Rapport n° 430 (2013-2014) de MM. Jean-Étienne ANTOINETTE , Joël GUERRIAU et Richard TUHEIAVA , fait au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, déposé le 9 avril 2014

Disponible au format PDF (30 Moctets)


N° 430

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 avril 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer (1) , sur :
Zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité ,

Par MM. Jean-Étienne ANTOINETTE, Joël GUERRIAU et Richard TUHEIAVA,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Larcher, président ; MM.  Éric Doligé, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Jean-Claude Requier, Mme Catherine Tasca, MM. Richard Tuheiava, Paul Vergès et Michel Vergoz, vice-présidents ; Mme Aline Archimbaud et M. Robert Laufoaulu, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean-Étienne Antoinette, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Berthou, Jean Bizet, Jean-Marie Bockel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Christian Cointat, Jacques Cornano, Félix Desplan, Mme Jacqueline Farreyrol, MM. Gaston Flosse, Jacques Gillot, Mme Odette Herviaux, Jean-Jacques Hyest, Jacky Le Menn, Jeanny Lorgeoux, Roland du Luart, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Néri, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Charles Revet, Gilbert Roger, Abdourahamane Soilihi et Hilarion Vendegou.

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Consciente de l'importance et de la diversité des potentiels de croissance durable portés par les espaces maritimes de la France et de ses outre-mer à l'heure où il apparaît urgent d'ouvrir de nouvelles perspectives aux économies ultramarines et nationale, votre délégation sénatoriale a souhaité inventorier ces potentiels et analyser les opportunités qu'ils offrent pour relever les défis du 21 è siècle, tels que l'explosion démographique et l'impératif alimentaire, la transition énergétique, la recherche médicale ou encore la prévisible pénurie de ressources minérales pour les industries de pointe.

Alors qu'une prise de conscience des enjeux liés à ces potentiels conduit un certain nombre de pays à se positionner activement dans la course aux ressources marines , la France , qui dispose grâce à ses outre-mer de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) la plus vaste au monde derrière les États-Unis avec près de 11 millions de km 2 , se réfugie dans les discours incantatoires et laisse s'étioler le capital de connaissance qu'elle avait engrangé. Au moment précis où la compétition entre les États s'exacerbe, où l'Europe commence à prendre des initiatives et où un embryon de gouvernance mondiale se met en place au sein d'instances onusiennes, la France, qui fut longtemps pionnière, ne doit pas décrocher .

L'exercice de la souveraineté sur de vastes étendues et la compétition internationale ont certes un coût difficile à assumer en période de crise mais il s'agit là d' un investissement d'avenir, une opportunité historique de croissance et de rayonnement . La France, et ses outre-mer en première ligne, doivent se saisir de cette chance et miser sur l'économie bleue . Afin d'ériger la mise en valeur des ZEE en priorité stratégique, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer formule dix recommandations classées selon trois axes : mettre en place une gouvernance nationale cohérente et offensive ; fédérer les énergies de l'ensemble des acteurs pour le plus grand bénéfice des territoires ; promouvoir aux échelons local, national, européen et mondial un cadre normatif favorable à une économie bleue attractive et durable.

I. UNE GOUVERNANCE DYNAMIQUE POUR UNE MISE EN VALEUR DES ZEE ÉRIGÉE EN STRATÉGIE NATIONALE :

Recommandation n° 1 : Instituer auprès du Premier ministre un ministre délégué à la mer, autorité d'impulsion et de coordination de la politique de mise en valeur des ZEE et, au-delà, de l'ensemble de l'action maritime de l'État.

Objet : Les questions relatives aux ZEE sont aujourd'hui traitées de façon parcellaire et éclatée par les administrations de très nombreux ministères (transports et mer, affaires étrangères, défense, agriculture...) et divers organismes de recherche publique (Ifremer, IRD, Institut Paul-Émile Victor, INRA...). La coordination actuelle de ces acteurs est minimale : le CIMER ne se réunit que tous les deux ou trois ans et le SGMer, placé auprès du Premier ministre, est une instance de coordination administrative mais non d'impulsion politique. La proposition permet d'instaurer une instance politique interministérielle bien identifiée, permanente et dotée d'une capacité d'initiative nécessaire au pilotage d'une véritable stratégie nationale.

Recommandation n° 2 : Créer, auprès du ministre délégué à la mer, un comité national de suivi de la mise en oeuvre des mesures relatives aux ZEE annoncées par le Premier ministre le 3 décembre 2013, associant l'ensemble des partenaires concernés.

Objet : Cette recommandation tend à garantir une entrée en vigueur effective, dans un délai raisonnable, des mesures annoncées le 3 décembre 2013 par le Premier ministre. Le comité national de suivi devra avoir une composition élargie associant l'ensemble des partenaires des sphères publique et privée, et en particulier des représentants des collectivités ultramarines.

Recommandation n° 3 : Inclure dans le plan national d'accès aux ressources marines annoncé le renforcement des moyens de la recherche sur les ressources minérales dans la ZEE française, ainsi que dans la zone internationale pour les permis attribués à la France.

Objet : Cette recommandation vise à rappeler l'importance de la recherche comme préalable à toute valorisation des ressources minérales profondes. Il s'agit de donner à la recherche sur ce sujet des moyens dignes de nos ambitions et de relancer les opérations engagées, notamment à Wallis-et-Futuna et en Polynésie . De même, la France doit honorer l'intégralité de ses engagements dans le cadre des permis accordés par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) afin d'y jouer le rôle moteur auquel elle peut prétendre. Cela appelle un renforcement des capacités de l'Ifremer en matière de recherches sur les minéraux.

II. FÉDÉRER LES ÉNERGIES NÉCESSAIRES À LA VALORISATION DES ZEE ET À LEUR CONTRIBUTION AU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES :

Recommandation n° 4 : Dans chaque territoire ultramarin, favoriser la mise en place d'un outil de coordination des actions mises en oeuvre localement. Dans les territoires ne disposant pas d'une compétence statutaire propre, cet outil pourra s'incarner dans un comité territorial de la ZEE animé par la collectivité en charge du développement économique.

Objet : La coordination des actions entreprises pour valoriser les potentiels des ZEE doit être organisée non seulement au niveau central mais également au niveau local, les projets et les enjeux étant différents d'une collectivité à l'autre. En outre, une politique régionale de valorisation nécessite de fédérer les initiatives et les énergies qui, bien souvent aujourd'hui, se déploient en ordre dispersé. Quelles que soient les dispositions statutaires applicables en matière de répartition des compétences, la conduite de cette politique revient naturellement à l'autorité locale en charge du développement économique.

Recommandation n° 5 : Associer étroitement les collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines.

Objet : La politique de développement des territoires doit tirer pleinement parti des potentiels des ZEE et contribuer à leur meilleure insertion régionale : les discussions menées par l'État avec les pays voisins ayant des incidences économiques (délimitation de la ZEE, accords de pêche...) doivent systématiquement associer les collectivités ultramarines concernées.

Recommandation n° 6 : Aménager un cadre normatif et financier attractif pour des partenaires privés disposant de l'expertise technique et susceptibles de contribuer à l'exploration et à l'exploitation des ressources des ZEE.

Objet : Les projets d'exploration et d'exploitation des ressources marines, notamment minérales, s'inscrivent dans un calendrier de long terme et correspondent à des investissements lourds aux résultats parfois aléatoires. Attirer des partenaires industriels suppose donc de leur offrir un cadre suffisamment attractif, à la fois en termes de co-financement et de régime juridique applicable. À défaut, dans un contexte de compétition internationale de plus en plus vive, le risque existe que les quelques partenaires en capacité de mener de tels projets ne préfèrent se tourner vers des zones maritimes proches mais situées à l'extérieur de la juridiction française.

Recommandation n° 7 : Promouvoir la structuration des activités marines en filières intégrées, de la recherche jusqu'aux activités marchandes, en prenant en compte l'objectif de valorisation des ZEE ultramarines.

Objet : La valorisation de la ZEE appelle un engagement de l'ensemble des acteurs -  de la recherche à la distribution commerciale en passant par la production - au sein de filières structurées selon des modalités propres aux différents domaines : ressources minérales, énergies renouvelables, valorisation des algues, pêche... Les deux pôles de compétitivité maritimes à vocation mondiale (le pôle de Brest et le pôle Méditerranée) devraient y prendre une part active, alors qu'ils sont pour l'heure très peu investis dans les projets relatifs aux ZEE ultramarines.

III. PROMOUVOIR AUX ÉCHELONS NATIONAL, EUROPÉEN ET MONDIAL UN CADRE NORMATIF FAVORABLE À UNE ÉCONOMIE BLEUE DURABLE :

Recommandation n° 8 : Au niveau national, inscrire dans le futur code minier le cadre normatif nécessaire à la gestion durable et à la valorisation des ressources des ZEE.

Objet : L'exploration et l'exploitation des ressources offshore outre-mer présentent de fortes spécificités : compétence de délivrance des permis détenue par les collectivités, y compris dans les DROM ; fragilité particulière du milieu sous-marin nécessitant une approche environnementale spécifique ; présence de ressources nouvelles dont l'extraction fait appel à des procédés inédits. Or, selon les informations recueillies par la délégation, le projet de nouveau code minier ne prendrait en compte ni les particularités de l'outre-mer, ni celles des activités offshore .

Recommandation n° 9 : Au niveau européen, la France doit promouvoir et dynamiser le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE.

Objet : L'Union européenne a déjà identifié un certain nombre d'enjeux stratégiques (rapport sur la croissance bleue ; communications récentes sur les métaux stratégiques) liés aux espaces maritimes. La France doit l'inciter à en tirer les conséquences et à ouvrir les yeux sur les atouts que les ZEE ultramarines représentent, même lorsqu'il ne s'agit pas strictement de zones intégrées à l'Union européenne (ex : Polynésie française).

Recommandation n° 10 : Au niveau international, la France doit jouer un rôle moteur dans la mise en place d'une gouvernance internationale encore balbutiante.

Objet : Parmi les États signataires de la convention de Montego Bay, la France dispose de la plus vaste ZEE et d'une expertise traditionnellement reconnue. Elle doit valoriser ce capital au service d'une gouvernance internationale de la gestion des ressources marines qui peine à se mettre en place dix ans après l'entrée en vigueur de la convention.

INTRODUCTION

Le 21 e siècle qui commence hérite d'une révolution silencieuse intervenue à la fin du siècle précédent dans la délimitation des espaces maritimes de la planète.

En quelques décennies, l'emprise des États côtiers est en effet passée de 3 milles marins (la portée de canon) aux 200 milles 1 ( * ) de la zone économique exclusive (ZEE), voire à 350 milles pour ce qui est de leur droit exclusif à exploiter certaines ressources 2 ( * ) ! Alors que cette territorialisation de la mer 3 ( * ) est longtemps restée l'affaire des chercheurs et des spécialistes du droit maritime, la convention de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur en 1994, constitue bien un bouleversement majeur qui redistribue les cartes de l'accès à de gigantesques potentiels pour les États côtiers conscients de cette chance et prêts à s'en saisir.

Grâce à ses outre-mer, la France est l'un des pays, sinon le pays le plus concerné par cette révolution du partage des océans. Sa ZEE est en effet la deuxième par son étendue derrière celle des États-Unis 4 ( * ) et, de loin, la plus diversifiée. Occupant les deux hémisphères et tous les azimuts, la ZEE française est la seule sur laquelle le soleil ne se couche jamais.

Ni encore véritablement connu, ni exploité, le potentiel des océans est une des réponses aux enjeux cruciaux auxquels l'humanité va être confrontée. Alors que le nombre des habitants de la planète bleue devrait avoisiner les 10 milliards en 2050 5 ( * ) , les ZEE sont des réservoirs d'alimentation, notamment par la pêche, mais aussi pleines de promesses pour la santé et la recherche médicale. C'est en mer que l'on espère trouver une partie des protéines alimentaires ou encore des molécules qui permettront par exemple de lutter contre le cancer ou la maladie d'Alzheimer. Les espoirs des chercheurs en la matière sont considérables.

Le défi énergétique ne sera pas non plus relevé sans la mer qui est elle-même source d'énergies renouvelables - éoliennes offshore, énergie thermique, biocarburants à base d'algues, énergie des courants, des marées ou de la houle - tandis que ses fonds ouvrent l'accès à de nouvelles ressources énergétiques fossiles et à des métaux stratégiques dont la pénurie est annoncée. À observer la façon dont la course à l'accès aux profondeurs s'est accélérée, nul doute que la prospection, l'exploration, l'exploitation ainsi que la protection des fonds marins font des ZEE un terrain privilégié pour la recherche et le développement des technologies de pointe, à l'image de la conquête spatiale et de ses retombées.

Les ZEE confortent les grands États maritimes dans leurs positions sur les principaux axes de communication et dans la maîtrise des routes commerciales. Leur souveraineté, et leur rôle dans l'application du droit international, la gouvernance des océans et la préservation de l'environnement et de la biodiversité s'en trouvent aussi directement renforcés 6 ( * ) . Les ZEE donnent l'opportunité de définir de nouveaux modèles de gouvernance et de développement économique durables qui, dans le cas de la France, s'appuieront nécessairement sur le développement des collectivités ultramarines.

L'espoir s'est longtemps cantonné aux fameux nodules polymétalliques découverts à la fin des années 60 qui avaient suscité un formidable engouement. Mais faute de se concrétiser, cet espoir s'est commué en un certain scepticisme. Or, les fameux nodules ne représentent qu'une partie du potentiel minéral des océans et, surtout, le cadre international assurant des droits souverains et donc des retours d'investissement sur l'exploitation des ressources est entré en application il y a seulement vingt ans.

Entre-temps, l'envolée des cours des matières premières ainsi que la nécessité de diversifier les approvisionnements ont ouvert la voie à une course aux nouveaux gisements, à terre comme en mer. Le coût d'extraction des minéraux des fonds marins est encore de 4 à 5 fois supérieur celui des minéraux du sous-sol terrestre 7 ( * ) , mais l'écart est appelé à se réduire sous le double effet de l'épuisement des ressources et des progrès extrêmement rapides des technologies. Parallèlement, les outre-mer ont connu une diversification statutaire notoire allant de pair avec une aspiration à des chemins de développement misant davantage sur leurs atouts spécifiques. Si l'on y ajoute l'accélération des recherches et des évolutions technologiques ainsi que l'intensification de la compétition entre les États, force est de constater qu'en une décennie la donne a complètement changé.

Il est grand temps pour la France, ses outre-mer et l'Europe de s'engager à la hauteur des enjeux. Les annonces fortes faites par le Gouvernement en décembre 2013 8 ( * ) confirment la prise de conscience constatée ces dernières années ; mais pour leur concrétisation, l'heure est venue de passer du discours aux actes et une mobilisation de l'ensemble des acteurs est plus que jamais urgente.

I. LES ZEE ULTRAMARINES OFFRENT À LA FRANCE, À SES OUTRE-MER ET À L'EUROPE DES GISEMENTS D'OPPORTUNITÉS POUR AUJOURD'HUI ET POUR DEMAIN

Les ZEE sont traditionnellement synonymes d'accès aux ressources minières et énergétiques sous-marines tant il est vrai que la chance qu'elles représentent pour la croissance et le développement économique est indéniable, en particulier pour les territoires ultramarins.

Mais dans ces espaces se jouent aussi la réaffirmation de la place de l'outre-mer français ainsi que l'influence de la France et de l'Europe dans la gouvernance du monde du XXI e siècle.

A. LES ZEE ULTRAMARINES, VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT POUR L'OUTRE-MER ET ATOUT STRATÉGIQUE À L'HEURE DE LA MONDIALISATION

97 % de la ZEE française étant liée à l'outre-mer 9 ( * ) , celui-ci est le premier concerné par la valorisation de cet immense territoire maritime. L'enjeu géopolitique et économique et aussi considérable aux plans national comme européen. Les ZEE présentent ainsi des opportunités majeures pour les outre-mer, la France et l'Europe dans un siècle mondialisé.

1. Les ZEE, une chance considérable pour les outre-mer, la France mais aussi l'Europe

L'idée est aujourd'hui largement acquise que les 11 millions de km² de zones économiques exclusives et leurs ressources potentielles constituent une chance pour la France et pour l'Europe dans la compétition économique et sur la scène internationale. Elle l'est aussi, en tout premier lieu, pour les territoires ultramarins dont l'avenir est le plus directement lié à celui des ZEE.

a) Un tremplin vers un nouveau modèle de développement des outre-mer
(1) Une réponse aux besoins et aux aspirations locales

Les ZEE ultramarines représentent des opportunités sans égale pour les territoires qu'elles bordent . Cela est vrai pour l'ensemble des collectivités insulaires des trois océans comme pour la Guyane qui accueille depuis 2012 des opérations d'exploration pétrolière offshore .

Les eaux et les fonds marins recèlent des ressources extrêmement variées qui, au-delà de la richesse économique potentielle qu'elles représentent, peuvent répondre directement à certains besoins des territoires concernés. Alors que l'approvisionnement énergétique des territoires ultramarins, non connectés aux grands réseaux continentaux, dépend très largement des importations de pétrole, la ZEE représente un réservoir considérable d'énergies marines renouvelables et même, une source de biocarburants grâce aux micros algues marines.

La ZEE offre des perspectives de développement au secteur de la pêche et de l' aquaculture alors que les Antilles importent aujourd'hui environ un tiers de leur consommation de poissons. De même, dans des économies traditionnellement centrées sur l'agriculture, l'artisanat et les services, elle permet d'envisager la création de filières industrielles .

Le potentiel économique des ZEE peut aussi contribuer à répondre à un fort besoin de développement reflété, dans tous les territoires, par un revenu moyen et un taux d'emploi sensiblement inférieurs à la moyenne nationale. En outre, le dynamisme de la démographie dans certaines collectivités telles que la Guyane et Mayotte et la situation d'ensemble de la jeunesse commandent d'exploiter ces gisements virtuels d'activité et d'ouvrir des perspectives d'avenir.

(2) De nouvelles voies à tracer

La situation préoccupante des outre-mer confirme la nécessité d'un développement à même d'irriguer de larges segments de l'économie pour un meilleur taux d'emploi de la population. Le temps n'est plus en effet où l'exploitation de certains intérêts ou de certaines ressources stratégiques aboutissait à l'implantation de poches de compétitivité limitées à un secteur économique ou une zone géographique déterminée, parfois à l'origine d'une économie de rente et, dans tous les cas, échappant à la maîtrise de la société et des acteurs locaux tout en étouffant les ressorts du développement local. Il est temps pour l'outre-mer de se dégager du poids du passé en sortant de ce cercle vicieux créé par une relation exclusive et asymétrique avec l'hexagone. En Guyane, la comparaison entre l'installation du centre spatial européen à Kourou après la perte du site de lancement du Sahara algérien en 1962 et la conduite actuelle du projet d'exploration pétrolière en concertation étroite avec l'ensemble des parties prenantes et des élus particulièrement vigilants atteste du changement d'époque. La préoccupation des retombées locales constitue un élément à part entière du second projet. Les ZEE offrent une chance inégalée d'accélérer cette évolution.

Le nouveau modèle accompagnera nécessairement l'aspiration qui, parallèlement aux évolutions statutaires, s'exprime en faveur d'un développement plus autonome, fondé sur les atouts spécifiques de chaque territoire . À l'image des ressources de la mer et de son sous-sol , les activités liées à la ZEE sont extrêmement diverses et, pour la plupart, innovantes comme en témoigne le nombre d'initiatives et de projets actuellement encore en phase d'expérimentation 10 ( * ) . Le pilotage de leurs développements ne pourra donc être centralisé et suppose au contraire une interaction entre l'ensemble des parties prenantes.

Des très grands groupes nationaux (par exemple très présents dans le secteur de l'énergie) aux très petites entreprises artisanales qui dominent la plupart des secteurs, à l'instar de la pêche, l'un des enjeux sera de faire émerger un tissu de PME structuré en véritables filières économiques.

Le développement lié aux ZEE devra aussi répondre aux exigences de plus en plus fortes de la société en matière environnementale. Les nouvelles activités tirent leur substance de la mer, milieu particulièrement généreux en termes de biodiversité mais aussi éminemment fragile pour les mêmes raisons. Entre l'exploitation de la nature au mépris de l'environnement ou de la santé et la « mise sous cloche » des outre-mer, un chemin doit être trouvé . La capacité à définir une croissance durable et raisonnée constitue d'ailleurs un élément essentiel de l'exemplarité qui doit être celle de la deuxième ZEE mondiale au moment où les perspectives prometteuse de l'or bleu pour le XXI e siècle attisent partout les convoitises et une course effrénée aux richesses qui n'est pas sans risque pour la planète.

Face à l'importance des enjeux, les ultramarins sont donc appelés à penser leur avenir dans un territoire dont l'horizon s'est désormais élargi bien au-delà des côtes. Pour certains, l'atout des ZEE invite à porter un nouveau regard sur la mer, traditionnellement synonyme de dangers ou témoin d'une histoire complexe voire douloureuse. Ils sont appelés à imaginer et à promouvoir de nouvelles approches résolument tournées vers l'avenir, de même que le regard porté par l'hexagone et l'Europe doit lui aussi évoluer.

b) Une chance pour la France dans son ensemble
(1) Un nouveau regard sur l'outre-mer

Les outre-mer constituent l'une des spécificités les plus marquantes de notre pays pour qui observe le globe ou parcourt le monde. La France des quatre océans constitue en soi une réalité humaine, sociale et culturelle sans équivalent de 2 700 000 personnes lorsque l'Angleterre, hier maîtresse des mers, n'a conservé dans son giron que quelques chapelets d'îles dont une seule (les Bermudes) excède les 60 000 habitants 11 ( * ) .

Force est pourtant de constater que l'ensemble des Français n'est pas toujours conscient de cette chance à l'heure de la mondialisation. Selon certains observateurs, l'outre-mer français serait même un « empire oublié » 12 ( * ) , « d'une négation inconsciente (...) ou d'une réduction de notre horizon aux limites de l'hexagone » 13 ( * ) . Ces territoires sont souvent mal connus et réduits à des clichés tandis que le nouveau contexte créé par l'émergence des ZEE accroît encore le fossé entre ces représentations et la réalité. Ces clichés, tournés vers le passé, tendent à confiner les outre-mer dans une relation exclusive avec l'hexagone et à pérenniser des déséquilibres qui contribuent à isoler ces territoires de leur voisinage régional. Leurs économies en portent les stigmates.

Ainsi, l'écho de l'expression « confettis de l'Empire » résonne encore parfois, désignant les outre-mer comme dépourvus de consistance ou ne disposant pas de la taille critique pour jouer un rôle autonome.

Or, tout indique que c'est dans les eaux qui bordent les territoires ultramarins que se trouvent bon nombre de réponses aux enjeux du présent et du futur. En outre, les presque 11 millions de km 2 de ZEE représentent 15 fois la totalité des espaces terrestres français de l'hexagone et d`outre-mer 14 ( * ) !

Ce poids conforte incontestablement la position de la France au coeur des configurations stratégiques des différentes régions du globe : le Pacifique, la Caraïbe, l'océan Indien ou encore l'Antarctique 15 ( * ) . Voyant l'étendue de ses intérêts reconnus par la communauté internationale, la France a les attributs d'un grand pays riverain :

- tant dans la Caraïbe au moment où les États-Unis amorcent un basculement de leurs priorités vers le Pacifique 16 ( * ) et l'Asie ;

- que dans l'océan Pacifique , nouveau centre de gravité de l'économie mondiale ;

- et dans l'océan Indien , proche de la grande route maritime du canal du Mozambique où la présence française est à la fois un élément de stabilité 17 ( * ) et objet de convoitise 18 ( * ) .

L'importance de notre ZEE invite à porter sur les outre-mer un nouveau regard. D'autant que, parallèlement, la globalisation économique s'accompagne d'une maritimisation du monde.

(2) Les ZEE ultramarines au coeur des enjeux de la maritimisation du monde

Comme le soulignaient nos collègues MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard 19 ( * ) , « on assiste aujourd'hui avec la mondialisation et la raréfaction des ressources terrestres à une transformation de la géopolitique des océans ». La mer est au coeur de la mondialisation . C'est au travers des océans que se constituent les grands axes de circulation des richesses - 90 % des marchandises sont transportées par bateaux - et des communications - sans les réseaux de câbles et fibres optiques qui tapissent le fond des mers, le coût des communications internationales serait prohibitif et l'internet n'existerait pas.

Quant à l'intérêt pour les ressources des océans et des fonds marins, il ne cesse de se renforcer, lorsque l'on sait que 70 % de la population mondiale vit désormais à moins de 500 kilomètres de la mer. La capacité pour les États de peser et d'intervenir sur ce qui se joue en mer, d'en saisir les opportunités et d'en déjouer les menaces devient un élément déterminant de leur sécurité et de leur prospérité sur la scène mondiale.

C'est dans ce contexte qu'apparaissent des enjeux géopolitiques nouveaux. Le plus spectaculaire concerne sans doute l'Arctique où le réchauffement climatique fait espérer l'ouverture de nouvelles routes commerciales entre le Pacifique et l'Atlantique tandis que la zone recèlerait 30 % des réserves mondiales en hydrocarbures ainsi que d'importantes ressources minières (or, diamants, uranium, zinc et plomb) et halieutiques . Aussi, les États riverains commencent-ils à se positionner d'ores et déjà pour asseoir la légitimité de leur contrôle sur les abords des nouvelles routes. Le Canada rappelle que sa souveraineté dans l'Arctique est indivisible, alors que les États-Unis et l'Union européenne estiment que le passage du nord-ouest fait partie des eaux internationales communes, comme ils l'ont rappelé au sommet de Montevideo en 2007. Quant à la route du nord, qui fait déjà l'objet d'une exploitation commerciale par des entreprises allemandes et russes, elle est également l'objet de discussions similaires, la Russie estimant que les passages sont des parties intégrantes de ses eaux territoriales.

Plus proche des ZEE françaises, c'est dans le même contexte que s'inscrit le regain de tensions autour des Îles Éparses françaises dans l'océan Indien ou entre notre pays et le Canada à propos de l'extension du plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon , ces deux régions étant estimées riches en réserves pétrolières.

Ces enjeux ne peuvent être indifférents à l'Europe, première puissance commerciale mondiale, elle-même présente sur tous les océans à travers les outre-mer de ses États-membres, et en premier lieu la France.

c) Une chance pour l'Europe dont la France doit faire la promotion
(1) Les outre-mer français : l'incarnation d'une présence européenne planétaire

La France n'est pas le seul pays de l'Union européenne à disposer de territoires ultramarins. Ces derniers sont en effet au nombre de 28 dépendant de six États membres et répartis en deux statuts : 8 régions ultrapériphériques (RUP) 20 ( * ) , partie intégrante du territoire de l'Union européenne et 20 pays et territoires d'outre-mer (PTOM), entités non indépendantes rattachées à un État membre 21 ( * ) .

Néanmoins, par leurs caractéristiques spécifiques, les outre-mer français apportent à l'Europe une chance d'ouverture inégalée sur le monde . Les Antilles et la Guyane 22 ( * ) , projettent véritablement d'Europe en Amérique tandis que les Canaries (espagnoles), Madère et les Açores (portugaises) sont géographiquement beaucoup plus proches du Vieux continent dont elles apparaissent comme le prolongement. Quant aux quelques territoires anglais et néerlandais de la Caraïbe, ils sont beaucoup plus disséminés 23 ( * ) , deux fois moins peuplés et beaucoup moins liés à leurs « métropoles » européennes que ne le sont nos départements d'outre-mer. L'une des spécificités de l'outre-mer français dans sa diversité - y compris des trajectoires statutaires - est en effet de conserver un lien particulièrement fort avec l'hexagone.

Quant aux territoires français de l'océan Indien et du Pacifique, ils assurent à l'Europe une présence dans des régions « éloignées de son océan naturel », dont elle serait sinon absente 24 ( * ) . Certes, l'outre-mer français du Pacifique, qui représente 80 % de notre ZEE, est constitué de PTOM qui ne font pas juridiquement partie de l'Union européenne. Toutefois, il n'en assure pas moins une forme de présence de l'Europe dans une région de plus en plus stratégique.

Certes, comme le notait le rapport de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, « l'étendue de la ZEE (...) n'est pas un facteur d'ambition politique mais seulement un moyen qui peut être mis au service de cette dernière » 25 ( * ) . Ainsi, l'outre-mer français constitue un atout à la disposition d'une Europe qui souhaiterait promouvoir, au nord comme au sud, un modèle fondé sur l'économie de la connaissance (recherche, technologies de pointe) et le développement durable (préservation de la biodiversité, utilisation des nouvelles formes d'énergie), principaux objectifs fixés il n'y a pas encore si longtemps à L'Europe par la stratégie de Lisbonne.

(2) Vers une meilleure prise de conscience au niveau européen

Au-delà du rayonnement d'un modèle ou d'un message, l'Union européenne a aussi des intérêts à défendre. Certes, il n'existe pas de « ZEE de l'Union européenne » à proprement parler puisque les droits exclusifs ne sont reconnus qu'aux États côtiers, à la différence d'un seul domaine de compétence partagé, celui de la pêche 26 ( * ) .

La première puissance commerciale de la planète ne peut cependant être indifférente à la nouvelle géographie des océans produite par le droit international et par la mondialisation économique. À l'inverse, elle peut trouver dans les ZEE des réponses à des difficultés déjà prévisibles, comme les pénuries aujourd'hui annoncées de métaux stratégiques. Comment ne pas rapprocher les résultats du rapport du centre commun de recherche européen (dépendant de la Commission) rendu le 4 novembre 2013 27 ( * ) et pointant un « risque critique » de déficit pour huit métaux indispensables, dont en premier lieu le dysprosium 28 ( * ) , et l'étude japonaise de 2011 indiquant que ce métal se trouverait en abondance dans des gisements économiquement exploitables situés dans la ZEE polynésienne 29 ( * ) ?

La prise de conscience par Bruxelles du rôle des ZEE devrait aussi profiter aux territoires ultramarins dès lors qu'ils seront reconnus comme les points d'ancrage naturels de toute stratégie d'accès aux nouvelles opportunités. Accompagner les territoires ultramarins dans ce rôle suppose un renforcement du lien qu'ils entretiennent avec leur ZEE. Or, pour l'heure, la vision européenne semble davantage dominée par un souci d'ouverture au libre-échange et à la coopération avec l'ensemble des pays du sud que par celle d'affirmer la présence des territoires spécifiques de l'outre-mer européen dans les différentes régions du globe.

Ainsi en est-il par exemple de la politique commune de la pêche (PCP) comme le relevait un rapport de 2012 de la commission des affaires économiques 30 ( * ) . Non seulement la PCP applique de façon généralisée une politique de limitation de la production 31 ( * ) peu adaptée à l'outre-mer qui l'empêche de saisir les opportunités de développement 32 ( * ) , mais la politique européenne favorise directement ses concurrents.

D'une part, dans le cadre du volet externe de la PCP , l'Union européenne conclut des accords de partenariat en matière de pêche (APP) avec des pays d'Afrique et du Pacifique voisins de nos RUP ou PTOM. En mai 2012, l'UE a ainsi conclu avec Madagascar un APP prévoyant, outre le versement de 975 000 € par an au titre du droit d'accès des navires de l'UE aux zones de pêche malgaches, l'attribution de 550 000 € par an de subventions au développement alors qu'elle proscrit toute aide publique à la construction de navires à La Réunion et à Mayotte. Certes, le Conseil des ministres de l'Union européenne a perçu cette incohérence entre les volets interne et externe de la PCP 33 ( * ) , mais les contradictions demeurent.

D'autre part, les accords de partenariat économique (APE) conclus avec les pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP) posent des problèmes du même ordre puisque ces pays bénéficient de coûts de production très inférieurs et ne sont pas soumis aux normes européennes alors même que, par exemple à La Réunion, « les contraintes nationales ou communautaires surenchérissent de quatre à cinq fois les coûts de production et de commercialisation des entreprises réunionnaises par rapport à leurs concurrents des États tiers » 34 ( * ) . Ces accords menacent également la pêche des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) français. En effet si les collectivités ultramarines du Pacifique ne sont pas territoires de l'Union européenne et ne relèvent donc pas de la PCP, elles sont cependant incluses dans le marché communautaire en tant que partie intégrante du territoire national. Leur pêche subit donc la concurrence des pays voisins qui ont conclu des APE avec l'UE. Malgré leur potentiel halieutique exceptionnel, ces collectivités approvisionnent ainsi faiblement le marché européen (seulement 1 000 tonnes par an), alors que, grâce aux APE qu'ils ont conclu, Fidji et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, exportent près de 400 000 tonnes par an vers l'Europe.

En 2012, notre collègue Serge Larcher relevait aussi que l'accord envisagé entre l'UE et le Canada pourrait avoir des effets très négatifs sur le secteur de la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon. L'entente de principe annoncée le 18 octobre 2013 par le Premier ministre Stephen Harper et le Président José Manuel Barroso en vue de l'Accord économique et commercial global (AECG) ne fait que confirmer ces inquiétudes.

La nécessité pour l'Europe de prendre mieux en compte les différences entre les PTOM et les pays tiers ne se limite bien entendu pas au domaine de la pêche. Par exemple, si l'exploitation et l'exploration des ressources des fonds marins de la ZEE entourant la Polynésie français relèvent de la compétence de cette collectivité et non du code minier national, ces ressources ne sont toutefois pas sans lien avec les intérêts européens. En effet, la surveillance et la sécurisation de la zone relèvent aujourd'hui de la marine nationale et l'expertise nécessaire aux demandes d'extension du plateau continental polynésien relève de la compétence du Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) tandis que l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), acteur naturel sur ce territoire en matière d'exploration des ressources, est lui aussi un établissement public national. Cette observation peut également aujourd'hui être faite pour la Nouvelle-Calédonie alors même que cette dernière est désormais compétente y compris en matière de matériaux stratégiques 35 ( * ) . Pourtant l'Europe aborde traditionnellement les PTOM comme des territoires concernés par sa politique de coopération de développement, les rangeant en cela dans le même chapitre du traité que les États du sud.

Dans le nouveau contexte géostratégique des océans, la France ne doit donc pas seulement changer son regard sur la place des outre-mer, elle doit aussi contribuer à faire évoluer celui des institutions européennes . Autant elle peut, sur nombre de problématiques ultramarines, engager des démarches concertées avec d'autres États européens sensibles à ces questions, autant notre pays devra d'abord compter ici sur ses propres forces car l'essentiel de sa ZEE se situe autour des PTOM du Pacifique. Si la France n'en souligne pas l'importance à Bruxelles, qui d'autre le fera ? L'importance stratégique de notre ZEE réside enfin dans l'opportunité nouvelle de jouer un rôle pionnier dans la gouvernance mondiale qui se met en place.

2. Les ZEE ultramarines : une carte à jouer dans la course à la gouvernance mondiale des océans

La montée de nouveaux enjeux liés aux océans et à la gestion de leurs ressources s'accompagne de la construction de nouveaux standards internationaux . Il relève de notre vocation comme de notre intérêt de contribuer à les forger plutôt qu'à les subir.

a) Un cadre normatif potentiellement structurant mais encore balbutiant

La convention de Montego Bay n'a pas seulement reconnu des droits exclusifs aux États côtiers jusqu'aux 200 milles de la ZEE, voire pour le sous- sol, jusqu'aux 350 milles du plateau continental étendu 36 ( * ) , elle a aussi défini le statut des eaux et du sous-sol marin situés au-delà et ne relevant dès lors d'aucune juridiction nationale.

Aux termes de l'article 1 er de la convention, ils constituent une zone internationale, dite « la Zone », sur laquelle les activités d'exploration ou d'exploitation des ressources du sol et du sous-sol sont organisées, menées et contrôlées par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) chargée d'agir « pour le compte de l'humanité tout entière » (article 153). Les activités d'exploration ou d'exploitation dans cette zone ne sont pas menées par l'autorité elle-même mais mises en oeuvre par les États signataires de la convention ou par les entreprises qu'ils « patronnent ». L'agence instruit les demandes (les plans de travail) des prospecteurs, leur délivre les permis et s'assure qu'ils respectent bien les règles générales de la convention de Montego Bay ainsi que les règles qu'elle définit pour les différents types d'activités.

À la lecture des textes, l'AIFM est donc appelée à exercer un rôle central dans la gouvernance des océans de l'après Montego Bay. En accordant les permis, elle confère à la fois une légitimité et un avantage sur les concurrents. En effet, même si les permis de prospection ne valent pas droit à exploitation, ils permettent tout de même à leur titulaire d'acquérir des connaissances et un savoir-faire utiles dans d'autres zones et pour le développement des technologies appelées à faire référence 37 ( * ) . Le fait qu'elle définisse les zones sur lesquelles elle accepte de conférer des permis et celles qui doivent être protégées et n'être l'objet d'aucune activité peut créer une forme de jurisprudence susceptible d'être ensuite appliquée dans des secteurs où nous pourrions avoir des intérêts. Enfin, par son pouvoir normatif consistant à fixer les règles auxquelles sont soumis les prospecteurs, l'AIFM peut valider certaines méthodes ou certaines techniques au détriment d'autres, en particulier au regard des risques qu'ils présentent pour l'environnement et la biodiversité marine.

Le cadre juridique international pourra donc avoir des effets très structurants sur l'ensemble du développement de ces activités, notamment au travers du rôle que pourrait être appelée à jouer la commission scientifique et technique de l'AIFM.

Les instances de l'AIFM

L'assemblée comprend des représentants des 155 États-membres ; tous les membres sont représentés. Elle tient une session annuelle, qui dure habituellement deux semaines.

Le conseil est composé de 36 membres élus par l'assemblée : ces derniers sont choisis de manière à assurer une représentation équitable des pays de différents groupes, dont ceux déjà engagés dans l'exploration minière des fonds marins et ceux qui disposent de fonds riches en ressources minières offshore .

La commission scientifique et technique est chargée de tous les travaux d'expertise allant de la définition des zones à protéger à l'instruction et au suivi des permis. Elle partage avec le secrétariat général de l'autorité le travail d'élaboration du futur code minier applicable à la zone internationale.

Il est d'autant plus utile de s'en préoccuper aujourd'hui que l'AIFM est encore loin d'exercer une telle influence.

L'autorité, dont le siège se trouve à Kingston à la Jamaïque, n'a vu ses compétences être précisément définies qu'en 1994, date d'entrée en vigueur la Convention 38 ( * ) . Elle n'est même devenue complètement opérationnelle en tant qu'organisation internationale indépendante qu'en juin 1996, lorsqu'elle a emménagé dans les locaux et installations précédemment occupés par le Bureau des Nations Unies pour le droit de la mer à Kingston. En outre, une incertitude plane toujours sur son rôle effectif car elle constitue l'un des points d'achoppement principaux à la ratification de la convention par les États-Unis. La première puissance maritime du monde met en effet en doute l'utilité de l'AIFM et conteste notamment l'existence de taxes sur la demande de permis et sur l'exploitation minière des grands fonds ainsi que l'interdiction d'exploitation minière dans la zone internationale sans autorisation de l'autorité. Les États-Unis ont fait pression pour que la convention soit modifiée et ont obtenu en 1994 une atténuation des pouvoirs de l'autorité qui n'a cependant pas suffi à déclencher leur ratification.

À ce jour, la jeune institution dotée d'une équipe de 35 personnes et d'un budget annuel d'environ 6 millions d'euros a établi deux réglementations pour l'exploitation des nodules polymétalliques (en 2000), et des sulfures polymétalliques (en 2010) et elle a délivré quinze permis, chacun donnant lieu à la signature d'un contrat 39 ( * ) .

Contrats de l'AIFM sur exploration pour les nodules polymétalliques

Contractant

Date d'entrée en vigueur du contrat

État sponsor

Emplacement général de la zone d'exploration correspondant au contrat

Date d'expiration du contrat

InteroceanmetalJoint Organization

29 mars 2001

Bulgarie, République tchèque, Pologne, Fédération de Russie et Slovaquie

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

28 mars 2016

Yuzhmorgeologiya

29 mars 2001

Fédération de Russie

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

28 mars 2016

Gouvernement de la République de Corée

27 avril 2001

Corée du Sud

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

26 avril 2016

Association de Recherche et développement de ressources minérales océaniques de la Chine

22 mai 2001

Chine

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

21 mai 2016

SARL Développement des ressources océaniques profondes Co ( Deep Ocean Resources Development Co. Ltd .)

20 juin 2001

Japon

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

19 juin 2016

Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

20 juin 2001

France

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

19 juin 2016

Gouvernement Indien

25 mars2002

Inde

Océan indien

24 mars 2017

Institut Fédéral pour les Géosciences et les Ressources naturelles d'Allemagne ( Federal Institute for Geosciences and Natural Resources of Germany )

19 juillet 2006

Allemagne

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

18 juillet 2021

Ressources océaniques de NauruInc ( Nauru Ocean Resources Inc .)

22 juillet 2011

Nauru

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

21 juillet 2026

Tonga Offshore Mining Limited (SARL d'extraction en mer du Tonga)

11 janvier 2012

Tonga

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

10 janvier 2027

SARL UK Ressources du fond de la mer( UK Seabed Resources Ltd. )

8 février 2013

Angleterre et Irlande du Nord

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

Non communiquée

G-TEC Sea Mineral Ressources NV (G-Tec ressources minérales NV)

14 janvier 2013

Belgique

Zone de fracture de Clarion-Clipperton

13 janvier 2028

Comme l'indique la carte de l'AIFM ci-après, la zone internationale dans laquelle les permis sont délivrés débute à seulement 500 milles à l'est de la ZEE française autour de l'Îlot Clipperton et s'étend à moins de 2 000 milles de large quasiment jusqu'à Hawaï.

