CONTRIBUTION DE M. FRANCIS GRIGNON, SÉNATEUR DU BAS-RHIN (UMP)
En conclusion de nos investigations au terme de l'analyse détaillée des procédures choisies, des méthodes, des organisations et des outils proposés pour la mise en oeuvre de la collecte de la taxe poids lourds dans le cadre d'un partenariat public-privé par Écomouv', il convient avant tout de répondre aux questions soulevées lors de la constitution de la commission d'enquête, mais aussi de proposer une suite à donner à la démarche contractuelle de partenariat public-privé interrompue juste avant sa finalisation.
Les raisons de la privatisation du service de la collecte de cette nouvelle taxe à travers un contrat de partenariat public-privé
La mise en lumière par notre commission des nombreux questionnements qui se sont manifestés en 2007 montre que le sujet de confier un éventail plus ou moins large de missions liées à la collecte et au contrôle de l'impôt a beaucoup occupé l'État, tant niveau de l'administration qu'au niveau politique.
Les réflexions préalables de l'administration ont conduit in fine les ministres eux-mêmes à saisir le Conseil d'État sur ce sujet. Il ne faut pas réduire l'avis du Conseil du 11 décembre 2007 à un simple aval à une privatisation sans limite. La réflexion sur le périmètre des fonctions externalisables, sur la base des principes constitutionnels, a conduit à des restrictions quant aux missions de contrôle des redevables ainsi qu'à une exigence de contrôle renforcé du prestataire se traduisant par la mise en place d'une « commission » mise en oeuvre par l'administration des douanes.
Rappelons qu'il n'a jamais été envisagé de confier la fixation du barème de l'impôt au prestataire privé, à la différence du régime de la concession autoroutière par exemple où les tarifs, bien qu'encadrés par l'État, sont fixés par le concessionnaire.
Au final, il y a bien au trois choix distincts qui ont été faits :
- confier à un prestataire privé des missions de collecte et de contrôle d'une taxe ;
- recourir à un contrat de partenariat ;
- dans le cadre de la dévolution du contrat, recourir au dialogue compétitif ;
La complexité a souvent été mise en avant pour justifier ces choix.
Sur le premier point, on notera que cette complexité a été présentée en premier lieu (saisine de la direction du budget du 24 avril 2007) comme issue de l'architecture interopérable définie au niveau européen.
Sur le second point, le choix du recours au contrat de partenariat, même si beaucoup d'arguments sur la complexité ont été mise en avant, a été indéniablement dicté en partie par des considérations financières, ce choix permettant à l'État de ne pas engager de financement avant l'achèvement du dispositif. On peut par ailleurs observer que le recours à un tel contrat a au moins un mérite aujourd'hui : connaître précisément les coûts du dispositif. Une réalisation en régie aurait sans doute conduit à une dilution et une perte de l'information sur les coûts de réalisation.
Au-delà de la complexité technique, le recours à un partenaire privé a été présenté comme découlant du contexte concurrentiel ouvert des prestataires de service de télépéage.
L'atteinte d'un certain nombre d'objectifs en terme de services aux redevables, nécessitant la mise en place du centre d'appel multilingues, de contrats avec des stations-services ou des garagistes apparaît mieux garantie par un engagement contractuel avec un partenaire privé que par la mise en place de services dédiés de l'État dont la pérennité serait forcément menacée par les réorganisations.
Enfin ce choix d'un contrat de partenariat global rassemblant l'exploitation avec la conception-réalisation a été présenté comme répondant à un objectif de minimisation du coût global de ce service, le concepteur ayant intérêt, en tant qu'exploitant futur, à mettre en place un système efficace. Il n'est évidemment pas possible aujourd'hui de juger de ce point. Toutefois, alors que l'attention s'est beaucoup portée sur les erreurs d'évaluation des coûts d'investissements, les travaux de la mission ont aussi permis de voir que les coûts d'exploitation avaient quant à eux été plutôt bien maitrisés et qu'en conséquence, au final, le coût global n'était pas très éloigné des premières estimations.
Les raisons qui ont conduit à proposer dans le cahier des charges de la consultation une rémunération forfaitaire au lieu d'un pourcentage des recettes
Le schéma retenu, détaillé dans les documents de la consultation rédigés par l'État, correspond à la structure technique du projet et vise un total désintéressement du partenaire par rapport aux missions de souveraineté que sont la détermination du barème, les règles d'assujettissement et les règles de contrôle de la taxe. Ainsi le changement du barème prévu de 12 à 13 centimes ne conduit à aucune modification de la rémunération.
