II. INTERVENTION DE MME HÉLÈNE BOURGES, CHARGÉE DE CAMPAGNE OCÉANS, GREENPEACE FRANCE

Je vous remercie pour votre invitation. Je souscris pleinement aux constats présentés par Mme Elise Pêtre sur l'ensemble de la politique commune de la pêche (PCP). Je me concentrerai sur un point particulier, qui fait écho à votre rapport de 2008, à savoir le système des quotas et, plus généralement, de l'accès à la ressource. Dans ce rapport, vous aviez présenté les limites du système actuel, tant aux niveaux européen que national. Vous aviez notamment souligné le fait que la répartition des quotas était fondée principalement sur les antériorités, les droits historiques. Vous concluiez qu'il n'existait pas d'incitations réglementaires à développer une pratique durable.

La nouvelle PCP offre une opportunité de changer cet état de fait. Elle fixe un objectif clair pour les activités de pêche : celles-ci doivent être menées de manière à assurer leur durabilité d'un point de vue environnemental. On sort du schéma des anciennes PCP, dans lesquelles les objectifs de la politique de pêche étaient non hiérarchisés et parfois contradictoires entre eux. Un cap clair a été établi vers la durabilité environnementale des activités de pêche.

Mme Elise Pêtre a parlé des différentes mesures à prendre pour atteindre cette durabilité environnementale : la réduction des rejets, l'atteinte du RMD et, si possible, au-delà...

Une mesure devrait plus particulièrement retenir l'attention des décideurs politiques et des parties prenantes. Il s'agit de la révision du système d'allocation des droits de pêche par les États membres. Par « droits de pêche », je n'entends pas seulement les quotas mais aussi les licences et l'ensemble des modalités d'accès à la ressource.

Je n'évoque pas, ici, des droits privés, commercialisables. La Commission européenne a essayé, dans un premier temps, au cours du processus d'élaboration de la PCP, de répondre à la question de la surcapacité en tentant d'imposer aux États membres et aux parlementaires le système des quotas individuels transférables, ce qui a échoué. Les ONG aujourd'hui présentes se félicitent de cet échec. Si l'individualisation des quotas peut être une piste intéressante, leur commercialisation soulève le problème de la privatisation d'une ressource commune et de la concentration des droits de pêche dans les mains de quelques-uns.

Le résultat du travail en trilogue de la Commission, des parlementaires européens et des ministres en charge des pêches est néanmoins intéressant. Applicable à partir du 1 er janvier 2014, l'article 17 du nouveau règlement sur la PCP demande aux États membres d'utiliser des critères transparents et objectifs, y compris des critères à caractère environnemental, social et économique, dans l'attribution des possibilités de pêche. Les États membres doivent s'efforcer de proposer des incitations destinées aux navires de pêche qui déploient des engins sélectifs ou qui utilisent des techniques de pêche ayant des incidences réduites sur l'environnement. Cet article est important car il propose et impose un véritable schéma de réforme de l'accès à la ressource pour les professionnels.

Le nouveau système doit être transparent. Or la réglementation française pour la répartition des quotas existe mais sa mise en oeuvre demeure opaque. Par exemple, il est difficile de savoir selon quel critère exact un sous-quota attribué à une organisation de producteurs (OP) est distribué entre ses différents adhérents. Le manque de transparence du système actuel est un frein au développement d'un modèle nouveau. La priorité est de faire la lumière sur le fonctionnement actuel, pour en connaître les faiblesses et pouvoir y parer, avec des garde-fous adaptés, dans le nouveau système.

Si le système actuel est peu transparent, un élément est néanmoins bien connu. Il s'agit du poids des antériorités dans l'attribution des quotas. Articuler la répartition des quotas quasi-uniquement sur les antériorités maintient un statu quo insoutenable étant donné qu'un grand nombre de stocks de poissons demeure dans un état biologique critique et que la rentabilité économique de nombre d'armements est, elle aussi, déplorable. Nous ne pouvons pas rester dans ce statu quo alimenté par le recours systématique aux antériorités.

La mise en oeuvre de l'article 17 du règlement est, certes, une obligation mais il sera intéressant de la considérer comme une opportunité à saisir pour instaurer un cadre qui favorise les activités de pêche les plus durables.

L'administration française a entrepris la révision de l'arrêté de 2006 41 ( * ) qui décrit le mode de répartition et de gestion collective des quotas. Nous pensons qu'il est urgent d'élargir ce travail en ne se limitant pas au contenu de l'arrêté de 2006, notamment parce que plusieurs stocks ne sont pas soumis aux quotas, dont la quasi-totalité des stocks de Méditerranée, par exemple. Ces stocks méritent aussi qu'on se penche sur leur gestion.