Ceci confirme l'intérêt de la présence française dans cette région stratégique et attise les convoitises dont elle est l'objet.

- 27 -

Source : AIFM

Contrats accordés pour exploration de sulfures polymétalliques

Contractant

Date d'entrée en vigueur du contrat

État sponsor

Emplacement général de la zone d'exploration correspondant au contrat

Date d'expiration du contrat

Association de Recherche et développement de Ressources minérales océaniques de la Chine

18 novembre 2011

Chine

Arête indienne du Sud-ouest

17 novembre 2026

Gouvernement de la Fédération de Russie

29 octobre 2012

Russie

Dorsale atlantique

28 octobre 2027

Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Contrat en cours de signature

France

Dorsale atlantique

15 ans après la signature du contrat

Source : AIFM

La présence, parmi les demandeurs de permis d'État, de pays tels que l'Allemagne, la Chine, la Russie ou le Royaume-Uni ne disposant pas d'intérêts souverains dans la région, met en évidence l'intérêt porté par toutes les grandes nations industrielles à l'exploitation des fonds marins . Une des conséquences à en tirer pour la France est que la possession de la deuxième ZEE du monde n'est pas en soi suffisante pour s'assurer un leadership dans cette activité d'avenir.

À première vue, ce bilan est loin d'être négligeable, mais force est de constater que l' AIFM est à ce jour faiblement structurée et n'a pas la capacité de prendre l'initiative de la création d'un corpus de normes originales appelées à faire référence.

Si l'élaboration d'un code minier applicable à la Zone figure bien parmi ses objectifs, les règlements qu'elle a élaborés à propos de la prospection dans la « Zone » des nodules polymétalliques, d'une part, et des sulfures polymétalliques, d'autre part, traitent surtout de questions de procédure telles que la forme des demandes d'approbation de plans l'exploration les clauses types de contrat d'exploration. Sur le fond, l'autorité s'appuie sur les réglementations des États membres auxquels elle demande de bien vouloir lui communiquer non seulement les textes qu'ils appliquent aux zones sous leur souveraineté mais aussi aux activités qu'ils pourraient patronner dans la zone internationale.

Or, les États eux-mêmes ne disposent pas encore de textes spécifiques répondant à cette demande. Seule l'Allemagne a adopté une législation relative aux activités dans la Zone 40 ( * ) mais surtout, comme le met en évidence l'étude de droit comparé que nous a présenté notre collègue M. Jean-Étienne Antoinette le 27 mars 2013 41 ( * ) , les États sont eux-mêmes dans des situations très disparates. Le sujet est nouveau et la plupart d'entre eux, dont la France, ne disposent aujourd'hui d'aucune législation spécifique aux ressources minérales sous-marines.

À l'image d'activités elles-mêmes encore largement expérimentales, le cadre juridique est donc balbutiant ; il n'est pas facile pour l'AIFM de s'appuyer véritablement sur les États de même que ces derniers ne peuvent pas véritablement bénéficier de l'aide de l'AIFM pour élaborer leur cadre normatif 42 ( * ) . Pour combler ces lacunes, plusieurs initiatives régionales ont été prises, dont le projet SOPAC développé dans le cadre de la Communauté du pacifique sud et financé par l'Union européenne qui a abouti à la publication, en juillet 2012, d'un cadre général pour la législation et la réglementation pour l'exploration et l'exploitation des minéraux à grande profondeur des États du Pacifique et ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique).

Ces démarches ne remettent cependant pas en cause la nécessité posée par la convention de Montego Bay de disposer d'une véritable gouvernance internationale de normes et de références applicables à l'ensemble de ces activités. Quant à la France, elle a incontestablement un rôle majeur à y jouer.

b) La légitimité de la France à jouer un rôle de premier plan dans la construction d'une gouvernance mondiale

En l'absence des États-Unis au sein de l' AIFM, la France est l'État membre disposant de la ZEE la plus étendue et répartie entre les trois océans . Dans l'esprit de ses statuts, l'AIFM a d'ailleurs vocation à être animée par les États les plus concernés par l'exploration et l'exploitation des fonds marins. En outre, notre pays dispose, par son rôle au sein des institutions onusiennes et par son message dans des enceintes telles que le G20, d'une certaine légitimité à promouvoir une institution multilatérale chargée d'assurer une régulation internationale et de veiller en particulier au respect de l'environnement.

Notre pays dispose aussi d'une expertise technique et d'une compétence géologique internationalement reconnue. Comme le rappelle un récent rapport de l'Assemblée nationale 43 ( * ) , figure parmi les plus grands atouts de la France la qualité de la formation dans ce domaine, comme en témoigne le rayonnement de l'École nationale d'application des géosciences (ENAG) auprès de nombreux étudiants et spécialistes étrangers. Dans le domaine de l'exploration sous-marine, l'expertise française est mondialement illustrée pour beaucoup par l'exemple du Nautile sous-marin de poche de l'Ifremer fabriqué par la DCN de Toulon (devenue DCNS), mis en service en 1984 et utilisé pour explorer l'épave du Titanic par 3 800 mètres de fond. L' Ifremer occupe aujourd'hui une position sans équivalent, notamment du fait de sa présence permanente sur l'ensemble des océans dans les outre-mer français.

La France bénéficie de l'implication d'acteurs industriels de premier plan , tels que la société Technip qui accompagne aujourd'hui les sociétés Nautilus Minerals et Neptune Minerals (264 000 km 2 ) dans leurs projets en Papouasie, lesquelles devraient procéder à la première exploitation de ressources minérales (en l'espèce des minerais sulfurés situés à 1 800 mètres de profondeur).

c) La France et ses outre-mer en faveur d'un cadre normatif international sécurisé

Outre la défense de ses intérêts, la France doit aussi exercer son influence pour que le développement des activités dans les fonds marins se fasse dans un cadre raisonné protecteur d'environnements encore vierges et particulièrement fragiles . Le temps n'est plus où, au nom d'intérêts économiques ou géostratégiques, fussent-ils majeurs, l'on prenait le risque de détruire de façon irréversible une partie de la biodiversité. Cette position, devenue celle de la France 44 ( * ) , n'est pas nécessairement celle d'autres puissances moins sensibles aux enjeux du développement durable, notamment lorsqu'il s'applique à des mers lointaines. Or, les activités offshore présentent des dangers tout particuliers. Si l'on connaît déjà les risques des plateformes pétrolières, illustrés par le bilan catastrophique de la marée noire du Deepwater 45 ( * ) survenue en avril 2010 dans le golfe de Floride, l'exploitation des ressources minérales des fonds marins présentent eux aussi des risques élevés. C'est particulièrement vrai des encroûtements riches en cobalt et autres métaux qui sont généralement situés sur des monts sous-marins constitués d'anciens volcans dont les scientifiques peuvent penser qu'ils constituent de véritables réservoirs de biodiversité. D'après l'Ifremer, « les écosystèmes liés aux expulsions de fluides hydrothermaux sont connus aujourd'hui pour abriter des communautés exubérantes et extraordinaires » et si beaucoup reste à découvrir, on sait que l'exploitation des dépôts sulfurés auront un impact direct sur l'écosystème qui pourrait durer plusieurs dizaines de milliers d'années... Tout dépendra des techniques utilisées, d'où l'enjeu des normes définies au sein de l'AIFM, dans un premier temps applicables au sein de la zone mais qui auront vocation à faire progressivement référence pour les activités dans les ZEE et sur les plateaux continentaux nationaux . Dans les négociations internationales, il faudra veiller à ce que ne priment pas la tentation de tirer vers le bas les normes de protection de l'environnement, sachant que tous les États n'ont pas nécessairement les mêmes exigences en la matière. En mer comme sur terre, il y va de la préservation de notre environnement commun comme de la lutte contre le risque d'une concurrence effrénée et destructrice.

Enfin, la France doit aussi user de son poids pour que la mise en place de la gouvernance des océans soit effective et qu'aux délais déjà longs liés au développement progressif des activités d'exploration et d'exploitation des fonds marins ne viennent s'en ajouter d'autres liés aux carences des institutions.

Ceci vaut pour l'AIFM, encore fragile, comme pour une autre instance internationale, la commission des limites du plateau continental (CLPC). Comme le pointe M. Gérard Grignon dans son récent avis au Conseil économique, social et environnemental sur l'extension du plateau continental 46 ( * ) , les difficultés de la CLPC à faire face à son actuelle surcharge de travail aboutirait pour celle-ci à imposer 15 à 20 ans d'attente pour l'examen des demandes déposées aujourd'hui 47 ( * ) . Ainsi, si la demande de limitation du plateau continental au nord de Wallis déposée le 7 décembre 2012 48 ( * ) pourra faire l'objet d'une présentation à la CLPC dans les prochains mois, son examen ne devrait pas débuter avant 2030 ! Reprenant la proposition de M. Gérard Grignon, nous demandons que « la France plaide avec force auprès des États parties à la Convention et devant l'Assemblée Générale des Nations Unies pour obtenir un renforcement notable des moyens budgétaires et humains de la Commission des limites du plateau continental ».

Il est en effet dans son rôle de favoriser la mise en place d'un cadre international sécurisé indispensable au développement d'activités dont nous avons encore davantage à attendre que nos partenaires, en particulier au vu de nos ressources potentielles.

B LES ZEE ULTRAMARINES, MOTEUR DE CROISSANCE : DES RESSOURCES ET DES PERSPECTIVES D'INNOVATION À EXPLOITER DÈS AUJOURD'HUI

Comme M. Yves Fouquet, spécialiste à l'Ifremer des ressources minérales marines profondes l'a souligné devant la délégation, « l'intérêt des océans n'est pas de remplacer les continents en termes de ressources, mais ils peuvent permettre la diversification des sources d'approvisionnement » 49 ( * ) .

Cet objectif est devenu d'autant plus réaliste que, bien qu'elle n'en soit qu'à ses débuts, la recherche sur les fonds marins nous confirme d'ores et déjà que l'océan est la véritable usine biochimique et thermodynamique de la planète. Un seul kilomètre carré de récif corallien représente la biodiversité marine totale de la France métropolitaine. Quant aux métaux et terres rares, on estime que 84 % des réserves mondiales se trouveraient au fond des océans.

Outre leur abondance supposée, la première caractéristique des ressources marines est leur diversité . Notre ZEE ultramarine recèle un potentiel considérable à la fois énergétique, minéral et biologique .

1. Des potentiels marins considérables
a) Des ressources énergétiques d'une grande diversité
(1) Les hydrocarbures, nos mers du sud seront-elles de nouvelles mers du nord ?

Alors que l'exploitation d'hydrocarbures en mer est en pleine croissance - la part de l'offshore est passée de 10 % en 1960 à 30 % en 2010 -, l'outre-mer français renfermerait des ressources en pétrole et gaz, notamment au large de la Guyane, de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que dans le Canal du Mozambique (Juan de Nova) et à Mayotte, et dans une moindre mesure aux Antilles 50 ( * ) .

C'est dans le premier de ces territoires que la prospection a le plus avancé. En septembre 2011, à 150 km au large de la Guyane (donc inclus dans la ZEE), la compagnie Tullow Oil a en effet identifié un possible champ de pétrole situé à 6 000 mètres de profondeur, « miroir » du puits Zaedyus situé au large du Ghana 51 ( * ) , dans lequel la même compagnie a découvert quelque 1,4 milliard de barils du pétrole ces dernières années. Le gisement guyanais était évalué, à l'issue du premier forage, à 300 millions de barils par M. Patrick Roméo, président de Shell France lors de son audition du 16 janvier 2013.

En novembre 2011, l'État a confié à Mme Anne Duthilleul une mission d'accompagnement consistant à vérifier que le projet pétrolier se déroulait dans les conditions de sécurité et de protection de l'environnement indispensables, et à s'assurer que la Guyane tirerait profit des retombées économiques en cas d'exploitation ultérieure des gisements. Le rapport provisoire remis en janvier 2012 préconise le suivi du projet suivant quatre priorités : la sécurité et l'environnement, les retombées économiques et le développement local, la formation et l'emploi des guyanais et enfin la recherche. Une telle organisation, complémentaire du travail des instances de décision sur le fond des projets (examen des demandes de permis, rendu d'avis etc.), est totalement novatrice et pourrait inspirer nombre d'autres projets de développement des territoires ultramarins liés aux ZEE.

Il s'agit en effet de faire du pétrole un levier de développement durable pour la Guyane . Une commission de suivi et de concertation sur le pétrole en Guyane a été instituée pour assurer le partage des informations entre toutes les parties prenantes (État, région, département, communes ou EPCI, chambres consulaires, représentants socioprofessionnels, organismes de recherche, associations de protection de l'environnement et exploitants...). Elle est co-présidée par l'État et la région et comprend quatre groupes de travail, correspondant aux quatre grands axes définis par le rapport. Le groupe « sécurité-environnement », appuyé par le groupe « recherches », a d'ores et déjà été missionné pour élaborer un livret de procédures de dépollution de la mangrove en cas de sinistre.

L'accueil réservé par la population guyanaise à cette nouvelle activité potentielle mêle l'espoir de développement économique et des craintes face aux risques pour l'environnement et les autres activités maritimes telles que la pêche.

Lors de son audition par la délégation le 30 mai 2012, Mme Anne Duthilleul estimait que l'évolution locale était plutôt positive et qu'un équilibre s'établissait entre les forces opposées. Selon elle « Les contestations sur des questions de principe sont relativement cantonnées. Les réponses aux craintes sont à apporter en permanence, et un suivi doit être assuré sur le terrain de l'emploi, de la formation et des activités induites notamment, avec toutes les parties prenantes locales et régionales. »

Dans ce contexte, des modifications législatives et réglementaires s'avèreraient nécessaires. « C'est un sujet sensible pour l'industriel qui a besoin d'être parfaitement renseigné sur les conditions réglementaires, en particulier environnementales et fiscales avant de démarrer une exploitation. Une réforme du code minier sur l' offshore est certainement indispensable. Le code de l'environnement doit être mis à jour. Ce chantier est inévitable, par voie législative et réglementaire, ne serait-ce que pour appliquer de jure les principes de la Charte de l'environnement, qu'on applique déjà de facto aujourd'hui. La réforme du code de l'environnement doit aussi intégrer l'information du public et les études d'impact. »

Le permis accordé par le Gouvernement jusqu'à juin 2016 portait sur cinq forages dont les quatre derniers se sont révélés infructueux - les résultats du dernier en date ayant été communiqués le 13 novembre 2013. Le groupe anglo-néerlandais qui n'a sondé à ce jour qu'une petite partie des 24 000 km² couverts par le permis pourrait reprendre sa campagne d'exploration. Ce type de calendrier est tout à fait classique de l'industrie pétrolière. Dans les années 1960-1970, il avait ainsi fallu procéder à une vingtaine de forages avant d'obtenir des résultats en mer du nord.

Les nouveaux forages ne pourront reprendre au plus tôt qu'en 2015 dans la mesure où, à la suite d'une décision du Conseil d'État de juillet 2013 52 ( * ) , le consortium devra désormais se soumettre aux procédures d'enquête publique et étude d'impact.

L'activité de Shell devrait toutefois se concentrer sur la zone dite Guyane maritime où se situe le permis actuel de la compagnie car elle a, le 7 janvier 2014, retiré sa demande portant sur le secteur Fregata 53 ( * ) situé plus au nord et décidé, début mars, de ne plus prospecter la zone côtière (dite Sula ). La priorité serait ainsi donnée à l'exploitation des données sismiques recueillies sur la partie centrale, dénommée Guyane maritime.

Dans le même temps, l'administration a en revanche été saisie de nouvelles demandes de permis d'exploration pétrolière émanant de Total, de l'américain Esso et des compagnies britanniques Tullow et Wessex-Saturn ainsi que de la compagnie bermudienne Tinamou, sur lesquelles le ministère du Redressement productif devrait rendre ses décisions avant le mois de juillet. Illustration des préoccupations environnementales et des risques de conflits d'usage, la première réunion de la commission régionale des mines chargée de rendre un avis consultatif sur ces demandes s'était accompagnée, le 22 janvier dernier, d'un blocage des abords de la préfecture par le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins et le syndicat des pêcheurs et armateurs. Entendus lors de la commission du 12 février, ils ont fait valoir leurs craintes quant aux effets des recherches sismiques sur la ressource halieutique (en particulier en vivaneaux), certaines demandes de permis d'exploration portant sur des zones situées à 20 kilomètres des côtes.

Enfin, il convient de rappeler que, parallèlement à l'évolution du dossier sur le terrain, notre collègue Georges Patient, sénateur de la Guyane, a pris l'initiative d'une disposition votée dans la loi de finances rectificative pour 2011 prévoyant que, pour les gisements en mer situés dans les limites du plateau continental, les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux paieront une redevance annuelle calculée sur la production. Son taux sera progressif et fixé, dans la limite de 12 %, en fonction de divers paramètres : la nature des produits, la région au large de laquelle est situé le gisement, la profondeur d'eau, la distance du gisement par rapport à la côte et le montant des dépenses consenties pendant la période d'exploration et de développement. Le produit de la taxe sera affecté pour 50 % à l'État et pour 50 % à la région dont le point du territoire est le plus proche du gisement. Ce dispositif, depuis le 1 er janvier 2014, a vocation à s'appliquer à l'ensemble des eaux françaises même si à ce jour, parmi les territoires cités pour leurs possibles ressources en pétrole ou en gaz, seule la Guyane fait l'objet d'explorations. Lors de son audition du 16 janvier 2013, M. Roméo a fait valoir qu'il y était favorable tant il importait de maintenir le lien entre l'exploitation de la ressource et les territoires . Outre les effets en matière de formation et d' emplois 54 ( * ) , les retombées fiscales sont un aspect important de ce lien.

(2) Les énergies marines renouvelables : la promesse d'une ressource abondante et inépuisable
(a) La pierre angulaire du développement des territoires ultramarins

Si, face aux enjeux du changement climatique, le développement des énergies renouvelables est un objectif valable sous toutes les latitudes, il l'est encore davantage dans nos outre-mer. D'une part, l'énergie y est très majoritairement produite par des centrales thermiques au fuel et, d'autre part, l'absence d'interconnexion due à l'insularité ou à l'éloignement des grands centres économiques (Guyane), la structure géographique des territoires et, pour la plupart, leur faible densité de population aboutissent à des coûts de production de l'électricité en moyenne quatre fois supérieurs à ceux de l'hexagone. Cependant, grâce à la compensation des charges du service public de l'électricité (CSPE) instituée en 2000 et alimentée par l'ensemble des clients d'EDF, les consommateurs des DOM, y compris Mayotte 55 ( * ) , et de Saint-Pierre-et-Miquelon, acquittent un prix équivalent à celui de l'hexagone. Ils représentent aujourd'hui 87 % des 2,45 millions de Français bénéficiaires de la péréquation dont le coût global est d'environ 800 millions d'euros par an. Quant à nos 535 000 concitoyens des collectivités du Pacifique, ils n'en bénéficient pas et payent l'électricité deux fois plus cher que dans l'hexagone.

L'enjeu du remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables pour l'outre-mer est donc double. Il s'agit là de réduire la part les énergies carbonées dont le prix déjà élevé est appelé à croître encore, mais aussi de valoriser le formidable potentiel que constituent les énergies marines renouvelables.

Des marges de progrès existent pour augmenter la part d'énergies renouvelables dans les DCOM, puisque l'on est encore loin de l'objectif fixé en 2009 par la loi dite Grenelle I 56 ( * ) de la porter à 50 % dans les DOM à l'horizon 2020 (30 % à Mayotte) 57 ( * ) .

Part des énergies renouvelables dans les capacités de production

(puissance installée en 2012)

En pourcentage

Hexagone

13

Guadeloupe

26,2

Guyane

53,3

Martinique

13,4

Mayotte

15,5

La Réunion

45,8

Saint-Martin

2,7

Saint-Barthélemy

0,1

Saint-Pierre-et-Miquelon

1,8

Polynésie Française

19,4

Wallis-et-Futuna

2,9

Nouvelle-Calédonie

24

Source : Assemblée nationale 58 ( * )

L'article 56 de la loi proposait aussi de « développer les technologies de stockage de l'énergie et de gestion du réseau pour augmenter la part de la production d'énergie renouvelable intermittente afin de conforter l'autonomie énergétique des collectivités territoriales d'outre-mer ; développer, pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, des programmes exemplaires, spécifiques pour chacune d'elles, visant à terme l'autonomie énergétique, à l'horizon 2030 (...) »

Les énergies marines ont vocation à concourir à la réalisation de cet objectif.

(b) Des ressources prometteuses dont les conditions d'exploitation sont en passe d'être satisfaites

L'océan reçoit et stocke de grandes quantités d'énergie (solaire et gravitationnelle) qui peuvent être captées sous différentes formes.

Les énergies marines renouvelables (EMR) qui consistent en la restitution de cette énergie sont aujourd'hui reconnues comme susceptibles, à moyen ou long terme, de satisfaire une part notable des besoins énergétiques dès lors qu'elles relèvent les défis tenant à la rentabilité de l'énergie produite, à son éventuelle variabilité et aux questions de transport ou de stockage.

Le caractère économiquement exploitable d'une source dépend du prix auquel l'électricité produite est achetée. À ce sujet, la prise en compte des spécificités locales peut avoir un effet direct sur la rentabilité d'une filière. L'arrêté du 8 mars 2013 instaurant un nouveau tarif d'achat bonifié pour l'énergie éolienne produite dans les DROM et les COM situés en zones cycloniques a ainsi conforté les projets éoliens (terrestres) de Guadeloupe et de Martinique. Quant à la rentabilité intrinsèque d'un projet, il dépend aussi de l'évolution des technologies, domaine dans lequel les progrès sont rapides.

Ensuite, la variabilité, c'est-à-dire le caractère non permanent de la ressource, constitue un enjeu majeur pour les énergies marines renouvelables dans les collectivités d'outre-mer car la limite autorisée de 30 % d'intégration d'énergies renouvelables dans les réseaux d'électricité y est souvent déjà atteinte. Dans ce contexte, les sources d'énergie permanente 59 ( * ) (climatisation par différence de température, énergie thermique des mers...) apparaissent aujourd'hui plus adaptées que les sources variables (éolien en mer, hydroliennes et même énergie de la houle).

Enfin, la question du transport et du stockage de l'énergie produite est aussi un paramètre important s'agissant soit de sources variables, soit de sources permanentes à fort potentiel mais situées loin des lieux de consommation. La production d'hydrogène pour le stockage et le transport d'énergie renouvelable semble, à ce jour, indispensable au développement des énergies marines.

À la nécessité de satisfaire l'ensemble de ces conditions, s'ajoute les limites liées à la maturité des techniques elles-mêmes. Si les initiatives et les innovations foisonnent, en particulier outre-mer, M. Vincent Bouvier 60 ( * ) , faisait valoir qu'elles étaient encore pour la plupart « soit au stade de la conception, soit au stade expérimental ».

(c) Des technologies aux degrés de maturité divers

Davantage que l'énergie marémotrice qui suppose la construction de grands barrages (comme celui de La Rance) ou de lagons artificiels - très impactants pour l'environnement - l'énergie de la houle et des vagues est aujourd'hui particulièrement prometteuse. Les vagues (oscillations de la mer sous l'influence directe du vent) et surtout la houle (oscillations se propageant loin de la zone où les vagues ont été générées, et longtemps après que le vent a cessé) contiennent une énergie potentielle qui peut être captée en pleine mer par des dispositifs très variés et convertie sous des formes très diverses (électricité, air comprimé...). C'est à La Réunion que le déploiement de l'énergie houlomotrice est aujourd'hui la plus avancée (projets Houles australes et SEAWATT).

Le projet Houles australes

Le projet Houles australes (ex projet CETO d'origine australienne) consiste à récupérer l'énergie des vagues. Ces dernières agitent des bouées sous-marines et l'énergie ainsi produite est transmise à terre où elle fait tourner une turbine. Une première phase d'expérimentation en milieu réel est actuellement menée à La Réunion, par EDF en collaboration avec DCNS. L'objectif à terme de cette expérimentation est de produire 20 à 30 MW à l'horizon 2015 pour une seule installation.

Pour financer ce projet, des subventions provenant du conseil régional de La Réunion, du Plan de Relance et d'un autofinancement industriel (au total, 4,2 M€) ont été mobilisés.

Malheureusement en janvier 2014, le prototype à échelle 1 installé au large de Pierrefonds Saint-Pierre devait subir les derniers réglages, a été détruit par le cyclone Bejisa, ce qui ne manquera pas d'occasionner des retards dans la conduite du projet.

Le projet SEAWATT

Seawatt est le nom du projet réunionnais d'un dispositif convertissant la puissance de la houle en énergie. Ce procédé a été conçu en Écosse par la société Pelamis Wave Power. C'est la seule technologie de production d'énergie à partir de la mer qui soit actuellement opérationnelle à un stade industriel. Mesurant environ 180 mètres de long, la puissance électrique d'un Pelamis est de 750 Kilowatt, permettant d'alimenter en électricité 500 foyers et d'économiser 600 tonnes de pétrole ou encore 2 000 tonnes de CO 2 non rejetés dans l'atmosphère.

Le projet réunionnais qui a déjà reçu le soutien des collectivités et de l'ADEME fait actuellement l'objet de recherche de financements complémentaires.

Tout aussi prometteuse est l'énergie thermique des mers (ETM) qui utilise la différence de température entre la surface des océans et les eaux profondes froides (entre 800 et 1 000 mètres de profondeur). Compte tenu des différences de température, ce phénomène joue à plein dans les eaux tropicales.

Image d'un prototype de centrale ETM

Source : DCNS

Cette énergie présente en outre l'avantage de ne pas être intermittente : disponible en permanence, sa production peut être ajustée aux besoins.

Les ressources disponibles sont considérables et potentiellement susceptibles de satisfaire non seulement des besoins locaux mais aussi à l'exportation, pour peu qu'on dispose de moyens de stockage et de transport de l'énergie produite. Sont donc envisagées à la fois la construction d'installations fixes de quelques mégawatts à quelques dizaines de mégawatts, pour alimenter les îles et des installations flottantes, plus éloignées des côtes, produisant par exemple par électrolyse de l'hydrogène transporté ultérieurement par navire spécialisé : ces usines flottantes (comparables aux FPSO 61 ( * ) utilisés pour la production pétrolière offshore ) pourraient avoir des capacités unitaires de plusieurs centaines de mégawatts. L'ETM est en cours de développement en Martinique à la suite de la signature d'une convention entre la région et la direction des constructions navales (DCNS) pour la réalisation d'un prototype ETM de 10 mégawatts, ainsi qu'en Polynésie française sur la base d'études réalisées par la société Pacific Otec.

La climatisation à l'eau naturellement froide, SWAC 62 ( * ) , est également en cours d'expansion, notamment dans les zones urbaines de Saint-Denis et Sainte-Marie à La Réunion ainsi que dans deux hôtels polynésiens 63 ( * ) et l'hôpital de Papeete. Le système de station de transfert d'énergie par pompage (STEP 64 ( * ) ) devrait, enfin, être expérimenté en Guadeloupe à partir de 2015, ainsi qu'en Martinique à Morne d'Arlet ou à La Charmeuse.

Pour l'énergie hydrolienne qui suppose une morphologie des côtes propice à l'accélération des courants marins (passages étroits, passage de grande à faible profondeurs), il existe aussi des sites potentiellement favorables outre-mer, notamment dans les îles bordées de récifs coralliens, dans les passes de lagon où existent des courants sortants quasi-permanents de plusieurs noeuds. Mais aucun projet n'est véritablement avancé à ce stade

Des potentiels existent pour l'énergie éolienne marine posant les mêmes questions (problème de l'intermittence, acceptabilité sociale et environnementale) que dans l'hexagone même si les questions des conflits d'usage pourraient se poser en des termes moins difficiles que dans les zones de très grand trafic maritime ou de pêche intensive. Les régions les plus avancées, la Martinique et la Guadeloupe, se concentrent sur l'éolien terrestre.

Enfin, si l'on évoque parfois l'énergie osmotique , créée par le phénomène de pression existant entre l'eau douce et l'eau salée lorsqu'elles se rencontrent (lorsqu'un fleuve ou une rivière se jette dans l'océan), les technologies correspondantes sont encore assez éloignées du stade industriel. Elle pourrait éventuellement trouver à s'appliquer dans l'estuaire du Maroni.

À ce stade, les techniques proposées semblent davantage concerner les côtes ou leur abord immédiat (quelques dizaines de kilomètres) ne serait-ce que pour des considérations tenant au transport de l'énergie. Toutefois, les distances ne cessent d'être repoussées par le développement d'installations flottantes ou des navires acheminant l'énergie produite grâce à l'hydrogène, à l'image de ce qui existe pour l'énergie thermique marine. Tout ceci ouvre la voie à une utilisation plus large de la ressource en EMR que contient notre zone économique exclusive.

Dans cet environnement encore incertain lié au caractère expérimental des techniques et aux incertitudes sur les prix, les territoires auraient grand intérêt à connaître plus précisément leur potentiel en matière d'énergie marine. Ils pourraient pour ce faire s'inspirer de l'atlas du potentiel de développement des énergies marines renouvelables réalisé l'année dernière par la Polynésie française et évoqué par M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française, lors de son audition par la délégation le 15 novembre 2012. Cet atlas fait clairement apparaître la Polynésie bénéficie non seulement d'un fort potentiel dans l'exploitation thermique des mers mais de profondeurs importantes très près des côtes, réduisant les coûts d'investissements. En conséquence, la Polynésie a tout intérêt à développer le SWAC (climatisation par l'eau des océans), technologie qui consiste à utiliser l'eau froide des profondeurs des mers pour refroidir par contact, grâce à un échangeur, l'eau du circuit des climatiseurs.

Le secteur est nouveau mais les perspectives sont enthousiasmantes et nombre de projets bien engagés. Comme nous l'indiquait M. Vincent Bouvier, « il est clair que les énergies de la mer seront un atout majeur dans un futur proche et que la France, notamment grâce à ses outre-mer, détient là un fort potentiel par rapport aux autres nations ».

b) Les ressources halieutiques et végétales : des perspectives contrastées
(1) Les ressources de la pêche : inventorier et structurer
(a) Un potentiel à optimiser

La ressource est mal connue et à exploiter avec prudence . ZEE n'est en effet pas nécessairement synonyme de « zone de pêche utile ». L'importance des ressources halieutique au large des côtes varie selon qu'elles sont ou non bordées par un plateau continental .

Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon sont entourées de vastes plateaux poissonneux ; de même la Guyane dispose d'un plateau continental de 40 000 km 2 , particulièrement riche. La Réunion et Mayotte en sont dépourvus, ce qui limite la pêche côtière. Les îles des Antilles disposent quant à elles d'un plateau continental modeste.

La ressource dépend aussi de l'existence de lagons dans lesquels se pratique une pêche artisanale de poissons particuliers à ce milieu. Ainsi, Mayotte dispose d'un des plus vastes lagons du monde (1 000 km 2 ) ; même si les pêcheurs s'y sont longtemps limités à exploiter les eaux lagonaires ou limitrophes, ils pêchent désormais le listao en mer ouverte, espèce également ciblée par les thoniers tropicaux opérant dans la zone.

Dans le Pacifique, la mer serait pauvre au-delà des lagons. Les eaux tropicales chaudes de la ZEE polynésienne sont assez peu productives, la partie la plus riche se situant au nord, plus proche de l' upwelling 65 ( * ) équatorial. La zone océanique dans laquelle est située la Nouvelle-Calédonie n'est pas non plus favorisée, les migrations de thonidés passent assez loin à l'est et au nord du territoire.

Les outre-mer n'échappent pas à la tension planétaire sur les ressources halieutiques.

La richesse halieutique de la planète est menacée par la surpêche : les prélèvements de poissons destinés à la consommation sont en effet passés de 16,8 millions de tonnes en 1950 à 128 millions de tonnes, qui fournissent à plus de 4,3 milliards de personnes environ 15 % de leurs apports en protéines animales. Selon la FAO 66 ( * ) , « près de 30 % de ces stocks sont surexploités (...), 57 % sont pleinement exploités et seulement 13 % ne sont pas pleinement exploités » 67 ( * ) . Ce constat vaut pour les grandes espèces pélagiques 68 ( * ) , au premier rang desquels les thons, mais il est plus difficile à dresser pour les espèces côtières.

La ressource halieutique ultramarine est aujourd'hui très mal évaluée. D'une part, les eaux tropicales se distinguent, à l'exception de la Guyane 69 ( * ) , par une forte diversité et une faible abondance des espèces ; cette observation ne s'appliquant évidemment pas à Saint-Pierre-et-Miquelon ni aux TAAF 70 ( * ) . D'autre part, cette difficulté est renforcée par les insuffisances de l'appareil statistique. La pêche outre-mer ayant très majoritairement un caractère artisanal, les données déclaratives des pêcheurs sont le plus souvent inexistantes, raison pour laquelle, depuis quelques années, les données sur la pêche outre-mer ne sont plus publiées par la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) du ministère de l'agriculture.

Des systèmes d'informations halieutiques (SIH) ont cependant été mis en place dans chacun des DOM pour améliorer les connaissances sur les activités de pêche et les ressources exploitées, grâce à des réseaux d'observateurs réalisant des enquêtes directement auprès des pêcheurs.

Les principales évaluations disponibles concernent les thons et istiophoridés (marlins) réalisées par des organisations internationales telles que la commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, la commission des thons de l'océan Indien ou la commission des pêcheries de l'ouest et du centre du Pacifique, qui font état de fortes tensions sur la ressource. Le vivaneau rouge, les crevettes pénéides font l'objet d'une évaluation annuelle par l'Ifremer depuis une quinzaine d'années en réponse à la demande de la Direction de la mer de Guyane. Toujours en Guyane, l'acoupa rouge a fait l'objet de premières évaluations, en 2010 et 2012.

L'évaluation relative au vivaneau, espèce du plateau continental guyanais fait globalement état d'une légère progression des stocks menacée par l'intensité de la pêche. Pour d'autres espèces, une diminution des populations est déjà tangible : il s'agit des poissons de récif sensibles à la dégradation des coraux, particulièrement en Polynésie au vu de l'importance de la pêche lagonaire, ou encore de la crevette sauvage guyanaise (1 000 tonnes pêchées par an contre 4 000 dans les années 1990), pour laquelle les causes de l'effondrement de la ressource sont actuellement recherchées dans les changements de l'environnement local.

Aux Antilles, on peut distinguer les activités de pêche pratiquées sur le plateau insulaire et ciblant principalement des espèces démersales 71 ( * ) et benthiques 72 ( * ) , de celles pratiquées plus au large ciblant des stocks partagés de grands migrateurs (thon jaune, dorade coryphène, marlins). Les activités au large utilisent les DCP ancrés pour la capture de ces espèces. Une baisse des rendements de marlin bleu a été observée tandis que sur les autres ressources aucune tendance particulière ou aucun signe de surexploitation ne sont apparus. Des données sont actuellement regroupées (principalement sur la dorade coryphène, le poisson volant et le thon noir) pour tenter de procéder à une évaluation d'ici quelques années. Toutefois, les pressions exercées (par l'utilisation de casiers, de filets ou de sennes) sur les ressources des plateaux insulaires pourraient fragiliser les ressources benthiques et démersales. La croissance de ces ressources suppose de mieux encadrer l'activité de pêche - légale et informelle - et de renforcer les mesures de conservation de ces ressources et de la biodiversité associée.

En Guyane , une évaluation de la pêche dite INN (illégale, non déclarée, non réglementée) a été réalisée par l'Ifremer. Elle révèle en particulier que l'acoupa rouge, principale cible de cette pêche, montre des signes de surexploitation.

Du point de vue de l'évaluation des ressources, une mention particulière doit être faite du programme ZoNéCo d'évaluation de l'ensemble des ressources marines menée en Nouvelle-Calédonie depuis 1991. Dans le domaine des pêches, il a pour objectif l'identification génétique des différents stocks exploitables ainsi que la définition de principes de gestion et le suivi de leur application.

Globalement, les ressources halieutiques des ZEE ultramarines demeurent méconnues, conséquence d'une biodiversité particulièrement riche du milieu, nombre d'espèces restant à découvrir. Dans ce contexte, il est néanmoins possible d'envisager un développement du secteur économique de la pêche.

(b) Structurer de véritables filières

Il est plus difficile en matière de pêche que pour les ressources minérales ou énergétiques d'affirmer que la ZEE française est un eldorado de richesses inexploitées. En revanche des pistes de développement existent dans différents segments d'activités. L'enjeu est de s'assurer que l'exploitation des ressources halieutiques de notre ZEE profite bien aux territoires qu'elles jouxtent, en particulier en termes d'emplois : soit en augmentant la part des prises françaises dans le niveau de pêche actuel, soit en structurant un secteur encore traditionnel pour créer de véritables filières économiques.

Selon l'Ifremer, les progrès dans les ZEE tropicales résident essentiellement dans l'exploitation des grands pélagiques, ou dans la petite pêche côtière. Des perspectives existent aussi en matière d'aquaculture.

Pour la pêche des thonidés au large , il existe quelques marges de progrès. Dans l'océan Indien, les stocks des principales espèces de thons tropicaux (albacore, patudo, listao, germon) ainsi que d'espadon (1 500-3 000 tonnes par an d'espadons pêchés par les palangriers réunionnais dont 80 % dans les eaux malgaches) approchent la pleine exploitation. Les prélèvements totaux ne pouvant pas être augmentés, les captures françaises ne pourraient s'accroître qu'en diminuant celles des navires étrangers.

Surtout, l'impact socio-économique de la pêche hauturière pourrait être augmenté à La Réunion en faisant en sorte que les débarquements des senneurs réunionnais et mahorais ne se fassent plus seulement à Maurice.

Dans le Pacifique, des risques existent sur le renouvellement des stocks de plusieurs espèces (thon rouge, thon jaune, thon germon, bonite) qui ne permettent pas d'envisager une augmentation globale des prises autorisées. Cela dit, des opportunités peuvent exister pour les palangriers de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie au moment où la pêche industrielle par les grands senneurs, notamment japonais, est de plus en plus contestée par les États océaniens.

Pour la pêche côtière en revanche, les perspectives consistent moins à développer la part des pêcheurs ultramarins par rapport à leurs concurrents qu'à mieux exploiter la ressource.

Une question majeure est celle du recours aux DCP ancrés qui, s'ils sont bien organisés, peuvent alléger la pression de pêche sur les ressources démersales du plateau insulaire en favorisant la pêche de thonidés et autres grands pélagiques par des navires de petite pêche côtière qui alimentent le marché local en produits frais 73 ( * ) . Elle est toutefois menacée dans les DROM par les règles de la politique commune de la pêche hostiles aux DCP.

Cette inadaptation des règles communautaires - pensées pour les eaux européennes - aux pêches tropicales a été pointée dans le récent rapport de la commission des affaires économiques du Sénat 74 ( * ) ; elle concerne aussi les aides à la modernisation d'un secteur resté largement artisanal et notamment le renouvellement des embarcations. Un exemple particulièrement emblématique est celui de la pêche côtière guyanaise équipée de petits navires, en bois, opérant au filet maillant. La pêche INN génère probablement une surexploitation de ces ressources et son éradication permettrait le retour à une situation saine des stocks avec un potentiel de développement de l'effort pour la flotte guyanaise, d'autant que les perspectives de croissance de la demande existent en raison de la démographie. Ce développement pourrait toutefois être compliqué par le manque d'infrastructures à terre. Le soutien à la modernisation et à l'extension de la flotte est nécessaire pour saisir les opportunités de développement. Elle est plus généralement une condition de la constitution en véritable filière économique d'une pêche ultramarine encore largement artisanale .

La lutte contre la piraterie et les prises destinées aux ventes illégales , très fréquente dans la pêche lagonaire notamment sous couvert d'activité de plaisance, constitue aussi une condition de sécurisation du cadre économique.

La prise de conscience du véritable fléau que représente la pêche INN 75 ( * ) marque cependant de véritables progrès comme en témoigne par exemple la réorientation, en 2013, du plan régional de contrôle des pêches maritimes de Guadeloupe vers la lutte contre les importations illégales et la pêche clandestine ou encore la signature, le 28 février 2014, de la nouvelle convention de coopération des pays de la Conférence de l'océan Indien (COI) mettant en place un partage systématique des informations en matière de pêche. 76 ( * )

Compte tenu de ses coûts de production plus élevés que ceux de ses voisines, le développement des pêches ultramarines passe aussi par la qualité des productions.

L'aquaculture en donne sans doute l'une des illustrations les plus évidentes. Comme le soulignait déjà le Livre bleu en 2009 77 ( * ) , l'outre-mer est particulièrement propice au développement des activités aquacoles (conchyliculture, pisciculture, crevetticulture, algoculture...). Généralement éloignés des centres de consommation, les outre-mer ne peuvent être concurrents des productions de masse et de faible qualité de pays où les normes sociales, sanitaires et environnementales sont peu élevées, mais ils peuvent jouer la carte de la qualité et adopter de hauts standards. C'est dans cet esprit qu'a été lancé en 2005 le projet de développement durable de la pisciculture outre-mer piloté par l'Ifremer en relation avec les acteurs locaux en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion, à Mayotte, en Polynésie et en Nouvelle Calédonie. Renouvelé dans le cadre du programme « aquaculture durable 2009-2012 », il a tout d'abord consisté à développer avec succès la culture de l'ombrine. La production totale outre-mer a atteint 350 tonnes en quelques années sur l'ensemble de l'outre-mer et donné lieu récemment, parallèlement aux cultures artisanales de quelques tonnes, à la création de fermes de grande capacité à La Réunion et à Mayotte, non encore entièrement exploitées. Outre l'ombrine, le programme oeuvre actuellement au développement de deux espèces destinées aux marchés locaux : le platax, poisson très apprécié des polynésiens qui avait quasiment disparu du fait d'une surpêche lagonaire, et le cobia qui se prête particulièrement bien à la transformation (en filets, darnes voire salaisons et fumaisons). Ce dernier aspect fait actuellement l'objet d'études menées conjointement par l'Ifremer et le pôle agroalimentaire de la Martinique.

