Audition de M. Marc Rohfritsch, ingénieur divisionnaire de l'industrie et des mines, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur
Je vous prie d'excuser l'absence de M. Serge Larcher, président de la délégation, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement. Nous attendons de vous, monsieur l'ingénieur, un éclairage sur l'industrie des mines.
M. Marc Rohfritsch.
La direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, comme son nom l'indique, a pour mission de développer la compétitivité et la croissance des entreprises françaises. Elle est placée sous l'autorité du ministère de l'artisanat et de celui du redressement productif. Mon bureau, au sein du service de l'industrie, participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques industrielles dans leurs composantes sectorielles. À ce titre, nous animons la Conférence nationale de l'industrie, qui prendra bientôt le nom de Conseil ; nous soutenons les secteurs à forte valeur ajoutée et d'avenir ; nous accompagnons les secteurs en forte difficulté, et ils sont quelques-uns ; nous assurons une veille sectorielle et développons une connaissance fine du tissu industriel et d'autres actions transversales de soutien.
Mon bureau est compétent sur la production et la transformation des matériaux. Les matériaux, ce sont les plastiques, le caoutchouc et les composites, mais aussi les céramiques ou encore le bois, le papier et le carton et, naturellement, les métaux. L'exploration minière relève d'une autre direction. Cependant, pour ce qui concerne les ressources minérales, nous tâchons de mieux connaître et d'anticiper l'évolution de la demande industrielle, d'inciter les acteurs à mieux prendre en compte les risques qui pèsent sur leur approvisionnement et, enfin, d'actionner les bons leviers pour réduire la dépendance. Voilà le rôle que je joue sur le sujet qui vous occupe : l'exploitation des ressources minières marines profondes dans les zones économiques exclusives outre-mer.
Comment abordons-nous les besoins des industriels au sein du Comité pour les matériaux stratégiques, le Comes ? Quels sont les drivers ? Autrement dit, quelles sont les applications qui tirent les besoins ? La demande en métaux est en hausse, qu'ils s'agissent des métaux de commodité comme l'acier ou l'aluminium, ou des métaux plus stratégiques high tech . Ces derniers sont fortement liés au niveau de développement du pays.
Le mode de consommation des métaux dépend de trois grandes tendances sociétales : la sensibilité à l'éco-responsabilité, la hausse du prix de l'énergie et la recherche effrénée de technicité dans les produits. Il faut également citer les normes diverses et variées provenant de directives ; je pense à l'interdiction du Chrome 6, néfaste pour l'homme et l'environnement, ou encore à l'écoconception et le recyclage.
Nos industriels dépendent pour leur approvisionnement de l'extérieur. Si on fait exception de l'or en Guyane et du nickel en Nouvelle-Calédonie, la France n'a pas de gisements de matériaux stratégiques, si bien que l'ensemble de la chaîne de valeurs peut potentiellement être affectée, par un effet domino, du fait d'une difficulté ponctuelle dans telle ou telle zone géographique. L'an dernier, nous avons conduit une étude sur deux filières particulièrement exposées : l'automobile et l'aéronautique. Ses résultats sont décevants, comme nous aurions dû nous y attendre, car les difficultés sont exactement celles sur lesquelles le Comes a buté. Les industriels ne veulent pas donner ce type d'information qu'ils considèrent très confidentielle. Et pour cause, ce serait afficher la vulnérabilité de leur entreprise. Tout cela pour expliquer que nous peinons à obtenir une vision agrégée de la consommation réelle de matériaux stratégiques en France.
Que faire pour réduire cette dépendance ? Nous avons réalisé des scénarios sur l'offre et la demande. Les premiers s'appuient sur des projections des valeurs de vente, l'impact des évolutions de marché - par exemple, l'augmentation des ventes de véhicules électriques - et l'estimation des effets de l'innovation sur le produit final. Pour l'offre, plus on va vers l'amont minier, plus nous sommes dans du temps long - il faut sept à dix ans pour ouvrir une nouvelle mine. Ce qui n'est pas vrai pour l'aval où les ajustements sont plus rapides. Nous tenons évidemment compte du recyclage, mais non des ressources marines parce que cela nous a paru prématuré.
