont restées sans réponses. 292 millions d'euros ont été versés aux avoués sur cette base, dont 108 millions d'euros au titre de l'acompte prévu par la loi. 72 offres d'indemnisation ont été formulées pour les avoués seulement titulaires de parts en industrie et 67 de ces offres ont été acceptées.

25 recours ont été déposés devant le juge de l'expropriation. Ils ont obtenu un certain succès en première instance. En effet, la décision du Conseil constitutionnel avait réduit la portée de l'indemnisation votée par le Sénat, mais le juge de première instance s'est appuyé sur les règles européennes pour rétablir le versement d'une indemnité de remploi. Il convient maintenant d'attendre les décisions des juridictions d'appel. Si les décisions rendues en première instance étaient confirmées, cela pourrait susciter de nombreux recours supplémentaires.

Pour financer la réforme, une taxe d'appel de 150 euros, payée par le justiciable, a été instituée. Le Gouvernement escomptait une recette totale de 41 millions d'euros par an. Or, seulement 23 millions d'euros ont été perçus en 2013, ce qui constitue un déficit notable. L'État s'étant engagé, il risque de devoir acquitter la différence.

Les salariés d'avoués se sont vus reconnaître la qualité de licenciés économiques. Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la justice, s'était engagée à faciliter leur reclassement dans les professions judiciaires. Cette promesse s'est toutefois heurtée aux règles d'accès à la fonction publique. Il était en effet impossible de leur réserver des places aux concours. Des recrutements sans concours d'agents de catégorie C, qui leur étaient plus spécialement destinés, ont cependant eu lieu. La première année, sur 164 postes proposés, seulement 46 salariés ont été déclarés aptes et 16 recrutés au final. La deuxième année, 162 postes ont été ouverts, 102 candidats déclarés aptes et 30 affectés.

Ce personnel d'avoués était peu diplômé, ayant été formé sur le terrain, plus féminin et plus âgé que la moyenne des actifs. Certains ont refusé des postes qui leur avaient été proposés loin de chez eux. L'indemnisation des 1530 licenciés s'est toutefois déroulée convenablement : 75 millions d'euros leur ont été versés et aucun recours n'a été déposé.

Les avoués devenus avocats ont quant à eux perdu près de la moitié de leurs revenus antérieurs. Ils m'ont indiqué être dans une situation difficile, en particulier ceux qui avaient des apports en industrie.

Parmi les problèmes qui restent à régler, le premier concerne la caisse de retraite des avoués. Avocats et avoués relevaient de caisses de retraite différentes. Les avoués devenus avocats ont été transférés à la caisse des barreaux, ce qui constitue une perte de recettes pour la caisse des officiers ministériels, qui conserve en revanche la charge des avoués aujourd'hui retraités. Une convention devait prévoir la compensation versée par la première à la seconde, mais elle n'a jamais été signée. Un décret devrait donc être pris rapidement pour régler la situation.

Le deuxième problème concerne le peu d'effets des engagements pris au sujet des reclassements dans les carrières judiciaires : seulement 4 avoués sont devenus magistrats.

Troisième problème, on a abandonné à eux-mêmes près des deux tiers des salariés d'avoués. Un effort substantiel avait pourtant été fait : une cellule de reclassement avait été mise en place, des aides à la mobilité et à la création d'entreprises instaurées. Les résultats sont toutefois insuffisants. Un tiers seulement des salariés d'avoués a été reclassé, soit 402 reclassements sur 1530, dont 241 seulement sont pérennes. 47 sont en cours de formalisation d'un projet de reclassement, 76 n'ont trouvé aucune solution de reclassement et 173 ont demandé à bénéficier de la convention temporaire d'allocation dégressive. On ne sait pas ce que sont devenus les deux-tiers restants de salariés. Certains sont partis à la retraite. Je ne réemploierais pas l'expression de « carnage social » employée par la chambre nationale des avoués mais j'évoquerais un désintérêt contestable pour le sort de la plupart d'entre eux.