(2) Les algues : l'émergence d'une nouvelle économie

Les algues constituent un ensemble d'organismes photosynthétiques possédant des caractéristiques dissemblables. Aucun regroupement simple ne peut être opéré pour les définir et les placer dans une famille cohérente. Par leur présence à la surface des océans qui recouvrent 70 % de la planète, elles jouent un rôle majeur dans le climat . Des centaines de milliers d'espèces sont réparties sur la surface du globe et dans tous les types de milieux aquatiques. Elles ont colonisé tous les milieux de la mer aux eaux douces et saumâtres, des glaces polaires aux zones désertiques en passant par les sources d'eaux chaudes, et elles se sont adaptées aux environnements extrêmes, vivant dans des marais salants, dans des milieux acides, y compris dans des conditions de lumière extrêmement faibles. Elles représentent 90 % de la production primaire (la fabrication de matière organique, à partir de matière minérale et d'énergie) aquatique et 50 % de la production primaire globale.

On estime entre 200 000 et un million le nombre d'espèces existantes. Cette diversité biologique , répondant à leur adaptabilité exceptionnelle, laisse présager une immense richesse en molécules originales , notamment productrices de lipides, ouvrant des perspectives nouvelles au développement de molécules bio-actives, d'enzymes, de polymères, de bioproduits et de nouveaux procédés industriels.

Au niveau mondial, le marché des algues représente déjà entre 6 et 8 milliards de dollars par an ; la production d'algues de culture représente 46 % du total des volumes produits par l'aquaculture marine dans le monde, contre 9 % pour la pisciculture.

En l'état des connaissances actuelles, les algues paraissent pouvoir jouer un rôle majeur dans le développement des «biotechnologies bleues» qui reposent sur six secteurs clés :

1. La chimie : les algues représentent deux intérêts majeurs pour la chimie. Elles sont tout d'abord des ressources de molécules nouvelles, dont l'exploration et l'exploitation sont encore largement à venir. Elles sont également un moyen efficace de produire à grande échelle des molécules dont l'intérêt est déjà connu. C'est en particulier le cas du glycérol, ou encore de colorants comme la béta-carotène ou l'astaxanthine. Enfin, le jus d'algues est un des engrais les plus courants dans les jardineries, dont l'utilisation se répand rapidement grâce à son caractère biologique.

2. L'industrie : l'exploration du potentiel des algues ne fait que commencer. De très nombreux débouchés sont envisagés, des biomatériaux aux bioproduits en passant par les bioprocédés. C'est par exemple dans ce domaine que s'illustre actuellement le groupe français Amadéite.

Le groupe français Amadéite, basé dans le Morbihan, a créé un nouveau matériau composé de feuilles intercalées d'argile et d'algues vertes bretonnes. Ce matériau a des propriétés multiples : il permet de renforcer les défenses immunitaires dans le cadre de l'alimentation animale, réduisant ainsi la consommation d'antibiotiques ; ses propriétés mécaniques et physiques en font également un excellent candidat à l'utilisation dans les carrosseries de voitures ou dans l'emballage alimentaire. La production est par ailleurs saine pour l'environnement, puisqu'elle ne nécessite aucun procédé chimique. Cette technologie fait en ce moment l'objet d'un projet de recherche collaboratif.

Source : Centre d'études sur la valorisation des algues (CEVA)

3. La santé et la biomédecine : que ce soit par le développement de nouveaux médicaments ou de nouvelles thérapies, les algues sont pleines de promesses en matière de santé. Véritables « usines cellulaires », les algues permettent en effet, après modification génétique, la production de protéines recombinantes 78 ( * ) utilisées à des fins thérapeutiques ou de recherche (actuellement par exemple sur le développement de l'hormone de croissance humaine ou insuline...). De plus, les résultats préliminaires ont révélé que différentes espèces d'algues présentaient un potentiel antibactérien, antiviral ou anticancéreux.

Dans le domaine des produits de santé, on peut citer la fabrication de compresses hémostatiques à partir d'alginates de sodium qui fonctionnent comme de véritables éponges piégeant les bactéries. Les mécanismes de la cicatrisation sont accélérés grâce à l'échange de calcium entre le pansement et la plaie et également grâce à l'activation des macrophages.

Les algues sont également prometteuses pour la pharmacopée ; de nouvelles technologies basées sur le bioencapsulement des substances actives dans de l'alginate, une substance d'origine algale, simplifie beaucoup les processus et abaisse les coûts.

4. L'agro-alimentaire : les algues représentent un enjeu important, quoique pour le moment peu exploité, pour le monde agro-alimentaire. Leur récente certification « agriculture biologique » ouvre un nouveau marché à leur utilisation comme engrais, comme agents de saveur et de texture ainsi qu'à leur incorporation directe dans les productions. Les algues présentent des qualités nutritionnelles qui peuvent être un atout majeur pour l'évolution de la filière agro-alimentaire française. Elles ont la faculté de concentrer les minéraux, macroéléments et oligo-éléments. Le calcium extrait de l'algue lithothamne et l'iode des algues brunes en sont les exemples les plus spectaculaires. La spiruline se distingue également pour sa teneur en protéines. Des acides aminés libres ou engagés dans des molécules peptidiques sont présents dans les différentes espèces en quantité significative. De nombreux métabolites secondaires comme les pigments (caroténoïdes) ou les polyphénols sont de bons candidats pour lutter contre le stress oxydatif. L'un des axes majeurs de l'utilisation actuelle des algues dans l'agro-alimentaire est le développement rapide de compléments alimentaires d'origine algale, s'inscrivant dans la logique de la nutriceutique 79 ( * ) .

5. L'environnement : les algues présentent également un intérêt très fort en matière de protection et de préservation de l'environnement. Indépendamment de leur mode d'utilisation, le seul fait de produire des algues est en soi positif pour l'environnement. Les tests effectués actuellement sur les élevages d'algues à l'intérieur des fermes aquacoles prouvent notamment leur forte absorption des rejets. Les méthodes de bioremédiation 80 ( * ) basées sur les algues sont très prometteuses, à l'image du projet de dépollution des eaux développé par la société Biolagostral à La Réunion.

La société Biolagostral a breveté un procédé industriel innovant permettant d'utiliser la capacité exceptionnelle d'absorption et de recyclage des polluants par micro algues. Couplée à une station d'épuration et à un digesteur biogaz, cette technologie permet de dépolluer les eaux usées, de récupérer les nitrates et les phosphates qu'elles contiennent et de fixer le CO 2 émis par l'unité de méthanisation sans entraîner de pollution ou de dégradation du milieu naturel.

D'après le Livre bleu , une grande partie de ces biotechnologies bleues devraient être industriellement et commercialement mature en 2020-2030 .

Selon M. Denez L'Hostis, pilote de la mission « mer et littoral » de France Nature Environnement (FNE) et administrateur de l'Agence des aires marines protégées 81 ( * ) , l'ensemble de ces développements annoncés posent toutefois le problème de la brevetabilité du vivant, et surtout de la territorialisation de celui-ci, alors qu'aujourd'hui toutes ces ressources sont gratuites. D'après lui, « le sujet mériterait des travaux parlementaires, auxquels les outre-mer devraient prendre part de manière significative », et il en appelle à la signature d'un protocole additionnel, sur ces questions, à la convention de Montego Bay.

Si les macroalgues sont d'ores et déjà utilisées pour la production d'engrais et le secteur pharmaceutique, parmi les potentiels identifiés comme les plus importants figure l'utilisation de microalgues 82 ( * ) pour l'élaboration des biocarburants.

Vingt fois plus abondantes que les plantes terrestres, elles ont un rendement à l'hectare dix fois supérieur à celui des oléagineux et une croissance beaucoup plus rapide, tout en offrant une récolte continue, sans concurrence avec la culture alimentaire, ni conflit dans la gestion de l'eau s'agissant des cultures en mer.

De nombreux programmes de recherche ou de développement sont conduits dans le monde en vue de produire des carburants à partir de microalgues : les biocarburants de troisième génération 83 ( * ) .

La France dispose à la fois du savoir-faire nécessaire, encore au stade de la démonstration, le programme SHAMASH piloté par l'INRIA étant l'un des plus avancés.

Le projet SHAMASH a été lancé en 2006 et vise à développer une technologie de biocarburant à partir de microalgues autotrophes. Ces organismes présentent la particularité d'accumuler un très fort taux de leur poids sec en acides gras. Les résultats préliminaires permettent d'envisager un rendement à l'hectare 30 fois supérieur aux oléagineux terrestres actuellement exploités.

Ce projet regroupe 8 équipes et entreprises françaises, et représente un budget total de 2,8 millions d'euros. Il est coordonné par l'INRIA de Sophia-Antipolis.

c) Les ressources minérales

95 % du sol sous-marin de la ZEE ultramarine se situe à plus de 500 mètres de fond, dans des environnements susceptibles de receler d'importantes ressources minérales non énergétiques parmi celles sur lesquelles l'attention des chercheurs est focalisée depuis les années 1970. Elles sont au nombre de trois : les sulfures hydrothermaux, les encroûtements cobaltifères et les nodules polymétalliques. Cette classification traditionnelle suit un ordre d'exploitabilité décroissante au regard de la composition et de la localisation de chacune de ces ressources.

COMPOSITIONS DES NODULES, ENCROÛTEMENTS ET SULFURES HYDROTHERMAUX

Source : Ifremer

(1) Trois ressources ayant chacune leur composition et leur localisation propres
(a) Les sulfures hydrothermaux

Les sulfures hydrothermaux sont considérés comme les ressources les plus immédiatement disponibles . Ils sont présents dans les volcans sous-marins actifs ou récents. Dans ces environnements, les minéralisations sont associées aux sorties de fluides hydrothermaux. Dans la mesure où les fluides les plus salés et les plus chauds ont les plus fortes capacités à transporter les métaux, la pression, et donc la profondeur, jouent un rôle central sur la température à laquelle les fluides sont émis sur le plancher océanique. Les zones les plus favorables à la formation des sulfures polymétalliques sont les zones situées à plus de 1 000 mètres de profondeur tandis que les zones moins profondes se limitent généralement à des dépôts d'oxydes de fer.

Ces amas sulfurés ont en général des teneurs en métaux sensiblement supérieures à celles des mines exploitées à terre notamment en cuivre - indispensable aux câbles électriques et aux composants électroniques - et en zinc, utilisé pour la galvanisation de l'acier 84 ( * ) ou la fabrication d'alliages pour l'industrie automobile. Ils recèlent aussi du mercure 85 ( * ) employé dans nombre de procédés - de la fabrication de vaccins à celle des lampes fluorescentes - et du bismuth - à la base de fusibles électriques et de produits cosmétiques tels que les rouges à lèvres. Ils contiennent enfin quelques métaux stratégiques à potentiel technologique élevé et pour lesquels des risques de pénurie existent tels que l'indium, le germanium, le cadmium, l'antimoine, le sélénium, le molybdène et des terres rares. De telles configurations ont été identifiées à Wallis-et-Futuna, dans les îlots de Hunter et Matthew (Nouvelle-Calédonie), dans les îles Saint Paul et Amsterdam, l'archipel des Crozet, les îles Kerguelen, à Mayotte, aux Antilles et en Polynésie.

(b) Les encroûtements cobaltifères

Ces ressources sont présentes dans les volcans anciens et atolls immergés, c'est-à-dire des environnements situés en général loin des continents dans des zones où les taux de sédimentation sont très faibles. C'est le cas de l'archipel des Tuamotu (Polynésie française), des îles Kerguelen, de Mayotte et des Îles Éparses. Les encroûtements sont surtout constitués d'oxydes de fer et de manganèse. Ils sont en moyenne trois fois plus riches en cobalt et souvent fortement concentrés en platine. Les concentrations les plus élevées (maximum 1,8 % de cobalt et 3,5 g/tonne de platine) sont situées en Polynésie, entre 1 500 et 2 000 mètres de profondeur. La valeur « métal contenu » est deux à trois fois supérieure à celle des latérites exploitées à terre où la teneur n'excède pas 0,4 %. Ces encroûtements pourraient constituer le premier minerai de cobalt, ce métal étant à ce jour un sous-produit d'autres exploitations. Sur certains sites, le platine pourrait constituer un sous-produit très répandu. Plusieurs éléments mineurs tels que des terres rares (yttrium, lanthane, cérium), du titane, du thallium, du zirconium, du tellure et du molybdène peuvent être trouvés à des concentrations intéressantes. La concentration en terres rares, en platine et en cobalt serait beaucoup plus forte dans les encroûtements que dans les nodules ; pour les terres rares ce rapport serait de 1 à 10.

(c) Les nodules polymétalliques

Les nodules sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre qui peuvent tapisser les fonds océaniques , en particulier dans les zones éloignées des continents. Les faibles taux de sédimentation ainsi que les grandes profondeurs induisant la dissolution des carbonates dans les plaines abyssales sont les lieux privilégiés pour la formation des nodules polymétalliques. Les chercheurs ont beaucoup compté sur les nodules polymétalliques dans les années 1970, avant de prendre conscience de la complexité de leur éventuelle récolte et mise en exploitation . L'une des difficultés majeures est d'identifier la localisation des nodules dont la teneur en métal est la plus forte.

Lors de son audition, M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'Ifremer, a indiqué que, dans les ZEE de l'outre-mer français, des nodules enrichis en cobalt avaient été localisés à l'ouest de la Polynésie et des nodules polymétalliques dragués au nord de l'île de Clipperton. Les métaux de base contenus dans les nodules sont le fer (7 à 23 %), le manganèse (7 à 26 %), le cuivre (290 à 10 200 ppm 86 ( * ) ), le nickel (2 600 à 12 800 ppm), et le cobalt (2 400 à 8 000 ppm). La zone Clarion-Clipperton présentant des teneurs intéressantes en cuivre (0,82 %), nickel (1,28 %) et manganèse (25,40 %) fait l'objet de nombreux permis miniers. Le cuivre est en moyenne à des concentrations doubles de celle des grandes mines andines (0,5 %). Les nodules peuvent être enrichis en éléments rares comme le cérium (0,1 %). D'autres éléments tels que molybdène, tellure, vanadium, zirconium et thallium peuvent être concentrés à plusieurs centaines de grammes par tonne. Les nodules peuvent ainsi être considérés comme des réserves stratégiques pour des métaux de base et pour certains métaux rares.

(d) Le cas des placers continentaux

Lors de son audition par la délégation le 14 novembre 2012, M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a également mentionné les placers (dépôts sédimentaires) des plateaux continentaux aujourd'hui encore très mal connus. Près de Terre Neuve, des placers littoraux riches en chromite ont néanmoins été signalés. Au sud de la Guyane, le Brésil a terminé en 2007 une carte d'inventaire des indices minéralisés et du potentiel des eaux brésiliennes en ressources minérales. Ces données, complétées par une analyse systématique des anomalies géochimiques dans les sédiments, font apparaître des concentrations anormales en scandium, vanadium, titane et zirconium. Malgré l'absence de travaux dans la ZEE guyanaise, on peut penser que le potentiel devrait être assez proche de celui de la zone brésilienne voisine.

(2) L'exploitation des ressources de la ZEE française
(a) Le projet engagé à Wallis-et-Futuna

Indépendamment des actions patronnées par la France dans la zone internationale, une campagne d'exploration est menée dans sa propre ZEE, à Wallis-et-Futuna depuis 2010. La recherche se concentre sur les nodules polymétalliques renfermant notamment du manganèse, du cuivre, du nickel et du cobalt. La campagne est conduite par l'Ifremer dans le cadre d'un partenariat réunissant le ministère de l'écologie, le BRGM, l'Agence des aires maritimes protégées ainsi que les entreprises Eramet et Technip 87 ( * ) . L'objectif de cette campagne menée à bord de l'Atalante - navire de l'Ifremer - est la localisation et la cartographie des champs hydrothermaux et de dépôts sulfurés, le prélèvement d'échantillons et l'étude de la biodiversité .

Outre qu'elle a permis de découvrir les premières minéralisations hydrothermales dans une zone économique exclusive française, elle a aussi eu pour effet d'élargir considérablement la taille présumée du domaine sous-marin du volcanisme par rapport à l'évaluation qui avait été faite en 2000 par l'Atalante. La campagne de l'Atalante a ainsi mis en évidence que 57 % des fonds cartographiées sont couverts par des formations volcaniques récentes, soit autant de zones potentielles pour la formation de minéralisations hydrothermales. Les explorations se poursuivent afin de réaliser des cartes géologiques des zones minéralisées, des cartes préliminaires de la biodiversité et des échantillonnages de fluides hydrothermaux et d'échantillons minéralisés.

Le consortium n'envisage pas le dépôt d'un permis de recherche exclusif à court terme même si une telle demande devrait logiquement intervenir si les études confirmaient les premiers résultats. Parmi les partenaires du consortium, c'est Eramet, seul opérateur minier, qui serait en position de faire cette démarche. Il est de même trop tôt pour anticiper une mise en exploitation qui doit être précédée d'une reconnaissance fine de la ressource permettant de valider un projet dont les investissements seraient de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros.

(b) Les perspectives

Lors de son audition du 30 mai 2012, Mme Nathalie Bassaler, conseil scientifique en prospective auprès du Centre d'analyse stratégique (CAS), a estimé qu'à la lecture de l'étude de l'Ifremer 88 ( * ) , sur les vingt prochaines années les enseignements suivants pouvaient être tirés.

Pour les nodules polymétalliques, l'exploitation apparaît possible techniquement à moyen terme, mais hypothétique sur le plan économique car elle nécessite des technologies d'exploitation encore très lourdes. Cette ressource sera toujours plus onéreuse que les ressources terrestres : la profondeur moyenne d'extraction est en effet de 4 000 mètres, ce qui est considérable. L'exploitation ne pourra pas être envisagée avant les quinze ou vingt prochaines années. Outre ces conditions d'exploitation incertaines, la valeur brute du minerai varie dans des fourchettes moyennes, ce qui laisse présager un rendement faible. Il s'agit souvent de gros gisements mais à faible teneur en métal.

Certains encroûtements à petits gisements ont une forte teneur en métaux de base comme le cuivre, le zinc et quelques métaux précieux. Mais dans la mesure où le tonnage est assez faible dans chaque gisement, l'effet volume ne parviendrait pas à atteindre une quantité suffisante de métal. On estime que dans tous les cas de figure l'exploitation de ces gisements n'aurait pas d'impact sur l'offre mondiale à l'horizon 2030. Les enjeux économiques demeurent donc très limités à court et moyen termes.

Les enjeux économiques des sulfures hydrothermaux pourraient en revanche être plus importants. Certains sites sont connus mais les campagnes d'exploration réalisées il y a plusieurs années n'avaient pas pour objectif de vérifier la teneur en métal dans la mesure où les tensions pesant sur les ressources minérales et les matières premières n'étaient pas aussi prégnantes. La connaissance doit donc être approfondie et des explorations sont en cours. Elles concernent surtout des zones présentant un intérêt stratégique car comportant des métaux rares.

Toutefois, comme le remarquait M. François Bersani, président de la section régulations et ressources du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies 89 ( * ) lors de son audition du 30 mai 2012, « on ne peut encore prédire des perspectives d'exploitation (...). Certains gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie ne paraissaient pas exploitables et rentables il y a quelques années. L'évolution des cours du nickel et les progrès de la science ont changé la donne ».

Pour sa part, la Commission européenne estime dans sa communication sur la croissance bleue 90 ( * ) que, d'ici à 2020, 5 % de la quantité mondiale de minéraux, y compris le cobalt, le cuivre et le zinc, pourraient provenir des fonds marins ; ce chiffre pouvant atteindre 10 % d'ici 2030. Le chiffre d'affaires annuel mondial de l'exploitation minière marine pourrait passer de pratiquement zéro à 5 milliards d'euros dans les dix prochaines années et atteindre jusqu'à 10 milliards d'euros d'ici à 2030.

Elle note que les progrès technologiques ainsi que les préoccupations relatives à la sécurité de l'approvisionnement ont encouragé les sociétés minières à considérer ce que la mer peut apporter et fait observer que l'exploitation et l'extraction des minéraux de la mer 91 ( * ) ont tout juste commencé. La plupart des activités actuelles sont encore réalisées en eau peu profonde ; or, des progrès très rapides pourraient avoir lieu dans la course aux profondeurs comme l'illustre le projet de la société canadienne Nautilius Minerals. Alors que l'on avait pas procédé à des opérations de collecte de minéraux à des fins commerciales à plus de 200 mètres, les essais effectués par la compagnie depuis 2010 démontrent la possibilité de procéder au ramassage des sulfures polymétalliques situés à 1 700 mètres de fond. C'est sur la base de ce constat que la Commission européenne a lancé le 19 mars 2014 92 ( * ) une consultation publique sur l'exploitation des minéraux des fonds marins 93 ( * ) .

Les trente années qui viennent seront d'une façon certaine bien plus actives en matière d'exploration et d'exploitation des minéraux marins que ne l'ont été celles qui nous séparent des premiers travaux des années 1970 et 1980. En effet, les politiques mises en oeuvre (économie de matières, substitution, recyclage) permettront, au mieux, de repousser l'échéance des pénuries de ressources terrestres mais sans doute sans pouvoir l'éviter.

3. Un cercle vertueux d'innovation à la clé

L'inventaire des ressources de la ZEE rappelle que la mer est un environnement encore largement méconnu où beaucoup reste à découvrir. Toutefois, sans attendre les prochains développements de l'économie bleue dont l'accélération est attendue pour les dix ans qui viennent, force est de constater que le milieu marin est d'ores et déjà pourvoyeur d'innovations , à l'origine de productions industrielles et d'emplois.

a) Les fonds marins, moteurs d'innovations industrielles déjà avérées

Le domaine d'innovation le plus spectaculaire et sans doute l'un des plus prometteurs d'innovations lié à la mer est celui des algues . Le marché mondial était évalué à plus de 5 milliards d'euros 94 ( * ) , et ce alors que l'essentiel des applications se limitent pour l'heure aux colloïdes 95 ( * ) , à l'alimentation humaine et à la chimie fine 96 ( * ) . L'alimentation représente encore 80 % des productions marquées par une forte diminution relative de l'algue-aliment (consommée en particulier en Asie) au profit de l'algue matière première dont sont extraites pour l'essentiel enzymes et protéines. Les algues sont d'ores et déjà au centre d'un nouveau secteur à forte valeur ajoutée, celui des biotechnologies bleues.

Celles-ci génèrent des activités à tous les stades et ce dès la production des algues elles-mêmes, car si la consommation alimentaire traditionnelle pouvait se contenter de la cueillette des algues échouées, les nouveaux besoins appellent la culture de variétés spécifiques, activité en voie de structuration sur des sites nouveaux ou dans des fermes aquacoles et conchylicoles existantes.

L'exploration et l'exploitation des ressources marines est aussi une source d'innovations. En la matière, les activités liées à l'énergie offshore constituent depuis plusieurs décennies des marchés matures. Les industries et services parapétroliers occupent ainsi une place importante dans l'économie française grâce à des entreprises telles que :

- le groupe Bourbon qui disposait fin 2012 d'une flotte de plus de 400 navires dédiés à l'exploitation et aux transports d'hydrocarbures,

- Technip, spécialiste de l'ingénierie et leader mondial de la fabrication des plates-formes semi-submersibles et des conduites sous-marines pour les gisements ultra-profonds,

- ou encore la compagnie CGG Veritas qui offre ses services dans le domaine de la sismique marine , de la géophysique et des équipements spécialisés dans la prospection marine.

Atouts essentiels des majors dans la course aux gisements partout sur la planète, ces entreprises sont tenues d'innover et de repousser les limites en permanence. Ceci leur donne une longueur d'avance dans les nouvelles activités liées aux ZEE. Ainsi, l'expertise reconnue des chantiers navals français en matière de navires transporteurs d'hydrocarbures leur a non seulement permis de résister à la concurrence asiatique mais elle les met en bonne place dans la conception et la construction des navires stockant et transportant l'énergie thermique marine associée à l'hydrogène 97 ( * ) .

b) Une importance stratégique pour nos industries de pointe

Les ZEE viennent aussi conforter l'innovation dans les filières industrielles existantes, soit en leur offrant simplement un terrain d'expérimentation, soit en leur apportant les ressources nécessaires à la poursuite de leur développement.

(1) L'outre-mer, vitrine de l'innovation technologique

Dans le domaine des énergies marines , les grands opérateurs français possèdent un avantage sur leurs concurrents qui n'ont pas, de façon aussi naturelle, accès aux environnements caractérisant nos outre-mer. Par exemple, le développement des technologies d'énergie thermiques marines , propre aux eaux tropicales, complète la palette des produits et services offerts par nos entreprises leur ouvrant des marchés dans les pays du sud auxquels leurs concurrents européens n'auraient pas accès. De même, en matière d'éoliennes marines , les ZEE ultramarines ont des contraintes très spécifiques par rapport aux mers de l'hexagone (dans certains cas, absence de plateau continental conduisant à envisager des systèmes flottants, tempêtes tropicales) qui conduisent nos entreprises à créer des produits adaptés et à développer des technologies susceptibles d'être transférées vers d'autres production. Selon la formule du Livre bleu, les outre-mer ont vocation à devenir « la vitrine française des énergies renouvelables marines ».

D'une façon générale, il ne s'agit pas seulement d'innovations de procédés consistant à fournir un produit ou un service existant grâce à une nouvelle méthode 98 ( * ) mais aussi d'innovations de produits donnant lieu à l'élaboration d'objets aux caractéristiques inédites, susceptibles d'offrir des fonctionnalités nouvelles dans d'autres secteurs que ceux pour lesquels ils ont été conçus. Ainsi en est-il, dans le domaine du génie des matériaux , des travaux de DCNS portant sur des tuyaux reliant les stations d'ETM à la terre qui doivent répondre au double défi d'être assez solides pour résister à la forte pression des grandes profondeurs et suffisamment souples pour s'adapter aux courants marins 99 ( * ) .

(2) Les terres rares de la ZEE au secours des industries innovantes

Dans d'autres domaines, l'enjeu des ZEE est la fourniture de ressources indispensables à des filières industrielles innovantes et stratégiques . Ceci est particulièrement vrai des « terres rares », ensemble de métaux peu connus 100 ( * ) , car produits en faibles quantités, mais pourtant indispensables à des secteurs industriels de pointe. Les terres rares entrent en effet dans la fabrication d'équipements aussi variés que les catalyseurs de nos véhicules à essence, les ampoules basse consommation, les batteries de nos téléphones. Elles sont nécessaires à la mise au point des moteurs des véhicules électriques, des disques durs de nos ordinateurs, des éoliennes, ou des panneaux photovoltaïques les plus performants. Leurs propriétés chimiques sont également utilisées dans les céramiques à haute température, par exemple pour les réacteurs nucléaires.

Or, il existe un risque de pénurie de certains de ces métaux du fait de la croissance des besoins supérieure à celle de l'offre, mais aussi du jeu de l'un des acteurs qui tend à acquérir une position monopolistiques sur ce marché. Il s'agit de la Chine qui concentre 97 % de la production mondiale, tous éléments confondus, alors même qu'elle n'est créditée que de 37 % des réserves prouvées pour 7 % de la superficie mondiale. De plus, la Chine tend à utiliser la détention de terres rares pour faire pression sur les sociétés utilisatrices afin de s'assurer qu'elles installent une partie de leurs productions industrielles dans le pays 101 ( * ) .

Dans ce contexte, la présence de terres rares sur des territoires ou dans la ZEE française est une information de première importance. D'après le BRGM, des gisements terrestres pourraient exister en Nouvelle-Calédonie 102 ( * ) et en Guyane 103 ( * ) . L'attention s'est aussi focalisée depuis quelques années sur les ressources sous-marines de Polynésie française essentiellement contenues dans les encroûtements polymétalliques des Tuamotu et entre Tahiti et les Australes ainsi que dans les vastes plaines abyssales situées entre 4 et 5 000 mètres de profondeurs 104 ( * ) .

L'information de la découverte par des chercheurs japonais 105 ( * ) de stocks importants de terres rares dans des sédiments marins du Pacifique propulsant la ZEE polynésienne au deuxième rang de la détention potentielle de 30 % à 50 % du marché mondial a fait l'objet de très nombreux articles dans la presse mondiale en 2011. Cependant, les concentrations de terres rares annoncées (de l'ordre 0,1 à 0,2 %) sont nettement inférieures à celles des minerais exploités à terre (de l'ordre de 5 %). Un débat existe encore sur la localisation des gisements les plus denses.

De même, malgré l'importance des travaux déjà menés dans la ZEE dans le cadre du programme ZEPOLYF (Zone économique de Polynésie française), de nombreuses données restent à acquérir pour définir précisément les caractéristiques des gisements identifiés dans les secteurs des Îles Tuamotu et celles de la Société, ainsi que leurs rendements potentiels.

Si aucune donnée certaine n'est encore disponible, l'avenir de pans entiers de nos industries de pointe passent probablement par la valorisation de ces ressources minérales. Comme le démontre l'exemple de General Motors, c'est non seulement la fabrication les produits high-tech déjà connus qui est en cause mais aussi notre capacité à en concevoir de nouveaux.

L'existence de notre ZEE n'est donc pas seulement une promesse d'avenir, elle alimente aujourd'hui notre système d'innovation à différents niveaux et elle apporte des éléments de réponse aux enjeux du développement des secteurs les plus prometteurs .

Elle permet aussi à de nouvelles activités de passer du domaine expérimental à l'exploitation industrielle.

c) Des secteurs de l'économie marine passent de la recherche expérimentale à l'innovation industrielle

À l'instar des applications à partir d'algues, notamment en matière de biocarburants, certaines technologies d'exploration et d'exploitation sous-marines sont sans doute prêtes à passer de l'expérimentation à la phase industrielle .

C'est un domaine dans lequel la France possède une réelle avance, sensible dans le domaine des sous-marins habités (Nautile) ou télé-opérés (Victor 6000). Les innovations intervenues en la matière depuis une cinquantaine d'années visaient essentiellement des débouchés dans le domaine de la recherche mais la concrétisation des premiers projets miniers privés dans les grands fonds (à la suite du projet actuel au large de la Papouasie) devrait donner le coup d'envoi d'un véritable marché des équipements spécialisés, passage de la mise en place de prototypes expérimentaux à la production d'engins en série.

De ce point de vue, la comparaison peut être faite entre l'exploration et l'exploitation des fonds marins et celle de l'espace. Jusqu'aux années 1970, les équipements spatiaux étaient exploités à des fins scientifiques ou stratégiques, et l'ensemble des secteurs était placé sous le contrôle des États avant que le marché ne devienne mature pour les satellites (production industrielle et confrontation d'une offre et d'une demande privées), puis pour les lanceurs (mise en compétition des différents lanceurs pour obtenir les commandes des propriétaires de satellites). Récemment, une nouvelle étape a été franchie dans les années 1990 et 2000 lorsque les différentes stations de tirs, certes encore fortement placées sous contrôle public, ont accueilli des lanceurs qui n'étaient plus seulement ceux de leurs opérateurs historiques 106 ( * ) . À côté d'activités à caractère scientifique qui demeurent (telles que celles de la station spatiale internationale), l'utilisation de l'espace est ainsi devenu en quelques décennies une activité commerciale structurant des filières industrielles à très forte valeur ajoutée aux retombées multiples dans les secteurs connexes (télécommunications, génie des matériaux, aéronautique, connectique des objets embarqués etc.).

Or, si l'on en juge par le dynamisme des demandes de permis auprès de l'AIFM et par l'accélération des innovations dans les industries d'exploration et d'exploitation des fonds marins 107 ( * ) , tout indique que nous sommes précisément dans la période où le marché commence à se structurer.

Pour aujourd'hui et pour demain, pour les territoires ultramarins comme pour la France dans son ensemble et pour l'Europe, nos zones économiques exclusives sont donc susceptibles de changer la donne dans de nombreux domaines. Mais encore faut-il que le sujet sorte du cercle des seuls chercheurs ou des spécialistes de la mer. Il doit non seulement être reconnu comme une priorité stratégique, mais il doit aussi être traité comme tel ; ce qui n'a, jusqu'à maintenant, pas été le cas.

II. À L'HEURE DE LA MARITIMISATION, LA FRANCE ET SES OUTRE-MER DOIVENT DÈS MAINTENANT SE PROJETER AU PREMIER RANG DE LA COMPÉTTION MONDIALE

Même si les prises de conscience semblent se multiplier, une stratégie à la hauteur des enjeux se fait attendre. Pour le moment, les ZEE sont encore des espaces « en pointillés », aux frontières fragiles et aux ressources mal connues.

A. LA POLITIQUE FRANÇAISE DANS LES ZEE ULTRAMARINES : DES RESPONSABILITÉS INSUFFISAMMENT ASSUMÉES

1. L'insuffisante affirmation de la souveraineté française induit une fragilité croissante

Les frontières des espaces sous juridiction française ne sont ni complètement délimitées ni respectées. Elles sont même contestées sans que l'État fasse toujours le nécessaire pour rappeler sa souveraineté.

a) Les frontières de nos ZEE sont loin d'être toutes officiellement reconnues

L'observation des cartes de nos ZEE 108 ( * ) fait clairement apparaître que leurs limites ne sont ni clairement, ni complètement établies. Cette remarque vaut par exemple pour le sud-ouest de l'océan Indien.

Sur cette carte, la ZEE autour de La Réunion et de Tromelin est entourée de trois types de limites :

- au sud (l'arc de cercle) correspond à la limite des 200 milles, aucun État n'ayant de ZEE susceptible d'entrer en concurrence avec celle de la France ;

- à l'est et l'ouest, il n'a pas été possible d'aller jusqu'à 200 milles des côtes réunionnaises compte tenu de la proximité de l'Île Maurice et de Madagascar. Comme indiqué sur la carte, des accords ont donc été conclus avec chacun de ces deux pays respectivement en 1982 et en 2005. De tels accords sont aujourd'hui prévus par l'article 74 de la convention de Montego Bay même si la France avait commencé à en conclure auparavant, dans la mesure où elle avait unilatéralement posé le principe de zones économiques exclusives dès 1977 ;

- au nord enfin, autour de Tromelin, les limites sont en pointillés, car elles ne sont pas fixées officiellement. Faute d'accord, les cartographes ont tracé une ligne située à égale distance des côtes des pays concernés (méthode de l'équidistance dite « virtuelle ») ;

Pour Mayotte, c'est même la totalité des limites de la ZEE qui ne sont pas stabilisées . Cette situation de non-droit a des conséquences directes puisqu'en mars 2014 le parlement des Comores a autorisé la délivrance de permis d'exploration pétrolière sur une aire de 6 000 km 2 empiétant sur le périmètre théorique de la ZEE de Mayotte. Qu'adviendra-t-il si ces permis débouchent d'ici quelques années sur une exploitation effective de l'or noir ? Outre qu'il s'agira d'une perte nette de richesse pour le 101 ème département français, l'existence d'une telle activité n'aura-t-elle pas tendance à renforcer les prétentions comoriennes au moins sur notre espace maritime ? Quelles conséquences et quelles responsabilités en cas de marée noire liées à ces activités ? L'insécurité juridique qui règne dans les zones non délimitées n'est-elle pas de nature à décourager les investisseurs lorsqu'il s'agit de projets présentant déjà un risque économique élevé comme dans le secteur émergent de l'exploitation des métaux des fonds marins ?

Le cas de Mayotte met en relief des questions qui valent malheureusement pour une grande partie de l'outre-mer français car, hors de l'océan Indien, nombre de ZEE ne sont toujours pas officiellement délimitées.

L'état des délimitations des ZEE ultramarines

- Les ZEE des Antilles françaises sont contraintes par leur insertion dans l'arc caraïbe. Leur délimitation a donné lieu à cinq accords avec les États riverains : en 1980 avec le Venezuela (îlot Aves) ; en 1981 avec Sainte Lucie ; en 1987 avec la Dominique et en 1996 avec le Royaume-Uni (territoires d'outre-mer de Montserrat et Anguilla). Les délimitations restent à faire avec les Pays-Bas (Antilles néerlandaises), Saint Kitts & Nevis, Antigua & Barbuda (avec la ZEE de Saint-Barthélemy) et la Barbade.

- Pour la Guyane , la ZEE présente l'avantage d'une étendue sans obstacle au large et d'être formée sur toute sa superficie d'un plateau continental. Si la frontière des ZEE brésilienne et française à l'est a fait l'objet d'un accord dès 1981, la délimitation avec le Surinam, à l'ouest, n'a pas abouti à ce jour.

- La ZEE de Saint-Pierre-et-Miquelon a été délimitée à la suite d'un arbitrage du 10 juin 1992 (non publié au Journal officiel). En raison de sa forme, une bande longue et étroite orientée nord-sud de 10 milles sur 200, elle n'est réellement exploitable que dans le cadre d'une coopération avec le Canada.

- Dans le sud de l'océan Indien , à La Réunion, Tromelin et Mayotte s'ajoutent les Terres Australes qui disposent d'une ZEE dont la limite est définie par la convention franco-australienne de 1982.

- La délimitation de la ZEE de Nouvelle-Calédonie a fait l'objet de trois conventions : avec l'Australie en 1982 (ne concerne pas la ZEE sud-est du territoire), avec les Fidji en 1983 et les îles Salomon en 1990.

- Pour Wallis et Futuna , des accords ont été passés avec les Tonga, les Samoa occidentales et les Fidji en 1983 (dans le cadre de l'accord portant aussi sur la Nouvelle-Calédonie), tandis que les conventions avec Tuvalu et Tokelau n'ont pas été signées bien que celles-ci ne soulèvent pas de problèmes particuliers.

L' incertitude pesant sur les frontières de nos espaces maritimes est en outre accentuée par plusieurs facteurs :

- le principe de l'équidistance retenu pour le tracé des pointillés sur les cartes ne saurait être considéré comme l'approximation de ce que seraient les futures limites après passation d'un accord. En effet, tandis que la convention de Montego Bay ne fixe aucune règle précise pour orienter les accords 109 ( * ) , il est d'usage que la règle de l'équidistance soit assortie de la prise en compte d'autres considérations telles que la longueur relative des côtes des deux États demandeurs ou plus généralement la prise en considération de « circonstances spéciales » 110 ( * ) ;

- la seule règle de l'équidistance fait en outre elle-même l'objet d'applications et d'interprétations variées . Plusieurs méthodes existent pour la déterminer et des débats ont lieu notamment sur le point à partir duquel la distance aux côtes est calculée. Un incident est ainsi survenu en 2012 entre la France et le Vanuatu à l'occasion de l'arraisonnement d'un navire de pêche chinois dans une zone qui n'avait pas fait l'objet de délimitation officielle et était considérée respectivement par le Vanuatu et par la France comme située sur leur ZEE. La source de cette confusion venait du point de savoir à partir de quel élément émergé est calculée la ZEE de la Nouvelle-Calédonie, la France ayant considéré qu'il pouvait s'agir de derniers récifs situés au nord des îles Loyauté ;

- pire encore, les lignes de base à partir desquelles l'ensemble des espaces maritimes sont définis n'ont pas encore toutes été officiellement fixées . Les décrets portant délimitation des lignes de base des îles Saint-Paul et Amsterdam, de Wallis-et-Futuna et de Mayotte n'ont été pris que le 17 décembre 2013 et il manque encore ceux relatifs à La Réunion, l'île de Crozet, Clipperton et les Îles Éparses (Europa, Bassas da India, Juan de Nova, les Glorieuses et Tromelin). Comme le faisait remarquer M. Michel Aymeric, secrétaire général de la mer, certaines délimitations de lignes ont même été notifiées à l'ONU alors que les décrets n'avaient pas été pris ni publiés au niveau national...

- la fragilité juridique de nos ZEE se double de fortes incertitudes sur l'extension du plateau continental , dont elle est aussi en partie la cause 111 ( * ) puisque sur 14 demandes 112 ( * ) soumises à l'étude, seules 4 ont donné lieu à ce jour à une recommandation de la CLPC, aucune n'ayant encore été traduite dans le droit par les autorités nationales 113 ( * ) , et le processus d'ensemble pourrait n'aboutir que dans 10 ou 15 ans.

Sans délimitation établie, l'étendue de notre domaine maritime n'est pas opposable aux États tiers. Les actions de protection et d'exploitation de ces espaces peuvent s'en trouver fragilisées. L'ensemble de ces incertitudes est propice au développement de véritables zones de non droit dans des espaces théoriquement sous juridiction française. Ceci ne peut qu'affaiblir la crédibilité de l'État en mer et sa capacité à exercer ses responsabilités , notamment de gestion et de protection des ressources. Mais l'affirmation de la souveraineté française ne dépend pas seulement de la sécurisation juridique du statut des ZEE ultramarines ; elle appelle aussi une présence effective et visible de l'État.

b) Une présence de l'État de moins en moins visible

Les 11 millions de kilomètres carrés de ZEE française constituent à coup sûr un terrain difficile à occuper en permanence . Son immensité se double de l'éloignement des territoires ; il faut ainsi 20 jours de mer aux bâtiments de la Marine nationale au départ de Brest pour rallier Nouméa. Il s'agit même dans certains cas de territoires isolés et inhabités dont la mer adjacente attire les convoitises, des Terres australes françaises à Clipperton en passant par les Îles Éparses.

