N° 575
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' aide à domicile ,
Par MM. Jean-Marie VANLERENBERGHE et Dominique WATRIN,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Patricia Bordas, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
SYNTHÈSE
La commission des affaires sociales a confié à Jean-Marie Vanlerenberghe et Dominique Watrin une mission sur la situation des services d'aide à domicile qui interviennent auprès des personnes handicapées ou âgées en perte d'autonomie.
Depuis plusieurs années, beaucoup de ces structures sont confrontées à une dégradation de leur situation financière qui menace, dans certains cas, leur pérennité. Les difficultés des services d'aide à domicile trouvent une première explication dans la contraction des dépenses publiques et de celles des ménages. Mais cette situation est accentuée par des faiblesses structurelles liées au mode de tarification des services ainsi qu'à leur organisation propre.
Après une vingtaine d'auditions et deux déplacements, les rapporteurs dressent un constat sans appel : il est urgent d'engager rapidement une réforme en profondeur d'un système aujourd'hui à bout de souffle. Les rapporteurs formulent trois séries de recommandations relatives à l'environnement juridique et tarifaire des services, à la situation des personnels ainsi qu'au soutien financier qui doit être apporté par la puissance publique.
1. Refonder l'environnement juridique et tarifaire des services d'aide à domicile
? Historiquement porté par les associations, le secteur de l'aide à domicile s'est progressivement ouvert aux entreprises. La loi dite « Borloo » du 26 juillet 2005 consacre cette évolution et fait de l'aide au domicile des publics fragiles une catégorie d'un champ plus vaste regroupant l'ensemble des services à la personne.
Depuis 2005, coexistent deux modalités de création des services d'aide à domicile. Ils peuvent être autorisés pour une durée de quinze ans par le président du conseil général ou se voir délivrer un agrément , pour cinq ans, par les services du ministère du travail dans le département. Ces deux procédures correspondent à des logiques différentes : soutien à l'emploi pour l'agrément, construction d'une offre de services médico-sociaux adaptée aux besoins identifiés sur les territoires départementaux pour l'autorisation. Complexe et peu lisible, non seulement pour les services mais également pour les usagers, ce mécanisme de droit d'option est jugé très largement insatisfaisant.
? Le système de tarification horaire, différent selon le régime juridique des structures, présente lui aussi des lacunes. Outre qu'ils sont extrêmement variables selon les départements , les tarifs sont globalement insuffisants pour couvrir l'ensemble des coûts supportés par les services.
Plusieurs départements se sont engagés depuis 2012 dans l'expérimentation d'une tarification sous la forme d'une dotation globale dans le cadre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens . Si le dispositif présente des avantages certains, notamment en ce qu'il vise plus globalement à améliorer la qualité du service rendu auprès des usagers, il doit être évalué rapidement afin que puissent être posées au plus vite les bases d'une réforme tarifaire pérenne.
? Depuis 2004 peuvent être créés des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) regroupant des services d'aide à domicile et des services de soins infirmiers à domicile. Ce type de rapprochement emporte de véritables opportunités en termes de mutualisation et les synergies qui peuvent se créer entre salariés contribuent à améliorer la qualité du service rendu. De telles structures sont en outre indispensables dans une perspective de décloisonnement des secteurs sanitaire et médico-social et d'organisation du parcours de santé des patients.
Pourtant, peu de Spasad ont été mis en place. Il est nécessaire d'évaluer les freins à leur développement pour tracer les pistes d'amélioration du dispositif, en étudiant notamment la façon dont pourrait être assurée la fongibilité des enveloppes de financement.
Les propositions de vos rapporteurs
- Confier, dès 2014, à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), une évaluation des expérimentations de refondation tarifaires et organisationnelles menées actuellement dans les départements.
- Accélérer la mise en oeuvre de l'étude nationale de coûts afin que les résultats de celle-ci soient disponibles dès la fin de l'année 2014.
- Sur la base des expérimentations et de l'étude nationale de coûts, engager dès 2015 une réforme pérenne de la tarification des services d'aide à domicile. Confier à la CNSA le pilotage de la réforme.
- Substituer au double régime de l'autorisation et de l'agrément un seul système d'autorisation rénové.
- Confier à l'Igas une mission d'évaluation du fonctionnement actuel des Spasad pour établir les pistes d'amélioration du dispositif, notamment les modalités selon lesquelles pourrait être assurée la fongibilité des enveloppes de financement.
- Développer des dispositifs pérennes de coordination entre les structures sanitaires et médico-sociales dans lesquels les services d'aide à domicile puissent trouver toute leur place.
2. Améliorer les conditions de travail et de rémunération des salariés et rendre plus attractif le secteur de l'aide à domicile
? La quasi-totalité des intervenants à domicile sont des femmes . Plus de 60 % d'entre elles n'ont aucun diplôme dans le secteur sanitaire ou social et 70 % travaillent à temps partiel . Plus les intervenantes sont qualifiées, plus leur temps de travail est élevé.
? Ces salariées sont dans leur ensemble faiblement rémunérées . Dans la branche de l'aide à domicile, le gel du point d'indice depuis le mois d'avril 2009 et la faiblesse du taux d'évolution de la masse salariale conduisent à un tassement des rémunérations au niveau du Smic. Les frais professionnels , pourtant nombreux, sont trop peu pris en compte.
? Les facteurs de pénibilité physique et psychologique , loin d'être négligeables, peuvent rapidement conduire à des situations d'épuisement ou d'usure prématurée.