La rémunération a été analysée en détail et les auditions ont permis de mieux comprendre son mécanisme et sa justification. Une part importante de celle-ci, environ 40 %, vise à rembourser l'investissement et les frais de financement. Le reste correspond aux frais d'exploitation qui se partagent de manière classique entre des coûts fixes (environ 30 %) - ici l'hébergement des systèmes informatiques, les loyers immobiliers, les frais de personnel d'Écomouv' et de ses sous-traitants notamment tous les acteurs du réseau de distribution - et les coûts variables (environ 30 %) - ici par exemple les coûts de télécommunications, les coûts directs de fonctionnement des dispositifs automatiques. L'analyse détaillée de la rémunération montre qu'au final, la partie fixe de la rémunération représente environ 70 % soit environ 175 millions d'euros et la part variable 75 millions d'euros qui dépend de l'intensité de la collecte.
Les discussions sur le principe du contrat de partenariat et la lecture de l'avis d'appel à candidature de 2009 ont rappelé le principe même de ce type de contrats, à savoir le payement à l'achèvement des ouvrages - dans notre cas « la mise à disposition » - et ce indépendamment de la mise en service de ceux-ci - dans notre cas « l'entrée en vigueur de la taxe ». Même si le principe de commencer à payer alors même que la taxe ne pouvait être collectée a pu poser question, ce principe était présent dès l'origine et était indispensable à toute contractualisation.
Les raisons du choix de la société Écomouv'
Au vu des éléments analysés concernant la procédure, l'offre d'Autostrade est bel et bien apparue comme la meilleure selon les critères établis par l'État, qui comprenaient outre la qualité technique ; le coût global, de délais de réalisation et les objectifs de performance. L'analyse des systèmes étrangers permet aussi de constater qu'Autostrade a remporté le marché pour la mise en place du système autrichien et parfaitement rempli ses obligations.
Comme il a été exposé en audition, la SAS Écomouv' a été constituée par l'unique actionnaire Autostrade per l'Italia, candidat qui a remporté l'appel d'offre. C'est bien après la signature du contrat le 20 octobre 2011, que Thales, SNCF participations, SFR et Steria sont entrées au capital de société Écomouv', comme en témoignent les documents reçus par votre commission.
L'actionnariat de la société Écomouv' SAS est donc très clairement identifié ainsi que son évolution, qui est apparu conforme aux règles fixées par l'État.
Les raisons d'une rémunération de 250 millions d'euros en moyenne par an
Dans l'absolu, ce montant est-il déraisonnable ? Les différents témoignages sur les systèmes similaires, a périmètre équivalent c'est-à-dire souvent sans avoir connaissance du coût des personnels des administrations, montre que le système développé par Écomouv' est plutôt performant : rappelons que, le système allemand, pour un linéaire inférieur correspondant à des routes beaucoup plus homogènes (il n'y a pas d'autoroute à péage en Allemagne) avec un champ des véhicules assujetti plus réduit (uniquement les plus de 12 tonnes) coûte entre 500 et 600 millions d'euros par an pour une recette de 4,4 milliards d'euros et un taux de 18 centimes d'euro au kilomètre au lieu de 13 centimes en France.
Pourquoi l'appel d'offres a été passé selon les règles
Plusieurs interrogations ont été émises sur la régularité de la procédure de passation. Aucun élément ne permet de revenir sur les investigations précédentes menées par le Conseil d'État (ou celles du procureur de la République de Nanterre qui avait classé une première fois l'affaire en octobre 2013). La procédure a bien été passée selon les règles.
De plus, les auditions [DGITM 4 février, direction du budget, Écomouv'] et les documents reçus ont permis de confirmer qu'aucun élément du contrat n'avait été modifié depuis la signature de celui-ci. La durée du contrat a été fixée dès l'avis d'appel à la candidature du 5 mai 2009 à 11 ans et demi pour l'exploitation et un maximum de 30 mois pour la conception.
Quelle suite à donner à la démarche contractuelle de partenariat public privé interrompue juste avant sa finalisation ?
Au terme de nos investigations, il apparaît que les procédures, les méthodes, les organisations et les outils proposés pour la mise en oeuvre de la collecte de la taxe poids lourds sont complexes. Pas étonnant, nous sommes en face d'une innovation qui n'existe pour l'heure, nulle par ailleurs.
C'est justement cette innovation qui va permettre suite aux réticences observées d'adapter dans l'espace et dans le temps cet outil afin qu'il acquiert une véritable acceptation sociale .
Par exemple : évolution du réseau par ajout ou retrait de points de tarification, de portiques, évolutions du barème (taux, modulations...), assujettissement possible quant au fonctionnement des systèmes de contrôle automatiques qui peuvent être actifs plus ou moins longtemps, etc.
L'interopérabilité est un atout de taille pour l'avenir : n'oublions pas que le dispositif et les équipements embarqués fonctionnent sans problème sur le réseau autoroutier à péage et permettent ainsi, via les sociétés de télépéage, de percevoir - aujourd'hui pour le compte des concessionnaires - les péages d'autoroutes (dans quelques années à la fin des concessions pourquoi pas pour l'État ?).
Il est donc impératif aujourd'hui, malgré toute les difficultés de poursuivre les négociations entre l'État et Écomouv', pour aboutir à la mise en oeuvre définitive de ce contrat de partenariat public-privé.