Il s'agit d'un travail de fond pour engager une transition vers un modèle de pêche plus durable en assurant notamment un rééquilibrage, dans l'accès aux ressources, en faveur de la petite pêche côtière durable dont les armements sont économiquement rentables et qui produisent des poissons de qualité qui se vendent bien sur le marché.

Mon propos n'est pas de mettre fin à la pratique de la pêche industrielle ou des armements intermédiaires, puisque pêcher uniquement dans la bande côtière serait évidemment un non-sens économique et écologique. Un rééquilibrage est néanmoins nécessaire, dans le cadre d'une réduction de la capacité. Cette réduction est inévitable, comme l'ont souligné les scientifiques présents aujourd'hui et comme le notait le rapport de M. Marcel-Pierre Cléach en 2008. C'est un impératif de la PCP. Dans ce cadre, il serait intéressant de faire une place à ceux dont les pratiques sont les meilleures, notamment sur le plan social, comme le prévoit l'article 17 précité. Or, en France, la petite pêche fournit plus d'emplois par tonne de poissons pêchés que la grande pêche industrielle.

La mise en oeuvre de ce chantier de réforme, non restreinte à la question des quotas, est une nécessité. J'illustrerai mon propos par l'exemple de la gestion du bar . Le bar est une espèce qui n'est pas sous quota. Or son stock diminue très fortement. La question des mesures de gestion à mettre en place se pose, pour éviter un effondrement du stock. Le met-on sous quota ? Ferme-t-on la pêche pendant les périodes de reproduction ? Limite-t-on l'activité de certains engins par rapport à d'autres ? Comment organise-t-on le partage avec les flottes des autres pays ? Ce sont autant de questions que les professionnels se posent et à propos desquelles ils ont des avis divergents. Cet exemple montre qu'il est important, aujourd'hui, de se pencher sur la question de la réforme des droits d'accès aux ressources, avec l'ensemble des parties prenantes.

Pour mener cette réforme structurante, très déterminante pour le futur de la pêche française, encore faudrait-il connaître la vision du Gouvernement pour la pêche française sur le long terme. Comme l'a dit Mme Élise Pêtre, cette vision, si elle existe, n'est pas partagée. Le rapport déjà évoqué de la Cour des comptes sur l'utilisation de l'argent public en témoigne. Il faut sortir de la gestion de crise, actuel pilier de la politique des pêches et pouvoir connaître la vision du Gouvernement pour le secteur de la pêche en France au-delà de 2017.

La préoccupation majeure des décideurs politiques est la préservation des emplois, ce qui est compréhensible. C'est la seule grille de lecture appliquée aujourd'hui. Or on ne peut pas garantir que la pêche sera un secteur qui sera toujours pourvoyeur d'emplois si l'on ne se donne pas les moyens d'atteindre les objectifs de la PCP, c'est-à-dire une pêche durable d'un point de vue environnemental, dont soit garantie la rentabilité économique sur le long terme.

Un des points positifs de la nouvelle PCP est la participation de nouveaux acteurs à son processus d'élaboration, à commencer par le Parlement européen qui, auparavant, n'avait pas son mot à dire sur les politiques de pêche. Les ONG ont intensément participé au processus d'élaboration de la PCP. De nouveaux acteurs sont apparus : les représentants de la petite pêche qui se sont récemment structurés au niveau français, au sein de la Plateforme de la petite pêche française, et au niveau européen, au sein d'une association : Low Impact Fishermen of Europe 42 ( * ) (LIFE).

Le résultat de l'intégration de ces nouvelles parties prenantes dans le dialogue et le débat est une PCP allant globalement dans le bon sens, cohérente, ambitieuse, qui a su hiérarchiser ses objectifs en affirmant que la bonne santé économique du secteur reposait sur la bonne santé écologique des écosystèmes marins.

Il serait très positif que le dialogue avec l'ensemble des acteurs puisse être maintenu. Je regrette que les représentants du CNPMEM soient partis car je pense que ce dialogue est crucial si l'on veut mener à bien une réforme des droits d'accès à la ressource. En tant qu'ONG, nous attendons de l'administration des pêches et du ministre en charge de la pêche une décision pour ouvrir ce travail qui mérite la participation de l'ensemble des acteurs.


* 41 Arrêté du 26 décembre 2006 établissant les modalités de répartition et de gestion collective des possibilités de pêche (quotas de captures et quotas d'effort de pêche) des navires français immatriculés dans la Communauté européenne.

* 42 Organisation de pêcheurs pratiquant une pêche à faible impact environnemental en Europe.

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