Même pour un pays comme la France, dont les outre-mer sont sans équivalent sur la planète et doté de la cinquième marine militaire du monde par son tonnage, la présence sur l'ensemble des ZEE s'apparente au remplissage du tonneau des Danaïdes 114 ( * ) . On ne peut dès lors que regretter la situation créée par le retrait des moyens de l'État.

(1) Les enjeux de la présence des forces de souveraineté

La sécurité des espaces maritimes constitue un enjeu majeur pour les territoires ultramarins . Les menaces sont multiples, des passeurs d'immigrants clandestins aux pilleurs d'espèces marines protégées, en passant par les pollueurs, les trafiquants de stupéfiants, les pirates et les terroristes. Les menaces pesant sur nos sociétés (terrorisme, narcotrafic, immigration clandestine, pollutions, usage illégal des ressources) présentent toutes une large composante maritime. La piraterie et le grand banditisme sur mer prennent de nouvelles formes et s'adaptent aux évolutions technologiques, notamment en matière d'armements. Si les risques sont majoritairement civils, les marines militaires sont les seules à pouvoir réellement agir en haute mer et appuyer les activités régaliennes de surveillance et de sécurité des eaux territoriales et du littoral.

Dans la mesure où la lutte contre ces menaces contribue directement ou indirectement à stabiliser les régions riveraines, la France agit au-delà de la protection de ses intérêts au profit de la stabilisation des régions les plus sensibles : c'est notamment le cas dans l'océan Indien, avec les Forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FASZOI).

Certes, la France n'est pas toujours seule et elle peut engager des partenariats régionaux comme elle le fait déjà en matière d'assistance en cas de catastrophes naturelles 115 ( * ) . À ce titre, on ne peut que partager le voeu émis par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale du 29 avril 2013 selon lequel « La défense et la sécurité des outre-mer doivent prendre en compte de façon systématique leur environnement régional. Ainsi, s'agissant de la lutte contre la pêche illicite ou contre l'orpaillage clandestin en Guyane ou contre l'immigration irrégulière à Mayotte, la France doit s'employer à mieux associer ses voisins, notamment le Brésil et l'Union des Comores, à la lutte qu'elle poursuit contre ces menaces et leurs conséquences 116 ( * ) . »

Certes, la France peut aussi multiplier les moyens de surveillance et de protection des zones placées sous sa juridiction, notamment par voie satellitaire ou aérienne.

Mais comme le soulignait le rapport précité sur la maritimisation, « une chose est de constater par voie de satellite le pillage de nos ressources halieutiques au large de Clipperton ou en Guyane, une autre est d'intervenir et de procéder à des contrôles, voire à des arraisonnements ». Pour assurer les droits souverains de la France sur les espaces maritimes, la présence effective de capacités d'action sur les théâtres d'opération est irremplaçable . Or, celles-ci sont en retrait.

(2) L'organisation du dispositif de souveraineté outre-mer

Le dispositif français des forces de souveraineté s'organise traditionnellement autour de trois points d'appui principaux : la Guyane , où sont stationnées les forces armées en Guyane (FAG) intervenant sur la zone Caraïbe ; La Réunion , base des forces armées en zone sud de l'océan Indien (FAZSOI) compétentes pour l'ensemble de celui-ci ; enfin, la Nouvelle-Calédonie qui accueille les forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) intervenant dans l'ensemble de l'océan Pacifique. Il s'agit de dispositifs interarmées en mesure d'agir avec des groupements tactiques interarmes et les moyens de projection aéromaritimes associés.

Les Antilles , qui accueillent les forces armées aux Antilles (FAA) et la Polynésie , base des forces armées en Polynésie française (FAPF), sont des points d'appui consistant en des dispositifs allégés à dominante maritime, capables d'accueillir des renforts. À ces cinq implantations s'ajoute un petit détachement maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon 117 ( * ) .

Les missions exercées à partir de ces implantations sont très hétérogènes , ainsi que l'avait confié le contre-amiral Patrick Chevalereau, secrétaire général-adjoint de la mer lors de son audition par votre délégation et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en 2012 : « les besoins de présence de patrouilles autour de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas les mêmes que dans le secteur des îles Kerguelen ; les menaces qui s'exercent dans le nord du canal du Mozambique, non loin de Mayotte, autour des îles Glorieuses, et qui sont caractérisées par l'extension géographique de la piraterie, par l'immigration illégale, ne sont pas les mêmes que dans les Caraïbes où l'on a une forte dimension de trafic de stupéfiants ». De fait, les Antilles sont plutôt orientées vers la lutte contre le narcotrafic alors que la zone sud de l'océan Indien se caractérise par des missions, dans les zones nord et australes, de police des pêches et, à Mayotte, de lutte contre l'immigration clandestine . En Nouvelle-Calédonie, la priorité est donnée à la surveillance maritime et à la police des pêches. En Polynésie française, les missions sont plus diversifiées puisqu'elles comprennent à la fois des missions de souveraineté et de protection des intérêts nationaux, des missions de sauvegarde des personnes et des biens ainsi que de police des pêches et de police douanière. En Guyane, enfin, l'accent est mis sur la protection des intérêts nationaux, en raison de l'importance stratégique du centre spatial guyanais.

(3) Un repli des moyens, facteur de risques

Conformément aux orientations fixées par le Livre blanc de 2008, au demeurant non remises en cause en 2013, les forces de souveraineté ont vu leur format réduit au « niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites », ce qui est censé laisser plus de place aux moyens de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile. Initiée dès 2008, cette réorganisation a eu pour objectif de ramener les effectifs des forces de souveraineté (personnels civils et militaires) de 10 644 personnes en 2008 à 8 234 en 2020, soit une réduction globale de 23 %.

Évolution des effectifs des forces de souveraineté

Effectifs des forces de souveraineté (personnels militaires + personnels civils),
2008-2020

2008

Objectif 2020

Évolution prévisionnelle,
2008-2020

(sur 13 ans)

La Réunion

1 970

1 764

- 10,5 %

Mayotte

350

340

- 2,9 %

Polynésie

2 134

1 058

- 50,4 %

Nouvelle-Calédonie

2 085

1 680

- 19,4 %

Martinique

1 690

970

- 42,6 %

Guadeloupe

340

150

- 55,9 %

Guyane

2 085

2 234

+ 7,1 %

TOTAL(*)

10 664

8 234

- 22,8 %

(*) Y compris Saint-Pierre et Miquelon et effectifs non répartis.

Source : document annexé à l'audition du 15 janvier 2013

Lors de son audition du 15 janvier 2013, le général Pierre Chavancy nous a précisé les conditions de mise en oeuvre de cette réorganisation : « Plusieurs principes généraux ont été retenus pour y parvenir, à commencer par un recentrage sur nos missions militaires maintenant notre capacité à intervenir en situation d'urgence et accompagné d'une réaffirmation des responsabilités régaliennes de chacun des ministères. La rationalisation de l'ensemble s'est faite selon une logique de théâtres : la zone Antilles-Guyane, marquée par la priorité donnée à la Guyane et la présence de points d'appuis aux Antilles, l'océan Pacifique avec une consolidation en Nouvelle-Calédonie et le maintien en Polynésie d'un dispositif essentiellement maritime du fait de l'importance de la ZEE, et enfin l'océan Indien. (...) La base aérienne du Lamentin a été transférée en Guyane et compensée par l'installation en Martinique d'aéronefs d'autres administrations. L'action de l'État en mer a effectivement été préservée à une exception près : à La Réunion, le remplacement du patrouilleur austral Albatros n'est pas prévu. La diminution de l'effectif est supportée à hauteur de 45 % par l'armée de terre, de 30 % par l'armée de l'air et de 25 % par la marine. L'augmentation des effectifs de 7 % en Guyane s'accompagne nécessairement d'une discrimination négative ailleurs, et pas seulement dans les DOM-COM (...) ».

Concernant les équipements, la marine a, entre 2000 et 2012, vu décroître de 20 % le nombre de bâtiments déployés outre-mer tous types confondus.

Les types de bâtiments employés par les forces de souveraineté :

- l es frégates de surveillance , bâtiments lourds, pouvant embarquer un hélicoptère et plutôt destinés au combat ;

- les bâtiments de transport léger (BATRAL) peu armés ;

- les patrouilleurs, patrouilleurs côtiers de la gendarmerie maritime (PCG) et P400 , comparables à des frégates miniatures, disposant seulement de canons de petit calibre ;

- les vedettes côtières de surveillance maritime (VCSM), bâtiments les plus petits, uniquement dotés d'armes non-fixes (fusils et armes de poing pour l'équipage) et employés par la gendarmerie maritime.

Fin 2013, la zone Caraïbe dispose de huit bâtiments dont seulement deux frégates, la zone Pacifique de dix bâtiments dont deux frégates et la zone sud de l'océan Indien de sept bâtiments dont deux frégates. Cette faiblesse des moyens hauturiers disponibles rend difficile la capacité d'intervention en haute mer 118 ( * ) .

Les retraits successifs depuis 2009 des moyens vieillissants - P400 et BATRAL - non encore compensés par l'arrivée de nouveaux programmes , entraînent une dégradation du dispositif. Interrogé par la mission d'information sur la maritimisation, le secrétaire général de la mer, avait ainsi noté, en Guyane, « une incapacité à intervenir en haute mer et à y employer la force de 2016 à 2018 (voire davantage) », en zone sud de l'océan Indien, « une forte dégradation des capacités de surveillance et d'intervention en haute mer à l'horizon 2015, alors que les besoins croissent pour répondre à des enjeux significatifs » et, dans le Pacifique sud, « une rupture capacitaire majeure, avec un impact fort sur la conduite des missions de souveraineté et d'assistance dans les espaces maritimes nationaux » suite au « non-remplacement, de 2015 à 2018, voire 2020, des avions de surveillance maritime Gardian » . Ainsi en est-il des bâtiments de surveillance au sens large du terme.

Quant aux navires de logistique et de transport , quatre bâtiments devraient être commandés (les B2M : bâtiments multi-missions), en remplacement des plus anciens bâtiments actuellement en service dans les forces de souveraineté, les BATRAL . Certes, les B2M seront de dimensions à peu près comparables à celles des BATRAL 119 ( * ) ; ils disposeront d'une grue pour la manutention de conteneurs, d'embarcations légères et seront armés. Toutefois, dans la mesure où ils ne possèderont pas la capacité de débarquement amphibie de leurs prédécesseurs, il y aura une perte nette de moyens opérationnels. Compte tenu du caractère transverse des problématiques de la sécurité maritime et conformément aux orientations du Livre blanc de 2008, le financement des B2M sera interministériel . Les ministères de l'intérieur, des finances, de l'agriculture et des transports seront mis à contribution, le ministère de la défense supportant toutefois 80 % des coûts d'acquisition et 50 % des coûts de fonctionnement.

En raison de leur polyvalence, les patrouilleurs de surveillance , constituent l'épine dorsale des forces navales de souveraineté. Leur remplacement est par conséquent attendu avec beaucoup d'impatience. Le programme BATSIMAR (bâtiment de surveillance et d'intervention maritime) est cependant repoussé à la prochaine décennie alors que des ruptures capacitaires commencent déjà à poindre du fait du retrait de certains P400 et une rupture totale est à craindre en 2018 . La loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit, certes, la livraison en 2016 de deux patrouilleurs à faible tirant d'eau « PLG » spécifiquement adaptés à la Guyane, mais ces seuls équipements ne seront pas suffisants eu égard à l'ampleur des missions confiées aux forces de souveraineté.

Enfin, huit bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH) doivent être livrés sur la période couverte par la loi de programmation, dont deux en 2017.

S'agissant des équipements aériens , la situation des hélicoptères sera équilibrée, le ministère de l'intérieur ayant prévu de remplacer les hélicoptères retirés par les armées par des appareils de la gendarmerie et de la sécurité civile. Mais il manque toujours un hélicoptère à Mayotte . En matière de transport tactique, la situation est critique pour la Polynésie française, le principe de rattachement à la Nouvelle-Calédonie distante de 5 000 kilomètres étant jugé non réaliste compte-tenu des besoins de ce vaste territoire de 118 îles réparties sur une superficie équivalente à l'Europe. Au titre des moyens aéronautiques de la marine, le retrait des Falcon F200 Gardian affectés dans le Pacifique est actuellement planifié pour fin 2015 et le décalage à 2018 du programme d'acquisition d'aéronefs de surveillance et d'intervention maritime (AVISMAR) nécessite de recourir à des mesures palliatives, comme la prolongation des Falcon pendant trois à cinq ans.

Cette situation n'est pas sans créer de risques.

Le Livre blanc de 2013 reconnaît que : « Le Livre blanc de 2008 avait acté le principe d'un dimensionnement de la présence militaire dans les outre-mer aux besoins correspondant strictement aux missions des armées et d'un renforcement des moyens civils (...). Il en résulte aujourd'hui un risque important de rupture capacitaire à court et moyen terme , qui pourrait entraîner l'État à ne plus pouvoir remplir de façon appropriée l'ensemble des missions qui lui incombent dans les outre-mer » 120 ( * ) . Or, si la détention d'une ZEE de 11 millions de kilomètres carrés est incontestablement un atout, l'incapacité à assumer la responsabilité d'un tel espace peut aussi devenir un facteur de vulnérabilité.

Hors le cas de la Guyane qui bénéficie d'une augmentation des moyens aériens et du maintien des moyens navals, la situation devient partout délicate .

C'est le cas aux Antilles du fait du retrait du bâtiment de transport léger très sollicité lors des opérations de secours aux populations et de mobilité des forces de maintien de l'ordre (transport VBRC et munitions) et de celui du patrouilleur de haute mer non remplacé depuis plusieurs années. En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et dans sud de l'océan Indien, on observe une perte très nette de capacités d'intervention dans le cadre d'opérations de lutte contre la pollution marine (Polmar) ou de sauvetage en mer ainsi que des difficultés accrues à remplir les missions de surveillance maritime et de lutte contre l'immigration, le narcotrafic et le pillage halieutique, notamment avec le retrait du patrouilleur austral (non remplacé).

La France risque aussi de rencontrer des difficultés à tenir ses engagements internationaux d'assistance mutuelle et de coopération maritime, alors que notre pays fait l'objet de nombreuses sollicitations en ce domaine. Par exemple, la délimitation de la ZEE de la Polynésie française s'est accompagnée d'un accord avec les îles Cook par lequel la Marine nationale leur apporte un concours technique pour la surveillance de leur ZEE. Les Gardian basés à Papeete sont ainsi appelés à faire des missions pour le gouvernement de ce micro-État. La France pourra-t-elle honorer cet engagement alors que lors de son audition par visioconférence du 15 novembre 2012, M. Temauri Foster, alors ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française, faisait déjà part de ses préoccupations quant à la diminution des moyens déployés pour surveiller l'immense zone économique exclusive liée à son territoire ?

Bien que s'inscrivant dans un contexte général de maîtrise des dépenses publiques, ce repli des moyens ne constitue pas un signal positif quant à l'affirmation de la souveraineté française . Ce sentiment est renforcé par l'existence de doutes sur l'existence d'une réelle volonté politique en ce sens, en particulier de la part du ministère des affaires étrangères. À propos de l'arbitrage relatif à la ZEE de Saint-Pierre-et-Miquelon, M. Bernard Dujardin, vice-président de l'Institut Français de la Mer, a ainsi pu écrire : « Il ne semble pas que la plaidoirie du quai d'Orsay ait été à la hauteur d'un enjeu au départ sous-estimé alors qu'un véritable effort - en sens opposé - avait été fait quelques années auparavant pour brider les ambitions des îles Anglo-normandes dans la Manche.» 121 ( * ) Plus récemment, le vice-amiral Emmanuel Desclèves craignait, à la suite des accords passés avec certains États riverains de nos ZEE que « certains, notamment au ministère des affaires étrangères, envisagent même de céder les droits nationaux attachés à des îles isolées, comme par exemple Tromelin dans l'océan Indien (revendiqué par l'île Maurice) ou Clipperton dans le Pacifique (revendiqué par le Mexique en dépit de l'arbitrage de 1931) 122 ( * ) ».

Dans le domaine plus directement économique, M. Julien Denègre, Business Développement Manager Mines et métaux chez Technip, s'interrogeait lors de son audition le 15 novembre 2012 : « La vraie question est : la France a-t-elle la volonté d'exploiter des mines avec des miniers français ? (...) La France doit donner les titres miniers aux compagnies minières françaises. Le danger de perdre notre souveraineté sur nos territoires est réel. On l'a fait dans le passé... Le contrôle de notre ZEE est un vrai sujet stratégique ».

Tout ceci n'est pas de nature à décourager les intrusions voire les contestations dont les ZEE françaises sont l'objet.

c) La souveraineté française sur sa ZEE est défiée et contestée
(1) Une souveraineté défiée

Lors de son audition du 15 janvier 2013, M. Denez L'Hostis, pilote de la mission « mer et littoral » de France nature environnement et administrateur de l'agence des aires marines protégées, a rappelé que « les eaux de Clipperton sont le théâtre d'activités de pêche illégales, que nous n'avons pas les moyens de les contrôler en dépit d'une surveillance satellitaire ». Avant l'accord franco-mexicain de 2010, l'idée de vendre des droits de pêche aux armements mexicains et américains présents dans la région a été avancée 123 ( * ) . Mais à quoi bon payer lorsque l'on peut piller gratuitement ? Cet exemple est particulièrement significatif du lien entre affirmation de la souveraineté et valorisation d'une ressource économique.

M. Denez L'Hostis poursuivait en ajoutant qu'en Guyane également, « nos moyens de contrôle, pour significatifs qu'ils soient, ne suffisent pas. Nous avons deux patrouilleurs et une vedette des douanes, qui effectuent un nombre significatif de sorties mensuelles. Pourtant, 60 % des navires qui croisent dans la zone économique exclusive de Guyane sont étrangers : brésiliens, surinamais, guyanais, vénézuéliens... Plus grave, leur pêche est nettement plus importante que la pêche française, ce qui gêne une gestion durable des ressources. La pression sur celles-ci, hélas, va croissant, puisque 25 à 30 navires étrangers pêchent quotidiennement dans nos eaux, et y prélèvent entre deux et trois fois plus de poisson que nous. Et même s'ils sont arrêtés, ils n'hésitent pas à revenir ! Leurs engins de pêche ne correspondent pas aux normes environnementales que nous exigeons des nôtres, et auxquelles les pêcheurs guyanais ont récemment fait de gros efforts pour s'adapter. Voilà un exemple de très mauvais contrôle d'une zone économique exclusive. »

Une étude de l'Ifremer a quant à elle révélé l'ampleur de la pêche clandestine au large de la Guyane : une flottille illégale étrangère de plus de 200 bateaux, dont 60 % viennent du Brésil, et le reste surtout du Suriname. Les clandestins auraient pêché entre 4 000 et 8 000 tonnes de poissons par an en 2010 et en 2011, soit plus que la pêche côtière locale, qui ne dépasse pas 3 000 tonnes par an, avec une centaine de bateaux sous licence. Il n'y a pas de radar terrestre pour contrôler les eaux guyanaises et, malgré les opérations d'abordage, les saisies restent modestes : 52 tonnes de poissons saisies sur 42 navires illégaux en 2012.

Ces pillages se limitent pour l'heure aux ressources halieutiques, les seules aujourd'hui exploitables en haute mer, mais ils traduisent la pression exercée sur ces espaces immenses et prometteurs qui ne devrait aller qu'en s'accentuant. D'autant qu'elle s'accompagne en certains endroits d'une contestation pure et simple de la souveraineté française.

L'absence d'accords sur les délimitations de nos ZEE ultramarines tient dans certains cas à une contestation de la souveraineté de la France sur les territoires concernés. Est-ce à dire que la remise en cause des droits sur les terres ne serait qu'un prétexte pour accéder aux ressources de la mer ? Si l'on excepte le cas de Mayotte , cinquième département d'outre-mer français, peuplé de plus de 200 000 habitants 124 ( * ) et revendiqué depuis l'origine par la République des Comores, la plupart des territoires contestés sont des îlots de très petite dimension, difficilement habitables. Les droits qu'ils confèrent sur d'immenses zones économiques ne sont dès lors pas étrangers à la vigueur des contestations dont notre pays est l'objet.

(2) Une souveraineté contestée
(a) Tromelin

Tel est le cas de Tromelin , îlot d'1 km², inaccessible par la mer, situé à l'est de Madagascar et au nord de La Réunion, revendiqué par Maurice . Pour fonder sa souveraineté originaire sur le récif de Tromelin, la France invoque en premier lieu et de manière continue le titre de la découverte géographique en 1722 de ce territoire sans maître. La France a multiplié les actes de souveraineté et d'administration sur cet îlot dès avant l'indépendance de Maurice sans protestation britannique. La France occupe effectivement et continuellement Tromelin depuis le 7 mai 1954, date d'installation des équipes françaises de Météo France qui y séjournent depuis de façon permanente sous l'autorité du préfet de La Réunion puis du préfet des TAAF. Tromelin, comme les Îles Éparses du canal du Mozambique, est désormais explicitement mentionnée comme partie du territoire national à l'article 14 de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Ces îles y sont désignées comme parties constitutives des TAAF, elles-mêmes citées à l'article 72-3 de la Constitution. Maurice estime, pour sa part, que le Traité de Paris du 30 mai 1814 par lequel la France a cédé à la Grande-Bretagne l'Île Maurice et ses dépendances incluait Tromelin et qu'elle en est entrée en possession lors de son accession à l'indépendance en 1968. Maurice revendique officiellement cet îlot depuis le 2 avril 1976.

Par la suite, et en dépit de l'accord de cogestion du 7 juin 2010 la France a, par une note verbale en date du 17 mai 2011 publiée sur le site des Nations unies (Division des océans et du droit de la mer), revendiqué sa souveraineté sur Tromelin et réaffirmé ses droits sur la ZEE adjacente. Cette note se réfère à la publication par la France, sur le même site, d'une liste de coordonnées géographiques de points définissant les limites extérieures de la ZEE de Tromelin et de La Réunion. Maurice a rappelé à ce sujet qu'elle avait « une pleine et entière souveraineté sur l'île de Tromelin, y compris ses zones maritimes ».

Côté français, l'accord de 2010 sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à l'Île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants fait aussi débat. Il organise une cogestion « relative à » Tromelin sur les questions économiques, scientifiques et environnementales relatives à l'île et ses espaces maritimes environnants, dans des limites convenues entre les deux parties. L'accord est ainsi assorti de trois conventions techniques portant sur la gestion des ressources halieutiques, la protection environnementale et la recherche archéologique.

Certes, l'étude d'impact du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre 125 ( * ) , adopté en première lecture au Sénat le 18 décembre 2012 précise qu'« il ne saurait être question que la France renonce à la souveraineté sur Tromelin non seulement sur le principe mais aussi parce que cela pourrait avoir un impact sur les autres différends relatifs à des possessions françaises d'outre-mer, en particulier celui avec Madagascar à propos des Îles Éparses situées dans le canal du Mozambique. Il ne saurait en tout état de cause être question que la France s'engage dans une procédure faisant intervenir un tiers (médiation ou procédure arbitrale ou juridictionnelle). C'est pourquoi a été privilégié un projet de cogestions sectorielles et géographiquement circonscrites qui a abouti à l'accord signé avec Maurice le 7 juin 2010 ». On peut toutefois s'interroger sur l'opportunité de prendre pour référence le « règlement d'un contentieux ». Reconnaître le contentieux, n'est-ce pas déjà admettre sa faiblesse ?

Sur le fond, les modalités de la convention portant sur la gestion des ressources halieutiques ne laissent pas d'inquiéter les parlementaires : « Si l'accord stipule dans son article 2 que "rien dans (le texte) ni aucun acte en résultant ne peut être interprété comme un changement de la position française ou mauricienne sur la question de la souveraineté ou des compétences territoriales et maritimes", on peut cependant s'étonner de ce qui peut s'apparenter à un partage de souveraineté dans un contexte international difficile et un secteur maritime français sensible. De plus, il est regrettable qu'aucune durée de validité de cet accord cadre sur la cogestion économique, scientifique et environnementale n'ait été définie au préalable » 126 ( * ) . Certes, comme le précise l'article 13, cet accord est conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction ; mais une telle configuration n'est pas totalement satisfaisante, d'autant plus que Maurice délivre de son côté à des navires asiatiques des licences portant sur l'ensemble de sa ZEE, y compris celle qu'elle revendique au titre de Tromelin. L'arraisonnement par la marine nationale en octobre 2004 de deux bateaux japonais munis de ces licences a occasionné une vive tension. Depuis lors, Maurice délivre toujours des licences de pêche pour l'ensemble de sa ZEE, mais y mentionne par précaution que la ZEE de Tromelin est une zone de souveraineté contestée, ce qui dissuade les navires étrangers d'y pêcher 127 ( * ) . Ainsi, l'étude d'impact du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre apporte les précisions suivantes : « La convention sur la cogestion des ressources halieutiques dans les espaces maritimes environnants de l'île est plus ambitieuse : il s'agit de mettre en oeuvre une politique commune de la pêche dans des espaces maritimes qui incluent la mer territoriale, où, selon la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, s'exerce la souveraineté entière de l'État côtier. Rien n'empêche la France de gérer avec un autre État les ressources halieutiques se trouvant en partie dans sa mer territoriale, comme elle l'a fait dans l'Accord franco-britannique relatif à la pêche dans la Baie de Granville signé à Saint-Hélier le 4 juillet 2000. L'accord-cadre institue un régime de cogestion sectorielle, où certaines compétences dans des domaines bien spécifiés sont mises en commun, sans que cela puisse être interprété comme l'acceptation par la France d'un partage avec les autorités mauriciennes de l'ensemble des attributs de la souveraineté sur l'île de Tromelin. D'autre part, la France ne pourra se voir imposée une décision dès lors qu'elle participe au consensus nécessaire. Ainsi, l'accord ne porte pas atteinte aux conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté » 128 ( * ) . Pour autant, compte tenu des doutes sur cette argumentation, le projet de loi n'a toujours pas été adopté à ce jour, la première lecture devant l'Assemblée nationale prévue selon la procédure simplifiée pour mars 2013 ayant été ajournée in extremis à la suite de l'intervention de notre collègue député Philippe Folliot.

Ces débats mettent en évidence que l'enjeu de cet îlot de 1 km 2 est bien entendu la ZEE de plus de 280 000 km 2 , aujourd'hui riche en poissons dans une région où l'on parle aussi de plus de plus de possibles gisements de pétrole.

De tels enjeux sont encore plus nets s'agissant des autres îles Éparses : Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India.

(b) Les Îles Éparses du canal du Mozambique

Ces îles situées dans le canal de Mozambique ont, pour leur part, un statut international encore incertain, même si la souveraineté française est périodiquement rappelée depuis plus de cinquante ans.

Les îles Éparses du Canal du Mozambique

- L'île Europa (28 km²) devint possession française par la loi d'annexion de Madagascar du 6 août 1895. L'implantation du pavillon français ne fut cependant notifiée que le 31 octobre 1897. Durant la période d'occupation coloniale de Madagascar par la France, le rattachement administratif de l'île Europa fut modifié à plusieurs reprises. Il se rapportait parfois à des régions bien éloignées de l'île : province de Tananarive en 1921, province de Maintirano en 1930, district de Nosy Be en 1932 et enfin district de Tuléar en 1949.

- Les îles Glorieuses sont un archipel inhabité composé de deux îles sablonneuses entourées par une barrière de corail d'où émergent aussi plusieurs récifs coralliens. L'archipel mesure 7 km². Cette prise de possession est le fait du capitaine de vaisseau Richard, commandant du navire Primauguet, le 23 août 1892. Rattachées administrativement à Mayotte en 1895, elles le furent ensuite à Madagascar à partir de 1912. Elles abritent aujourd'hui un Parc naturel marin.

- Juan de Nova (4,4 km²) abrite une petite garnison de 14 militaires du 2 e RPIMa de Pierrefonds (La Réunion) et un gendarme. Ils se sont installés dans le logement des ouvriers de la SOFIM (ancienne exploitation de phosphate, entre 1923 et 1975) qui est devenu le camp SEGA. Le détachement militaire est ravitaillé par un Transall C-160 de l'ETOM 50 (armée de l'Air) depuis la BA 181 tous les 45 jours. La piste d'atterrissage, longue de 1 300 m, a été construite dès 1934.

- Les terres émergées de Bassas da India représentent 0,2 km 2 de superficie et sont quasiment totalement submergées à marée haute car elles ne culminent qu'à 2,4 mètres d'altitude. Par conséquent, la faune et la flore aérienne sont totalement absentes et l'île est inhabitable.

Les Îles Éparses sont revendiquées par Madagascar depuis la décision du général de Gaulle de rattacher ces territoires au ministère de l'Outre-mer et ainsi de les détacher du gouvernorat de Madagascar à la veille du référendum d'indépendance de la grande île (26 juin 1960). Le gouvernement français décréta en effet unilatéralement le 1 er avril 1960 129 ( * ) le détachement des Îles Éparses, plaçant directement « les Îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India sous l'autorité du ministre chargé des départements d'outre-mer et des territoires d'outre-mer », qui en confia ensuite en septembre 1960 l'administration au délégué du préfet de La Réunion.

À la suite des troubles qui débutèrent à Madagascar en 1972 et de la réaffirmation par le nouveau pouvoir malgache de la revendication territoriale sur les Îles Éparses, la France décida de renforcer son dispositif de présence militaire dans la zone et installa en 1973 sur l'Île Europa, comme sur d'autres îles françaises du canal du Mozambique, un petit détachement militaire dont la présence perdure encore aujourd'hui bien que, comme le rappelait M. Axel Moracchini, officier traitant « forces de souveraineté » lors de son audition du 15 janvier 2013, le Livre blanc de 2008 et sa déclinaison prévoyaient un transfert des missions de présence permanente sur les îles Éparses de l'armée à d'autres administrations, la station météorologique étant désormais automatisée. Or, « aucune administration n'ayant manifesté la volonté de reprendre ces missions, les armées continuent à assurer cette tâche. Environ 45 militaires effectuant 45 jours de rang une présence sur les trois îles. La mise en place s'y fait encore le plus souvent par Transall. C'est d'ailleurs le seul DOM-COM à disposer de ce type d'avion qui est en fin de vie, les autres étant consacrés aux opérations extérieures, notamment en Afrique. C'est dire la priorité donnée à cette région, une priorité qui coûte cher aux armées. »

Les Îles Éparses sont récemment revenues au premier plan du débat politique malgache. Le 23 octobre 2013, M. Hery Rajaonarimampianina alors candidat à l'élection présidentielle fit, lors de son dernier meeting de campagne, la promesse s'il était élu de se « battre pour la restitution » des îles. Il fut élu président en janvier 2014 avec 53,5 % des voix. Ce regain de tension, pour l'heure verbale 130 ( * ) , n'est probablement pas sans lien avec les ressources d'hydrocarbures prometteuses découvertes dans le canal du Mozambique . En 2003, une étude réalisée par TGS-Nopec, société d'exploration pétrolière norvégienne, avait en effet pu comparer « le canal du Mozambique à la mer du nord dans le milieu des années soixante ». Depuis, les actions de prospection se multiplient. Au large de Juan de Nova, la France a ainsi accordé des permis d'exploration par deux arrêtés publiés au Journal officiel français du 30 décembre 2008. L'enjeu est de taille : la ZEE de la France représente potentiellement un espace maritime de 425 000 km 2 , soit les deux tiers du canal du Mozambique .

Les îles Éparses, du nord au sud du canal du Mozambique

Source : Extraplac - Ifremer

(c) Clipperton

Clipperton est constitué d'un minuscule atoll entourant un lagon de 9 km² à 690 milles nautiques (1 280 km) des côtes mexicaines. Inhabité de façon permanente, trop éloigné de la côte la plus proche et d'une superficie terrestre trop restreinte (3 km²), il s'est révélé inapte à toute activité économique pérenne. Pour autant, grillé par le soleil, battu par les vents et la houle, Clipperton est largement un réservoir d'énergies renouvelables doté d'une piste d'aviation sommaire (souvenir de l'implantation de l'armée américaine fin 1944) et la seule ressource permanente aujourd'hui exploitée est la pêche, la zone étant particulièrement poissonneuse . Dans la mesure où il ne s'agit pas, stricto sensu , d'un rocher, une certaine incertitude peut subsister sur l'interprétation de la convention de Montego Bay quant à son caractère habitable dans la durée qui ne relève pas de l'évidence.

Clipperton est bordé d'une ZEE de 434 000 km 2 créée par décret en mars 1978 mais qui ne fut mise en exploitation qu'à partir d'août 2005, date à laquelle l'accès par des pêcheurs français fut donc possible après accord des autorités françaises (Haut-commissariat de Polynésie française). Pour autant, même si les Polynésiens y ont fait quelques incursions, celles-ci sont restées très limitées 131 ( * ) . Plusieurs initiatives sont allées récemment dans le sens d'une plus grande présence sur l'îlot : le docteur Jean-Louis Étienne nourrit le projet d'y établir une base scientifique tandis que le président de Météo France s'est dit prêt à faire installer une station météo automatique si l'État garantit un accès périodique pour sa maintenance, et en février-mars 2013 une nouvelle mission scientifique (Passion 2013 - Expédition Clipperton) a été organisée.

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 complétant la révision du 28 mars 2003, l'île est explicitement mentionnée au dernier alinéa de l'article 72-3 de la Constitution : « La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton ». De fait, cette possession française ne faisait pas formellement partie des anciens territoires d'outre-mer (TOM), ni des collectivités d'outre-mer (COM) qui leur ont succédé. Depuis février 2007 132 ( * ) , Clipperton est directement administrée par le Haut-commissaire de la Polynésie française sous l'autorité du ministre chargé de l'Outre-mer. Le 29 mars 2007, la France a signé un accord avec le Mexique , octroyant à ce dernier pays des facilités de pêche dans les espaces maritimes français de l'île. Cet accord de pêche, « négocié » par le ministère des Affaires étrangères a été très critiqué comme mettant en péril la crédibilité de la souveraineté de la France sur Clipperton. Aucune contrepartie n'est mentionnée et l'accord permet aux navires mexicains de pêcher sans limites, alors que les accords de pêche fixent habituellement des quotas et des types de navires spécifiques autorisés. Enfin, l'accord porte sur une période de 10 ans reconductible alors que les accords de pêche récents limitent la durée entre 3 et 5 ans.

La souveraineté française sur Clipperton a été reconnue par un arbitrage international rendu entre la France et le Mexique 133 ( * ) en 1931 et, bien que ce territoire figure désormais dans notre Constitution, cet accord s'inscrit dans le contexte de campagnes de presse régulièrement menées au Mexique pour mettre en cause les droits français sur Clipperton mettant en cause le défaut d'occupation effective de l'îlot 134 ( * ) . Cette pression ne fera probablement qu'augmenter au fur et à mesure que les perspectives d'exploitation des ressources minérales sous-marines se confirmeront, notamment à la faveur de l'avancée des explorations menées sous l'égide de l'AIFM tout près de Clipperton.

(d) Les Îles Mathew et Hunter

Matthew est une petite île inhabitée de 0,7 km² du sud Pacifique, 300 km à l'est de la Nouvelle-Calédonie et au sud-est de l'archipel de Vanuatu. Sa souveraineté - anglaise ou française - resta longtemps incertaine, du fait de l'indifférence pour cet îlot rocheux et aride. L'île Hunter 135 ( * ) , d'une superficie d'1 km 2 est elle aussi inhabitée et se situe 350 km à l'est de la Nouvelle-Calédonie, à 70 km de Matthew.

La France annexa les deux îles en 1929, mais en 1965 le Royaume-Uni les occupa, les déclarant rattachées au condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides avant qu'elles ne soient réoccupées par la France en 1975. En 1980, le Vanuatu , nouvel État indépendant succédant aux Nouvelles-Hébrides, déclara sa souveraineté sur les deux îles , qui ne fut pas reconnue par la France. Les Forces armées françaises visitent l'île régulièrement pour réaffirmer la souveraineté de la France sur ces territoires et, en 1981, Météo France a installé une station automatique sur Matthew.

Le différend entre la France et le Vanuatu bloque aujourd'hui la délimitation de la ZEE française non seulement à l'est de la Nouvelle-Calédonie où ces îles sont situées mais aussi au nord où l'incident évoqué précédemment est survenu. Il convient enfin de rappeler que dans le même secteur la France possède l'îlot Walpole qui présente un intérêt stratégique certain. Île la plus orientale et la plus méridionale de l'arc des Îles Loyauté, Walpole est un rocher inhabité de 2 km² où est positionné un plot de ravitaillement en carburant, utile pour la réalisation des missions de surveillance maritime et de service public. Il sert également de point de ravitaillement pour augmenter le rayon d'action des aéronefs de l'armée de l'air basés à Tontouta et leur permettre d'opérer sur les Îles de Matthew et Hunter.

2. Des retards accumulés qui risquent de peser lourd

Bénéficiant des atouts de sa géographie et d'une tradition de pionnière en matière d'océanographie, la France a fait figure de référence dans les matières intéressant la gestion et la valorisation des mers. Mais on observe hélas une forme de décrochage au moment même où ces enjeux prennent une place centrale dans les débats géostratégiques mondiaux . La capacité de la France à jouer pleinement son rôle est affectée à la fois par la perte d'une grande partie de son avance scientifique et par les lacunes de son droit national .

a) La France en passe de perdre sa position dans la course à la connaissance des ressources
(1) Depuis les années 1970, la France a pris du retard

Le suivi de la ressource halieutique fait l'objet de diverses initiatives internationales, nationales et locales tandis que celui des gisements d'hydrocarbures est pris en charge par les compagnies comme c'est le cas en Guyane ou dans le canal du Mozambique. En revanche, s'agissant des ressources minérales non énergétiques , domaine où les États ont un rôle irremplaçable à jouer, la France qui faisait figure de pionnière est en train de perdre sa place .

Lors de son audition du 14 novembre 2012, M. Yves Fouquet nous a rappelé que la « La France a été considérée comme explorateur pionnier en matière de nodules et, en matière de sources hydrothermales, elle a été le découvreur en 1978 et reste bien placée. Pour autant, la France était bien placée dans les années 1970-1980 car elle disposait de la technologie. À la fin des années 1980, les sous-marins japonais et russes sont apparus. Avec les actuels engins téléopérés, la technologie s'est démocratisée, avec les Allemands, les Portugais, les Canadiens, les Japonais... La Chine a testé [à l'été 2012] son sous-marin habité, qui peut plonger le plus profond au monde. Il y a également des pays très dynamiques comme l'Inde ou la Corée ». Si notre pays jouit encore d'une réputation, M. Yves Fouquet estime que l'on est « à la limite de crédibilité : la France ne dispose plus des masses critiques pour mener tout de front ».

Dans le cadre des permis de l'AIFM , notre pays apparaît même comme un acteur a minima . Le premier permis obtenu en 2001 dans la zone de Clarion-Clipperton n'a donné lieu qu'à deux campagnes essentiellement consacrées à la connaissance - préalable indispensable - de l'environnement et des écosystèmes. Alors que 2016, année du terme du permis, approche, rien n'a été fait en matière d'évaluation de la ressource alors que la France s'y était engagée par contrat. Ceci affaiblit incontestablement notre position.

Pour le second permis concernant la dorsale atlantique , seules deux campagnes en 15 ans seraient prévues lorsque les Russes et les Chinois en programment 5 par an ! Et encore, faute de moyens, la mission exploratoire effectuée début 2014 avant même la signature du contrat pourrait être considérée comme étant la première de ces trois campagnes françaises.

L'érosion de notre position devrait connaître une accélération brutale avec les pertes d'expertise liées aux départ en retraite des spécialistes des fonds marins sans même que la transmission ait été assurée aux générations suivantes de chercheurs. Les propos tenus par M. Yves Fouquet lors de cette même audition du 14 novembre 2012 ont été particulièrement éloquents sur ce point puisqu'il nous a indiqué que « pour ce qui concerne les ressources minérales marines, je suis le seul spécialiste en France. Je travaille depuis 30 ans sur ce sujet. Si beaucoup d'efforts ont été faits par la France dans les années 70, les spécialistes de l'époque sont aujourd'hui en retraite. Le dernier spécialiste des nodules [part] en retraite dans six mois et ne [sera] pas remplacé : il n'y aura alors plus de mémoire ». Depuis lors, il n'y a donc plus de spécialiste permanent des nodules au sein de l'Ifremer alors qu'il faut des années pour former un expert. Le travail de connaissance des ressources minérales repose aujourd'hui sur les cinq chercheurs du laboratoire de géochimie et métallogénie, effectif sans rapport avec l'intérêt affiché pour le sujet. En 2012, la France n'a pu envoyer qu'une seule personne (issue de ce laboratoire) pour présenter le dossier français de demande du second permis international à l'AIFM lorsque quelques jours auparavant la délégation coréenne comprenait une quinzaine de membres. De telles pertes font craindre que le recul français en matière de connaissance des minéraux sous-marins ne soit irréversible, d'autant qu'en dépit de sa qualité l'expertise française n'a pas été en mesure de nous léguer une évaluation quantitative des ressources.

(2) L'inventaire des ressources reste à faire

Bien qu'un réel engouement, au moins dans les paroles, existe depuis la découverte des nodules polymétalliques dans les années 1970, aucun inventaire systématique n'a été engagé depuis lors, faute de moyens.

Les campagnes d'exploration sont en effet coûteuses. Par exemple, pour les travaux menés dans le cadre du programme ZEPOLYF dans les îles de la Société en Polynésie française, le coût d'exploration d'une zone de 100 km² avoisine les 2,8 millions d'euros.

