III. UN BILAN EN DEMI-TEINTE : UNE RÉFORME DOULOUREUSE POUR CEUX QUI L'ONT SUBIE, UN BÉNÉFICE ENCORE INCERTAIN POUR LE JUSTICIABLE
La réforme a-t-elle atteint ses objectifs ? Elle reposait sur un pari : parvenir à supprimer une profession, au nom de l'intérêt général et des exigences européennes, en en limitant le coût social pour les intéressés.
Or, il semble que la réforme n'est pas parvenue à l'équilibre qu'elle visait : le bénéfice pour le justiciable, but ultime de la réforme, n'est pas assuré, quand le coût pour les finances publiques et, surtout, les avoués et leurs salariés s'avère très élevé.
A. UNE RÉFORME DUREMENT RESSENTIE PAR CEUX QUI L'ONT SUBIE
Les développements précédents montrent qu'en dépit des efforts consentis, le sacrifice infligé aux avoués et, tout particulièrement, à leurs salariés a été important.
Les auditions de votre rapporteur, confirment ce jugement. En effet, les propos tenus par les représentants des avoués et de leurs salariés sont empreints d'une détresse résignée et font particulièrement état des grandes difficultés contre lesquelles ils se débattent.
Les représentants des anciens avoués, reconvertis en avocats, ont ainsi tous fait part à votre rapporteur de l'effondrement de leur chiffre d'affaire : dépourvus de clientèle fixe, ils doivent s'atteler à en constituer une à partir de rien, leur spécialisation d'appel ne leur garantissant pas une activité suffisante 16 ( * ) .
L'ancien président de l'association nationale du personnel des avoués non syndiqué, M. Franck Nunes, a regretté que nombre de salariés soient laissés en dehors des dispositifs de reclassement et que l'aide qui leur a été apportée se soit limitée au seul versement des indemnités majorées de licenciement.
B. UNE SIMPLIFICATION ET UNE DIMINUTION DU COÛT DE L'APPEL PAS ENCORE AVÉRÉES
Le justiciable a-t-il malgré tout tiré parti de la réforme ? L'appel s'en est-il trouvé simplifié, son coût a-t-il été abaissé pour le justiciable ?
Il n'est pas possible, à ce stade, d'apporter une réponse tranchée à ces questions.
En effet, comme l'ont observé les représentants des anciens avoués ainsi que ceux des premiers présidents de cour d'appel, la réforme est intervenue en même temps que deux autres réformes importantes, qui ont contrarié le basculement de compétence des avoués vers les avocats.
La première de ces réformes a été celle de la procédure d'appel , organisée par le décret dit « Magendie » 17 ( * ) du 9 décembre 2009 18 ( * ) . Elle a provoqué nombre de forclusions ou déchéances d'appel pour non-respect des délais plus sévères qu'elle imposait.
La seconde a été la conversion du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) à la procédure d'appel. En effet, celui-ci n'avait pas été conçu, à l'origine, dans ce dessein . Les représentants de la chambre nationale des avoués ont souligné l'inconvénient de ce défaut d'adaptation, en le comparant, avec le dispositif de communication électronique que les avoués avaient mis en place et élaboré dans une étroite collaboration avec les cours d'appel.
Il est dès lors difficile d'imputer à l'une de ces trois réformes plus qu'aux autres, certains dysfonctionnements observés dans la conduite de la procédure d'appel.
Toutefois, à ce stade de la réforme, deux conclusions paraissent pouvoir être tirées. La première a trait à la conduite des procédures d'appel, la seconde à leur coût.
• Une réforme qui n'a pas conduit à une paralysie des procédures d'appel, en dépit d'incertitudes sur l'augmentation des incidents de procédures
Les représentants du conseil national du barreau entendus par votre rapporteur se sont félicités de la bonne prise en charge, par les avocats, de la postulation jusque-là exercée par les avoués.
Cette appréciation paraît devoir être modérée : si les représentants de la conférence des premiers présidents de la cour d'appel ont convenu que le désastre parfois annoncé ne s'était pas produit, ils ont été plus partagés sur la parfaite assimilation par l'ensemble des avocats de toutes les difficultés de la procédure d'appel, difficultés redoublées, comme on l'a vu, par la réforme du décret « Magendie ».
Il est difficile de trancher la question. Votre rapporteur estime que ce point pourra plus particulièrement être examiné par les deux rapporteurs de la mission d'information de votre commission sur les cours d'appel, nos collègues MM. Alain Richard et Bernard Saugey. Le taux de sinistralité en appel des procédures conduites par un avocat 19 ( * ) pourrait à cet égard en constituer un indicateur éclairant.
• Le coût toujours élevé des procédures d'appel
La suppression de la profession d'avoués était aussi motivée par la volonté de soumettre à la concurrence cette activité, ce qui impliquait la disparition du tarif acquitté par les appelants. Une baisse du coût de cette procédure d'appel pour le justiciable en était attendue.
Cette espérance semble encore loin d'être satisfaite. En effet, la taxe d'appel de 150 euros renchérit durablement le coût de l'appel pour les parties, et compte tenu des surcoûts de la réforme, il est peu probable qu'elle diminue ou disparaisse prochainement. S'ajoute à cela, pour le justiciable, les honoraires que les avocats ont substitué au tarif anciennement payé aux avoués.
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* 16 Votre rapporteur s'étonne à cet égard que le conseil national des barreaux réclame aux avoués, comme ceux-ci le lui ont indiqué, de s'acquitter d'une cotisation de 80 euros pour être autorisés à faire valoir leur spécialisation d'appel, cette dernière leur étant reconnue de droit, de par la loi.
* 17 L'appellation renvoie au nom de l'inspirateur de cette réforme, M. Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la cour d'appel de Paris.
* 18 Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile.
* 19 Ce taux rend compte du nombre de procédures d'appel perdues par le requérant en raison d'une faute commise par son avocat. Cette faute est de nature à engager sa responsabilité. Les avocats sont à cet égard tenus de souscrire à une assurance professionnelle en responsabilité civile (art. 27 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques).