SECONDE TABLE RONDE :
LA RÉFORME DE LA POLITIQUE COMMUNE DE LA
PÊCHE EST-ELLE À LA HAUTEUR DES ENJEUX ?
M. Marcel-Pierre Cléach , sénateur
La seconde table ronde doit nous éclairer sur les effets de la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) par rapport aux enjeux en cause. Je souhaitais y recueillir les points de vue des différents acteurs : les associations, qui sont très bien représentées, et les pêcheurs, qui n'ont pas cru devoir rester.
Pour ma part, je considère que, en général, il vaut mieux être présent dans le débat, et y apporter une contradiction sereine. C'était l'esprit de mon rapport et de toutes les rencontres que nous avions organisées pour son élaboration. C'est l'esprit que j'ai rencontré chez les scientifiques et chez beaucoup d'organisations de pêche. Je pensais que des progrès avaient été réalisés mais il semble que le climat soit aujourd'hui dégradé. J'en prends acte et cette table ronde se bornera donc à recueillir le point de vue des organisations de protection de l'environnement.
Celles-ci se sont fait entendre avec force au moment du vote au Parlement européen sur la réglementation de la pêche profonde. Elles ont suscité un large mouvement d'opinion, puisque l'association Bloom, représentée par Mme Claire Nouvian, a obtenu plus de 800 000 signatures de soutien à sa pétition contre le chalutage en eaux profondes. C'est un chiffre considérable qui témoigne d'une véritable prise de conscience collective dont nous, politiques, ne saurions faire abstraction.
I. INTERVENTION DE MME ELISE PÊTRE, CHARGÉE DE PROJET PÊCHE DURABLE, WWF FRANCE
Nous vous remercions de nous laisser l'opportunité de nous exprimer. En effet, le poisson est un bien commun. En tant que représentants de la société civile, il nous semble nécessaire d'être autour de la table pour que les débats soient complets. On ne peut que regretter l'absence des représentants de la profession.
La réforme de la politique commune de la pêche (PCP) est-elle à la hauteur des enjeux ? C'est une réelle question. Dans un premier temps, je reviendrai sur l'origine de cette réforme qui était nécessaire car, comme le disait le rapport de M. Marcel-Pierre Cléach pour l'OPECST, le constat, après trente années de politique commune de la pêche, était plutôt amer. C'était un réel constat d'échec, la politique mise en place reposant sur quatre piliers regrettables :
- Cette politique, productiviste, était calquée sur le modèle agricole, alors qu'un poisson ne se produit pas : il se capture. Nous sommes dans le cadre d'une activité de cueillette. Les modèles basés sur la production présentent, par conséquent, des limites.
- Cette politique était très centralisée, fondée sur des décisions prises essentiellement à Bruxelles, loin du terrain, compromettant de fait, dès le départ, l'acceptabilité et la pertinence des mesures.
- Cette politique était menée à court terme alors que la pêche - tant pour la ressource que pour les pêcheurs - nécessite une vision à long terme.
- Enfin, cette politique était fondée essentiellement sur un gaspillage de ressources, avec la pratique des rejets, et sur un gaspillage financier, puisque de nombreuses subventions ont été utilisées à mauvais escient et ont entraîné de la surcapacité.
Les conséquences de cette politique ont été évoquées ce matin : une érosion de la biodiversité et une surexploitation des stocks. Même si, pour certains stocks, la tendance semble s'améliorer, la surexploitation perdure globalement. La Commission l'a rappelé : en 2013, 39 % des stocks connus en Atlantique Nord-Est sont surexploités et 88 % le sont en Méditerranée . On ne peut se satisfaire de cette situation.
Au-delà des conséquences environnementales, il existe des conséquences sociales et économiques à cette situation : depuis les années 1950, deux tiers des emplois marins et 35 % des entreprises de pêche ont disparu. Sur cet aspect aussi, la PCP a échoué.
Une réforme du fonctionnement de la PCP était donc nécessaire pour fonder cette politique sur l'urgence de la reconstitution des stocks, afin d'avoir une ressource saine et durablement exploitable. Il était aussi nécessaire de mettre fin à la surcapacité, qui génère de la surpêche et un manque de rentabilité, et aux subventions nuisibles aux écosystèmes et aux pêcheurs. La nouvelle politique des pêches devait mettre fin à des pratiques non durables (impact sur l'écosystème, rejets) et mettre en oeuvre une gestion au plus proche du terrain, intégrant l'ensemble des parties prenantes. Comme le rappelait M. Philippe Cury, seule l'intégration de l'ensemble des parties prenantes permet une réelle bonne gestion de la ressource.