Le travail d'inventaire consiste non seulement à élaborer des cartes hydrographiques aujourd'hui largement inexistantes mais aussi à mener des explorations scientifiques visant à trouver des indices de la présence de concentrations de métaux . De plus, dans la perspective d'une exploitation des minerais, il convient aussi de connaître la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes proches des gisements afin d'évaluer les conséquences d'une extraction sur les milieux et de définir les précautions qui devront l'entourer.

En fait, le seul endroit où il a vraiment été procédé à un inventaire est Wallis-et-Futuna dont la puissance publique n'a d'ailleurs pas assuré seule le financement. Dans cette opération, pourtant unique au sein de la ZEE française, il a en effet été fait appel au secteur privé dès le stade de l'identification des ressources. M. Julien Denègre, Business Development Manager Mines et métaux de Technip, rappelait ainsi à notre délégation qu'en principe, son entreprise « n'a pas vocation à faire de l'exploration ; nous intervenons une fois l'exploration terminée, quand le forage est fini et quand le potentiel minier a déjà été prouvé. Pour autant, au vu du gros potentiel, notre président a souhaité accompagner le financement de Futuna, mais ce n'est pas la vocation de Technip. L'Ifremer reste le maître d'oeuvre du projet à Futuna, même si les industriels intéressés contribuent financièrement » 136 ( * ) . Mais les opérations sont aujourd'hui à l'arrêt, faute de bouclage du tour de table financier.

Plus généralement, comme le rappelait M. Thierry Tuot, président du groupe de travail sur la réforme du code minier lors de son audition du 4 février 2014, c'est bien l'ensemble du recensement des ressources minérales qui est lacunaire. À terre aussi, l'inventaire minier national, dressé entre 1975 et 1992, s'est limité à une partie du territoire métropolitain, et s'est concentré sur les seuls métaux industriels classiques alors que l'industrie a diversifié ses besoins en utilisant désormais trois à quatre fois plus de matières premières minérales qu'il y a trente ans.

Ceci ne saurait néanmoins être une excuse à l'insuffisante connaissance de ressources sous-marines car, sans l'engagement d'une action massive, toute velléité de valorisation de la ZEE est largement vidée de sa substance.

b) Le droit minier français a vieilli sans s'adapter aux nouveaux enjeux

De même qu'elle doit pouvoir s'appuyer sur un inventaire des ressources, l'exploitation des ressources minérales des ZEE ultramarines nécessite un cadre juridique assurant la sécurité et l'attractivité des activités . Or, ces conditions ne sont pas satisfaites.

(1) Le triple enjeu de l'encadrement juridique des activités minières

L'existence de règles encadrant les activités dans les ZEE est nécessaire pour prendre en compte les particularités de l'outre-mer et des activités offshore afin de rendre les activités minières attractives pour les opérateurs.

Tout d'abord, les activités offshore présentent des spécificités qui ne peuvent être ignorées. Les fonds marins présentent des particularités fortes et sont à bien des égards plus fragiles que ne le sont les écosystèmes terrestres. Plus précisément, les activités relatives aux minerais doivent faire l'objet d'une législation distincte de celle des hydrocarbures. Lors de son audition devant la délégation, M. Yves Fouquet en appelait ainsi à ce que l'on ne fasse pas l'erreur « d'instituer des critères orientés par les pétroliers n'ayant aucune connaissance des objets minéralisés. Les juristes et les scientifiques doivent discuter ensemble. »

Il convient également de prendre en compte les particularités des outre-mer . Au plan juridique, les règles diffèrent en effet selon les territoires.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie jouissent d'une très large autonomie, cette dernière ne disposant toutefois pas de la compétence relative à la gestion des métaux stratégiques. Cette exception prévue par l'article 671-1 du code minier national demeure, bien qu'une proposition de loi organique déposée au Sénat en 2012 par M. Richard Tuheiava en prévoie la suppression notamment dans le but de donner à la Polynésie « les moyens de son développement endogène dans un secteur à haute valeur ajoutée économique exponentielle » 137 ( * ) .

Quant aux autres territoires, ils sont dans une situation juridique relativement confuse : alors que l'article 48 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer prévoit le transfert aux régions d'outre-mer 138 ( * ) de la compétence de délivrance des titres miniers en mer, les décrets n'ont toujours pas été pris. Il en résulte une certaine confusion à telle enseigne que, lors de son audition du 4 février 2014, M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental, a pu faire état d'une demande de permis d'exploration déposée par une société pétrolière à Saint-Pierre-et-Miquelon qui serait en souffrance depuis plusieurs années, faute d'autorité compétente pour le délivrer...

Outre la situation juridique spécifique des collectivités d'outre-mer, le code minier doit aussi prendre en compte leurs besoins économiques et permettre d'organiser les retombées des activités offshore sur le développement des territoires, au-delà de dispositions déjà adoptées en matière de fiscalité des activités pétrolières.

Enfin, l'un des enjeux du code minier est aussi la création d'un cadre attractif pour des opérateurs économiques , aussi bien s'agissant de leurs obligations juridiques que des conditions économiques qui leurs sont faites. Le fait notamment de disposer d'un cadre relativement complet et adapté aux spécificités et nécessités des activités offshore outre-mer est en soi un gage d'attractivité car cela permet d'espérer une certaine stabilité normative , très appréciable lorsqu'il s'agit d'engager des investissements considérables sur des durées souvent très longues avec des résultats parfois encore aléatoires.

(2) L'absence de réponses apportées par le nouveau code minier

La préparation de la réforme du code minier menée depuis deux ans, parallèlement aux travaux de notre délégation, avait nourri certains espoirs de voir émerger une réponse aux enjeux des ZEE ultramarines. La nécessité en avait d'ailleurs été reconnue, par exemple par Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie qui déclarait lors de son audition du 14 novembre 2012 en parlant des activités en mer : « Il faut un encadrement juridique lisible, ce qui renvoie à la réforme du code minier ». La préoccupation d'une prise en compte de la situation des outre-mer avait aussi été officiellement exprimée au Sénat par MM. Georges Patient et Jean-Étienne Antoinette quelques jours plus tard, lors d'une première audition de M. Thierry Tuot 139 ( * ) .

Les travaux du groupe de travail sur la réforme du code ayant été rendus le 10 décembre 2013, force est malheureusement de constater que le texte proposé ne traite pas des spécificités des ressources minérales sous-marines alors que ce droit est sans doute appelé à connaître une évolution propre du fait du progrès des connaissances et des techniques ainsi que de la mise en place progressive d'un cadre international. On fait comme si les règles générales appliquées à terre étaient ipso facto transposables aux activités off-shore . On fait par exemple comme si les règles de consultation des populations habitant près d'une mine continentale devaient valoir pour des activités situées à plus de 200 kilomètres des côtes. Inutile de dire que les conclusions du groupe de travail ne traitent pas non plus des règles relatives aux minéraux du plateau continental étendu dont M. Gérard Grignon nous a pourtant rappelé qu'ils nécessitent un encadrement juridique particulier dans la mesure où ils sont situés sous les eaux internationales et que toute activité dans les fonds marins est donc susceptible d'occasionner des nuisances dans des espaces qui ne relèvent pas de la juridiction française.

Entendu une nouvelle fois par la délégation le 4 févier 2014, M. Thierry Tuot a en outre indiqué que « concernant l'outre-mer (...) les adaptations nécessaires comportaient une forte dimension politique en lien avec la solidarité nationale ». En conséquence, le groupe a considéré « que ces questions ne ressortaient pas de la compétence d'un simple groupe de travail » et qu'il convenait « de renvoyer à la décision de la représentation nationale les arbitrages à opérer sur les questions de responsabilité, de partage des richesses et de maîtrise du développement ».

À ces lacunes de fond, s'ajoutent les incertitudes sur l'adoption du nouveau code minier à la suite de ces travaux préparatoires. Alors que le nouveau code était annoncé pour 2013, la teneur des modifications législatives à opérer n'est toujours pas arbitrée. Outre les interrogations sur le calendrier , l'on ignore à ce jour quelle sera précisément la procédure retenue et par exemple quel serait éventuellement le champ d'application d'un recours aux ordonnances.

La réforme du code minier telle qu'elle est engagée s'annonce très probablement une occasion manquée de plus pour l'exploitation des ZEE ultramarines.

Elle risque aussi de l'être pour l'influence de la France dans la mise en place d'un cadre normatif au sein de l'Europe . En effet, outre l'AIFM, compétente pour la Zone internationale, l'Union européenne est en train de préciser le droit des études d'impact applicables à un grand nombre d'activités ayant des incidences sur l'environnement. Le 12 mars dernier, le Parlement européen a ainsi adopté en première lecture une révision de la directive n° 2011/92 140 ( * ) prévoyant deux modifications importantes. D'une part, elle étend aux activités « recherche et prospection » de minéraux marins les procédures jusque-là seulement applicables aux opérations d'extraction, d'autre part, parmi les critères pris en compte par les études d'impact, elle ajoute l'effet sur la biodiversité, sujet dont on sait qu'il est particulièrement sensible dans le milieu marin en général et dans les grands fonds en particulier. La France est quasiment la seule concernée par ces réglementations dans la mesure où, par exemple, les gisements de terres rares du Groënland sont à terre. Pourtant, les choses se décident au niveau européen, dans un texte très général portant sur un grand nombre d'activités sans que la France ait pu l'inspirer ou l'éclairer par une législation nationale spécifique aux activités sous-marines.

B. L'URGENCE D'UNE STRATÉGIE D'ENSEMBLE RECONNAISSANT AUX OUTREMER LEUR RÔLE D'ACTEURS MAJEURS

Après des années de bonnes résolutions, le contexte exige de passer désormais à l'action et d'engager une stratégie ensemble.

1. À force d'annoncer les ZEE comme une promesse d'avenir sans agir, la France risque de laisser passer sa chance

La chance que les ZEE représentent dans différents domaines impose à la France de s'en saisir pour faire de la valorisation de ces zones une priorité. Les discours entendus en ce sens sont unanimes et constants. La prise de conscience s'est étendue au-delà des cercles de spécialistes et il ne se passe plus un mois sans qu'un article de presse, un rapport ou un ouvrage n'évoque le sujet. Depuis plus d'une décennie, à la faveur des comités interministériels de la mer (CIMER), les gouvernements successifs ont même fait des annonces ambitieuses 141 ( * ) .

Le Comité interministériel de la mer

Le Comité interministériel de la mer (CIMER) existe depuis 1978 et son organisation actuelle est régie par le décret n° 95-1232 du 22 novembre 1995.

Ses attributions

Le CIMER est chargé de délibérer sur la politique du Gouvernement dans le domaine de la mer sous ses divers aspects nationaux et internationaux et de fixer les orientations de l'action gouvernementale dans tous les domaines de l'activité maritime, notamment en matière d'utilisation de l'espace, de protection du milieu, de mise en valeur et de gestion durable des ressources de la mer, de son sol, de son sous-sol et du littoral maritime. Il a en outre pour mission de définir les différentes actions menées dans le cadre de la fonction garde-côtes.

Il peut connaître des projets d'actes internationaux et communautaires ayant une incidence sur la politique maritime.

Sa composition

Le CIMER réunit, sous la présidence du Premier ministre, le ministre de l'économie, le ministre des affaires étrangères, le ministre de la défense, le ministre de l'industrie, le ministre de l'environnement, le ministre chargé de l'outre-mer, le ministre chargé du budget, le ministre chargé de l'équipement et des transports, le ministre chargé des collectivités locales, le ministre chargé de la pêche, le ministre chargé du tourisme, le ministre chargé de l'aménagement du territoire, le ministre chargé de la recherche et, en tant que de besoin, les autres membres du Gouvernement.

Le Secrétariat général de la mer prépare les délibérations du Comité interministériel de la mer et veille à l'exécution des décisions prises ; son secrétariat est assuré par le Secrétariat général du Gouvernement.

Malheureusement, le caractère répétitif des annonces des CIMER n'était que la conséquence de leur absence de mise en oeuvre . Ceci est particulièrement évident dans les deux domaines les plus directement liés aux espaces maritimes de l'outre-mer : leur délimitation et l'accès aux ressources.

En matière de délimitation des espaces maritimes , le CIMER du 29 avril 2003 annonçait la mise en place d'un cadre juridique mettant le droit français en conformité avec la convention de Montego Bay, intention renouvelée par l'annonce d'un projet de loi CIMER du 10 juin 2011, et réitérée une fois encore par le CIMER du 2 décembre 2013 annonçant, pour sa part, un projet d'ordonnance. Quant à la définition des lignes de base pour les territoires ultramarins, prévue par le CIMER du 10 juin 2011, elle est, comme nous l'a rappelé le Secrétaire général de la mer 142 ( * ) , toujours d'actualité.

Concernant les ressources , des mesures sont régulièrement annoncées depuis le CIMER du 29 avril 2003 en faveur d'un inventaire des ressources du sol et du sous-sol marins, des énergies marines et du développement des technologies en permettant l'exploitation, alors que dans le même temps la France n'a cessé de prendre du retard. Reprenant en des termes à la fois plus précis et plus ambitieux les objectifs des CIMER de 2009 et 2011, celui du 2 décembre 2013 a décidé le « lancement d'un programme national de recherche et d'accès aux ressources des grands fonds, comprenant des campagnes d'acquisition des connaissances, une expertise scientifique des conséquences environnementales de l'exploitation, le développement des technologies d'exploitation et de valorisation » ainsi que la « mise en place de partenariats public-privé pour la réalisation de ces campagnes ». Les annonces faites lors de ce dernier CIMER ont été complétées par le discours du Premier ministre tenu le lendemain aux 9 èmes assises de l'économie maritime et du littoral 143 ( * ) , renouvelant à son tour des engagements déjà pris depuis plus d'une décennie sans être tenus.

Doit-on se résigner à considérer qu'il s'agit là encore de nouveaux voeux pieux ? Doit-on seulement se contenter de l'affichage de ces objectifs au motif qu'ils entretiennent un intérêt, même lointain, pour les ZEE ?

Hélas, le temps des déclarations d'intention a vécu : la protection, l'exploration et la valorisation des ZEE ne s'inscrivent plus dans une perspective lointaine, elles sont devenues les objets d'une compétition internationale et de convoitises qui s'intensifient tandis que l'exploitation des richesses marines est en passe d'entrer en phase industrielle.

La France a accumulé nombre de retards et toute aggravation pourrait désormais aboutir à un immense gâchis pour l'économie française dans son ensemble et en tout premier lieu pour les territoires ultramarins , qui sont en première ligne.

À l'heure des choix, la France et ses outre-mer doivent s'engager dans une stratégie ambitieuse de développement autour des ZEE.

2. Pour une stratégie ambitieuse à la fois locale et nationale
a) Les outre-mer en première ligne de la stratégie ZEE

L'outre-mer joue une part de son avenir dans les ZEE, ce qui explique que des dynamiques locales soient déjà enclenchées . Cruciales pour le développement des territoires, elles accélèrent les prises de conscience dans l'hexagone.

(1) Les territoires ultramarins, des acteurs d'ores et déjà engagés

Les territoires ultramarins , à la recherche d'un modèle de développement plus autonome, ont vocation à jouer un rôle moteur dans la mise en oeuvre d'une stratégie d'exploitation des ZEE .

Certes, leurs situations statutaires diffèrent et toutes les collectivités ne sont pas dans la situation de la Nouvelle-Calédonie ni de la Polynésie française 144 ( * ) , compétentes pour engager de véritables politiques maritimes et minières autonomes. Néanmoins, elles disposent toutes de compétences en matière de développement économique.

Ce cadre normatif pourrait encore être amélioré et précisé, notamment en clarifiant les conditions d'application de la loi de 2000 sur le transfert de la délivrance des permis miniers aux régions d'outre-mer et en veillant à ce que, comme c'est désormais le cas pour les hydrocarbures, les territoires bénéficient de redevances liées à l'exploitation des ressources minérales marines. D'une façon générale, le nouveau code minier devrait prendre en compte les spécificités liées aux ZEE ultramarines.

Dans le respect des compétences statutaires des territoires ultramarins, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'inscrire, dans le futur code minier national, le cadre normatif nécessaire à la gestion durable et à la valorisation des ressources des ZEE.

Un besoin de clarifier l'articulation entre ce qui relève des territoires et ce qui relève de l'État existe aussi pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie qui disposent de compétences en principe très larges tandis que l'État dispose souvent des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre tels ceux de la Marine nationale ou l'expertise de l'Ifremer.

(2) Les outre-mer, aiguillon de la prise de conscience nationale

Au-delà de leurs compétences juridiques, les territoires ultramarins ont l'avantage irremplaçable d'être au contact direct des réalités maritimes . Leur situation les prédispose ainsi à mieux percevoir les enjeux de la ZEE française.

Par exemple, l'importance du problème posé au monde de la pêche en Guyane par le pillage des ressources halieutiques est difficile à apprécier à partir de l'hexagone.

En outre, le travail mené par les acteurs de terrain dans le domaine de l'innovation permet de rendre tangibles les opportunités offertes par les ZEE. Le cas de la société Bioalgostral, à la fois au contact des ressources marines, en l'occurrence les algues, et des besoins énergétiques de La Réunion, est particulièrement éloquent. Celle-ci devrait mettre au point en 2015 un biocarburant à base de micro-algues destiné à alimenter une centrale électrique en substitution du fioul. Un contrat a été signé pour alimenter une centrale réunionnaise de la Séchilienne Sidec, spécialisée dans la production d'électricité à partir de biomasse agricole et opérant déjà, outre à La Réunion, à la Martinique, en Guadeloupe et à l'Île Maurice. Ce projet, soutenu par l'Agence régionale de développement, d'investissement et d'innovation de La Réunion (Nexa) est une première mondiale et le président de Bioalgostral table sur la création de 200 emplois à l'horizon 2020.

La connaissance des ressources naturelles locales souvent endémiques, ainsi que des contraintes spécifiques à leurs territoires constituent de même un atout cardinal de structures telles que le pôle de compétitivité réunionnais Qualitropic ou le Pôle d'Innovation Tahiti Fa'ahotu, véritables lieux d'incubation de « l'innovation tropicale » 145 ( * ) , en particulier dans les domaines de l'énergie, des biotechnologies et de la gestion des ressources marines .

En outre, les acteurs intervenant sur un même territoire sont les mieux à même d'intervenir sur la question parfois délicate des conflits d'usages de la mer . Le développement d'activités nouvelles dans la ZEE doit en effet s'articuler avec celles existantes. La sensibilité de ce sujet a été rappelée récemment, en janvier 2014, par les protestations du comité régional des pêches guyanais manifestant contre la perspective d'octroi de permis d'exploration pétroliers dans leurs zones de travail. De même, des équilibres devront être trouvés au plan local afin de faire cohabiter, en mer et près des côtes, les activités touristiques avec le développement de nouvelles activités industrielles et de services, liées à la valorisation des ZEE.

Face au formidable défi que représente la valorisation des ZEE, rien ne doit pouvoir se faire sans une implication forte des acteurs locaux. Cette affirmation peut paraître relever de l'évidence. Pourtant, comme le rappelait M. Gérard Grignon lors de son audition du 4 février 2014, il y a encore quelques années « à Wallis-et-Futuna [les élus] n'avaient même pas été prévenus de la venue du bateau de l'Ifremer pourtant chargé de recherches d'une importance toute particulière. Lorsqu'ils ont voulu en savoir plus et visiter ce bateau, les services de l'État leur auraient même fait quelques difficultés . »

Au-delà des élus en charge des politiques publiques locales, l'ensemble des parties prenantes, publiques et privées, doivent pouvoir échanger, s'informer et coordonner les actions liées à la valorisation des ZEE encore largement dispersées, ce qui complique la définition d'une politique de développement. De la dynamique extrêmement intéressante initiée à la suite du rapport Duthilleul jusqu'aux récentes protestations des pêcheurs non appelés à siéger au sein de la commission régionale des mines, le cas de la Guyane rappelle tout l'intérêt d'entretenir le dialogue le plus large possible. Un développement fondé sur les atouts de la ZEE n'est envisageable que si la société l'accepte et se l'approprie.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande de favoriser la mise en place d'un outil de coordination des actions mises en oeuvre localement. Dans les territoires ne disposant pas d'une compétence statutaire propre, cet outil pourra s'incarner dans un comité territorial de la ZEE animé par la collectivité en charge du développement économique.

L'étendue de la zone maritime sur laquelle la France exerce des droits souverains constitue un enjeu dans les relations avec les pays voisins, comme en témoignent les questions liées aux délimitations des frontières ou aux pillages des ressources halieutiques. Les conditions d'exploitation de la ZEE peuvent influencer les conditions d'insertion des collectivités dans le cadre régional - notamment par le poids économique nouveau que pourraient acquérir les territoires ultramarins français et la nécessité de mieux protéger les milieux des agressions et pollutions extérieures - et, à l'inverse, la conduite de la politique étrangère par l'État peut avoir des effets sur la situation des ZEE et leurs perspectives de valorisation . Pour ces raisons, l'association des collectivités à la coopération régionale relative aux ressources marines apparaît indispensable.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'associer étroitement les collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines.

Cette association s'impose avec encore plus de force partout où les frontières de la ZEE et les conditions d'exploitation des zones maritimes (ex : accords de pêche) sont en discussion. Elle l'est ainsi tout particulièrement dans le dossier de l'extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon pour lequel le Président de la République a annoncé le 23 janvier 2014 le dépôt d'une demande française auprès de la CLPC au mois d'avril 146 ( * ) .

Dans un contexte de compétition internationale accrue pour l'accès aux ressources maritimes, les relations des territoires ultramarins avec des acteurs de pays étrangers, en particulier voisins, sont aussi de nature à rappeler aux responsables hexagonaux la nécessité de prendre position. Ainsi en est-il de l'intérêt manifesté par les opérateurs chinois pour les terres rares des fonds marins de la ZEE de Polynésie française. Si le gouvernement polynésien a toute compétence pour s'engager dans des négociations avec ces partenaires, ceci ne devrait toutefois pas laisser indifférentes les autorités nationales ni l'Europe au moment où la nécessité d'accéder à ces types de ressources stratégiques s'impose comme une évidence. Un article récent de la presse économique a même pu avancer que, face à la Chine, « l'Europe possède deux atouts maîtres (...) : le Groenland et la Polynésie française . » 147 ( * ) , deux territoires supposés receler de très importants gisements de terres rares 148 ( * ) .

Cet exemple ne saurait être considéré comme un cas unique, très spécifique à la situation statutaire de la Polynésie. Il pourrait en effet se reproduire dans d'autres zones sous juridiction française puisque le législateur a posé le principe du transfert aux régions d'outre-mer du pouvoir d'octroyer eux aussi les permis miniers. Ceci inclut par exemple les permis pétroliers, domaine dans lequel on connaît l'âpreté de la compétition internationale entre les compagnies. Le dossier des terres rares de Polynésie est en tout cas particulièrement emblématique du rôle d'aiguillon de la prise de conscience nationale que jouent les territoires ultramarins, directement confrontés aux enjeux et aux réalités des ZEE.

Reste que, pour produire tous ses effets, la contribution des acteurs ultramarins doit aussi s'inscrire dans le cadre d'une gouvernance rénovée.

b) Le besoin d'une nouvelle gouvernance
(1) Une gouvernance nationale à la hauteur des enjeux

Au plan national, les questions relatives aux ZEE sont, comme l'ensemble de la politique maritime, traitées de façon parcellaire et éclatée par les administrations de très nombreux ministères (transports et mer, affaires étrangères, défense, intérieur, outre-mer, économie et finances 149 ( * ) , agriculture...) et divers organismes publics (Ifremer, IRD 150 ( * ) , Institut Paul-Émile Victor, INRA 151 ( * ) mais aussi AFD 152 ( * ) , Conservatoire du littoral, France AgriMer, Agence des aires maritimes protégées...). Quant à la coordination interministérielle, elle repose sur le CIMER 153 ( * ) et sur le secrétariat général de la mer (SGMer) placé auprès du Premier ministre et chargé pour l'essentiel de la préparation, du suivi des décisions du CIMER et de la coordination des actions des ministères intervenant dans la surveillance des côtes.

Faisant le constat que cette organisation n'était pas de nature à assurer la mise en oeuvre d'une politique maritime intégrée, le Gouvernement a annoncé le 3 décembre 2013 154 ( * ) de créer une délégation à la mer et au littoral au sein du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) chargée de coordonner l'action des différentes entités du ministère dans le domaine maritime. Celle-ci devrait être créée courant 2014.

Force est toutefois de constater que si elle a le mérite de consacrer le rôle du ministère délégué chargé des transports et de la mer auquel cette délégation sera rattachée, cette modification demeure interne au MEDDE et ne répond en rien à la question de l'animation interministérielle de la politique. Or, qu'il s'agisse de la gestion des ZEE comme des autres dossiers, celle-ci connaît aujourd'hui des carences. Le CIMER se réunit au mieux tous les deux ans 155 ( * ) et le SGMer , outre qu'il dispose de moyens humains extrêmement limités (une quinzaine d'agents) est dépourvu de toute capacité d'impulsion politique . Il prépare les CIMER et assure le suivi de ses décisions comme des textes relatifs à la mer, mais il ne dispose pas de la légitimité pour engager une politique, entraîner les ministères et opérer des arbitrages. Chargé de coordonner la « fonction garde-côte », M. Michel Aymeric nous rappelait par exemple lors de son audition du 4 février qu'il ne lui revenait pas de décider de la répartition des moyens apportés par les différents ministères (défense pour la marine nationale, intérieur pour la gendarmerie maritime, finances pour les douanes...).

Une telle capacité d'impulsion et d'arbitrage interministériel relève en effet d'une autorité politique , d'un ministre et non d'un haut fonctionnaire. Si la nécessité s'en fait sans doute ressentir pour l'ensemble de la politique maritime, elle est particulièrement sensible en ce qui concerne les ZEE ultramarines tant elles renvoient à des domaines variés allant de la recherche et de l'innovation à la défense de la souveraineté de la France et de la diplomatie au développement des territoires. Elle est la condition sine qua non de la mise en oeuvre de la stratégie nationale que nous appelons de nos voeux.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'instituer auprès du Premier ministre un ministre délégué à la mer, autorité d'impulsion et de coordination de la politique de mise en valeur des ZEE et, au-delà, de l'ensemble de l'action maritime de l'État.

Outre un fort besoin d'impulsion et de coordination interministérielle, l'action relative aux ZEE ultramarines a aussi besoin d'une part, d'un suivi particulier que les annonces faites par le Premier ministre fin 2013 156 ( * ) relatives aux ZEE ne restent pas lettre morte, comme ce fut le cas par le passé et, d'autre part, d'une institutionnalisation du dialogue, au niveau national , entre l'État et les principales partie prenantes, à commencer par les collectivités ultramarines.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande l'institution, auprès du ministre délégué à la mer, d'un comité national de suivi de la mise en oeuvre des mesures relatives aux ZEE annoncées par le Premier ministre le 3 décembre 2013, associant l'ensemble des partenaires concernés.

(2) Tenir son rang dans la mise en place de la gouvernance mondiale

La nécessité d'une gouvernance à la hauteur des enjeux se fait aussi ressentir au niveau international , vis-à-vis de l'AIFM ou de la CLPC. La France doit user de tout son poids de deuxième puissance maritime à la fois pour faire valoir ses intérêts et promouvoir un modèle raisonné de développement fondé sur la valorisation des ressources marines .

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande que la France joue un rôle moteur dans la mise en place d'une gouvernance internationale encore balbutiante.

Ceci suppose bien entendu que notre pays se conforme lui-même pleinement aux règles de la convention de Montego Bay en ce qui concerne la délimitation et la reconnaissance de ses espaces maritimes et qu'il ne fasse plus figure d'acteur a minima dans la mise en oeuvre des permis d'exploration internationaux. On ne peut prétendre à un rôle de premier plan sans s'en donner les moyens.

c) Les moyens : l'heure de la mobilisation générale

Le discours du Premier ministre du 3 décembre 2013 contenait un certain nombre d'annonces dont la délégation se félicite : l'acquisition de trois bâtiments multi-missions pour les Antilles, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, l'inscription d'actions en faveur des énergies marines renouvelables dans les plans d'investissement d'avenir (PIA) et l'engagement sur les cinq prochaines années d'un programme national d'accès aux grands fonds marins, ce qui « permettra d'engager de nouvelles campagnes de valorisation des ressources minérales, ainsi que le développement des technologies qui y sont associées ».

Toutefois, le projet de loi de finances pour 2014 ne présente aucune traduction de ces annonces . Le programme 187 « Recherches dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources » voit son montant strictement identique à celui demandé pour 2013 157 ( * ) et il en est de même de l'action n°1 « Recherches scientifiques et technologiques sur les ressources, les milieux et leur biodiversité » qui est, au sein du programme, celle qui concerne le plus directement les explorations de ressources des ZEE. Quant à la subvention versée à l'Ifremer, elle devrait même connaître une légère baisse, s'établissant à 151,1 millions d'euros en 2014 contre 151,4 en 2013. Rien d'étonnant dans ce contexte qu'interrogé sur les moyens nouveaux attendus suite au discours du 3 décembre le secrétaire général de la mer ait surtout fait état de la question qui se pose à l'Ifremer de parvenir à trouver les premiers millions d'euros nécessaires à la mise en oeuvre du second permis international obtenu auprès de l'AIFM. Quant au programme d'exploration de Wallis-et-Futuna, pourtant le plus avancé, il est aujourd'hui à l'arrêt faute de bouclage du tour de table entre les différents opérateurs.

Les programmes d'investissements d'avenir affectés aux énergies marines renouvelables devraient en principe se concentrer sur l'hexagone. L'appel à manifestation d'intérêt clôturé le 31 octobre 2013 et portant sur la mise en place de démonstrateurs à l'horizon 2016 concernait en effet la zone de Paimpol-Bréhat pour l'énergie hydrolienne marine, les secteurs du Croisic s'agissant de houlomoteurs et des secteurs du Croisic, de Fos et de Groix pour l'éolien flottant. En ce qui concerne le quatrième projet, par sa nature particulièrement adapté aux eaux tropicales puisqu'il porte sur les énergies thermiques marines, aucun secteur n'est a priori prévu mais l'on peut espérer qu'un projet ultramarin sera sélectionné.

C'est aussi des investissements d'avenir que pourraient provenir les ressources supplémentaires annoncées en matière d'accès aux ressources des grands fonds. La procédure retenue pourrait être celle du concours mondial d'innovation (CMI) lancé le 2 décembre 2013, ce qui peut expliquer l'impossibilité de les identifier dans les crédits du ministère de l'écologie inscrits au projet de loi de finances.

Ce concours devrait donner lieu à la mobilisation de 300 millions des PIA cofinançant, à travers BPIFrance, des projets répondant aux sept ambitions définies par le rapport de la commission Innovation 2030 présidée par Mme Anne Lauvergeon 158 ( * ) . Parmi les domaines retenus, la valorisation des richesses marines figure en effet en troisième position .

Les sept priorités sectorielles retenues par la Commission Innovation 2030

1. Le stockage de l'énergie

2. Le recyclage des métaux lourds

3. La valorisation des richesses marines

4. Les protéines végétales et la chimie du végétal

5. La médecine individualisée

6. La silver économie

7. La valorisation des données massives (le Big data )

Le concours comprendra trois phases :

- La phase 1 dite d'amorçage qui s'achèvera à l'été 2014 lorsque 100 projets auront été sélectionnés. Ces projets pourront recevoir une première aide financière sous forme de subventions jusqu'à 200 000 euros,

- La phase 2 dite d'accompagnement, débutant le 1 er septembre 2014, permettra d'aider le développement d'une trentaine de projets prometteurs. Les projets retenus bénéficieront d'une somme pouvant atteindre 2 millions d'euros chacun,

- et une phase 3 de développement, qui consistera à compter de 2016 à soutenir l'industrialisation d'un ou deux projets dans chacune des 7 ambitions. Ils recevront jusqu'à 20 millions d'euros chacun.

Si les perspectives offertes par ce concours apparaissent intéressantes, force est de constater cependant qu'elles ne répondent pas à la nécessité de faire repartir au plus vite les projets actuellement arrêtés faute de financement, comme l'exploration des ressources minérales à Wallis-et-Futuna, en Polynésie (programme ZEPOLYF) et dans le cadre des permis de l'AIFM .

En outre, il est à craindre que le ou les projets retenus in fine ne portent davantage sur la mise au point de technologies d'exploitation des fonds marins que sur le financement de la recherche consistant à connaître les particularités des ressources minérales 159 ( * ) . Or, cette expertise scientifique dans laquelle la France s'est illustrée est indispensable à la conduite de toute opération de valorisation. C'est en laboratoire que s'effectuent les recherches permettant de déterminer la formation des concentrations de métaux dans les nodules, les encroûtements cobaltifères ou les amas sulfurés. Cette connaissance est un préalable stratégique à l'engagement d'importants moyens d'exploitation .

Ce risque d'une absence de financement des recherches sur les ressources est d'autant plus fort que seuls un ou deux projets seront retenus par priorité et que, s'agissant de la valorisation des ressources marines, le règlement du concours mentionne déjà deux axes : la valorisation des métaux sous-marins d'une part, mais aussi les projets favorisant des solutions de dessalement moins onéreux ou plus faiblement consommateur d'énergie de l'eau de mer, d'autre part. De plus, même si le rapport de la commission Innovation 2030 évoque la nécessité d'un inventaire et de recherches sur le caractère exploitable des ressources sous-marines, elle recommande en particulier une participation au projet européen Seabed Mining 2020 visant à la réalisation d'un pilote industriel pour l'extraction des métaux à partir des minerais océaniques. La vocation du CMI à privilégier ce type d'innovation est d'ailleurs en cohérence avec l'objectif affiché d'accompagner des projets débouchant sur une phase d'industrialisation.

Il faut espérer que le « programme national d'accès aux grands fonds marins » annoncé par le Premier ministre le 3 décembre 2013 ne se résume pas à cette initiative. Car l'accès au sens strict n'a de sens que si la ressource et son environnement sont connus, c'est-à-dire non seulement localisés mais analysés dans leurs modes de fonctionnement.

Cela dit, aucun autre moyen supplémentaire pour la recherche ou pour les campagnes d'exploration n'est hélas dégagé à ce stade alors que les besoins sont urgents.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'inclure dans le plan national d'accès aux ressources marines annoncé le renforcement des moyens de la recherche sur les ressources minérales dans la ZEE française, ainsi que dans la zone internationale pour les permis attribués à la France.

Compte tenu des enjeux et des montants financiers en cause, l'implication de l'Europe est aussi indispensable . Dans le prolongement de la communication de la Commission européenne du 13 septembre 2012 sur la « croissance bleue » 160 ( * ) , l'Union européenne semble s'être clairement engagée dans le soutien aux activités maritimes y compris les plus émergentes. Horizon 2020 , le nouveau programme-cadre européen pour la recherche et l'innovation qui couvre la période 2014-2020 en donne l'illustration, prévoyant le cofinancement de projets sur l'ensemble des sujets : technologies d'exploration, évaluation des ressources, respect de la biodiversité, surveillance de l'environnement, exploitation et traitement des minéraux, mais aussi recherche appliquée sur les algues et énergies marines renouvelables.

L'objectif le plus emblématique du programme est sans doute la réalisation du pilote d'extraction des métaux dans les fonds marins évoqué plus haut. Horizon 2020 vient à peine d'entrer en vigueur mais deux observations peuvent d'ores et déjà être formulées.

D'une part, si la société Technip est extrêmement bien placée pour participer à ce projet, ce dernier exige la constitution de partenariats industriels avec d'autres acteurs européens, ce qui n'est aujourd'hui pas acquis.

D'autre part, la remarque faite pour les financements nationaux vaut aussi pour l'Europe. L'engagement dans la course aux technologies sous-marines ne saurait se traduire par un oubli de la connaissance scientifique des ressources . Or, par exemple, lorsque l'Ifremer mène une campagne d'exploration des ressources sous-marines, le budget européen ne participe qu'aux dépenses liées au travail d'analyse en laboratoire mais non à la campagne en mer (dépenses liées au bateau ou à l'équipage). Les cofinancements annoncés de 50 % finissent ainsi par ne couvrir en fait que 10 à 15 % des dépenses d'une campagne. Compte tenu de l'immensité des parties qui restent à explorer, la France a un intérêt direct à faire évoluer ces règles notamment pour les actions menées dans le cadre de Remina (Ressources minérales marines), étude prospective sur les ressources minérales marines profondes lancée à l'initiative de l'Ifremer fin 2009 et qui associe plusieurs acteurs européens.

D'une façon plus générale, la France doit saisir l'opportunité de la prise de conscience réelle des institutions européennes pour plaider, chaque fois que possible, en faveur d'une meilleure valorisation des ressources des ZEE. Ceci vaut aussi bien pour la prise en compte des spécificités des outremer dans la politique commune de la pêche que pour la mise en oeuvre d'une stratégie offensive en matière de sécurisation des approvisionnements en terres rares . Il convient aussi de veiller à ce que la non-appartenance au territoire de l'Union européenne au sens strict des zones les plus prometteuses (Wallis-et-Futuna ou la Polynésie, mais aussi le Groenland pour les terres rares) ne soit pas un obstacle au plein engagement de la stratégie européenne.

Au niveau européen, la France doit promouvoir et dynamiser le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE.

Au plan national (comme d'ailleurs au niveau européen) est affiché le souhait d'associer le secteur privé à la conquête des nouvelles frontières maritimes de nos économies . Mais encore faut-il qu'il soit incité à prendre les risques liés à des activités émergentes. Les projets d'exploration et d'exploitation des ressources minérales marines s'inscrivent dans un calendrier de long terme et correspondent à des investissements lourds aux résultats parfois aléatoires. Attirer des partenaires industriels suppose donc de leur offrir un cadre suffisamment attractif, à la fois en termes de cofinancement, de régime juridique applicable et de stabilité. À défaut, dans un contexte de compétition internationale de plus en plus vive, le risque existe que les quelques partenaires en capacité de mener de tels projets ne préfèrent se tourner vers des zones maritimes proches mais situées à l'extérieur de la juridiction française.

La délégation a déjà recommandé la prise en compte des spécificités de ces activités dans le code minier. Celle-ci aura notamment pour intérêt de présenter aux opérateurs de façon claire et prévisible l'équilibre entre activités économiques et protection de l'environnement 161 ( * ) . La nécessité de garantir cet équilibre de façon prévisible sera ainsi l'un des éléments d'acceptation sociale des projets liés aux ZEE 162 ( * ) .

Outre la sécurité juridique , les opérateurs ont aussi besoin de bénéficier d'un cadre financier (notamment fiscal) suffisamment incitatif . La France y a d'autant plus intérêt qu'elle dispose d'entreprises privées (DCNS, Technip, Eramet...) techniquement capables de faire la course en tête.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'aménager un cadre normatif et financier attractif pour des partenaires privés disposant de l'expertise technique leur permettant de contribuer à l'exploration et à l'exploitation des ressources des ZEE.

D'une façon plus générale, la France doit réunir ses forces et les structurer en véritables filières intégrées, allant de la recherche fondamentale jusqu'aux activités marchandes . Si elle s'explique surtout par les difficultés de la puissance publique à jouer pleinement son rôle, force est de constater que l'association des partenaires industriels au projet mené à Wallis-et-Futuna indique la voie à suivre au-delà du seul domaine des ressources minérales marines. Sous des formes propres à chaque secteur, il pourrait aussi être appliqué à l'économie des algues, à la pêche ou aux énergies marines renouvelables, domaines dans lesquels les ZEE ultramarines se distinguent à la fois par leur environnement (essentiellement tropical) et les opportunités qu'offrent leurs étendues.

Dans cet esprit, le déménagement à Brest du siège de l'Ifremer - acteur incontournable de la valorisation des ZEE - 163 ( * ) peut constituer un atout puisque la cité du Ponant regroupe déjà une grande partie de la R&D française 164 ( * ) en matière maritime, notamment au travers du pôle de compétitivité Mer Bretagne ou de la Technopole Brest Iroise qui rassemble des grands groupes et une centaine de PME innovantes du secteur.

De même, constitue une excellente nouvelle la signature le 7 mars 2014 d'un accord-cadre de coopération entre l'Ifremer et DCNS portant notamment sur le développement de solutions innovantes dans les domaines de la connaissance des contraintes du milieu maritime et sous-marin.

Reste que, pour que la structuration des filières maritimes produise tous ses effets en faveur de la valorisation des ZEE, une intégration des acteurs ultramarins dans ces réseaux pourrait s'avérer particulièrement profitable. Or, si l'on ne peut que se féliciter des nombreuses coopérations existant entre les pôles compétitivité « à vocation mondiale » Pôle Mer Bretagne et Pôle Mer Méditerranée, qui font même site internet commun 165 ( * ) , l'outre-mer semble encore très peu associé à ces démarches. Le comité national proposé par votre délégation aura vocation à veiller à la mise en cohérence de l'effort des acteurs publics 166 ( * ) au sein de ces filières avec l'objectif de valorisation des ZEE.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande de promouvoir la structuration des activités marines en filières intégrées, de la recherche jusqu'aux activités marchandes, en prenant en compte l'objectif de valorisation des ZEE ultramarines.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Serge Larcher, président

Le moment est venu pour nous de procéder à l'examen du rapport sur les enjeux des zones économiques exclusives des outre-mer.

Nos trois rapporteurs - Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava - ont mené une étude approfondie qui propose une synthèse inédite : ce fut un travail de longue haleine qui a nécessité de nombreuses auditions, 31 au total. Le rapport fera date : il a le mérite d'envisager les multiples aspects d'un sujet abordé généralement de façon très parcellaire, comme les enjeux liés à telle ou telle ressource ou les questions géostratégiques dans une région déterminée.