Certains facteurs de pénibilité tiennent aux modalités d'organisation de l'activité . Les trajets sont nombreux et parfois longs. Bien que le temps partiel soit fréquent, les personnels sont mobilisés sur des plages horaires étendues allant du lever au coucher des personnes accompagnées. Les interventions sont souvent hachées, phénomène renforcé par le système de tarification horaire et la tendance actuelle à la limitation des plans d'aide.
Les caractéristiques mêmes des métiers exercés peuvent engendrer certains risques. Les interventions sont solitaires, les stations debout fréquentes et les charges parfois lourdes à porter.
Enfin, la détérioration de l'état de santé des personnes accompagnées , qu'elle soit physique ou psychologique, peut également jouer sur la pénibilité ressentie par les intervenants.
? Les conditions de travail peuvent aussi être difficiles lorsque les structures d'aide à domicile ne disposent pas des moyens d'encadrement suffisants pour assurer la correcte application des règles fixées par le code du travail et par les conventions collectives.
Or les contrôles réalisés par l'inspection du travail demeurent peu nombreux. De plus, ni les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), dans le cadre de l'agrément, ni les conseils généraux, dans le cadre de l'autorisation, n'assurent un suivi du respect de la réglementation sociale dans la mesure où cette exigence ne figure pas dans les cahiers des charges.
? Enfin, les personnels de l'aide à domicile souffrent du manque de reconnaissance sociale de leurs métiers. Intervenir auprès de personnes atteintes de pathologies de plus en plus lourdes et complexes nécessite de disposer d'un savoir-faire et d'un savoir-être suffisants. En particulier, les intervenants à domicile apportent une contribution essentielle à la prévention de la perte d'autonomie et à la détection des premiers signes de fragilité.
Pourtant, l'aide à domicile reste trop souvent considérée comme une forme d'aide-ménagère améliorée, ce qui joue sur l'attractivité du secteur ainsi que sur la capacité des structures à fidéliser leurs salariés. Les perspectives d'évolution de carrière sont en outre limitées, notamment en raison de l'absence de passerelles avec d'autres secteurs.
Les propositions de vos rapporteurs
- Renforcer l'attractivité des métiers de l'aide à domicile en poursuivant la mise en place de formations qualifiantes et professionnalisantes ainsi qu'en engageant une réforme des diplômes et certifications applicables dans le secteur.
- Engager une politique structurée de prévention de la pénibilité dans le secteur de l'aide à domicile via la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
- Encourager, tout en respectant l'indépendance des inspecteurs du travail dans l'organisation de leurs tâches, des contrôles plus systématiques dans les structures d'aide à domicile.
- Renforcer les dispositions relatives aux conditions de travail dans les cahiers des charges applicables aux services d'aide à domicile.
3. Renforcer le soutien financier de l'Etat et accélérer les efforts de mutualisation et de modernisation
? Si l'aide à domicile est souvent présentée comme une source importante d'emplois non délocalisables, l'activité est très largement dépendante du degré de solvabilisation apporté par la puissance publique. Or le désengagement progressif de l'Etat dans le financement de l'APA et de la PCH empêche les conseils généraux d'assurer une évolution satisfaisante du niveau des plans d'aide.
De ce point de vue, les fonds de restructuration mis en place en 2012 puis 2013 pour venir en aide aux structures les plus en difficulté n'ont apporté qu'une réponse ponctuelle. Les efforts engagés par le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement , s'ils peuvent avoir un effet indirect sur l'activité des services grâce à l'augmentation des plafonds des plans d'aide et à la diminution des certains restes à charge, ne permettent pas de rééquilibrer le financement de l'APA entre l'Etat et les départements.
? L'exigence de professionnalisation du secteur et d'amélioration de la qualité des interventions ne peut également s'envisager que si les services d'aide à domicile disposent des moyens financiers suffisants pour assurer à leurs salariés des progressions de carrière satisfaisantes. Très nombreuses sont les structures qui ont engagé au cours des dernières années des politiques de formation ambitieuses. Bénéfiques pour les personnels, la professionnalisation et l'accès aux diplômes du secteur médico-social s'avèrent également indispensables à la qualité de la prise en charge de personnes dont les niveaux de dépendance sont de plus en plus élevés.
Cependant, mises en oeuvre isolément, ces mesures conduisent mécaniquement à une augmentation du coût horaire de l'intervention, parfois difficile à intégrer pour les conseils généraux. S'engage alors un cercle vicieux : le service est mis en difficulté si le coût de la professionnalisation n'est pas intégré dans le tarif horaire ; lorsque celui-ci est pris en compte mais qu'en résulte un reste à charge plus élevé pour le bénéficiaire, le nombre d'heures consommées peut alors diminuer et contribuer à dégrader la situation financière du service.
? Pour ces raisons, il est indispensable d'augmenter durablement le soutien de l'Etat. Cela doit passer en particulier par la fixation d'un tarif national de référence qui puisse être adapté aux caractéristiques des départements. Le surcoût en résultant pour les départements serait compensé par l'Etat, selon des modalités spécifiques. Parallèlement, les efforts de mutualisation et de modernisation des structures doivent être renforcés.
Les propositions de vos rapporteurs
- Renforcer durablement la participation de l'Etat dans le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) afin d'assurer la solvabilisation et la qualité des interventions des structures d'aide à domicile.
- Sur la base de l'étude nationale de coûts engagée dans le secteur, définir un tarif national de référence de l'APA, modulable suivant les caractéristiques des départements.
- Approfondir et accompagner les efforts de mutualisation et de modernisation engagés par les services d'aide à domicile dans une optique d'amélioration de leur situation financière et de la qualité du service rendu.