Ces équilibres entre l'offre et la demande sont sensibles au rythme de démarrage des nouveaux marchés. Comment appréhender le moment où un nouveau marché démarre ? Prenons la transition énergétique, nous aurons peut-être alors grandement besoin de vanadium pour un stockage de masse de l'électricité. Autre exemple, le dysprosium, une des terres rares les plus stratégiques, qui entre dans la fabrication des aimants permanents indispensables pour le développement des éoliennes. Ces deux matériaux sont à surveiller de près, ainsi que le palladium et le platine. A contrario, l'offre est excédentaire pour le lithium et le restera demain. Nous avons effectué une étude sur dix métaux en 2012, elle est à la disposition des industriels.
Comment sécuriser l'approvisionnement des industriels ? La crise des terres rares, le tsunami au Japon et les inondations en Polynésie ont entraîné de fortes perturbations sur le marché des matières premières. Les acteurs industriels ont de plus en plus conscience des risques de dépendance, sans doute grâce au Comes. Cela dit, cette prise de conscience varie selon leur place dans la chaîne de valeurs : elle est plus élevée en amont, chez les mineurs et les transformateurs, qu'en aval.
Pour les acteurs aval, en revanche, le métal stratégique n'est que l'élément d'un alliage destiné à la fabrication d'un sous-composant : les préoccupations ne sont donc pas les mêmes. Reste que les perturbations dans la chaîne de l'approvisionnement ont poussé les industriels à se mobiliser et à participer au dialogue partenarial mis en place par l'État.
La crise des terres rares de 2011 a permis de mesurer les capacités de réaction industrielles, des stratégies de diversification de l'approvisionnement jusqu'à la constitution de stocks. Renault-Nissan a ainsi mis en place une stratégie volontariste de réduction des quantités de terres rares entrant dans ses composants. Un communiqué de presse de Nissan annonce que le moteur électrique de la Leaf utilise 40 % en moins de terres rares. Il en va de même pour les lampes basse consommation, où les terres rares sont remplacées par d'autres additifs. Autre exemple, le Japon, qui, en 2011, s'approvisionnait à 90 % en Chine, s'est tourné vers le Kazakhstan, l'Inde et le Canada, si bien que sa dépendance à la Chine est tombée, en 2013, à 50 %. Conséquence de tout cela, le marché de terres rares s'est retourné ; les prix, qui, au plus fort de la crise, avaient été multipliés par dix, se sont totalement dégonflés. Et les quotas restrictifs posés par la Chine pour 2012 sont restés très supérieurs à ce qui s'est réellement vendu ; ce fut, au regard de la stratégie agressive qui avait été la sienne en 2012, un véritable retour de bâton. Preuve que des contournements sont possibles, pour se protéger.
À quoi s'ajoute le peu de dynamisme de l'économie, qui a ses effets sur le front des matières premières. C'est, pour les pays dépendants, une opportunité à saisir : cela laisse le temps de se préparer à d'inévitables crises nouvelles. Il ne faut pas relâcher les efforts.
La France peut compter sur un tissu industriel d'importance et des organismes académiques et de recherche de premier plan, mondialement réputés. Tous ces acteurs doivent travailler à réduire les risques liés à l'approvisionnement. Ce qui exige la mise en place d'une démarche par filières, sous l'égide des pouvoirs publics, en lien avec les fédérations professionnelles. Tel est le sens de la création, en 2010, du Comes, et de son rapprochement en cours avec la Conférence nationale de l'industrie.
