B. MAINTENIR LE VOTE PAR CORRESPONDANCE ÉLECTRONIQUE EN RENFORÇANT SES GARANTIES
Le vote par correspondance électronique est « un système perfectible » comme M. François Saint-Paul, directeur des Français de l'étranger et de l'administration consulaire, le soulignait lors de son audition. Le ministère des affaires étrangères s'inscrit d'ailleurs, depuis l'origine, dans une démarche d'amélioration des dispositifs techniques mis en place.
Malgré les efforts particuliers déployés par l'administration consulaire pour les multiples élections qu'elle organise, le vote par correspondance électronique souffre, aux yeux de plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs, d'une absence de garanties suffisantes en matière de sincérité du scrutin et de secret du vote, contribuant selon elles à amoindrir la confiance des électeurs dans le processus électoral.
Pourtant, lors de son audition, le directeur des Français de l'étranger et de l'administration consulaire constatait que « le vote électronique s'est installé dans le paysage pour les Français de l'étranger ».
Entendues par vos rapporteurs, les deux associations représentatives des Français de l'étranger ont confirmé ce sentiment en soulignant qu'elles estimaient irréversibles le vote par correspondance électronique pour les élections spécifiques aux Français établis hors de France. À cet égard, Mme Hélène Charveriat, déléguée générale de l'Union des français de l'étranger (UFE), a relevé qu'il serait d'autant plus délicat de « revenir en arrière » que le vote par correspondance sous forme papier avait disparu pour l'élection des conseils consulaires.
Les critiques dont peut faire l'objet le vote par correspondance électronique résultent en partie d'observations plus générales sur le vote par correspondance. Or, M. François Nicoullaud, représentant l'ADFE, le rappelait : « il existe une opposition viscérale en France au vote par correspondance ». Cette affirmation se vérifie au regard des expériences étrangères puisque le « vote par internet » est d'autant mieux admis que le vote par correspondance est un procédé autorisé et largement pratiqué par les électeurs 46 ( * ) .
1. Un maintien circonscrit du « vote par internet » pour les élections à l'étranger
Vos rapporteurs sont confrontés à deux exigences. La première, constitutionnelle, consiste à permettre à tous les Français, y compris les Français établis à l'étranger, de voter. La seconde, non moins incontournable, est de s'assurer de la sincérité du scrutin et du secret du vote.
Vos rapporteurs ne minorent pas les critiques qui peuvent être émises contre le « vote par internet ».
Le risque d'atteinte au secret et à la sincérité du vote ne peut être sous-estimé. Nul ne saura si la personne ayant voté depuis son ordinateur est bien celle inscrite sur la liste électorale, ni si son vote a été contraint, monnayé ou libre. Toutefois, dans une opération classique de vote, la jurisprudence du Conseil d'État fait mention de pressions jusque dans les bureaux de vote.
Ce risque, y compris en cas de vote par internet, est sanctionné pénalement par le code électoral qui punit, en particulier, les promesses pécuniaires ou en nature aux fins d'influencer un vote (article L. 106 du code électoral) 47 ( * ) .
Pourtant, le débat sur le vote par internet s'apparente à celui qui a conduit au maintien du vote par correspondance sur support papier à l'étranger en dépit de sa suppression en France dès 1975.
Le législateur doit nécessairement prendre en compte le fait que les conditions concrètes de vote pour un électeur français à l'étranger et sur le territoire national sont indéniablement différentes. Si la proximité entre l'électeur et le bureau de vote est assurée en France grâce au maillage des bureaux de vote, le réseau de ces bureaux à l'étranger, qui épouse celui de l'administration consulaire, ne peut en aucun cas se prévaloir de la même intensité. Il existe même un coût financier pour l'électeur expatrié qui souhaite exercer son droit de vote. Dans certains cas, l'impossibilité matérielle ou liée à des considérations géopolitiques est manifeste.
L'implantation des bureaux de vote à l'étranger Lors des élections législatives générales en 2012, 775 bureaux de vote ont été ouverts dans le monde. De fortes disparités existaient logiquement en fonction du nombre d'électeurs inscrits. Certaines villes, comptant une forte communauté française, disposaient de plusieurs bureaux de vote : 28 à Genève, 27 à Bruxelles, 20 à Londres et à Montréal, 13 à Barcelone, 10 à New-York, à Madrid ou à Casablanca, etc. A l'inverse, un seul bureau de vote couvrait des pays comme l'Afghanistan, l'Azerbaïdjan, la Birmanie, la Bolivie, le Cambodge, la République Centrafricaine, le Chili, l'Iran, le Pérou, le Tchad, l'Ukraine... En Russie, des bureaux de vote étaient ouverts à Moscou, Saint-Pétersbourg et Ekaterinbourg. Un expatrié vivant à Irkoutsk devait ainsi parcourir 2812 kilomètres pour voter à Ekaterinbourg, ce qui représente un trajet de 3 heures 20 en avion. Le prix du billet avoisine 470 euros pour un aller-retour. Au Pérou, un seul bureau de vote existait à Lima pour l'ensemble du pays. Un ressortissant français résidant à Iquitos en était distant de 1012 kilomètres, soit une durée de 1 heure 27 en avion pour le rallier. Le coût du billet est alors de près de 320 euros pour l'aller-retour |
Les possibilités de recours plus larges au vote par procuration à l'étranger constituent une réponse imparfaite à cette difficulté. Cette modalité de vote suppose, en effet, qu'un électeur se déplace toujours au bureau de vote au nom du mandant. En outre, l'éloignement demeure problématique lorsqu'il s'agit d'établir la procuration auprès des autorités françaises.