La réforme de la PCP a-t-elle répondu à l'ensemble de ces enjeux ?
Le règlement de base est aujourd'hui publié 40 ( * ) . La tendance est positive mais il demeure quelques points négatifs.
Un des points négatifs est que l'objectif de reconstitution des stocks a été fixé a minima . L'objectif fixé, le RMD, ne garantit pas une reconstitution des stocks avant l'horizon 2020 voire plus tard. C'est un gros point noir. Il aurait fallu aller plus loin dans l'ambition.
Cette nouvelle PCP est néanmoins positive, en premier lieu car elle impose le respect des avis scientifiques . Au cours des dix dernières années, seuls 13 % des TAC et des quotas respectaient les avis scientifiques. Nous espérons que la nouvelle PCP permettra une gestion basée sur les avis scientifiques, non seulement pour les mesures connues comme les TAC et les quotas, mais aussi dans le cadre de cette approche écosystémique dont on parle beaucoup mais qui, dans les faits, se concrétise très peu. Nous espérons que la nouvelle PCP, qui met l'approche écosystémique en avant, permettra de prendre réellement en compte cette approche pour la gestion des pêches. M. Didier Gascuel faisait référence à l'approche par flottilles. L'AEP est souvent mise de côté en raison de sa complexité. Or nous avons aujourd'hui des éléments qui nous permettraient de nous en approcher avec l'approche par flottilles. C'est un outil dont les gestionnaires devraient se saisir.
Un autre point positif est le développement des plans pluriannuels de gestion qui sont un peu la colonne vertébrale de la nouvelle PCP. Ils permettront une approche par pêcherie, au plus proche des réalités du terrain, intégrant l'ensemble des acteurs, non seulement les pêcheurs qu'il faut remettre au centre de la gestion, mais également les autres parties prenantes, à savoir l'administration, les scientifiques et la société civile. Ces plans pluriannuels de gestion répondent au besoin d'une vision à plus long terme, comme le préconisait le rapport de M. Marcel-Pierre Cléach .
Un autre point positif de cette nouvelle PCP est qu'elle propose une pêche moins impactante , grâce à trois de ses volets :
- Le problème des rejets est traité par l'obligation de débarquement dont nous avons longuement discuté. Cette obligation doit être accompagnée, en amont, de l'amélioration de la sélectivité des engins et des pratiques pour éviter ces captures accessoires.
- Des zones de reconstitution des stocks de poisson sont mises en place, ce qui est très positif.
- De nouveaux critères d'accès à la ressource doivent être élaborés par les États membres. Ces critères, objectifs et transparents, doivent favoriser les pêches les moins impactantes.
Enfin, la nouvelle PCP devrait mettre fin à la surcapacité. Les États membres doivent évaluer leur capacité et la mettre en adéquation avec les possibilités de pêche. Ils devront identifier les zones sur-capacitaires et établir des plans d'action pour parvenir à une capacité de pêche en adéquation avec ce que le milieu est capable de fournir.
Même s'il fallait aller plus loin sur la question du RMD, la nouvelle PCP va donc, globalement, vers une amélioration. Elle pourra répondre à la question de la conciliation de l'exploitation et de la préservation de la ressource, si elle est convenablement appliquée.
C'est cette question de l'application qui se pose aujourd'hui. Le cadre européen a été fixé. La mise en place du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui est l'instrument financier accompagnant la PCP, devrait être très rapidement achevée. Il dépendra maintenant des États membres que cette PCP soit convenablement mise en oeuvre. Ils ont les clefs en main pour parvenir à une pêche durable respectueuse de l'environnement, rentable et pourvoyeuse d'emplois.
Jusqu'à aujourd'hui, comme le mentionnait le rapport de la Cour des comptes, la politique des pêches a essentiellement été une politique de gestion de crise, une politique « du pansement ». Une vision claire et stratégique de l'avenir de la pêche a fait défaut. C'est la ressource et les pêcheurs qui, les premiers, en ont pâti.
Nous espérons que la France pourra développer cette vision qui n'est pas, aujourd'hui, connue. On parle beaucoup du navire du futur. Qu'en est-il de la pêche du futur ? Quelle pêche la France souhaite-t-elle pour les prochaines années ? Cette vision devrait être établie de manière transparente et objective avec l'ensemble des parties prenantes. Nous sommes prêts à participer à sa définition.
* 40 Règlement n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur la politique commune de la pêche (JOUE du 28 décembre 2013).