Les pouvoirs publics peuvent également apporter un appui ciblé. C'est ainsi qu'a été élaboré un outil d'auto-évaluation de la vulnérabilité des entreprises, en ligne sur le portail du ministère, qui vise à mieux sensibiliser les acteurs de terrain et doit jouer un rôle pédagogique auprès des PME. Dans le même ordre d'idées, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), publie, à la demande de sa tutelle, des panoramas sur les métaux rares, sources précieuses d'information sur leurs applications, les gisements existants, les filières industrielles concernées. Au-delà, lors du colloque sur les métaux stratégiques, le 16 octobre dernier, M. Arnaud Montebourg a appelé à la constitution d'un observatoire national de référence afin de mutualiser l'information sur l'approvisionnement en matières premières. Projet soutenu par les membres du Comes, qui ont rappelé la nécessité d'avoir accès à une information de qualité, à coûts mutualisés, via un portail public ou semi public, assurant également l'interface avec les initiatives européennes en ce sens.
Nous agissons aussi pour améliorer l'environnement général des entreprises. Ainsi en attestent l'évolution en cours du code minier, la protection face à la concurrence déloyale, le soutien à la recherche pour développer des compétences en géologie, en technique minière, en recyclage... Ainsi également des encouragements à mettre en place des filières de recyclage, à attirer des investisseurs étrangers, qui ont notamment débouché sur l'inauguration, en 2012, d'un projet industriel porté par Rhodia, à La Rochelle, pour le recyclage des terres rares contenus dans les ampoules basse consommation.
D'autres leviers peuvent venir du secteur privé ou du partenariat public-privé : stratégies d'achats groupés, comme l'Allemagne qui en a annoncé la mise en place ; constitution de stocks ; démarrage de nouvelles exploitations minières, prises de participation dans les entreprises minières, rapprochements client-fournisseur - bref, les stratégies classiques de sécurisation.
Les perspectives d'exploitation des ressources minérales profondes dépendent, pour conclure, du résultat des travaux de recherche actuels, destinés à mieux qualifier les ressources disponibles, à travailler sur les techniques d'exploration et d'exploitation industrielle et leur impact sur l'environnement. La rentabilité des exploitations à venir dépendra du prix du minerai sur le marché. Si les prix s'envolent, il faudra se poser la question de l'exploitation de mines terrestres aujourd'hui non exploitées faute de rentabilité, ainsi que de la recherche dans les profondeurs marines. Car il est une préoccupation stratégique première, celle de la souveraineté : si l'exploitation devait se trouver dans les mains de pays dont la politique n'est pas favorable aux intérêts de la France, il faudra diversifier, fût-ce en exploitant la ressource marine.
M. Éric Doligé
Les ressources minières, depuis le nickel jusqu'à l'or, ne manquent pas outre-mer. D'où l'intérêt de notre délégation pour le sujet. À mon sens, la France manque d'une stratégie, peut-être du fait d'une méconnaissance des ressources et des besoins. À quoi s'ajoute la question de l'environnement, qui reste une pierre d'achoppement, même si j'ai bien compris, au travers de vos propos, que la recherche minière relève aujourd'hui davantage du ministère de l'industrie que de celui de l'environnement.
Reste que lorsque l'on évoque la question de la recherche minière en Guyane, on a l'impression qu'il faudrait mettre ce territoire sous cloche. Pas trop de recherche sur l'or, pour ne pas polluer, nous dit-on. Même chose pour le nickel : on s'est posé tant de questions que ce sont finalement les Canadiens qui ont mis la main dessus en Nouvelle-Calédonie. Quant au BRGM, il a laissé filer et ses mines, et sa recherche...
Avez-vous le sentiment que les choses évoluent, car nous souffrons de blocages qui nous sont un handicap au regard de nos concurrents ?