Je vous l'ai indiqué lors des dernières auditions du 4 février, le sujet a connu une riche actualité au cours des derniers mois et même des derniers jours.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

La planète a connu depuis quelques années une révolution silencieuse : celle du partage des océans.

Si l'on a commencé à parler - sans doute trop tôt - des fameux « nodules polymétalliques » du fond des mers depuis les années 1970, ce n'est en réalité que depuis la convention de Montego Bay, en 1982, que le droit international accorde des droits souverains aux États sur les ressources situées jusqu'à 200 milles des côtes, c'est-à-dire dans la zone économique exclusive, la fameuse ZEE. Cette convention n'est d'ailleurs entrée en vigueur qu'en 1994.

La révolution dont nous parlons est donc très récente. Pourtant, elle constitue d'ores et déjà un changement majeur de la donne géopolitique et économique mondiale, comme en témoignent le progrès très rapide des techniques d'extraction de minerai offshore ou les tensions pour le partage des espaces maritimes, par exemple dans le canal du Mozambique, région dans laquelle la France est très présente grâce aux ZEE liées aux Îles Éparses.

Alors que la planète bleue s'approche des 10 milliards d'habitants et que les ressources terrestres s'amenuisent, la mer attire en effet les convoitises tant elle se révèle être un réservoir de ressources à la fois énergétiques et alimentaires ou, notamment à travers les algues, une source d'innovations considérables, comme dans le domaine médical. Sa biodiversité, à l'origine de cette richesse, doit aussi être préservée car la mer est un milieu fragile. Quoi qu'il en soit, la course au contrôle des ressources marines et sous-marines est lancée, mobilisant notamment les efforts de la Chine, y compris loin de ses propres rivages.

Sur la ligne de départ de cette course, la France bénéficie grâce aux outre-mer d'une position extrêmement favorable. Avec 11 millions de km 2 , notre ZEE est la deuxième mondiale par son étendue derrière celle des États-Unis. Elle est la plus diversifiée et se trouve répartie aux quatre coins du planisphère. Ceci fait de la France le premier pays maritime au sein des instances onusiennes créées par la convention de Montego Bay, dans la mesure où les États-Unis n'ont pas ratifié ce texte.

Comment la France peut-elle se saisir d'un tel atout ? A-t-elle pris conscience des changements intervenus ces dernières années ? Et si oui, en a-t-elle tiré les conséquences en termes d'actions dans ces territoires nouveaux que beaucoup lui envient ?

Quels sont les enjeux des ZEE ultramarines ? C'est la question dont la délégation nous a confié l'instruction et sur laquelle nous allons vous présenter aujourd'hui nos éléments de réponses.

Richard Tuheiava reviendra sur les ressources des ZEE et Joël Guerriau nous éclairera sur les enjeux pour la France en termes géopolitiques et de gouvernance. Pour ma part, je commencerai par ce qui, nous semble-t-il, est le premier des enjeux intéressant notre délégation. Je veux parler du lien entre les ZEE et les outre-mer français.

Vous ne serez en effet pas surpris que notre rapport commence par cet aspect car 97 % de la zone économique exclusive française se situe dans les outre-mer et ces derniers sont les premiers concernés par la valorisation de ressources extrêmement diverses. Les territoires ont un rôle irremplaçable à jouer dans la valorisation de ces potentiels.

Ces derniers répondent aux souhaits de chacune de nos collectivités, quelle que soit leur situation statutaire, de s'engager dans la voie d'un développement durable et plus autonome, fondé sur les atouts locaux, répondant aux attentes économiques et sociales de nos concitoyens. Le temps n'est plus où l'exploitation de certains intérêts ou de certaines ressources stratégiques aboutissait à l'implantation de poches de compétitivité limitées à un secteur économique ou une zone géographique déterminée, parfois à l'origine d'une économie de rente et, dans tous les cas, échappait à la maîtrise de la société et des acteurs locaux tout en étouffant les ressorts du développement local. Les ZEE offrent une réelle occasion de se dégager du poids du passé en sortant de ce cercle vicieux créé par une relation exclusive et asymétrique avec l'hexagone.

En Guyane, la comparaison entre l'installation du centre spatial européen après la perte du site de lancement du Sahara algérien en 1962 et la conduite actuelle du projet d'exploration pétrolière en concertation étroite avec les élus et l'ensemble des parties prenantes atteste d'un changement d'époque. Les acteurs locaux sont les plus à mêmes de saisir les opportunités et les besoins des territoires.

À La Réunion, une société locale (Bioalgostral), l'agence de développement et un producteur d'électricité se sont ainsi unis pour développer un biocarburant de troisième génération à partir des algues marines destiné à alimenter les centrales et ainsi répondre, avec une ressource locale, au handicap de l'île s'agissant des approvisionnements énergétiques. C'est aux acteurs locaux, et en particulier aux collectivités, que revient naturellement la mission d'assurer le dialogue entre les différentes parties prenantes aux projets liés au développement des ZEE.

Vous ne m'en voudrez pas de reprendre l'exemple de la Guyane mais les récentes tensions avec les représentants des pêcheurs à propos de nouvelles demandes de permis de prospection pétrolière offshore montrent à quel point le dialogue est nécessaire pour arbitrer les conflits d'usage de la mer et pour définir des projets de développement durable sur nos territoires, qui profitent à tous. Les acteurs locaux, en première ligne dans leur environnement régional, jouent aussi un rôle d'aiguillon pour les responsables hexagonaux. Lorsque nous apprenons que le gouvernement polynésien, qui dispose de compétences propres en la matière, discute avec des industriels chinois intéressés par les métaux stratégiques - les fameuses terres rares - de la ZEE de Polynésie française, c'est de nature à nous rappeler l'âpreté de la course mondiale aux ressources sous-marines, en particulier dans le Pacifique, qui n'est pas toujours correctement perçue de Paris.

Il n'y aura pas de valorisation des ZEE sans que cela corresponde à un véritable projet pour chacun des territoires. Cela suppose que chacun d'eux soit en capacité de définir sa stratégie. Bien souvent, cela appelle un changement de regard de l'outre-mer sur lui-même, en quelque sorte une prise en main plus affirmée de ses choix économiques, sociaux et environnementaux. Soyons bien conscients qu'il s'agit aussi parfois de revenir sur la façon dont culturellement nous percevons la mer, et en particulier la haute mer. Il ne suffit pas d'être un peuple insulaire pour être un peuple marin. Or, les nouvelles règles posées par la convention de Montego Bay et la limitation des ressources à terre font de nos ZEE de véritables territoires à conquérir. Cette évolution concerne l'ensemble des sociétés ultramarines et chacune dans son identité propre. C'est sur cette analyse que repose notre recommandation n° 4 qui propose de favoriser, dans chaque territoire ultramarin, la mise en place d'un outil de coordination des actions mises en oeuvre localement. Dans les territoires ne disposant pas d'une compétence statutaire propre, cet outil pourra s'incarner dans un comité territorial de la ZEE animé par la collectivité en charge du développement économique.

Dès à présent, l'enjeu des ZEE nous conduit à un changement de regard en outre-mer mais aussi dans l'hexagone et au niveau européen.

Trop souvent encore, la vision des territoires ultramarins est celle des « confettis de l'Empire » alors que la ZEE nous projette dans la compétition en cours pour la maîtrise des ressources de l'avenir et qu'elle donne à la France des espaces représentant près de vingt fois la superficie de l'hexagone.

La France n'exploitera pas ses zones sans la pleine implication des territoires qui y sont liés. C'est l'un des messages qui ressortent de nos travaux et que nous souhaitons porter aujourd'hui. Or, en 2012, lorsque les élus de Wallis-et-Futuna ont souhaité savoir ce que l'Atalante, bateau de l'Ifremer venait faire dans leurs eaux, on n'a pas souhaité leur répondre et ils ont été éconduits par les services de l'État alors qu'ils avaient simplement demandé à monter dans l'embarcation ! Tout cela traduit un état d'esprit, une forme de « rétention » de la part de l'État que l'on retrouve dans notre droit lorsque, plus de treize ans après le vote de la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer qui prévoit le transfert aux régions d'outre-mer de la compétence de délivrance des titres miniers en mer, les décrets n'ont toujours pas été pris.

De même, si l'on souhaite que les territoires élaborent leurs projets de développement autour de leurs ZEE, il faut les associer aux négociations menées par le ministère des affaires étrangères avec les pays voisins et aux démarches qui affectent les ressources maritimes. Cela vaut notamment pour les accords de délimitation de la ZEE ou d'extension du plateau continental - dont beaucoup restent à finaliser - jusqu'aux accords de pêche. Par son étendue, la ZEE française d'outre-mer constitue un enjeu majeur pour l'insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional. Tel est l'objet de notre recommandation n° 5 relative à une étroite association des collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines.

Notre rapport insiste aussi sur la nécessité d'un nouveau regard de Bruxelles. Dans le rapport de la commission des Affaires économiques du 27 juin 2012, notre président Serge Larcher dénonçait déjà l'insuffisante prise en compte des spécificités ultramarines par la politique communautaire de la pêche. Il mettait ainsi en lumière des incohérences consistant par exemple à brider le développement de la flotte de pêche à La Réunion tout en subventionnant par ailleurs celle des Seychelles au titre de la politique de coopération ! Depuis quelques années, Bruxelles semble toutefois prendre conscience de l'atout des ZEE dans le nouveau contexte géostratégique et économique mondial : en témoigne la communication de septembre 2012 sur la croissance bleue de la Commission européenne qui vient de donner lieu, le 19 mars, au lancement d'une « consultation publique » sur l'exploitation minière sous-marine, dont le terme est fixé à la mi-juin. À plusieurs reprises, cette communication insiste sur la nécessité cruciale pour l'industrie européenne d'assurer son approvisionnement en métaux stratégiques - marché dont on sait qu'il est dominé et régulé - pour ne pas dire plus - par la Chine qui en fait une arme économique redoutable. Or, comme on pouvait le lire dans La Tribune il y a quelques mois, face à la Chine l'Europe possède en la matière deux atouts : la Polynésie française et le Groenland, territoire d'outre-mer danois. Le Danemark peut donc sans doute constituer un allié pour faire bouger l'Europe plus vite et plus fort, même si les deux territoires concernés ne font pas partie stricto sensu du territoire de l'Union européenne. Comme vous le savez en effet, au sens du Traité de Lisbonne, la Polynésie est un PTOM (pays et territoire d'outre-mer) et non une RUP (région ultrapériphérique). Mais, même pour ces dernières, la France doit faire son lobbying à Bruxelles pour que l'Europe investisse aussi sur ces atouts, qu'il s'agisse de la promotion des énergies marines ou de l'inventaire des ressources minérales. Notre recommandation n° 9 vise ainsi à ce que la France promeuve et dynamise le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE.

Si notre pays ne la fait pas, personne ne le fera à sa place puisque, à l'image de nos outremer, la ZEE française est absolument sans équivalent parmi les autres États membres.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

Comme mon collègue Jean-Étienne Antoinette vous l'a annoncé, il me revient de faire le point sur les ressources des ZEE ultramarines dont la grande diversité, l'abondance, et le caractère stratégique pour certaines d'entre elles attisent les convoitises.

Les ressources des ZEE sont à la fois énergétiques, minérales et biologiques.

Pour ce qui est des ressources énergétiques, les présomptions sont très fortes de voir les ZEE françaises receler des gisements d'hydrocarbures. La prospection la plus avancée en la matière concerne la Guyane où, depuis 2012, des opérations d'exploration sont menées par un consortium conduit par Shell France dont nous avons auditionné deux fois le président. Ce dernier évaluait le gisement à 300 millions de barils, même si quatre des cinq forages se sont révélés infructueux, conduisant la compagnie à annoncer en janvier dernier, puis tout récemment, qu'elle renonçait à étendre sa zone de prospection au large et près des côtes pour se concentrer sur celle déjà étudiée, située à 150 kilomètres. Précisons que les résultats plutôt négatifs des derniers forages n'ont rien d'étonnant : dans les années 1960-1970, il avait fallu une vingtaine de forages pour localiser les puits de la mer du nord. L'intérêt pour le gisement guyanais est d'ailleurs confirmé par les demandes de permis d'exploration déposées en janvier 2014 par de nouvelles compagnies.

Dans l'océan Indien, on sait que le ravivement des contestations de la présence française dans le canal du Mozambique, notamment à l'occasion de l'élection présidentielle malgache, est lié à des questions pétrolières. En effet, la ZEE française des Îles Éparses recouvre une large partie du canal où des gisements de pétrole et de gaz sont hautement probables. Les Comores viennent ainsi d'attribuer les premiers lots de prospection, laquelle est estimée pouvoir déboucher sur une production de pétrole effective en 2018.

Ces enjeux ne sont pas non plus étrangers au débat entre la France et le Canada sur le plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Comme l'a rappelé Jean-Étienne Antoinette, ce mouvement ne concerne pas que les ZEE françaises, comme en atteste notamment dans l'actualité récente du Pacifique les passes d'armes entre la Chine et le Japon à propos des îles Senkaku.

Outre les hydrocarbures, les ZEE apparaissent de plus en plus comme des gisements avérés d'énergies marines renouvelables (EMR).

C'est un sujet stratégique majeur pour des territoires, éloignés des grands centres de production énergétique, en particulier du fait de leur insularité. On sait que l'approvisionnement énergétique est l'un des handicaps traditionnels rencontrés par les territoires ultramarins dans leur développement. Le Grenelle de l'environnement ne s'y est pas trompé, fixant un objectif de 50 % d'énergie renouvelables pour les DOM à l'horizon 2020, contre 22 % pour l'hexagone.

Parmi les nombreuses technologies actuellement envisagées, une mention particulière doit sans doute être faite de l'énergie thermique des mers (ETM). Fondée sur la différence de températures entre les eaux de surface et les eaux profondes dans les mers tropicales, elle présente le grand avantage de ne pas être intermittente et l'on dispose aujourd'hui de solutions permettant d'acheminer l'eau froide du fond. L'un des responsables de DCNS était d'ailleurs venu nous expliquer combien l'invention de tuyaux, assez solides pour résister à de fortes pressions et suffisamment souples pour s'adapter aux courants marins, était un défi technique démontrant à quel point la conquête des mers pouvait stimuler l'innovation, avec de multiples retombées possibles pour nos entreprises. Reste cependant à répondre au défi de l'acheminement à terre de l'énergie produite au large. Les prototypes actuellement développés en Martinique et en Polynésie consistent à faire produire de l'hydrogène par la centrale ETM, celui-ci étant ensuite acheminé par des navires spécialisés. L'objectif est de réaliser des stations produisant plusieurs centaines de mégawatts.

Assez comparable aux ETM, parce qu'ils utilisent les eaux froides du fond des mers tropicales - mais cette fois, situées près des côtes - on peut aussi citer les systèmes de climatisation de type SWAC ( Sea Water air conditioning ) utilisées à La Réunion ou, en Polynésie française, à l'hôpital de Papeete et dans plusieurs hôtels, à Bora Bora et dernièrement à l'hôtel Brando de Tetiaroa.

Plusieurs technologies sont aujourd'hui à un stade pré-industriel, généralement grâce à l'appui des collectivités. C'est le cas des deux prototypes de station houlomotrice installés à La Réunion, même si l'un d'eux - connu sous le nom de CETO - a été détruit par le cyclone Bejisa il y a trois mois.

Outre les ressources énergétiques, les mers - notamment les mers tropicales - sont d'abondantes sources de biodiversité. Le rapport fait un point sur le potentiel halieutique de nos outremer avec trois conclusions principales sur la façon d'exploiter davantage et mieux les ressources de nos ZEE :

- en structurant les filières de pêche aujourd'hui encore trop artisanales pour valoriser l'ensemble de ce nouveau territoire marin,

- en luttant de façon plus résolue contre la pêche illégale, au besoin dans le cadre d'une coopération internationale comme celle qui se met en place dans l'océan Indien,

- et enfin en diversifiant les activités, notamment par le développement de l'aquaculture pour laquelle les outremer français peuvent faire valoir leurs avantages compétitifs, à commencer par la qualité et la traçabilité des produits.

Autre ressource importante, les algues mériteraient sans doute un rapport à elles seules tant elles s'annoncent comme à l'origine de nouveaux pans entiers de l'économie.

Par leur faculté d'adaptation et de croissance dans des conditions extrêmes, les algues ont développé des propriétés biochimiques inédites que les chercheurs ne cessent de découvrir et que les industriels exploitent. Chimie, pharmacie et nouvelles thérapies, agro-alimentaire, protection de l'environnement, les utilisations sont nombreuses et parfois simultanées. La société française Amadéite, basée dans le Morbihan, a ainsi créé un nouveau matériau composé de feuilles intercalées d'argile et d'algues vertes. Ce matériau a des propriétés multiples : il permet à la fois de renforcer les défenses immunitaires dans le cadre de l'alimentation animale, réduisant ainsi la consommation d'antibiotiques. Ses propriétés mécaniques et physiques en font également un excellent candidat à l'utilisation dans les carrosseries de voitures ou dans l'emballage alimentaire ! La production est par ailleurs saine pour l'environnement, puisqu'elle ne nécessite aucun procédé chimique.

Les applications incluant des algues sont en pleine expansion, jusqu'aux biocarburants de troisième génération, les algues ayant un rendement à l'hectare dix fois supérieur à celui des oléagineux. Les eaux tropicales, dont la biodiversité - animale comme végétale - est encore plus riche que celle des eaux tempérées, constituent donc un terrain privilégié de ce que les spécialistes annoncent comme une authentique « nouvelle économie ».

Ce rapide inventaire des ressources des ZEE ne serait évidemment pas complet sans l'évocation des ressources minérales.

L'attention s'est, comme on le sait, focalisée depuis longtemps sur les nodules polymétalliques, riches en fer, en manganèse, en cuivre, en nickel et en cobalt, alors que ceux-ci, situés dans les plaines abyssales des océans, sont les plus difficiles à exploiter et que l'on est encore au stade de l'exploration, dans l'ouest de la Polynésie, comme près de la ZEE française de Clipperton dans une zone internationale où plusieurs pays ont lancé des programmes.

Les opérations d'extraction concernent aujourd'hui d'autres types de minéraux, ceux des sulfures hydrothermaux présents dans des volcans sous-marins actifs ou récents à environ 1 000 mètres de profondeur. La teneur de ces « amas sulfurés » en fer, en cuivre, en mercure et en zinc est supérieure à celle des mines terrestres, et un projet Solwara 1 mené par la société canadienne Nautilius dans la ZEE de Papouasie Nouvelle-Guinée est actuellement en cours à 1 700 mètres de fond. Il a déjà permis de démontrer la faisabilité du ramassage des minerais et devrait être, si tout se passe bien, en phase industrielle l'an prochain.

Pour la France, ce type de formations minérales a été identifié à Wallis-et-Futuna, près des îles Matthew et Hunter en Nouvelle-Calédonie, ce qui n'est sans doute pas pour rien dans la contestation de la souveraineté sur ces îlots français par le Vanuatu. Des amas sulfurés seraient aussi présents autour des îles Saint-Paul et Amsterdam, à Crozet, à Kerguelen, à Mayotte ainsi qu'aux Antilles et en Polynésie.

Outre les nodules et les sulfures hydrothermaux, on cite aussi souvent les encroûtements cobaltifères constitués dans des volcans anciens ou des atolls immergés. C'est le cas dans l'archipel des Tuamotu, à Kerguelen, à Mayotte et dans les îles Éparses. Ils sont surtout riches en oxyde de fer et en manganèse auxquels dont associés des terres rares, notamment le titane, le lanthane ou le cérium, avec des densités particulièrement intéressantes. D'après une étude de l'université de Tokyo qui a eu un fort retentissement dans la presse scientifique mondiale en 2011, les gisements situés autour des Tuamotu constitueraient une part très importante des réserves mondiales de terres rares. Comme l'a rappelé Jean-Étienne Antoinette, tout ceci n'a pas laissé la Chine indifférente. J'ajouterai que les enjeux géopolitiques se posent en des termes particuliers s'agissant de collectivités qui - comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie - disposent de larges compétences propres et figurent même sur la liste de l'ONU des « territoires non autonomes ». Je rappelle que cette réinscription de la Polynésie française a été adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 17 mai 2013.

Les stipulations de l'article 73 de la Charte des Nations unies de 1945 dont la France est cosignataire, prévoient en effet le principe de primauté des intérêts des habitants des territoires non-autonomes tel que figurant sur la liste du Comité spécial de décolonisation. Il importe dès lors d'observer cette règle en matière de politique maritime locale et d'exploitation des ZEE calédonienne et polynésienne, de manière à ce que nos intérêts nationaux ne viennent pas méconnaître, comme cela a pu être le cas par le passé, ceux des habitants de ces deux territoires.

Pour la cohérence politique nationale, il serait à mes yeux difficile d'une part, de prendre appui sur des stipulations internationales en vigueur - notamment en bénéficiant des licences d'exploration de l'AIFM pour initier un développement largement fondé sur l'outre-mer - et d'autre part, de se dispenser de reconnaître l'applicabilité de stipulations internationales spécifiques davantage protectrices des intérêts propres des collectivités ultramarines.

Face à des perspectives prometteuses se pose inévitablement la question de l'exploitation des minerais sous-marins et, en particulier, de la rentabilité comparée d'une telle exploitation.

Comme je vous l'annonçais, on peut globalement parler d'une accélération de la maturation des procédés de production et d'exploitation.

Cela vaut pour les énergies marines renouvelables et pour les applications industrielles concernant les algues, mais aussi pour la valorisation des minéraux sous-marins. Certes, on estime que leur coût d'extraction est encore entre 4 et 5 fois supérieur à celui des minerais à terre, mais les auditions auxquelles nous avons procédé ont démontré que les avis divergent quant au moment où les ressources sous-marines seront compétitives, en particulier pour les terres rares dont la pénurie est annoncée.

Ce qui est certain en tous cas, c'est que la course est bel et bien lancée. C'est entre autres l'avis de la Commission européenne qui justifie le lancement de sa consultation publique sur l'exploitation des minéraux sous-marin par le développement rapide des technologies et l'avancement des projets en cours dans tous les océans.

L'opération Solwara devrait donner le coup d'envoi à d'autres projets et l'entrée rapide dans une phase industrielle avec une baisse sensible du coût de production, dès que les équipements seront produits en série. Tout le monde s'y prépare : les industriels chinois qui ont créé un centre d'innovations à une centaine de kilomètres de Pékin où a été mis au point très récemment un véhicule d'exploration des fonds marins rivalisant avec ceux traditionnellement développés par les sociétés françaises DCNS et Technip. De même, dans son programme cadre pour l'innovation « Horizon 2020 », l'Union européenne fixe d'ores et déjà pour objectif la réalisation d'un robot extracteur des minerais des fonds marins. Ce projet devrait aussi être soutenu par le Gouvernement français dans le cadre du « concours mondial d'innovation » mettant en oeuvre les sept priorités stratégiques définies par le récent rapport remis par la commission Lauvergeon au Président de la République.

Tout en nous félicitant de cette mobilisation, nous insistons dans notre rapport sur la nécessité de ne pas oublier de poursuivre en parallèle le travail de connaissance de la ressource qui porte à la fois sur sa localisation, sa consistance et son environnement afin de bien mesurer et encadrer les effets de l'exploitation sur les écosystèmes. Or, sur la question de l'inventaire de la ressource, tous les voyants sont au rouge. Comme cela nous avait été indiqué il y a un an et demi, l'unique chercheur permanent de l'Ifremer, spécialiste français des nodules polymétalliques, a pris sa retraite sans avoir pu transmettre son savoir et sans être remplacé. La transmission du capital de connaissances acquises est donc clairement menacée ! La France n'a pas, faute de moyens humains et financiers suffisants, honoré les engagements qu'elle avait souscrits lors de l'obtention de son permis d'exploration dans la zone internationale de Clarion--Clipperton en 2001 alors que celui-ci arrive à échéance dans deux ans ! Quant au travail d'inventaire mené en Polynésie, il a été interrompu. Idem pour celui, pourtant le plus avancé et le plus proche de perspectives d'exploitation, mené à Wallis-et-Futuna.

Voilà des priorités toutes trouvées pour le « programme national d'accès aux ressources marines » annoncé par le Premier ministre à Montpellier le 3 décembre 2013 dernier lors des Assises de l'économie maritime et du littoral. Aussi notre recommandation n° 3 vise-t-elle à inclure dans le plan national annoncé le renforcement des moyens de la recherche sur les ressources minérales dans la ZEE française, ainsi que dans la zone internationale pour les permis attribués à la France.

Pour en revenir au programme d'exploration mené à Wallis-et-Futuna en dépit de ces difficultés liées aux moyens, nous estimons que sa conduite par un consortium mêlant organismes scientifiques et industriels - de l'Ifremer à l'opérateur minier Eramet en passant par Technip - constitue un bon modèle de partenariat entre les différents acteurs. Il devrait pouvoir être étendu à d'autres activités liées à l'exploitation des ressources marines : les énergies renouvelables, l'industrie des algues, voire la pêche afin de contribuer à mieux structurer ces filières. La recommandation n° 7 du rapport propose précisément de promouvoir la structuration des activités marines en filières intégrées, de la recherche jusqu'aux activités marchandes, en prenant en compte l'objectif de valorisation des ZEE ultramarines.

Elle part aussi du constat que les actions déployées, notamment par les deux grands pôles de compétitivité maritimes existants, sont encore trop hexagonales et prennent peu en compte l'enjeu de la valorisation de cet immense territoire que constituent les ZEE ultramarines.

Quant à l'engagement des partenaires industriels dans ce nouveau territoire où les perspectives de retour sur investissement ne sont pas encore parfaitement connues, il suppose d'aménager un cadre normatif et financier attractif, faute de quoi le risque existe toujours de les voir préférer des zones maritimes proches de nos ZEE aux ressources comparables mais plus accueillantes. Notre recommandation n° 6 préconise l'aménagement d'un cadre normatif et financier attractif pour des partenaires privés disposant de l'expertise technique et susceptibles de contribuer à l'exploration et à l'exploitation des ressources des ZEE.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Au fur et à mesure que nous réalisions ce travail, j'ai pris la mesure des très grands enjeux pour la France liés aux sujets abordés avec le sentiment d'une multitude de nouvelles questions ouvrant chaque fois sur de nouvelles perspectives. Il en va plus globalement ainsi de la situation de notre pays dans ce nouveau cadre géostratégique caractérisé par « une maritimisation du monde », pour reprendre le titre du récent rapport de la commission des affaires étrangères et de la défense. Or, dans ce contexte, la situation de la France est aujourd'hui faite de paradoxes et de contradictions.

Le premier des paradoxes est que notre pays, doté de 11 millions de km² de ZEE enviés de tous, ne s'est visiblement pas préoccupé de marquer son territoire.

Les lignes de base côtières outre-mer sont loin d`être toutes délimitées ou notifiées au niveau international et elles ne sont donc pas opposables alors que cela dépend de la seule bonne volonté de l'administration française.

La situation est évidement encore plus compliquée s'agissant des délimitations des ZEE nécessitant des accords avec les pays voisins. Hormis le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Polynésie, aucun territoire ultramarin ne dispose aujourd'hui de frontières maritimes officiellement opposables ! Quant aux demandes d'extension du plateau continental, qui permet l'exploitation des ressources du sous-sol, éventuellement jusqu'à 350 milles, la France a pris un tel retard que les derniers dossiers déposés - ceux de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon - ne seront examinés par la commission des limites du plateau continental (CLPC), dépendant de l'ONU, que d'ici... 25 à 30 ans !

La responsabilité de ce calendrier incombe à la CLPC mais aussi à l'État français qui, par manque de moyens et de volonté politique, a laissé passer la date limite du 13 mai 2009 qui permettait de voir ses demandes traitées dans des délais plus raisonnables.

Autre contradiction, celle qui consiste à prétendre exploiter des ressources sans les protéger, à vouloir valoriser les fruits de son domaine sans en assumer les responsabilités.

Hormis en Guyane, les forces militaires outre-mer, dites « de souveraineté », sont partout en repli. S'agissant des moyens maritimes de patrouille et de surveillance, des ruptures capacitaires sont même attendues, en particulier entre 2016 et 2018, du fait du retrait des P400. Et lorsque le Premier ministre indique la livraison de trois bâtiments multi-missions (B2M) - un pour les Antilles, un pour la Polynésie et un pour la Nouvelle-Calédonie - il convient de rappeler que ces équipements ne marquent pas un progrès par rapport aux Batral qu'ils remplacent car ils ne disposent pas de capacités de débarquement amphibie pourtant bien utiles dans les missions logistiques et d'aide aux populations. Bien que ces B2M doivent en principe être financés par plusieurs ministères, au nom de la mutualisation, notre rapport s'intéresse essentiellement aux moyens militaires dans la mesure où ils sont, de fait, les seuls à pouvoir intervenir en haute mer, a fortiori face à des pirates, des trafiquants en tous genre ou des pilleurs de ressources halieutiques disposant d'équipements des plus sophistiqués.

Je précise que la situation n'est guère meilleure s'agissant des moyens aériens et qu'aux insuffisances d'hommes et d'équipement s'ajoutent des difficultés d'organisation. Contrairement aux États-Unis, la France ne dispose pas d'un service de garde-côtes ; cette mission est répartie entre plusieurs administrations : la Marine nationale et les autres forces de souveraineté, les directions des affaires maritimes, la gendarmerie maritime et les douanes. Le Secrétariat général de la Mer, chargé de coordonner ce que l'on appelle la « fonction garde-côtes », ne dispose d'aucun pouvoir en matière d'affectation ou d'utilisation optimale des moyens ! Certes, comme le rappelait le chef d'état-major de la marine, l'ensemble des moyens militaires français ne suffirait pas à la surveillance de la zone. Il n'empêche que notre pays n'envoie pas les bons signaux quant à sa détermination à faire respecter sa présence et ses droits sur son territoire marin.

Dans ce contexte, rien d'étonnant que la souveraineté française soit défiée et même contestée. Les pillages de ressources halieutiques, hélas devenus traditionnels au large de la Guyane ou de Clipperton, se doublent en effet de remises en cause du rattachement à la France de certains îlots et surtout des ZEE qui leurs sont associées. Ainsi en est-il de Clipperton avec le Mexique, même si un accord a été signé en 2011, des Îles Éparses avec Madagascar, de Tromelin dont la souveraineté française est contestée par l'île Maurice ou encore des îles Matthew et Hunter disputées par le Vanuatu.

Pour ce qui est des territoires véritablement habités, je ne rappellerai évidemment pas la contestation des Comores à propos de Mayotte mais le lancement, en cours, des opérations d'extraction de pétrole dans la ZEE comorienne risque fort de raviver les tensions avec ce pays. D'ailleurs, les trois premiers lots de prospection accordés par la République des Comores fin mars empiètent sur des eaux qui devraient en principe être incluses dans la ZEE de Mayotte !

Autre paradoxe, la façon dont la France se comporte dans les instances mises en place par la convention de Montego Bay qui assure la « gouvernance internationale des océans ».

La France a, sur le papier, tous les atouts pour faire figure de référence en la matière. Par l'importance de sa ZEE, la première parmi les pays membres de ces instances, par la répartition de cette zone sur tous les océans et dans les deux hémisphères ainsi que par son rôle traditionnel au sein des instances onusiennes, notre pays a tout d'un leader naturel. Pourtant, dix ans après la mise en place du nouveau cadre international, elle fait déjà figure de mauvais élève ! Il y a nos retards devant la commission des limites du plateau continental alors que nous aurions dû plutôt user de notre influence pour faire fonctionner cette instance dans de bonnes conditions, mais il y a plus grave, c'est la façon dont la France participe aux travaux de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Cette institution installée à Kingston en Jamaïque est chargée « pour le compte de l'humanité toute entière » d'assurer la gestion des eaux situées au-delà des ZEE nationales et des fonds marins ne relevant pas d'un plateau continental national. Dans ces eaux internationales communément appelées « la Zone », l'AIFM a pour mission de fixer les règles de protection des milieux et notamment les règles d'exploration et d'exploitation des ressources. Mise en place effectivement il y a moins de dix ans, l'AIFM a, en principe, vocation à élaborer le cadre d'une gouvernance mondiale des océans aujourd'hui balbutiante. Elle a commencé à élaborer des « codes miniers » relatifs aux ressources minérales sous-marines et à délivrer des permis d'exploration de ces matières nouvelles au sein de la Zone. L'AIFM étant dépourvue de moyens et de capacité d'expertise propre, ses travaux s'appuient sur les États membres. Ceci donne de facto un levier d'influence aux pays capables de constituer des références pour l'édiction des normes juridiques, environnementales ou techniques, avec - à la clé - un enjeu de maîtrise de la définition des standards internationaux de gestion des ressources. En plus de ses atouts naturels, la France peut déjà s'appuyer sur l'expertise de ses industriels - au premier rang desquels Technip et DCNS - pour lesquels la définition de ces standards est un réel enjeu. Notre pays bénéficie aussi d'une très forte proximité géographique avec le secteur dans lequel l'AIFM a d'ores et déjà délivré douze permis d'exploration de nodules polymétalliques. Il s'agit de la Zone internationale de Clarion-Clipperton située entre la ZEE de l'îlot français et Hawaï. Non seulement la France n'a pas été en mesure d'apporter une expertise particulière sur les ressources de la région, faute d'avoir exploré sa propre ZEE, mais elle s'est vraiment comporté - j'y reviens - en mauvais élève dans la mise en oeuvre de ses permis internationaux. Pour le premier obtenu en 2001 et qui expire en 2016, l'Ifremer est très loin d'avoir rempli ses obligations. Il n'a travaillé que sur la compréhension des écosystèmes et non sur l'évaluation de la ressource, ce qui était pourtant le but principal du contrat. Pour le second permis concernant la recherche de sulfures polymétalliques dans la dorsale atlantique, seules deux campagnes en 15 ans seraient prévues lorsque les Russes et les Chinois en programment cinq par an ! Faute de moyens, la mission exploratoire effectuée début 2014 avant même la signature du contrat pourrait être considérée comme étant la première de ces trois campagnes françaises. Deux ans après l'obtention de l'accord par l'AIFM, la France n'a d'ailleurs toujours pas signé le contrat. Dans ces conditions, il est difficile de jouer un rôle de référent.

Même problème concernant le cadre réglementaire édicté par l'AIFM. Celui-ci est essentiellement élaboré à partir des législations des États membres. Or, le code minier de notre pays pourtant titulaire de la deuxième ZEE mondiale ne prévoit rien de particulier pour les activités offshore , et ne prend pas en compte les spécificités des ressources minérales sous-marines. Rien non plus sur la délicate question de l'encadrement des actions menées sur le plateau continental français en dessous des eaux internationales. Ce n'est pas ainsi que la France jouera pleinement son rôle dans la mise en place de la gouvernance mondiale des océans qui se dessine. Dans quelques années il sera sans doute trop tard, surtout si les États-Unis ratifient la convention ou si des pays comme la Chine, la Corée du Sud ou la Russie continuent de manifester leur volontarisme au sein de l'AIFM. C'est pour inverser cette tendance que nous demandons, par notre recommandation n° 10, qu'au niveau international, la France joue un rôle moteur dans la mise en place d'une gouvernance internationale encore balbutiante.

Puisque nous évoquions le code minier, force est de constater, à la suite de l'audition de M. Thierry Tuot, président du groupe de travail sur le nouveau code, en février dernier, que le projet oublie tout à la fois les spécificités du offshore , celles des ressources minérales sous-marines et, plus largement, les activités outre-mer ! Des incertitudes demeurent encore sur le calendrier et sur les modalités d'adoption du nouveau code mais, pour notre part, que ces trois lacunes soient comblées. Notre recommandation n° 8 préconise donc d'inscrire dans le futur code minier le cadre normatif nécessaire à la gestion durable et à la valorisation des ressources des ZEE.

Ces lacunes sont d'autant plus préoccupantes qu'elles empêchent, comme nous l'avons déjà évoqué, la France de jouer son rôle naturel de référent international sur ces sujets alors que les réglementations se mettent en place. Outre l'AIFM, compétente pour la Zone internationale, l'Union européenne elle-même est en train de préciser les règles d'étude d'impact applicables aux ZEE communautaires. Le 12 mars dernier, le Parlement européen a en effet adopté en première lecture une révision de la directive n° 2011/92 sur les études d'impact prévoyant deux modifications importantes : d'une part, elle étend aux activités « de recherche et de prospection » de minéraux marins les procédures jusque-là seulement applicables aux opérations d'extraction, d'autre part, parmi les critères pris en compte par les études d'impact, elle ajoute l'effet sur la biodiversité, sujet dont on sait qu'il est particulièrement sensible dans le milieu marin en général et dans les grands fonds en particulier. Je rappelle que la France est quasiment la seule concernée par ces réglementations dans la mesure où, par exemple, les gisements de terres rares du Groënland sont à terre. Pourtant les choses vont se décider au niveau européen, dans un texte très général portant sur un grand nombre d'activités, sans que la France ait pu l'inspirer ou l'éclairer par une législation nationale spécifique aux activités sous-marines et éprouvée.

À l'issue du comité interministériel de décembre dernier, le Premier ministre a annoncé le lancement du programme national de recherches sur l'accès aux ressources marines et l'acquisition des B2M déjà évoqués, ainsi qu'une mise en ordre de notre droit s'agissant de la délimitation des espaces maritimes. Faut-il en déduire que, face à une accumulation de paradoxes, de rendez-vous manqués et de contradictions la chance que représentent les ZEE a enfin été comprise ? Peut-être que la succession des rapports a fini par porter ses fruits, les derniers en date étant celui du Conseil économique, social et environnemental, celui de la commission Innovation 2030 présidée par Anne Lauvergeon ou les études de la Commission européenne et du commissariat à la prospective sur les métaux stratégiques ?

Nous voulons le croire. Mais en préparant ce travail nous nous sommes livrés à un petit exercice : nous avons fait un tableau comparatif des conclusions des différents CIMER depuis 2003 que nous avons mis en annexe du rapport : nous y avons retrouvé les mêmes bonnes résolutions répétées à chaque fois, presque dans les mêmes termes !

Comme cela ressort je crois de nos trois interventions : pendant les dix dernières années, au cours desquelles la convention de Montego Bay s'est mise en place, le monde a changé et les ZEE ont quitté leur statut de projet d'avenir plus ou moins lointain pour devenir une réelle opportunité du présent. Les mesures annoncées doivent désormais être suivies d'effets. C'est la raison pour laquelle la recommandation n° 2 consiste en la création, auprès du ministre délégué à la mer, d'un comité national de suivi de la mise en oeuvre des mesures relatives aux ZEE annoncées par le Premier ministre le 3 décembre 2013, associant l'ensemble des partenaires concernés.

Mais un comité de plus ne changera rien s'il n'y a toujours personne pour piloter une stratégie nationale de valorisation des ZEE. En effet, aujourd'hui, les questions relatives aux ZEE sont, comme l'ensemble de la politique maritime, traitées de façon parcellaire et éclatée par les administrations de très nombreux ministères et divers organismes publics chargé de la recherche, de la protection de l'environnement ou du financement. Quant à la coordination interministérielle, elle repose sur le CIMER qui ne se réunit en moyenne que tous les 3 ou 4 ans et sur le secrétariat général de la mer (SGMer) placé auprès du Premier ministre chargé, pour l'essentiel, de la préparation du suivi des décisions du comité.

Faisant lui-même le constat de la faiblesse de cette organisation, le Gouvernement a annoncé le 3 décembre 2013 la création d'une délégation à la mer et au littoral au sein du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) chargée de coordonner l'action des différentes entités du ministère dans le domaine maritime. Si cette création a le mérite de consacrer le rôle du ministère délégué chargé des transports et de la mer auquel elle sera rattachée, cette délégation interne au MEDDE ne répond en rien à la question de l'animation interministérielle. Il faut une instance disposant de la légitimité nécessaire pour engager une politique volontariste, entraîner les ministères et opérer des arbitrages. Une telle capacité d'impulsion et d'arbitrage interministériel relève d'une autorité politique, d'un ministre et non d'un haut fonctionnaire. Notre recommandation n° 1 est donc d'instituer auprès du Premier ministre un ministre délégué à la mer, proposition qui s'inscrit dans le cadre de mise en place d'une véritable politique maritime intégrée, déjà engagée au niveau européen.

Nous avons mûrement réfléchi cette proposition qui peut étonner au moment où certains s'interrogent sur le nombre de ministres. Mais cela nous paraît le seul moyen d'affirmer efficacement notre priorité à l'heure où la distribution des cartes s'accélère sur tous les océans et où la France doit se donner les moyens de faire la course en tête en valorisant ses atouts. Nos auditions n'ont cessé de confirmer qu'il s'agit d'un enjeu absolument essentiel pour le pays.

Comme l'indique le titre de notre rapport, c'est le moment de vérité. Dans cinq ou dix ans, il sera sans doute trop tard.

M. Jeanny Lorgeoux

Merci pour cet excellent travail qui a élargi les perspectives ouvertes dans le domaine géopolitique de notre rapport sur la maritimisation de la France. Vous abordez l'enjeu politique des relations entre l'outre-mer et une métropole, devenue en quelque sorte le gros confetti de son ex-empire, et la question, véritablement majeure, des retombées financières pour les territoires concernés. Le rapport propose aussi une évaluation détaillée des richesses des ZEE, préalable indispensable à toute politique de valorisation. Enfin, vous rappelez les réalités de la géostratégie marine et ultramarine trop souvent oubliées vues d'ici, alors même qu'il s'agit d'une chance historique pour la France à un moment où nous sommes frappés par la désindustrialisation et où nos concitoyens sont anxieux pour l'avenir. Que pourrions-nous faire, tous ensemble, pour convaincre l'exécutif de l'ardente obligation d'exploiter ces formidables gisements de richesses ?