Alors quel bilan peut-on dresser de cette loi ? Elle était nécessaire au regard de nos engagements européens. Les indemnisations ont été acceptables. Il y a cependant un risque financier réel pour l'État car les ressources ont été mal calibrées et les avoués, bien conseillés par des avocats spécialisés en expropriation, ont engagé des recours, pour l'instant couronnés de succès et qui peuvent donc alourdir la facture. J'ajoute que si la cour d'appel donne raison à ceux qui ont déposé un recours, nous aurons demain 250 contentieux et pas 25...

Les objectifs fixés ont-ils été atteints ? On peut en douter dans la mesure où il n'y a pas eu d'amélioration véritable pour les justiciables. Outre la taxe, les avocats ont fait payer aux justiciables ce qui était auparavant facturé aux avoués.

La réforme est par ailleurs intervenue en même temps que la dématérialisation des communications avec une solution technique des avocats moins efficace que celle des avoués.

Enfin, les avoués ont perdu à la réforme : la plupart d'entre eux sont devenus avocat mais avec une perte significative de leurs revenus.

M. Yves Détraigne . - La parole de l'État a été engagée assez légèrement. Je crains qu'on ne l'ait dévaluée, ce qui ne facilitera pas la modernisation future de l'administration lorsque l'État voudra réformer une profession.

M. Jean-Jacques Hyest . - La pertinence des études d'impact est elle aussi singulièrement dévaluée !

M. Pierre-Yves Collombat . - Au final, la réforme a-t-elle eu une quelconque plus-value ? N'est-ce pas la question qu'il faudra se poser pour toute réforme future ?

Mme Catherine Tasca . - Vous avez souligné le fait que très peu de salariés ont été intégrés dans le monde judiciaire. Y a-t-il d'autres raisons que celles que vous avez avancées comme l'âge ou la faible qualification des personnes concernées ? La situation est paradoxale car on manque de personnel dans les services judiciaires. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas plus veillé à favoriser l'intégration de ces salariés, en valorisant leurs acquis professionnels ?

M. Jean-Pierre Vial . - La réforme est tout de même allée dans le sens d'une unification de la profession du droit et, comme en 1971, d'une simplification de la procédure pour le justiciable qui n'a plus qu'un seul interlocuteur. Cela dit, la compétence des avoués, en matière de procédure d'appel était reconnue. La qualité du service qu'ils rendaient s'est-elle maintenue ?

Mme Virginie Klès . - Nos craintes se sont réalisées : la réforme était certes nécessaire mais elle n'est pas intervenue au bon moment. Quelle est la proportion de femmes parmi les salariés non reclassés ?

M. Patrice Gélard . - Un seul salarié d'avoué est devenu greffier. De tous les salariés, les collaborateurs d'avoués, titulaires du diplôme d'avoué, sont ceux qui ont eu le plus de chance puisqu'ils ont pu devenir avocats.

Madame Klès, les trois quarts des salariés d'avoués étaient des femmes, d'une qualification équivalente en moyenne à celle des personnels de catégorie C. Elles étaient en outre peu mobiles d'un point de vue géographique.

Un certain nombre d'avoués devenus avocats avaient licencié leur personnel pour les recruter ensuite. Mais ils sont à nouveau en train de les licencier faute d'avoir pu maintenir un chiffre d'affaires suffisant.

La réforme est intervenue en même temps que celle de la procédure d'appel issue du décret « Magendie », et que celle relative à la dématérialisation des procédures, à laquelle les avocats n'étaient pas aussi prêts, s'agissant de l'appel, que les avoués.

Enfin, pour quelle raison les coûts n'ont-ils pas baissé ? Comme je l'ai dit précédemment, chaque justiciable doit payer 150 euros de taxe d'appel, auxquels s'ajoutent les honoraires de l'avocat.

M. Alain Richard . - Le nombre d'avocats a considérablement augmenté : on peut espérer que bientôt, la concurrence aidant, les prix baissent.


* 20 Directive 20006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

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