S'agissant d'élections organisées à l'étranger, la loi tient déjà compte de cette différence de situation en édictant des règles électorales dérogatoires pour ces élections. Vos rapporteurs ne considèrent évidemment pas que des garanties démocratiques en matière électorale doivent être moindres pour les élections à l'étranger. Ils invitent néanmoins à une conciliation entre les garanties attendues en matière de sincérité et de secret lors des opérations électorales à l'étranger et la nécessité d'assurer réellement l'exercice du droit de vote à nos compatriotes expatriés.
Certes, l'expérience électorale démontre que la faculté ouverte à l'électeur de voter « par internet » est sans incidence majeure sur le taux de participation électorale. Une question demeure cependant : ce taux de participation se maintiendrait-il en l'absence de « vote par internet » ?
En supprimant le vote à distance, le législateur rendrait de facto le vote impossible à plusieurs de nos compatriotes expatriés. Dans cette mesure et pour cette raison, vos rapporteurs estiment que le vote par correspondance, y compris dans sa variante électronique, doit être maintenu à titre dérogatoire.
Vos rapporteurs n'envisagent cependant ce maintien que sous deux réserves.
En premier lieu, le vote par correspondance électronique doit demeurer une modalité supplémentaire de vote, en complément du vote à l'urne. Tout électeur qui ne souhaiterait pas émettre son suffrage par correspondance doit pouvoir voter au sein d'un bureau de vote.
En second lieu, cette modalité de vote doit être réservée aux circonscriptions comptant uniquement des électeurs expatriés puisque seul l'éloignement du bureau de vote justifie le maintien de cette modalité de vote. Vos rapporteurs excluent donc la généralisation du « vote par internet » sur le territoire national.
Cette préconisation reflète l'état d'esprit du Gouvernement. Interrogé sur ce sujet, M. Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, déclarait devant votre commission des lois le 21 novembre 2012 : « cette modalité de vote se justifie à l'étranger où il peut être matériellement difficile, pour des raisons de distance ou de sécurité, de se rendre dans un bureau de vote [mais] je suis plus réservé sur son extension en France métropolitaine où le maillage des bureaux de vote est extrêmement dense ».
L'existence du vote par correspondance électronique ne peut se concevoir que pour les circonscriptions comptant exclusivement des Français établis hors de France. À défaut, les électeurs votant au sein d'une même circonscription ne disposeraient pas des mêmes modalités de vote, selon leur « domiciliation » électorale. Cette disposition soulèverait de sérieuses difficultés au regard du principe constitutionnel d'égalité, appliqué aux électeurs.
En outre, le niveau de sécurité attendu d'un système de vote électronique doit être apprécié au regard de l'enjeu électoral en cause. Si le vote à distance était ouvert aux Français établis hors de France pour l'élection présidentielle ou une opération référendaire, toute annulation des opérations électorales électroniques pourraient, compte tenu du nombre de suffrages ainsi annulés et de l'écart de voix en présence, remettre en cause le résultat du scrutin pour l'ensemble du corps électoral français.
Recommandation n° 8 : - Maintenir le vote par correspondance électronique uniquement dans les circonscriptions comptant exclusivement des électeurs établis hors de France. |
Si vos rapporteurs préconisent le maintien du vote par correspondance électronique pour ces élections à l'étranger, ils n'envisagent pas d'en faire une obligation pour l'ensemble des scrutins concernés.
En particulier, l'opportunité de son extension aux scrutins indirects n'est pas évidente. Pour l'élection des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger et des sénateurs représentant les Français établis hors de France, les coûts, notamment les coûts fixes, rapportés au nombre réduit d'électeurs formant les collèges électoraux n'incite pas à introduire le « vote par internet ». De surcroît, le législateur a prévu, dans ces deux cas, la possibilité d'un vote par remise en mains propres d'un pli à l'administration ; cette modalité de vote s'apparente à un vote par correspondance papier sécurisé.
De même, le maintien du vote par correspondance électronique ne doit pas conduire à faire l'économie d'une réflexion sur la rationalisation des modalités de vote offertes aux électeurs expatriés, notamment quant à la coexistence du vote par correspondance par voie électronique et sur support papier pour les élections législatives à l'étranger.
* 46 Interdit aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, en Espagne et en Grèce, le vote par correspondance est pratiqué en Allemagne, en Autriche, en Suède et en Finlande et constitue même la seule modalité de vote dans l'État de l'Oregon.
* 47 A titre exceptionnel, l'application de la loi pénale française est expressément applicable hors du territoire national pour les faits relatifs aux élections françaises qui se déroulent à l'étranger.