M. Serge Larcher , président

Nous pourrions remettre le rapport au Premier ministre et au ministre des outre-mer.

M. Jeanny Lorgeoux

S'agissant d'un sujet géostratégique, nous pourrions aussi le remettre à l'Élysée.

Mme Odette Herviaux

Le travail que vous avez réalisé confirme l'idée selon laquelle la France ne s'est pas donné les moyens de mettre en oeuvre une politique maritime intégrée. Effectivement, tant que nous n'aurons pas de ministre de la mer, nous ne pourrons pas avancer. Il y a là une belle opportunité d'associer les régions maritimes et l'outre-mer dans un combat commun. L'institution d'un ministère et non d'un secrétariat d'État auprès du ministre de l'environnement est d'autant plus nécessaire que la politique de préservation de la biodiversité qui se met en place risque d'affaiblir le poids du politique. L'agence des aires maritimes protégées, qui permettait aux partenaires de se rencontrer, devrait ainsi disparaître dans une grande agence de la biodiversité dont la mer sera le parent pauvre. Des arbitrages ont déjà été rendus contre la pêche en eaux profondes et l'on peut craindre que ce type de décisions se poursuive. Oui à la biodiversité, mais cela ne doit pas empêcher de faire des recherches sérieuses sur les potentiels des fonds marins.

M. Charles Revet

Ayant travaillé sur les nodules polymétalliques il y a une trentaine d'années, je ne puis que me réjouir de cet excellent rapport. En même temps qu'elle dispose d'atouts, la France a une grande responsabilité car la mer, c'est l'avenir. On peut certes remettre notre rapport aux ministères mais nous savons bien ce qu'il en est des rapports parlementaires comme de la place du Parlement en général. On nous transmet des projets de loi de plus en plus longs et de plus en plus complexes et l'on nous demande, de surcroît, bien souvent de renoncer à nos prérogatives pour confier à l'exécutif le soin de légiférer par ordonnances. Si nous voulons vraiment affirmer l'importance de ce rapport, nous pourrions peut-être en débattre en séance publique sous une forme à préciser. Au vu des enjeux, il serait dommage de se contenter d'une publication et d'une transmission du rapport.

M. Thani Mohamed Soilihi

L'examen de ce rapport est l'occasion d'apprécier tout l'intérêt que présente notre délégation. Nous y travaillons avec des collègues hexagonaux qui pourront porter certains messages auprès des pouvoirs publics là où, à force de nous répéter, nous finissons pour notre part par devenir inaudibles. Oui, nous sommes à un moment de vérité et il met en évidence la façon dont l'outre-mer est traitée d'une façon générale. Vos recommandations vont dans le bon sens. À titre personnel, j'y ajouterai la suppression du ministère de l'outre-mer qui n'est pas doté des moyens nécessaires pour agir efficacement. Je précise que cette proposition de suppression correspond à une position de principe et n'est pas dirigée contre la nouvelle ministre qui, à la fois originaire de l'outre-mer et élue de Paris, évite le risque d'être juge et partie.

M. Michel Magras

J'espère moi aussi que ce rapport ne restera pas lettre morte. Je rejoins Charles Revet sur la question des ordonnances ; je ne cesse d'être choqué de voir les dispositions applicables à l'outre-mer des différentes lois être renvoyées à des ordonnances. Si la France dispose d'un immense potentiel au titre des ZEE, c'est à l'outre-mer qu'elle le doit. Si, en principe, la délimitation de ces zones est simple grâce aux coordonnées GPS, la réalité est plus complexe. Saint-Barthélemy, notre territoire de 21 km 2 , devrait avoir sa ZEE mais, dans une zone archipélagique, il est très difficile pour les pêcheurs de savoir s'ils se trouvent dans la ZEE française, dans celle d'Antigua ou dans celle de la partie néerlandaise de Saint-Martin. La synthèse entre tout cela ne pourrait être effectuée qu'au niveau européen et l'Europe devrait fixer un cadre de règles stabilisées indiquant précisément ce que chacun peut ou ne peut pas faire, notamment en matière de ressources biologiques.

Enfin, je ne suis pas convaincu par le point de vue de notre collègue Thani Mohamed Soilihi relative à la disparition du ministère de l'outre-mer.

M. Serge Larcher , président

C'est un autre débat sur lequel je vous renvoie au rapport de la mission commune d'information sur la situation des DOM de 2009.

Concernant l'établissement des délimitations maritimes, je rappelle que les procédures sont longues et coûteuses et que beaucoup de petits États n'en ont pas les moyens.

M. Jeanny Lorgeoux

La France a pris un retard incroyable !

M. Félix Desplan

La mer est l'avenir du monde et l'on ne peut donc que regretter que la France, bénéficiaire de la deuxième ZEE mondiale, n'en ait pas pris conscience. Je crains qu'à l'inverse, d'autres États ne l'ai déjà bien compris et nous prennent de vitesse en matière de délimitations. Nous ne pourrons ensuite nous en prendre qu'à nous. Le rapport apporte des réponses à un moment où nos concitoyens s'interrogent sur l'avenir économique de la France. Quelles suites peut-on envisager de lui donner pour qu'il soit effectivement pris en compte ?

M. Serge Larcher , président

La question des délimitations est un premier point, mais encore faut-il être capable de faire respecter sa souveraineté.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Comment donner davantage de relief à notre rapport ? Par un débat en séance ? Par une transmission au Gouvernement ? La trentaine d'auditions que nous avons réalisées a mis en lumière que la France et l'Europe n'avaient pas de stratégie. Un peu à l'image du discours du Premier ministre que nous avons entendu cet après-midi, on procède surtout à des ajustements sans véritable stratégie pour une dynamique de croissance.

Il faut rappeler au Gouvernement que la mise en valeur des ZEE est une des réponses à la crise. L'une des conclusions du rapport est aussi la nécessité d'inverser le regard porté sur les outre-mer. Ces derniers sont trop souvent exclusivement perçus comme des bénéficiaires de subventions alors que l'exploitation des ZEE ne sera valable que si ces territoires en sont les fers de lance. C'est à partir d'eux que la France partira à la conquête des océans.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Je pense, comme Charles Revet, qu'il ne faut pas en rester à l'adoption du rapport. C'est un sujet immense pour lequel beaucoup reste à faire. Certaines de nos recommandations pourraient déboucher sur des travaux plus approfondis, en particulier en matière de recherche ou de mise en place d'un cadre juridique et financier favorable aux nouvelles activités. Je crains hélas que les gouvernements ne répondent qu'à ce que les Français attendent à court terme, or pour ces derniers, les enjeux maritimes sont lointains. Il faudrait au contraire inverser la pyramide des priorités et placer au sommet la mise en valeur des 11 millions de km 2 de notre ZEE.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

Le rapport rappelle que l'absence de conscience des enjeux maritimes dans l'hexagone a, par une sorte d'effet miroir, gagné les territoires ultramarins. Or, il en va pour ces derniers de leurs perspectives de développement. Le risque de voir nos travaux tomber aux oubliettes existe mais je fais confiance à notre président et à mes collègues rapporteurs pour que nous voyions ensemble comment porter notre message plus loin.

D'autres sujets mériteraient aussi qu'on y porte attention tels que l'installation de câbles de fibre optique sous-marins - ils ne sont pas moins de 16 à traverser le Pacifique - ou encore l'utilisation des espaces aériens. L'un des objectifs de ce rapport était de dénoncer les blocages. Il pointe aussi la situation très particulière de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, inscrits par l'ONU sur la liste des territoires à décoloniser.

M. Serge Larcher , président

Nous avions choisi le thème des ZEE comme une réplique à l'idée très souvent entendue selon laquelle l'outre-mer coûterait cher. L'objectif était de montrer que les outre-mer constituent un atout pour l'avenir. Ses ressources apportent des réponses aux défis économiques, écologiques, géopolitiques ou encore scientifiques et médicaux qui se posent à l'unanimité. Sur la base de ce rapport, à nous d'aller porter ce message auprès du Gouvernement mais aussi de nos collègues qui ne sont pas tous encore sensibles à ces sujets.

La délégation sénatoriale à l'outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité.

ANNEXES

ANNEXE 1 : UN SIÈCLE DE MARITIMISATION DU MONDE

1921 : La Convention de Barcelone réaffirme le principe de la libre navigabilité des mers 167 ( * ) et espaces navigables d'intérêt internationaux (canaux, fleuves), sous réserve des droits déjà acquis par les États, et en particulier de la bande côtière de 3 milles marins.

1930 : La Convention de La Haye tente de trouver un point d'équilibre sur l'élargissement de la zone territoriale exclusive des États. Cependant, les revendications étant inconciliables, elle n'est jamais entrée en vigueur. Elle posait notamment la notion de zone contiguë permettant d'étendre les droits des États au-delà de leur eaux territoriales (aujourd'hui située entre 12 et 24 milles marins des côtes), mais elle est restée lettre morte du fait de l'échec de la négociation.

1945 : La déclaration du président Truman revendique une possible appropriation du sous-sol marin, notamment du plateau continental, à des fins commerciales et militaires. Elle conduit plusieurs autres États à formuler des revendications portant essentiellement sur des zones de pêches exclusives 168 ( * ) .

1958 : La première conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (Genève) débouche sur quatre conventions distinctes :

- La convention sur la mer territoriale et la zone contiguë. D'une part, elle n'aboutit à aucun accord sur la largueur des eaux territoriales mais précise les règles de fixation des lignes de base 169 ( * ) , qui délimitent alors les eaux intérieures. D'autre part, elle crée la zone contiguë qui recouvre les 12 milles marins suivants la mer territoriale. L'État riverain n'y exerce pas sa pleine souveraineté, mais peut y faire appliquer sa législation en matières fiscale, douanière, d'hygiène et d'immigration 170 ( * ) .

- La convention sur la haute mer qui réaffirme les principes de liberté de navigation, de liberté de pêche, de liberté d'y déposer des équipements (câbles et pipe-lines) et de liberté de survol. Elle réaffirme l'égalité également d'accès à la haute mer des États riverains et des États ne disposant pas d'accès direct à la mer.

- La convention portant sur la pêche et la préservation des ressources biologiques qui pose le principe liberté de la pêche pour les ressortissants de tous les États, sous réserve de la préservation des ressources concernées. Chaque État riverain peut prendre des mesures destinées à cette préservation, et un mécanisme de règlement des différends spécifique est créé. Cependant, aucun accord n'est intervenu sur la définition des zones de pêche concernées.

- La convention portant sur le plateau continental défini le plateau continental comme la zone maritime au-delà des eaux territoriales, dans laquelle la profondeur de l'océan ne dépasse pas 200 mètres. Cette zone donne un droit exclusif de l'État à l'exploitation des ressources sous-marines.

Ces conventions ne reflétant aucun consensus, très peu d'États les ont ratifiées.

1960 : Une deuxième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (Genève) est convoquée et elle se solde également par un échec.

Les tensions créées par l'échec des deux conventions et la montée des revendications des nouveaux États issus de la décolonisation soucieux de disposer des ressources naturelles offertes par leurs espaces maritimes conduisent à l'ouverture de nouvelles négociations.

1970 : La résolution 2749 (XXV) adoptée le 17 décembre par l'Assemblée générale des Nations Unies proclame la zone du fond des mers et des océans, ainsi que de leur sous-sol, patrimoine commun de l'humanité. En conséquence, au-delà des limites de la juridiction nationale, l'exploration et l'exploitation de la zone se feront dans l'intérêt de l'humanité tout entière, indépendamment de la situation géographique des États.

1973 : Une troisième convention des Nations Unies destinée à combler les échecs des négociations précédentes est convoquée à New York.

1976 : Par la loi du 16 juillet 1976, la France se dote unilatéralement d'une zone économique exclusive de 200 milles marins, conformément à sa revendication lors des négociations.

1982 : La convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay signée le 10 décembre 1982 aboutit notamment à la définition :

- des eaux territoriales (12 milles immédiatement au-delà de la ligne de base) sont directement assujetties à la souveraineté de l'État côtier

- de la zone contiguë (jusqu'à 24 milles des lignes de base)

- de la zone économique exclusive (de 12 milles à 200 milles des lignes de base 171 ( * ) ), dans laquelle l'État côtier exerce des droits souverains en matière de recherche et d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles biologiques ou non, présentes dans les fonds marins ou en sous-sol

- du plateau continental (au sens juridique et non géologique) : zone dans laquelle un État peut exercer dans les fonds marins ou en sous-sol 172 ( * ) les mêmes droits que ceux exercés dans la ZEE.

- de la haute mer qui recouvre toutes les autres zones et à laquelle les États ont un égal accès. La prospection et l'exploitation des ressources du fond marin et du sous-sol sont soumis à une Autorité internationale des fonds marins (AIFM) créée par la convention.

1994 : La convention entre en vigueur après sa ratification par 60 États . Elle a été ratifiée par 155 États. La France a été le 87 ème État à ratifier le texte en 1996 et il ne l'a toujours pas été à ce jour par les États-Unis.

Au 13 mai 2009 : Les dossiers de demande d'extension des ZEE au-delà des 200 milles au titre du plateau continental devaient avoir été déposés auprès d'une commission spécialisée des Nations-Unies, date qui n'a pas été respectée par tous les États dont la France. Le processus de dépôt des dossiers et d'instruction de demandes est toujours en cours.

ANNEXE 2 : GLOSSAIRE RELATIF À LA DÉFINITION DES DÉLIMITATIONS MARITIMES

(Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982)

Source : Ifremer

Lignes de base :

Les zones marines sont mesurées à partir des lignes de base. La ligne de base est normalement tracée à partir de la laisse de basse mer sur les côtes d'un État, le long de ses îles, de ses rochers et même des hauts-fonds découvrants, telle qu'elle est indiquée sur les cartes marines à grande échelle reconnues officiellement par l'État côtier. Là où la côte est très découpée, on peut tracer des lignes de base droites reliant des points adéquats situés sur la côte.

Eaux intérieures :

Les eaux intérieures comprennent toutes les zones marines situées du côté continental des lignes de base délimitant la mer territoriale ou les zones sur lesquelles l'État a un titre de souveraineté historique ou autre. De façon générale, les lacs, les ports et les rivières sont des eaux intérieures, tout comme certaines baies. Elle sont partie intégrante du territoire de l'État.

Mer territoriale :

La mer territoriale est une bande de mer qui peut s'étendre jusqu'à 12 milles marins au large des lignes de base.

L'État côtier exerce sa souveraineté sur cette zone, qui s'étend à l'espace aérien, au fond de cette mer et à son sous-sol ; à cet égard, la mer territoriale s'apparente au territoire terrestre d'un État. Les navires de tous les États bénéficient du « droit de passage inoffensif » dans la mer territoriale, mais ils doivent respecter certaines conditions liées aux normes internationales.

Zone contiguë :

La zone contiguë se trouve au-delà de la mer territoriale et s'étend jusqu'à 24 milles marins au large des lignes de base.

Cette bande de mer sert de zone tampon à l'intérieur de laquelle l'État côtier peut exercer un contrôle dans le but de prévenir les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale. L'État côtier peut aussi punir ces infractions.

La zone contiguë constitue les 12 premiers milles marins de la zone économique exclusive.

ZEE :

La zone économique exclusive (ZEE) est une bande de mer au-delà de la mer territoriale et adjacente à cette dernière, pouvant s'étendre jusqu'à 200 milles marins au large des lignes de base.

Dans cette zone, l'État côtier a pleine souveraineté et juridiction aux fins d'exploration et de gestion ainsi qu'aux fins d'exploitation économique des ressources naturelles (biologiques ou non biologiques) des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol.

Dans la ZEE, les États autres que l'État côtier jouissent de certaines libertés, en particulier celles de navigation et de survol.

Plateau continental :

Le plateau continental d'un État côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu'au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu'à 200 milles marins au large des lignes de base, la distance la plus grande l'emportant.

Il existe deux critères alternatifs d'extension au-delà des 200 milles marins. L'État côtier peut, d'une part, demander cet élargissement si le rebord externe de la marge continentale se poursuit, la revendication ne pouvant aller jusqu'à 350 milles marins des lignes de base. D'autre part, l'État peut demander l'extension d'une zone large de 100 milles marins au-delà de la ligne (située dans la ZEE) à laquelle les eaux atteignent une profondeur de 2 500 milles. Les droits ainsi acquis ne concernent que les fonds marins et les sous-sols, mais pas les eaux surjacentes (article 76 de la Convention).

Haute mer :

La haute mer est la zone marine située au-delà de la ZEE. Aucun État ne peut y exercer sa souveraineté ou sa compétence. Selon la convention aucun État ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté.

ANNEXE 3 : LES ZEE FRANÇAISES

1. Tableau récapitulatif

Comme l'indique sur le tableau ci-joint, l'étendue de la ZEE française est évaluée à 10,2 millions de km 2 . Toutefois, le chiffre de 11 millions de km 2 est souvent cité, à bon droit car il intégre des revendications acquises, dans la mesure où il n'existe aucune contestation de la part d'un autre État.

Domaine maritime français

Superficie terrestre (milliers de km²)

Longueur trait de côte, en km

Superficie des ZEE (milliers de km²)

Ratio ZEE / superficie terrestre

Hexagone

551,7

5 853

349

0,6

Antilles-Guyane

• Martinique

• Guadeloupe

• Saint-Martin

• Saint-Barthélemy

• Guyane

89,41

1,13

1,70

0,053

0,025

86,5

1 380

293

405

50

24

608

264

47

86

1

4

126

2,9

41,6

50,6

18,9

160

1,46

Océan Indien

• La Réunion

• Tromelin

• Europa

• Bassa da India

• Juan de Nova

• Mayotte

• Glorieuses

2,92

2,51

0,001

0,028

0,0002

0,004

0,37

0,007

401

206

4

35

1

11

135

9

1 058

304

304

140

126

71

62

51

362,3

121,1

304 000

5 000

630 000

17 750

167,6

7 286

Polynésie Française

4,17

4 497

4 804

1 152

Nouvelle-Calédonie

18,58

3 367

1 364

73,4

Wallis et Futuna

0,14

106

266

1 900

Iles australes

• Kerguelen

• Crozet

• Amsterdam et St Paul

7,63

7,22

0,35

0,06

2 539

2 340

156

43

1 615

547

562

506

211

75,8

1606

7 906

Saint-Pierre-et-Miquelon

0,24

137

10

41,7

Clipperton

0,01

5

434

43 400

France

674,81

18 285

10 164

15,1

Sources : superficies : INED ( Population&Sociétés , n° 503, Septembre 2013) et Ministère des Outre-mer ; lignes de côte et ZEE : IGA, CGEDD, IGAM, Rapport d'évaluation de la politique maritime (Juin 2013), Tome 2, phase de diagnostic, p. 91. Ces données correspondent à des estimations du service Hydrographique et Océanographique de la Marine et sont fournies à titre indicatif. Elles ne revêtent pas de caractère officiel. Notamment, elles s'appuient dans certaines zones sur des limites n'ayant pas fait l'objet d'accord de délimitation avec les États voisins.

2. Les cartes des ZEE françaises

Les cartes qui figurent aux pages 132 à 137 sont issues de l' Atlas géopolitique des espaces maritimes, Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat, Éditions Technip, 2010.

ANNEXE 4 : LES OUTRE-MER EUROPÉENS

États membres (date d'adhésion)

Nombre de territoires habités

Population (en 2012)

Territoires concernés (territoires habités) 2013

France

11 (5 RUP, 6 PTOM)

2 630 000

(RUP : 1 900 000 ; PTOM : 730 000)

- RUP : Guadeloupe, Guyane, Martinique ; Mayotte, La Réunion, Saint-Martin

- PTOM : Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy

Espagne

1 (RUP)

2 050 000

Îles Canaries

Portugal

2 (RUP)

500 000

Madère et Îles des Açores

Pays-Bas

2 (PTOM)

365 000

Aruba, Antilles néerlandaises (Bonaire, Curaçao, Saba, St-Eustache et Sint Marteen)

Royaume-Uni (1972)

9 (8 PTOM, 1 territoire sui generis )

208 000 (PTOM : 142 000)

- PTOM : Îles Caïman, Îles Vierges britanniques, Turcs et Caïques et Anguilla, St-Hélène, Montserrat, Malouines, Pitcairn

- Territoire Sui generis : Bermudes

Danemark

2 (1 PTOM, 1 sui gen e ris )

110 000 (PTOM : 56 000)

- PTOM : Groenland

- Territoire Sui generis : Îles Féroé

Source : Commission européenne

ANNEXE 5 : ÉTAT DES DEMANDES FRANÇAISES RELATIVES À L'EXTENSION DU PLATEAU CONTINENTAL

(Liste du rapport du Conseil économique, social et environnemental du 24 octobre 2013, actualisée)

I. Les demandes déposées ayant fait l'objet de recommandations de la CLPC

I. 1 La demande conjointe relative au Golfe de Gascogne et à la mer celtique

Cette demande préparée par la France, l'Irlande, l'Espagne et le Royaume Uni a été déposée le 19 mai 2006. La recommandation de la CLPC a été émise le 24 mars 2009 en faveur d'une extension globale de 84 000 km². La publication de la limite extérieure auprès des Nations Unies et de l'AIFM n'est toujours pas intervenue et semble se heurter à la question de la délimitation du plateau continental entre la France et l'Espagne.

I. 2 La demande relative à la Guyane

La demande française a été déposée le 22 mai 2007. La CLPC a émis sa recommandation le 2 septembre 2009 en faveur d'une extension globale de 72 000 km². La publication de la limite extérieure auprès des Nations Unies et de l'AIFM n'est toujours pas intervenue, les accords de délimitation avec le Brésil et le Suriname n'ayant pas été finalisés.

I. 3 La demande relative à la Nouvelle-Calédonie

La demande a été déposée le 22 mai 2007. La recommandation émise le 2 septembre 2009 concerne une partie seulement du dossier : l'extension au sud-ouest pour une superficie de 76 000 km². À la demande de la France, la CLPC n'a pas examiné le dossier relatif au sud-est, en raison du différend provoqué par le Vanuatu qui conteste la souveraineté française sur les îles Matthew et Hunter. La publication des limites extérieures auprès des Nations Unies et de l'AIFM n'est toujours pas intervenue, nécessitant un addendum à l'accord de 1982 entre la France et l'Australie.

I. 3 La demande relative aux Antilles

La demande a été déposée le 5 février 2009. La CLPC émettant sa recommandation après 38 mois d'instruction, le 19 avril 2012, en faveur d'une extension de 8 000 km². La publication de la limite extérieure auprès des Nations Unies et de l'AIFM n'est toujours pas intervenue.

Elle nécessite au préalable un complément d'accord de délimitation avec la Barbade.

I. 4 La demande relative aux Kerguelen

La demande a été déposée le 5 février 2009. La recommandation de la CLPC fut émise, le 19 avril 2012 pour une extension du plateau continental portant sur 423 000 km². La publication de la limite extérieure auprès des Nations Unies et de l'AIFM n'est pas intervenue, nécessitant un addendum à l'accord de 1982 entre la France et l'Australie également concernée par la présence des Îles Heard et Mc Donald.

II. Les demandes en attente d'examen devant la CLPC

II. 1 La demande conjointe pour l'archipel de Crozet et les îles du Prince Édouard

Cette demande conjointe a été déposée par la France et l'Afrique du Sud le 6 mai 2009 pour une extension de 541 288 km². Aucun accord de délimitation n'a encore été conclu entre les deux pays. La demande a été présentée lors de la session de la CLPC de juillet et août 2013. La CLPC ne devrait pas examiner le dossier franco-sud-africain avant 2018 ou 2020.

II. 2 La demande relative à La Réunion

Cette demande a été déposée le 8 mai 2009 auprès de la CLPC. Elle a été présentée lors de la session de la CLPC de juillet et août 2013. Portant le numéro 40 dans l'ordre du dépôt des demandes, l'examen de ce dossier ne devrait pas s'effectuer avant 2025-2030. Elle porte sur une extension de 63 798 km².

II. 3 La demande relative aux îles Saint-Paul et Amsterdam

Cette demande a été déposée par la France le 8 mai 2009 auprès la CLPC. Elle a été présentée lors de la session de la CLPC de juillet et août 2013. Elle ne devrait pas être examinée avant 2025/2030. Elle porte sur une extension de 341 852 km².

II.4 La demande conjointe relative à Wallis et Futuna

Cette demande a été déposée le 7 décembre 2012 à la CLPC par la France, Tuvalu et la Nouvelle-Zélande pour le compte du territoire non-autonome de Tokelau pour une superficie de 17 329 km². L'examen de la demande ne devrait pas débuter avant 2030, les trois États devant s'entendre sur un accord de délimitation maritime.

III. Les informations préliminaires déposées

En 2008, la CLPC a pris la décision d'autoriser les États côtiers à déposer, dans l'attente de l'élaboration du dossier définitif, des informations préliminaires en raison de l'impossibilité des pays en développement d'élaborer des dossiers complets par manque de moyens. La France a saisi cette occasion pour déposer trois demandes relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et Clipperton.

III. 1 L'information préliminaire relative à Saint-Pierre-et-Miquelon

L'information préliminaire relative au plateau continental de l'archipel a été déposée le 8 mai 2009 pour une extension de 43 135 km². Cette décision de la France avait fait l'objet d'une protestation du Canada qui a déposé un dossier de demande d'extension le 6 décembre 2013. Conformément aux annonces du président de la République, la France devrait faire de même en avril 2014.

III. 2 L'information préliminaire relative à la Polynésie française

L'information préliminaire relative à une extension de son plateau continental de 814 842 km² a été déposée par la France le 8 mai 2009. Elle devrait en principe être suivie du dépôt d'une demande d'extension en 2014

III. 3 L'information préliminaire relative à Clipperton

L'information préliminaire relative au plateau continental au-delà des 200 milles de l'île de Clipperton avait été déposée le 8 mai 2009 par la France auprès de la CLPC en vue de renseigner la Commission sur trois points : les limites extérieures du plateau continental étendu revendiqué, une description de l'état d'avancement du dossier et la prévision de la date de la soumission de la demande. Cette demande française a toutefois été retirée deux jours après son dépôt.

ANNEXE 6 : TABLEAU COMPARATIF DES CIMER DEPUIS 2003

CIMER du 29 avril 2003

CIMER du 8 décembre 2009

CIMER du 10 juin 2011

CIMER du 2 décembre 2013

Délimitation des ZEE et encadrement juridique

- Mise en place du programme EXTRAPLAC (EXtention RAisonnée du PLAteau Continental) et allocation d'un budget de 2,5 M€ sous la conduite de l'IFREMER

- Refonte du cadre juridique des implantations en ZEE et sur le plateau continental ; transposition des dispositions de la Convention de Montego Bay

- Achever dans les meilleurs délais la détermination des lignes de base pour l'ensemble des DOM et des COM

- Préparer un projet de loi relatif à l'ensemble des espaces maritimes

- Préparer un décret pour fixer les lignes de bases déterminant les eaux territoriales, la ZEE, la zone de protection écologiques et les limites des extensions de plateau continental, et le communiquer aux instances de l'ONU

- Lancer la définition d'un programme national « Délimitation des espaces maritimes »

- Regroupement dans une ordonnance unique de l'ensemble des dispositions relatives aux espaces maritimes

Gestion des ressources halieutiques

- Étude de fond sur l'état des ressources halieutiques :

Amélioration et couplage des modèles de circulation des eaux

- Recherches sur la physiologie et la pathologie des espèces pêchées, transfert des connaissances issues de l'aquaculture

- Définition et mise en oeuvre de descripteurs et d'indicateurs pertinents des écosystèmes halieutiques

- Connaissance des zones et des processus associés aux enjeux environnementaux et écosystémique

- Création d'un comité de liaison scientifique et technique des pêches maritimes

- Défense d'une réforme de la Politique Commune des Pêches

- Mise en place d'un dispositif juridique pour protéger les espaces indispensables aux ressources halieutiques (nourriceries, frayères)

Recherche des ressources sous-marines et mise en valeur économique des ZEE

- Remise à jour de l'inventaire des ressources du sol et du sous-sol du plateau continental national

- Mise à jour des cartes des ressources énergétiques accessibles dans la ZEE française.

Construction d'un référentiel géographique littoral (comprenant les données physiques, administratives...) régulièrement mises à jour

- Évaluation du potentiel des techniques permettant l'exploitation des énergies marines

- Encouragement à l'adaptation des technologies d'exploitation des énergies nouvelles aux conditions marines

- Étude détaillée sur les risques écologiques et de conflit avec les autres utilisations de l'exploitation des ressources du fond marin (granulats...)

- Couverture progressive des zones maritimes par une cartographie précise

- Constitution d'un portail de la mer et du littoral accessible sur internet

- Démarche prospective portant sur la recherche, l'exploration scientifique et l'inventaire des ressources existantes

- Mise en place de programmes de recherches sur les ressources biologiques non halieutiques exploitables (domaines de la santé, de l'agro-alimentaire, environnement, industrie, bioénergies, exploitation des algues)

- Étude des impacts environnementaux de l'exploitation

- Développement et validation industrielle des techniques d'exploitation

- Définition rapide des zones présentant un fort potentiel en ressources énergétiques, mise en place d'un Plan Énergies Bleues

- Engagement d'une stratégie nationale de recherche et d'innovation en matière marine et maritime

- Élaboration d'une stratégie nationale sur les ressources minérales profondes en mer

- Dépôt, dès que possible d'une demande de permis à l'AIFM concernant les amas sulfurés

- Préservation du permis « nodules métalliques » délivré en 2001 par l'AIFM

- Mise à disposition des données concernant les différentes zones maritimes via un portail internet

- Lancement d'un programme national de recherche et d'accès aux ressources des grands fonds, comprenant des campagnes d'acquisition des connaissances, une expertise scientifique des conséquences environnementales de l'exploitation, le développement des technologies d'exploitation et de valorisation

- Mise en place de partenariats public-privé pour la réalisation de ces campagnes

-Mise en place d'un régime d'autorisation préalable à toute activité dans les ZEE et sur le plateau continental

Protection de l'environnement

- Prise en compte systématique de l'environnement marin dans toute décision ou projet, notamment par l'évaluation environnementale de chaque mesure

- Mise en place du principe de responsabilité environnementale et de la fiscalité environnementale dans la politique marine

- Mise en oeuvre d'une stratégie nationale pour la biodiversité dans sa dimension marine (stratégie nationale pour les aires marines protégées)

ANNEXE 7 : COURRIERS RELATIFS AU PROGRAMME ANNONCÉ PAR LE PREMIER MINISTRE EN DÉCEMBRE 2013

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

(Jeudi 29 Mars 2012)

Audition de M. Élie Jarmache, juriste, chargé de mission
« Droit de la mer » auprès du secrétaire général de la mer,
chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU

M. Serge Larcher, président

Nous abordons aujourd'hui le thème de la zone économique exclusive, après avoir abordé hier la problématique de la pêche et celle de la vie chère, qui est très prégnante à La Réunion, à Mayotte et aux Antilles ; nous poursuivrons la semaine prochaine l'examen de ces sujets.

M. Jeanny Lorgeoux

Je m'associe à l'accueil de notre invité. La commission des affaires étrangères et de la défense, dont je suis membre avec notre collègue Trillard ici présent, a créé un groupe de travail dont je suis le rapporteur, consacré à la maritimisation, dans la perspective de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales ; notre travail est très complémentaire de l'initiative prise par la Délégation à l'outre-mer. De fait, plus de 90 % des territoires maritimes, sous juridiction française, sont ultramarins. Les enjeux stratégiques liés à la délimitation de nos zones économiques exclusives et à l'extension de notre plateau continental sont déterminants pour comprendre les enjeux de sécurité actuels.

Nous sommes donc très heureux, M. Jarmache, de bénéficier de votre expertise.

M. Élie Jarmache, juriste, chargé de mission « Droit de la mer » auprès du secrétaire général de la mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU

L'objet de notre discussion est notre présence en mer, en métropole et outre-mer. On voit bien les enjeux de la maritimisation, la France et son territoire étant riverains de trois océans. C'est au début des années 2000 qu'a été mis en place le programme d'extension du plateau continental.

La convention de Montego Bay est à mes yeux l'effort de codification du droit international le plus important du XX e siècle. Sa négociation a duré dix ans. Le texte compte 320 articles et une dizaine d'annexes. Deux accords de mise en oeuvre ont été signés, un autre est en cours de négociation. La convention est à la fois un résultat et le début d'un processus.

Notre pays y a très tôt adhéré. Il a été le premier pays occidental à accepter la notion de zone économique exclusive. La convention a revisité et consolidé toutes les dispositions du droit de la mer. M. Louis Le Pensec, alors ministre, a été l'un des premiers à la signer à Montego Bay en décembre 1982, avec les Pays-Bas ; tous les autres pays étaient réticents, voire hostiles. On peut considérer que les intérêts français y ont été pris en compte. J'entends ici ou là des appels à la réviser ; ce serait ouvrir la boîte de Pandore. À la suite d'une réunion au Secrétariat général de la Mer, au cours de laquelle l'avis de la Marine nationale a été sollicité, il a été convenu qu'il fallait en préserver les équilibres, quitte à envisager un accord d'implémentation sur certains points.

La convention comporte des innovations, dont la définition de la zone économique exclusive. Celle de Genève de 1958 s'arrêtait au plateau continental et à la mer territoriale ; encore celle-ci était-elle mal définie, ce qui a produit quelques fantaisies... La zone économique exclusive va, en zone océanique, jusqu'à 200 milles nautiques ; à peu près 80 en Méditerranée. Le caractère exclusif porte sur les aspects économiques. Dans la zone, sont reconnus à l'État côtier des droits souverains sur les ressources naturelles et les activités économiques qui en découlent, telles l'énergie ou la pêche. En d'autres termes, l'État côtier décide seul, rien ne peut s'y faire sans son autorisation. Il peut tout interdire ou poser des conditions, ce qu'il faut sans cesse rappeler aux ONG... Mais il doit tenir compte des droits et libertés traditionnels des États tiers, notamment le droit de navigation ; c'est l'article 58 de la convention.

M. Jeanny Lorgeoux

Celui-ci prévoit-il des corridors ?

M. Élie Jarmache

Non. Les dérogations à la liberté de navigation doivent être temporaires, proportionnées et justifiées.

M. Jeanny Lorgeoux

Droits souverains et liberté de navigation ne sont pas faciles à articuler.

M. Élie Jarmache

C'est vrai, et les tensions sont permanentes. Cela se règle de façon bilatérale. On apporte des...

M. Jeanny Lorgeoux

... apaisements...

M. Élie Jarmache

... assurances quand il le faut... Les protestations ne sont jamais virulentes...

La France doit tenir compte de cette liberté car elle est un État navigant. Il y a un équilibre à rechercher. Un célèbre navigateur avait proposé à M. Borloo un principe de notification d'entrée dans la zone économique exclusive, ce qu'il aurait été par parenthèse difficile de faire admettre par les États-Unis, grands défenseurs, et sans faire trop de sentiment, de la liberté de naviguer. Le Vietnam nous a interrogés sur notre pratique car, en mer de Chine, la Chine prétend mettre en place un système d'autorisation. En droit, même la mer territoriale, espace de pleine souveraineté, souffre d'une servitude de libre passage inoffensif.

La zone économique exclusive emporte donc des droits souverains, des compétences de contrôle et l'obligation de veiller à ce qu'elle reste un espace où certaines libertés peuvent être exercées.

M. André Trillard

Y a-t-il obligation de cartographier les restrictions ?

M. Élie Jarmache

J'y viens. Auparavant, précisons la notion de plateau continental. Fallait-il en donner une définition distincte de celle de la zone économique exclusive ? Nous l'avons fait. Le plateau continental a une vie autonome. L'État souverain y dispose de droits exclusifs d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles ; ces droits existent indépendamment de toute occupation effective, ils sont en quelque sorte naturels ; le plateau continental est la prolongation naturelle du territoire terrestre.

Si le plateau continental existe par lui-même, il faut en revanche un acte législatif pour créer une zone économique exclusive. En Méditerranée, pendant longtemps, nous n'en avons pas éprouvé la nécessité. En 2003, on en a créé un avatar, une zone de protection écologique, qui s'arrêtait à 12 milles nautiques, soit la mer territoriale. Nous venons de changer la donne, ce qui a créé un certain émoi chez nos voisins...

Je réponds à M. Trillard. La convention de Montego Bay prévoit que l'État doit publier les coordonnées de sa zone exclusive, autant que possible sous forme de carte, et les déposer au Secrétariat général des Nations-Unies, à charge pour ce dernier de les mettre à la disposition de la communauté internationale. Peuvent s'en suivre des notes verbales de contestation... La France avait du retard dans l'exécution de cette quasi-obligation, que nous rattrapons à marche forcée avec le concours du Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom).

M. Jeanny Lorgeoux

Quelle forme juridique revêt la notification de création d'une ZEE ?

M. Élie Jarmache

Une note verbale de transmission au Secrétariat général des Nations Unies, à laquelle sont annexées la loi française et les coordonnées. C'est à partir de cette publication, si elle n'est pas contestée, que la zone économique exclusive devient opposable aux tiers.

Certains États voisins dans l'océan Indien, Maurice, Madagascar, ont déposé leurs textes législatifs. La vigilance est réciproque : Maurice, entre autres, craint des revendications de souveraineté sur Tromelin. La France doit aussi produire sa carte.

Il convient de prendre une précaution sémantique autour de la notion de délimitation. Il y a celle qui est opérée par l'État lui-même ; il y a aussi la délimitation bilatérale pour fixer une frontière maritime. Certaines conditions sont à respecter, selon les termes de la convention, notamment pour le tracé des lignes de base. Le Shom est l'opérateur de référence en la matière.

Le principe de la zone économique exclusive a été fixé par une loi de juillet 1976. En février 1978, une batterie de décrets a été publiée pour les départements et territoires d'outre-mer. Mais, en l'absence de coordonnées, ces décrets ont délimité la zone économique exclusive jusqu'à 188 milles nautiques au-delà des 12 milles de la mer territoriale, ce qui n'était pas des plus solides en termes d'opposabilité. Nous sommes en train de rattraper notre retard.

J'en viens aux modalités de délimitation avec un autre État. Encadrées par le droit de la mer, elles ne sont pas nécessairement contraignantes mais laissées à la négociation pourvu qu'elles ne violent pas le droit international ni le principe d'équidistance. Quand les circonstances géographiques sont complexes, on recourt à d'autres circonstances dites pertinentes, laissées elles aussi à la négociation, et considérées par la jurisprudence de la Cour de justice internationale au regard de l'équité.

Pardonnez-moi si je parle de territoires d'outre-mer, terme générique, sans distinguer les différents statuts des collectivités. J'espère ne heurter personne.

M. Serge Larcher

Effectivement, les collectivités ont toutes des statuts différents.

M. Élie Jarmache

Pour ces territoires, c'est dans l'Océan indien que la situation est la moins bien fixée. La délimitation est faite avec Madagascar et Maurice. Tromelin a fait l'objet d'un accord de cogestion avec Maurice ; la zone économique exclusive existe même si la délimitation n'est pas faite. Le Shom vient seulement de produire des cartes qui doivent être déposées aux Nations Unies.

À Mayotte, le changement de statut a conduit à revoir la délimitation de la zone, en tenant compte du futur parc naturel marin.

M. Michel Vergoz

Qu'en est-il des Comores ?

M. Élie Jarmache

C'est justement en raison de la proximité des îles comoriennes que nous avons dû reprendre le travail de délimitation.

Pour les îles Éparses, les accords ne sont pas encore conclus avec Madagascar et le Mozambique. Pour les Glorieuses, il reste à conclure un accord avec Madagascar et les Comores, qui posent un vrai problème politique. Tout le travail de nos ambassades tend à ce que les revendications des Comores ne soient pas reprises dans les législations des États voisins. Nous essayons de nous assurer une sorte de neutralité des Seychelles et de Madagascar. Il ne se passe pas de semaines sans qu'un territoire ou un département n'évoque ces questions.

M. Michel Vergoz

Qu'en est-il de l'accord avec Maurice, qui se trouve à 200 milles nautiques de La Réunion ?

M. Élie Jarmache

Il est entré en vigueur en avril 1980 et exclut Tromelin. La position française est de dire que là où il y a un îlot, il y a plateau continental et ZEE.

M. Michel Vergoz

Qu'en est-il des Chagos ? Sont-elles américaines ou mauriciennes ?

M. Élie Jarmache

Mauriciennes, c'est mon analyse personnelle.

Dans l'océan Atlantique, une kyrielle d'accords de délimitation ont permis de beaucoup mieux établir les limites. Il n'y a pratiquement pas de lacunes. Les derniers accords ont été signés avec la Barbade, la Dominique, Sainte-Lucie. Le Venezuela, également. Reste Saint-Martin, le gros du travail doit être mené avec les Pays-Bas. Il faut revoir les conditions de négociation à la suite du changement de statut de la partie néerlandaise de l'île ; les points de délimitation sont acquis.

Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui tient lieu de délimitation est l'arbitrage particulièrement défavorable à la France de 1992 avec le Canada, qui pose encore beaucoup de problèmes.

En Guyane, la zone économique exclusive vers le large existe, le plateau continental aussi. L'accord a été conclu avec le Brésil. Nous reprenons langue avec le Surinam pour finaliser les lignes de délimitation et écarter toute perspective de contentieux.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Nous voyons la difficulté de la délimitation. Mais j'ai l'impression que la France est davantage sur une attitude défensive qu'offensive. On l'a vu pour l'accord avec le Brésil, on le voit avec le Surinam et même avec l'Italie en Méditerranée : la France réagit, mais n'anticipe pas. On rejoint là le problème de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui fait l'objet de marchandages avec le Canada. Nous reviendrons ensuite sur le plateau continental.