M. Marc Rohfritsch
Vous posez la question de l'acceptabilité sociétale de la recherche minière. Je ne sais si les politiques s'infléchissent, mais je puis vous dire que le ministre du redressement productif est très volontariste. Il a, à plusieurs reprises, déclaré que s'il souhaitait que les ressources soient exploitées dans le respect indispensable des conditions de sécurité et de l'environnement, il ne voulait pas de moratoire, car la souveraineté de notre puissance industrielle est en jeu. Il a évoqué un démonstrateur de la mine propre, qui pourrait être de nature à changer le regard sur l'exploitation minière. Si l'activité minière n'a pas bonne presse, c'est aussi parce que le lien n'est pas suffisamment fait avec les produits d'usage courant qui en sont issus. On en reste au syndrome du Nimby, « Not in my backyard », qui n'est, au reste, pas spécifiquement français. Si bien que sur les gaz de schiste, la proposition Gallois, qui allait à maintenir la possibilité de quelques forages pour estimer les gisements et rechercher des techniques alternatives à la fracturation hydraulique n'a pas été retenue.
M. Éric Doligé
Cela se fera ailleurs...
M. Marc Rohfritsch
Sans doute, et si une technique plus acceptable voit le jour, nous avancerons. L'Allemagne a le même problème, mais elle a, en revanche, su relancer la mine, avec le soutien des pouvoirs publics et lancer ainsi la première phase de mise en production de petites mines pour la production de métaux. Preuve que les difficultés auxquelles se heurte la France ne sont pas insurmontables.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur
N'y a-t-il pas conflit entre la logique productiviste du ministère du redressement productif et la logique de protection environnementale du ministère de l'environnement ? Vous avez évoqué la sécurisation de l'approvisionnement, qui peut passer par la diversification des partenariats, mais quelle doit être notre attitude à l'égard des pays qui ne respectent pas les normes environnementales et sociales ou qui font travailler les enfants dans les mines ? Existe-t-il des préconisations ?
M. Marc Rohfritsch
La révision du code minier doit permettre de mener des activités d'exploitation dans le respect des conditions établies par la loi. C'est tout l'enjeu des discussions en cours que de réconcilier des objectifs qui peuvent paraître contradictoires, mais doivent pouvoir se concilier. Il est vrai cependant que l'organisation de l'administration centrale n'est peut-être pas optimale : les services en charge de l'industrie extractive et de la recherche de matières premières sont restés au ministère de l'environnement, où les avait placés la création du grand ministère Borloo, qui avait pris dans son giron énergie et matières premières. Avec l'alternance, l'énergie est revenue à l'Industrie, mais les matières premières non énergétiques sont restées à l'Environnement. C'est ainsi. C'est donc la direction de l'eau et de la biodiversité qui est chargée de faire la balance entre préoccupations environnementales et industrielles.
Oui, nous préconisons des partenariats avec d'autres pays pour assurer la sécurité des approvisionnements. Nous avons ainsi concrétisé un accord avec le Kazakhstan sur la filière titane. Une filiale d'Eramet, qui fabrique des pièces en titane pour Airbus, connaissait des problèmes d'approvisionnement, si bien que pour y remédier, un joint-venture a été créé avec un partenaire Kazakh. Des discussions avec le Canada, l'Australie sont également en cours et une stratégie européenne commence à se dessiner, puisque la Commission européenne signe des accords avec de nombreux partenaires - le Maroc et la Tunisie récemment.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur
Existe-t-il des partenariats européens pour la prospection ?
M. Marc Rohfritsch
Je ne suis pas le mieux placé pour répondre mais ils sont, à ma connaissance, assez rares. Je puis signaler la création, en Allemagne, d'une structure qui rassemble des entreprises utilisatrices de métaux rares dans la chimie, la sidérurgie ou l'automobile, comme BASF, Thyssen Krupp ou BMW, pour des appels à partenariats, sachant que l'Allemagne n'a pas d'opérateurs miniers. Eramet pourrait parfois être en situation de répondre à ce type de demandes.
M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur
Il me reste à vous remercier de votre intervention, qui nous donne matière à poursuivre nos travaux.