M. Élie Jarmache

Je ne peux pas vous laisser sur ce sentiment.

Avec l'Italie, nous avons pris les devants. Les Italiens s'étaient endormis, leur position ne reposait sur rien. Ils n'avaient pris aucune loi. Nous les avons attendus deux ans. Dès que leur loi a été promulguée, nous avons alerté notre ambassade afin de reprendre la discussion avec Rome.

Il en va de même avec le Surinam. Un grand nombre de correspondances sont restées sans réponse, ou sans réponse fondée. Le Surinam souhaitait au préalable terminer les négociations sur son autre frontière, mais croyez bien que nous l'avons beaucoup sollicité. Il y a quelques mois, ils se sont dits disposés à tenir une prochaine réunion à Paris.

M. Jeanny Lorgeoux

Ce qui compte, c'est la délimitation.

M. Élie Jarmache

En effet, c'est elle qui donne un sens à la ZEE. Nous essayons d'anticiper, mais nos initiatives ne sont pas toujours couronnées de succès. Pour la Guyane, l'enjeu est surtout le plateau continental ; nous y reviendrons.

Dans le Pacifique, les choses sont assez claires. Pour Wallis-et-Futuna et la Polynésie française, elles sont bien délimitées et acceptées. Pour Clipperton, il y a une contestation de souveraineté. Nous avons une ZEE depuis 1998, ce qui n'a jamais posé de problème avec le Mexique jusqu'à ce que, il y a trois ou quatre ans, un navire militaire français saisisse un armement de pêche illégal mexicain et détruise son matériel de pêche. Les Mexicains, s'appuyant sur la Convention de Montego Bay, ont fait valoir que Clipperton était impropre à l'habitation et, en conséquence, notre zone économique exclusive infondée. Ils ont menacé de saisir les juridictions internationales. Il eût été dangereux d'entrer dans une mécanique aux potentiels effets « domino », par exemple dans l'Océan indien... Nous avons donc négocié un accord de pêche avec les Mexicains ; en d'autres termes, nous avons acheté la paix maritime non sans avoir, pour la forme, entouré l'accord de conditions environnementales et écologiques.

Pour la Polynésie, nous manquions jusqu'alors de bons tracés de lignes de base ; le décret sera prochainement publié.

Voilà le panorama. La situation est donc plutôt bonne.

M. Jeanny Lorgeoux

Et Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Élie Jarmache

Le Canada a perdu un arbitrage en 1985. Il est persuadé qu'à la fin tout lui reviendra, compte tenu de la proximité géographique. D'ailleurs, il a eu satisfaction avec l'arbitrage de 1992 ; et la « baguette » sud de 12 milles de large a été fermée. Nous n'avons pas contesté l'arbitrage pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas. Toute tentative d'y revenir est exclue ; les Canadiens ont une sensibilité épidermique sur ce sujet.

M. Joël Guerriau

Et la Corse ?

M. Élie Jarmache

Il n'existe pas de décret spécifique. Cela dit, le couloir à l'est de la Corse fait l'objet de toutes les attentions, comme nous l'avons vu récemment à Rome. De toute façon, la ZEE en Méditerranée reprend les limites de la zone de protection écologique du décret de 2004. Et nous ne touchons pas aux Bouches de Bonifacio, qui ont un statut international. Nous devrions parvenir à un accord avec l'Italie avant la fin 2012, peut-être dès l'été.

Le plateau continental appartient à la zone économique exclusive tout en ayant une vie autonome. Le plateau continental étendu est une innovation de Montego Bay, bien qu'une définition en ait été donnée par la convention de Genève de 1958. À l'époque, on pouvait aller jusqu'à 200 mètres de profondeur... C'est fort peu au vu des techniques utilisées aujourd'hui. On considère désormais que le plateau peut s'étendre, quelle que soit la profondeur, jusqu'à 200 milles nautiques, ce qui est une aberration pour les géologues. D'où l'utilisation par les Anglo-saxons de l'expression legal continental shield , plateau continental juridique.

L'appétit venant en mangeant, certains États côtiers ont voulu étendre le plateau jusqu'à 350 milles - le plateau, non la zone économique exclusive. Pour obtenir une extension, il faut apporter des preuves devant la commission des limites du plateau continental ; il y est question de l'épaisseur de la roche sédimentaire et autres éléments ou indicateurs techniques. J'ai défendu récemment le dossier des Antilles, qui se présente bien, et celui des Kerguelen, qui se présente moins bien... Jusqu'à aujourd'hui, la commission n'a jamais accepté d'aller jusqu'à 350 milles, c'est un plafond.

Si leur plateau - fond, sol, sous-sol et leurs ressources - est étendu, les États acquièrent de nouveaux droits souverains pour exploiter - ou interdire l'exploitation...

M. Jeanny Lorgeoux

C'est fondamental pour l'exploitation d'éventuels gisements d'hydrocarbures...

M. Élie Jarmache

Oui. Parlez-en au sénateur de Guyane ! Mais les enjeux sont scientifiques aujourd'hui; les enjeux économiques et sociaux sont plus lointains.

M. Jeanny Lorgeoux

C'est-à-dire ?

M. Élie Jarmache

La prospective m'embarrasse toujours... On parle ici de 2016, là de 2030, voire 2050, à partir de scénarios et d'hypothèses divers. L'importance de la contrainte écologique portée par la Commission européenne ne doit pas être négligée.

M. Jean-Étienne Antoinette

La France a déposé ses premiers dossiers d'extension en 2009. Comment a-t-on choisi les zones prioritaires ? Jusqu'en 2002, il n'existait pas de budget alloué à ce programme. Les moyens sont-ils maintenant au rendez-vous ?

M. Élie Jarmache

Oui, depuis 2003. Auparavant, la problématique de l'extension était bien là, mais pas le financement. Nous disposons aujourd'hui d'un budget et d'une organisation qui font des envieux... Le 9 avril 2002, juste avant l'élection présidentielle, le cabinet du Premier ministre a créé le programme Extraplac et prévu un budget jusqu'en 2009 dont la reconduction était garantie. Quel confort ! Le Premier ministre a accepté fin 2009 de poursuivre. Votre collègue Roland Courteau, qui m'avait consulté, a semble-t-il eu davantage de difficulté avec le centre d'alerte aux tsunamis en Méditerranée.

La subvention de l'État est de 18 millions d'euros, contre 40 millions pour le Danemark et 100 millions pour le Canada. Nuançons : si l'on tient compte des apports en moyens de l'Ifremer et du Shom, le montant est supérieur. Au total, cela correspond à 10 euros par km 2 de plateau continental.

Nous avons déposé tous les dossiers d'extension en mai 2009, voire auparavant pour le dossier guyanais. Il a été prévu que les États parties à la convention puissent, en cas de retard, déposer des lettres d'intention auprès du Secrétariat général de l'ONU. La France a utilisé cette procédure pour la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon ; le dossier de Clipperton était prêt mais nous l'avons retiré....

Pour la Guyane, dont le dossier a été déposé en 2007-2008, la décision de la commission des limites est intervenue en septembre 2009 : 72 000 km 2 s'ajoutent dorénavant aux 126 000 existants. La négociation que j'ai menée, croyez-moi, a été rude. Le président de la sous-commission, un Mexicain, bon scientifique, avait rendu une première décision qui nous avait abasourdis. J'ai demandé que le dossier reste ouvert, en arguant que la France ne pouvait pas avoir dépensé un million en campagnes au large pour un si piètre résultat ! Nous avons finalement obtenu satisfaction.

Une autre anecdote, si vous le permettez. J'ai rencontré il y a deux ou trois ans M. Thierry Desmarets ; son regard sur l'extension était alors plutôt lointain... L'année dernière, après l'annonce des premières découvertes, son regard avait changé... Lors des réunions, le représentant de Bercy finit toujours par demander : « où est le privé ? ». Le privé ne vient qu'après que la puissance publique a fait son travail... L'extension ouvre de nouvelles perspectives ; une disposition législative a même été votée pour un partage des taxes entre l'État et le département...

M. Jean-Étienne Antoinette

Le Sénat est allé à cette occasion plus loin que l'Assemblée nationale...

M. Élie Jarmache

Le classement des dossiers ? Il ne repose pas sur des raisons politiques, mais sur des données scientifiques. Lorsque celles-ci étaient solides et complètes, il était possible de convaincre. D'où la première sélection et en Guyane la campagne qu'on a appelée « Guyapac ».

M. Maurice Antiste

Il faudra une extension à ce débat, comme il en existe une au plateau continental... Nous avons encore mille questions à vous poser... En voici une, sur le budget : le Canada consacre-t-il 100 millions d'euros au financement des mêmes missions que la France ?

M. Élie Jarmache

Oui, cela inclut les voyages et les séjours à New-York, l'acquisition des données en mer, le montage des dossiers. Nous défendons un dossier dès qu'il est prêt. C'est une manière d'animer l'équipe et d'expérimenter le face-à-face avec la commission des limites. Celle-ci est composée en plénière de 21 membres, experts scientifiques, ingénieurs, géologues ou hydrographes. Il y a trois unités d'instruction de sept membres chacune. Notre premier dossier, qui concernait le Golfe de Gascogne, a été bouclé en 2009, soit après trois ans d'instruction. Il a fallu deux ans pour la Guyane.

M. Maurice Antiste

Qui rend les décisions ?

M. Élie Jarmache

La commission prend des « recommandations », mais la Convention dit qu'elles sont définitives et contraignantes. Le Brésil a refusé la « recommandation » de la commission en 2007, a fait savoir qu'il ne s'y plierait pas et a préféré revoir entièrement son dossier. C'est cela que nous attendons pour notre dossier guyanais.

M. Michel Vergoz

Tout cela est passionnant. Merci de m'avoir oxygéné l'esprit ! Vous montez la scène sur laquelle seront exploitées les futures richesses. Les technologies ont fait d'énormes progrès ces dix ou quinze dernières années. Le profane que je suis a été stupéfié de voir des débris de l'avion Rio-Paris remontés de 4 000 m de profondeur.

Que pensez-vous des perspectives d'exploitation ? Les Français sont-ils prêts à se retrousser les manches ? Si non, tout votre travail aura été en pure perte. Où se prennent les décisions ?

Les régions, qui jouissent de compétences économiques élargies, jouent-elles un rôle dans ce grand mouvement qui semble un peu parisien?

M. Jean-Étienne Antoinette

Un partenariat public-privé est-il envisageable pour financer votre programme ? Après tout, derrière l'extension, il y a l'exploitation...

M. Élie Jarmache

À Matignon, un conseiller budgétaire pose toujours la question : « où est le privé dans tout ça ? ». Mais tant qu'il n'y a pas de titre juridique, l'industriel ne bouge pas, il n'investira qu'une fois l'extension consolidée. Cela dit, les partenariats de nature technique ne manquent pas ; Technip, un de nos champions mondiaux, vient de signer un gros contrat avec le Brésil. Sur le plateau de Wallis-et-Futuna, il y a semble-t-il des réserves d'amas sulfurés ; deux campagnes de l'Ifremer y ont été financées en partenariat avec Eramet, Areva et Technip.

Il faudrait également évoquer les ressources génétiques des fonds marins, auxquelles Le Figaro consacrait un article hier. Il y a, dans ces zones, c'est une certitude, un gisement d'activités à forte valeur ajoutée ; mais il ne faudra jamais perdre de vue la contrainte écologique européenne.

M. Jacques Cornano

Pourriez-vous m'apporter, une prochaine fois, des précisions sur la coopération bilatérale dans les Antilles ?

M. Élie Jarmache

Bien volontiers.

M. Serge Larcher

Je vous remercie pour ces très intéressantes informations. Nous allons certainement nous revoir en juin...

(Mercredi 4 Avril 2012)

Audition de M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président

Nous abordons aujourd'hui le thème de la zone économique exclusive (ZEE) des outre-mer. Après avoir rencontré, la semaine dernière, M. Élie Jarmache, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU, nous allons entendre M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'IFREMER.

M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Je souhaite d'abord vous présenter la vision de l'IFREMER, établissement public de recherche très implanté en outre-mer. Je suis personnellement un militant de l'outre-mer. Je considère que l'outre-mer est une chance pour la France et la recherche scientifique française. C'est évident du point de vue marin, pour des raisons quantitatives mais surtout qualitatives. Quantitativement, 97 % de notre ZEE se situe outre-mer. Sur le plan qualitatif, les eaux de l'outre-mer donnent accès à des milieux d'intérêt scientifique sans équivalent pour les chercheurs. C'est vrai dans le domaine halieutique, de l'aquaculture en général et de la pisciculture en particulier, des ressources minérales, et, dans une certaine mesure, des énergies marines renouvelables.

L'IFREMER est implanté à peu près partout dans l'outre-mer français. Nous sommes présents en Guyane, aux Antilles, dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, et bientôt à Mayotte.

Je m'exprime au double titre de président-directeur général de l'IFREMER et de vice-président de l'alliance AllEnvie, qui regroupe l'ensemble des organismes de recherche compétents dans le domaine de l'environnement, au nombre de 17, y compris le CNRS. Je suis chargé de la recherche en outre-mer au sein d'AllEnvie.

Nous avons la mission d'assurer, par délégation du secrétariat général de la mer, le secrétariat exécutif du programme EXTRAPLAC d'extension du plateau continental français dans le cadre de l'évolution du droit international de la mer, en développant des campagnes pour caractériser le plateau continental et préparer les instruments juridiques qui seront déposés devant la commission compétente de l'ONU, qui décidera ensuite d'accorder ou non l'extension. Les enjeux sont très importants pour notre pays : un million de kilomètres carrés supplémentaires de ZEE. Dans ce cadre, l'IFREMER a réalisé plusieurs missions dans les collectivités concernées.

L'IFREMER a trois missions :

- développer la connaissance de la mer et des océans ;

- l'expertise et la surveillance pour le compte des pouvoirs publics ;

- un appui à l'économie maritime au service du développement local.

L'IFREMER exerce ces missions autour de deux pôles principaux : la pêche et l'aquaculture, et en particulier la pisciculture. Nous avons adopté ces dernières années deux orientations majeures :

- conforter l'action au service de la pêche et de l'aquaculture. Nous avons étendu à tous les DOM le système d'information halieutique (SIH). C'est un outil d'observation de la ressource halieutique, qui est la condition première pour une exploitation durable et pour étayer des projets de développement ;

- diversifier la gamme de nos interventions pour répondre aux caractéristiques et aux besoins de l'outre-mer. Nous avons notamment développé la sélectivité de la pêche, par exemple pour la crevette en Guyane. Il y avait auparavant 9 kg de rejets à la mer pour 1 kg de crevettes pêchées. Nous avons développé des engins plus sélectifs qui ont considérablement réduit ces prises excédentaires préjudiciables au milieu marin.

Ma conviction est qu'il faut aujourd'hui aller plus loin dans la connaissance de la ressource et améliorer l'évaluation des stocks effectifs de poissons. L'halieutique est une discipline qui doit conduire à une grande humilité : les stocks de poissons sont très souvent méconnus et difficiles à évaluer. Il y a là matière à des campagnes scientifiques d'investigation. C'est un enjeu très important car la Commission européenne envisage, dans le cadre de la PCP, une mise sous quota automatique de la ressource dès lors que la quantité de celle-ci n'est pas connue, au nom d'une certaine vision du principe de précaution.

Le deuxième élément important pour la pêche est de travailler avec tous les acteurs locaux sur l'ensemble de la filière, notamment sur le traitement à terre de ce qui est prélevé en mer. Compte tenu des distances, il va de soi que ce qui est pêché devra être conditionné pour être valorisé.

Troisièmement, la question des énergies marines renouvelables : la France a choisi de confier l'essentiel de sa ressource énergétique à la filière électronucléaire ; mais elle a aussi fait le choix de diversifier son bouquet énergétique au profit de l'énergie renouvelable. Cet objectif ne pourra être atteint que si la France mobilise la totalité des segments de son énergie renouvelable, y compris les énergies marines.

D'autre part, à un moment où notre pays cherche de nouvelles voies de compétitivité et de réindustrialisation, l'état mondial de la demande en énergie et le degré de maturité des filières d'énergies marines renouvelables donnent à penser que la France a une carte à jouer, tout particulièrement en outre-mer. Je pense en particulier à l'énergie thermique des mers, notamment en Polynésie française et autour de La Réunion. L'énergie marine renouvelable, comme source complémentaire dans une perspective d'autosuffisance énergétique, a toute sa pertinence en outre-mer. Dans cet esprit, nous avons cherché à élargir nos interventions en outre-mer, en particulier pour avoir une meilleure connaissance de la courantologie.

Nous sommes également attentifs à la biodiversité marine, incomparablement plus large que la biodiversité terrestre, mais moins connue. Elle constitue un atout majeur patrimonial dans tout l'outre-mer, et notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Elle doit être couplée avec la problématique des biotechnologies.

Un autre axe d'intérêt des ZEE est la ressource minérale et énergétique, dans sa double dimension : fossile (pétrole et gaz off shore ) et les terres rares. S'agissant de la ressource pétrolière et du gaz off shore , la capacité technologique, y compris de grands groupes français, permet d'aller la chercher de plus en plus loin et de plus en plus profond. Nous aidons les grands groupes pétroliers, français et étrangers, à affiner leurs approches géologiques. Il y a des enjeux, notamment au large de la Guyane. En ce qui concerne la ressource minérale au sens des terres rares, nous avons conduit des études prospectives à l'horizon 2030, l'une sur les énergies marines renouvelables, l'autre sur les ressources minérales profondes. Dans les deux cas, nous avons rassemblé autour de nous tous les partenaires publics et privés intéressés pour étudier comment positionner la France sur ces sujets. S'agissant des terres rares, une des retombées de nos travaux a été de diligenter, en partenariat public-privé, une série de campagnes expérimentales au large de Wallis-et-Futuna, avec l'objectif de caractériser les écosystèmes puis les amas sulfurés. L'enjeu est la mise en exploration puis en exploitation de ces ressources. La densité de ces minerais ouvre la possibilité d'une exploitation très intéressante de ces réserves.

Sur l'ensemble de ces questions, les travaux sont donc largement lancés, et appellent des développements complémentaires. Je fais allusion à AllEnvie. Le paysage français a beaucoup évolué, avec la constitution d'alliances inter-organismes. L'IFREMER appartient à deux d'entre elles : ANCRE (Agence nationale de coordination de la recherche), dédiée à des questions énergétiques, et AllEnvie, au sein de laquelle nous avons créé un groupe « mer », dont le copilotage est assuré par le CNRS et par l'IFREMER. Nous proposons cette année de fédérer les réflexions des différents organismes pour mieux répondre aux attentes des collectivités locales d'outre-mer sur le besoin de recherche au service du développement. L'objectif est de provoquer le dialogue nécessaire entre le ministère de l'outre-mer et le ministère de la recherche.

M. Serge Larcher, président

Je vous remercie.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

J'ai plusieurs questions :

- concernant le programme EXTRAPLAC, quelles régions ultra-marines présentent un enjeu particulier pour demander une extension de leur plateau continental ?

- comment les informations sur le milieu halieutique sont-elles partagées ? Que faites-vous des données ?

- pourquoi le tonnage de la pêche de la crevette en Guyane a-t-il chuté ?

- sur le dossier de l'énergie, travaillez-vous sur les fleuves ?

- existe-t-il une phase de recherche appliquée sur la biodiversité marine ? Existe-t-il une forte coopération avec d'autres pays (Brésil, Surinam) dans ce domaine ?

M. Jacques Berthou

Pouvez-vous définir le plateau continental dans la zone Caraïbe ? Quels apports nutritifs offre l'aquaculture ? Pourquoi différenciez-vous La Réunion et la Polynésie par rapport aux autres collectivités d'outre-mer en ce qui concerne les énergies marines renouvelables ?

M. Jean-Yves Perrot

S'agissant d'EXTRAPLAC, les situations sont différentes en fonction du degré de maturation des dossiers devant l'ONU. Certains dossiers sont déjà déposés : celui de la Nouvelle-Calédonie a été déposé en 2007 et son examen est en cours. Celui de la Guyane a également été déposé en mai 2007 et les campagnes à la mer ont été réalisées en 2003. Les recommandations de la commission compétente ont été reçues en 2009. Le dossier avance dans le cadre de la procédure onusienne. Aux Antilles, la campagne maritime a eu lieu en 2007 et le dossier présenté en 2010 à la commission compétente. Il est actuellement en cours d'examen. En ce qui concerne les TAAF, des campagnes ont eu lieu en 2004 et 2005 et les dossiers ont été déposés en 2009, de même pour La Réunion. Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna en sont au stade préliminaire.

J'en viens à la question sur le SIH. Ses données sont partagées avec les professionnels et alimentent le circuit de l'expertise halieutique pour les décisions prises à Bruxelles dans le cadre de la PCP. Le conseil des ministres s'appuie en effet sur le SIH pour ses décisions sur la politique de la pêche.

Je ne crois pas que la baisse de la pêche de la crevette soit liée à la sélectivité, mais à l'état de la ressource et à la diversité des acteurs.

Non, nous n'intervenons pas sur les fleuves.

Nous sommes convaincus que la biodiversité marine peut être utilisée pour la pharmacologie et la cosmétique. J'aurai deux remarques. D'abord, il existe une frontière presque déontologique entre les chercheurs qui s'intéressent à la biodiversité de façon académique et ceux qui s'occupent des biotechnologies. La passerelle entre les deux ne s'opère pas naturellement, d'autant moins que la question des biotechnologies est un peu oblitérée par celle des OGM. L'un des enjeux est justement de faire tomber cette barrière et de réconcilier les biotechnologies avec la capacité à s'intéresser à la biodiversité dans une perspective d'inventaire. La deuxième difficulté tient au cycle du développement des biotechnologies, qui est très long, notamment en pharmacologie. Le positionnement des différents acteurs, publics et privés, de la recherche et de l'industrie pharmaceutique est un sujet difficile en soi.

Je n'ai pas évoqué les questions de coopération entre pays, mais bien entendu nous souhaitons et nous travaillons au développement de la coopération avec les pays voisins. Une des chances formidables de l'outre-mer français, pour lui-même et pour la France, est d'être comme une tête de pont du savoir-faire français dans les zones du monde où existent parfois des affinités historiques fortes. C'est le cas entre le Brésil et la France. Nous avons mené une coopération avec le Brésil, dans le domaine académique mais aussi économique. Dans le Pacifique également, nous travaillons à tisser des liens avec la Nouvelle-Zélande ou l'Australie. Nous avons aussi cette démarche dans des zones où la France est traditionnellement moins présente : à La Réunion en direction de Madagascar, des pays de l'Afrique du Sud et de l'Afrique de l'Est, à Saint-Pierre-et-Miquelon en direction du Canada.

J'en viens à l'aquaculture française, marquée par un paradoxe : elle ne se développe pas suffisamment en outre-mer alors que nous avons une production d'alevins qui alimente l'aquaculture du monde entier, et un potentiel de recherche qui est un des meilleurs du monde. L'un des axes de progrès de l'aquaculture est de substituer une nourriture d'origine végétale à une nourriture d'origine animale. Nous y travaillons avec l'INRA.

Les exemples que j'ai cités sur les énergies marines renouvelables étaient partiels. Il existe des potentialités importantes dans l'archipel des Antilles et en Nouvelle-Calédonie, où nous avons des équipes.

Je propose à M. Philippe Lemercier, délégué général de l'IFREMER, de m'apporter son concours pour répondre à la question sur la définition du plateau continental dans la zone Caraïbe.

M. Philippe Lemercier, délégué général de l'IFREMER

Contrairement à la ZEE, la notion d'extension juridique du plateau continental est très compliquée techniquement, ce qui explique d'ailleurs la nécessité de campagnes pour connaître la pente et l'épaisseur du sédiment. Des formules scientifiques complexes permettent ensuite de faire des propositions d'extension juridique du plateau continental. La spécificité des Antilles réside dans le caractère en partie enclavé de sa ZEE, ce qui limite beaucoup ses perspectives d'extension.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Serait-ce possible d'obtenir un panorama, collectivité par collectivité, de ce que représentent les ressources, la biodiversité, les énergies marines ? Quelles sont les ressources qui seront les plus stratégiques, à dix ou vingt ans, pour l'outre-mer et la France entière ?

M. André Trillard

La pisciculture et l'élevage sont des échecs industriels en France. Comment pouvez-vous dire que la France souhaite une pisciculture de qualité, avec une alimentation entièrement végétale, alors que des pays comme le Danemark utilisent massivement des poissons fourragés ?

J'ai aussi des interrogations sur la diffusion de l'information halieutique.

M. René Beaumont

Je me réjouis de l'excellent système d'information halieutique de l'IFREMER, l'un des meilleurs du monde. Mais cela n'empêche pas qu'en Guyane la pêche de la crevette soit toujours aussi pénalisée malgré la volonté de coopération. À quoi sert un système d'information halieutique performant ? Combien de pays en disposent-ils ?

Mme Karine Claireaux

Avez-vous les résultats officiels de la campagne de recherche sur l'épaisseur et les sédiments du plateau de Saint-Pierre-et-Miquelon ? Le système d'information halieutique sera-t-il étendu aux collectivités d'outre-mer, et pas seulement aux DOM ? Quel est l'état précis de la ressource dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Michel Vergoz

Le SIH est-il français ? D'autres pays disposent-ils d'une telle expertise, du niveau de la nôtre ? L'enjeu est de savoir où sont les stocks de poissons.

D'autre part, qui est notre interlocuteur, à Bruxelles ?

M. Jean-Yves Perrot

Je ne sais pas si je peux vous rassurer, mais je peux vous informer. Vos questions sur le SIH sont au coeur, pour paraphraser Edgar Morin, des tensions dialogiques des missions qui sont les nôtres. C'est un peu comme si vous demandiez, toutes proportions gardées, à l'Éducation nationale de résoudre tous les problèmes de la société française, et à un institut de recherche appliquée à la mer de résoudre toutes les contradictions de la gestion du milieu marin à l'échelle de la France, à l'échelle de l'Europe, à l'échelle du monde. Je vais cependant essayer, à mon niveau, d'apporter quelques éléments de précision complémentaires.

Les autres pays européens disposent d'un outil plus ou moins équivalent au SIH français. Dans le Golfe de Gascogne, nous avons avec les Espagnols des campagnes communes sur l'anchois, menées par les instituts de recherche espagnols. La France se singularise par le fait que l'IFREMER intervient sur toute la gamme des ressources, alors que la plupart des pays européens ne disposent que d'instituts dédiés à l'halieutique. Ces instituts européens répondent au même cahier des charges qui est celui de l'Union européenne dans le cadre de la PCP.

La PCP a en grande partie échoué dans ses objectifs pour une raison fondamentale à mes yeux : il lui manque le lien entre l'approche biologique et l'approche économique. Le véritable équilibre, c'est l'approche bioéconomique. Il faut intéresser les acteurs de la ressource, qui sont d'abord les acteurs économiques : les pêcheurs, qui investissent et ont des charges, mais qui sont aussi les gardiens de la ressource. Le lien entre la biologie et l'économie, que l'Europe n'a pas fait, doit être créé.

Troisième élément de réponse : à travers l'outre-mer, on décrit un espace européen mais aussi un espace mondial. L'approche européenne a quelque chose d'angélique : dès lors que nous nous imposons un système de références et de normes, que nous n'avons pas la capacité à partager et à appliquer avec le monde qui nous environne, la question est de savoir si nous sommes dans un scénario d'exemplarité avec une faculté d'entraînement - c'est le scénario vertueux - ou dans un scénario d'exemplarité naïve dans lequel nous creusons notre propre tombe en renonçant à combattre à armes égales. C'est une question qui dépasse très largement les compétences de l'IFREMER.

L'accès à la connaissance en matière halieutique requiert de la modestie, raison pour laquelle nous considérons que les campagnes communes avec les pêcheurs, complémentaires des campagnes strictement scientifiques, sont indispensables, ne serait-ce que pour expliquer la discordance naturelle et perturbante entre la constatation opérationnelle des pêcheurs, qui voient des bancs de poissons dans la mer, et les campagnes à vocation scientifique qui disent que ces mêmes espèces se raréfient. Il faut expliquer cette discordance apparente et mesurer la relativité des perceptions. Un des outils qui permettra de le faire dans le cadre de la PCP est la conférence consultative régionale.

Par ailleurs, la question clé de la ressource halieutique est celle de la résilience : quand on applique un certain nombre de décisions de contingentement de la pêche, la ressource se reconstitue-t-elle ou pas ? Certains exemples de régulation comme celui de l'anchois montrent qu'il est possible d'organiser la résilience. D'autres exemples, qui ne sont pas ultra-marins mais qui sont transposables, le montrent aussi : la langoustine dans certaines zones de Bretagne, la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc.

Vous me demandez si nous sommes propriétaires des données que nous produisons. La réponse est oui.

Je vous ferai parvenir, en réponse à votre question sur le panorama général, un document qui regroupe l'état des ressources segment par segment - halieutique, aquaculture, ressources minérales et énergie marine - dans une version consolidée.

Les données sur Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont pas encore disponibles. Elles sont en cours de traitement. Il n'y a pas de SIH pour l'instant. Il faudrait des campagnes d'évaluation de la ressource, si possible communes avec les Canadiens, afin de gérer au mieux les intérêts respectifs des parties.

M. Philippe Lemercier

Ces campagnes existent déjà, en partenariat avec le ministère Pêche et océan du Canada. Mais il y a encore une marge de progrès dans la coopération avec les Canadiens.

M. Jean-Yves Perrot

Un audit récent montre des possibilités sur les espèces nouvelles à Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'il faut identifier.

La question sur les délais de rentabilité des ressources minérales est très difficile. Nous en sommes à un stade préliminaire. Aujourd'hui, on essaye d'inventorier et de caractériser la ressource, de voir où elle est présente et quelle est la densité en minerai en vue d'une exploitation éventuelle.

Pour ce qui concerne les délais, on est dans le domaine de la prospective. Les nodules polymétalliques, qui étaient présentés comme la nouvelle frontière de l'industrie française, ont bercé notre jeunesse, mais on n'en a jamais rien fait car de nouveaux matériaux synthétiques sont arrivés et que les conditions d'exploitation n'ont jamais été rentables. L'espoir sur les nodules polymétalliques s'est donc évanoui. En revanche, si la forte croissance mondiale se poursuit, avec un prélèvement massif sur les terres rares disponibles pour des industries de pointe, alors la raréfaction quantitative et qualitative de la ressource stimulera les progrès technologiques pour accéder à ces amas sulfurés. Mais c'est un processus long, qui se compte en décennies.

M. Jean-Étienne Antoinette

J'ai deux questions. Le budget qu'alloue le ministère de l'agriculture à l'IFREMER est-il suffisant par rapport à toutes vos missions ? Quels sont les moyens dont vous disposez pour couvrir cette façade maritime immense ? Et enfin, pensez-vous nécessaire de légiférer pour améliorer le droit minier marin ? Y a-t-il un vide juridique à combler ?

M. Jean-Yves Perrot

Avec plus de moyens, on ferait plus de choses ! Mais au regard du principe des ressources limitées face aux besoins illimités, je considère que nous avons des ressources qui permettent de répondre à nos besoins. L'IFREMER a un budget annuel de 260 millions d'euros et a dégagé un résultat excédentaire de 2,5 millions d'euros en 2011. Nous avons surtout eu en 2011 plus de doctorants que jamais à l'IFREMER, plus de thèses encadrées, plus de publications, de bons résultats aux investissements d'avenir, y compris sur deux des sujets qui concernent directement l'outre-mer : les énergies marines renouvelables et les micro-algues.

S'agissant de nos moyens, nous sommes cette année en année stratégique : nous révisons notre plan stratégique à l'horizon 2020 et nous préparons le futur contrat avec nos trois ministères de tutelle, qui sera quinquennal et non plus quadriennal. Il couvrira la période 2013-2017. C'est un rendez-vous majeur pour nous, qui sera l'occasion d'appeler votre attention sur la bonne adéquation des moyens aux missions.

Est-il nécessaire de légiférer ? L'essentiel de la norme est international, onusien d'abord, européen ensuite ; il y a peut-être matière à un complément national, mais cette question mérite une investigation juridique qui ne m'appartient pas.

M. Serge Larcher

Je vous remercie pour la clarté et la densité de votre intervention.

Audition de l'Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine

M. Jeanny Lorgeoux, président et co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation

Amiral, c'est un honneur et un plaisir de vous recevoir ici, dans cette salle qui vous est familière. Nous avons souhaité vous auditionner à deux titres : au titre du groupe de travail sur la maritimisation que la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a créé dans la perspective de la mise à jour du Livre blanc et de la loi de programmation qui suivra, et au titre de la délégation pour l'outre-mer, à laquelle nous avons souhaité ouvrir cette audition et qui travaille sur les enjeux des zones économiques exclusives.

Avant de céder la parole à nos collègues, je voudrais vous exposer l'état de notre questionnement.

Depuis que l'homme navigue, la maîtrise des mers est un facteur de puissance. Il semble cependant qu'avec la mondialisation nous ayons franchi une étape supplémentaire.

La division internationale du travail entraîne une extrême sensibilité de nos économies à la fluidité des échanges maritimes et renforce la nécessité d'assurer la sécurité et la libre circulation des navires aux abords de nos ports et dans les zones stratégiques que constituent les détroits.

La raréfaction des ressources terrestres conduira demain la France à exploiter le potentiel considérable des ressources de ses espaces maritimes et de leur sous-sol. Cette situation changera le visage de nos territoires d'outre-mer et modifiera les attentes des pouvoirs publics à l'égard de la Marine nationale, qui devra protéger et sécuriser ces ressources réparties sur un espace maritime considérable.

Mes premières questions sont d'ordre général : en quoi l'évolution des enjeux en termes de flux et de ressources a-t-elle déjà modifié le format, les équipements et les missions de la Marine nationale ?

La programmation est une affaire de long terme, les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) de type barracuda nous engagent jusqu'en 2065. Quelles sont les principales évolutions que vous anticipez dans l'organisation, le format et les missions de la Marine Nationale dans les 20 ans à venir ?

Amiral Rogel

Je vous remercie de m'accueillir pour partager avec vous ma vision des enjeux maritimes de la France. Je voudrais mettre en avant trois réalités.

La mer est, tout d'abord, pour la France, un espace de richesse et de prospérité qu'il faut défendre et protéger. Notre zone économique exclusive de 11 millions de km² représente vingt fois le territoire national. Enjeu majeur, elle est pleine de promesses et porteuse de richesses, du fait de la raréfaction des minéraux à terre et des progrès technologiques qui permettent désormais de prospecter à 4 000 mètres de profondeur. Les fonds du Pacifique recèlent des terres rares nécessaires à certaines industries, sans parler du pétrole au large de la Guyane, de l'hydrolien au large des Côtes-d'Armor ou, demain peut-être, des piles nucléaires.

Dans cette zone, la police des pêches et la protection des ressources doivent être assurées. En 2011, plus de 25 000 heures de mer et 400 heures de vol ont été consacrées à la police des pêches, 4 000 navires ont été contrôlés, 1 500 procès-verbaux dressés et 51 navires déroutés. Prenons l'exemple de la défense de la ressource en légine dans les terres australes : elle nécessite une surveillance satellitaire et la présence de bâtiments à la mer. Je n'oublie pas, ensuite, que 95 % de l'information intercontinentale passe par des câbles sous-marins : des équipes de protection embarquées protègent nos câbliers.

Première nécessité : nous devons consolider nos frontières maritimes et mieux définir nos espaces de souveraineté. 74 pays demandent actuellement l'extension de leur plateau continental, certains espaces maritimes, notamment Clipperton au large du Mexique ou les Îles Éparse autour de Madagascar, voient leurs frontières contestées. Il faut y affirmer sans cesse notre souveraineté.

Deuxième nécessité : nous devons être présents en permanence dans les espaces maritimes porteurs d'intérêts économiques. Si nous les désertons, des « voyous » des mers ne manqueront pas d'en piller les richesses. D'où la nécessité de disposer de forces de souveraineté pré-positionnées ; la présence d'un simple patrouilleur ne suffit pas à défendre nos intérêts. Je pense en particulier aux 2 millions de km² de nos aires marines protégées.

Ma deuxième conviction est que la mer est un lieu de passage et d'échanges qu'il faut sauvegarder et sécuriser. La mondialisation, c'est en fait la maritimisation du monde, avec l'explosion des flux maritimes. Aujourd'hui, 72 % des exportations et importations s'effectuent par voie maritime. Notre devoir de protection s'entend tout au long de leur acheminement et nécessite donc une surveillance en profondeur des approches maritimes. Des questions de sauvegarde et de sécurité se posent, par exemple dans le Pas-de-Calais par lequel 80 000 bateaux transitent chaque année. L'augmentation des tonnages est spectaculaire : dans les années 60, un porte-conteneurs pouvait transporter environ 2 000 « boîtes » (conteneurs de 20 pieds), alors que la génération qui sera livrée en 2013 pourra en transporter 18 000, l'équivalent d'un train de 250 km de long. Pour les grands paquebots, là où « le « France » transportait 3 000 personnes, le « Costa Concordia » en transporte 4 000. Enfin, l'Amoco Cadiz transportait 200 000 tonnes de brut, les pétroliers d'aujourd'hui 500 000.

Pour un trafic maritime qui se densifie et se concentre, il faut garantir la liberté de passage et d'accès, en particulier dans les sept points névralgiques qui sont des points de passage obligé : Panama, Suez, Bab-el-Mandeb, Ormuz, Gibraltar, Malacca et la Manche.

Mon deuxième constat est que la mer est utilisée par les trafiquants, avec une augmentation du niveau d'engagement et de violence. La piraterie se stabilise dans l'Océan Indien, avec une diminution du nombre d'actes, mais les inquiétudes montent dans le Golfe de Guinée. Notre participation à Atalanta, dans l'Océan Indien, demande des moyens. Les pirates sont de plus en plus violents. Une frégate est intervenue la semaine dernière pour aider un pétrolier. En 2011, 10 tonnes de drogue ont été saisies en Méditerranée et dans l'arc Caraïbe. Ces trafics nous obligent à avoir des moyens de haute mer : frégates porte-hélicoptères, présence de commandos, moyens de reconnaissance aérienne... Dans les Caraïbes, les trafiquants utilisent même des submersibles ; une simple présence côtière ne suffit pas.

Ma troisième conviction est que la mer est un espace de liberté et de manoeuvre qu'il faut maîtriser et occuper. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France est investie de devoirs particuliers dans le domaine de la sécurité et de la prévention des crises. Elle doit aussi assurer la sécurité de ses ressortissants partout dans le monde, en particulier sur le pourtour de l'Afrique. La mer est souvent, en temps de crise, le seul accès possible à un théâtre d'opération sans pénétration terrestre ou utilisation de l'espace aérien. Nous l'avons vu en Côte d'Ivoire, où nos bâtiments (en particulier notre BPC, bâtiment de projection et de commandement) positionnés au large d'Abidjan ont assuré une fonction de soutien logistique et de garantie de la possibilité d'évacuer nos ressortissants français. Toute autre solution terrestre aurait eu pour effet d'élever instantanément le niveau de la crise.

Le format de notre marine nationale est « juste suffisant » pour remplir toutes les missions qui lui sont dévolues, le cas échéant au prix de certains arbitrages. Nous avons besoin d'une permanence et d'une polyvalence de nos forces. L'écrasement du temps médiatique, politique et militaire est tel que, dès qu'une crise surgit, il faut instantanément jeter un dispositif à la mer. La présence de forces prépositionnées à la mer, à proximité des zones de crise, garantit cette rapidité d'action. Je rappelle qu'il faut 17 jours de navigation pour aller de France à Abu Dhabi : de tels délais ne sont pas compatibles avec la nécessité d'une réaction instantanée. La polyvalence des moyens est une exigence croissante puisqu'il nous faut pouvoir remplir tout à la fois des missions très diverses, comme la surveillance de la pêche au thon rouge, la gestion d'une crise internationale au large de la Libye ou du Liban, la lutte contre la piraterie dans l'Océan Indien ou encore la garantie de la liberté de circulation dans le Golfe arabo-persique. Le concept de FREMM (frégate multi-mission) prend tout son sens en apportant la polyvalence et la souplesse nécessaires. L'armement prochain, avec des missiles de croisière navals, ne fera que renforcer leur impact potentiel.

En conclusion, je voudrais souligner que l'organisation française de l'action de l'État en mer est un système interministériel performant, modèle envié par d'autres pays, qui a largement fait ses preuves et qui repose sur une autorité nationale, le secrétariat général de la Mer, et sur une autorité régionale, le préfet maritime, à forte capacité de gestion de crise. Il me semble aussi qu'une flotte de haute mer est essentielle pour protéger nos zones économiques exclusives. Les frégates de surveillance ou les patrouilleurs ne suffisent pas pour répondre aux nouveaux enjeux que sont la lutte contre l'immigration illégale ou la lutte contre les trafics de drogue.

Notre marine est juste dimensionnée à ses missions actuelles. Ma préoccupation porte sur la préparation de l'avenir et, en particulier, le renouvellement de la flotte. Nos frégates ont, pour certaines, plus de trente ans, nos patrouilleurs seront remplacés par des BATSIMAR (bâtiments de surveillance et d'intervention maritime), patrouilleurs hauturiers aptes à intervenir rapidement.

Notre zone économique exclusive est précieuse. 11 millions de km² et 18 frégates ; cela représente, à chaque fois, une frégate pour une portion égale à une fois la France. 30 000 hommes pour la deuxième puissance maritime mondiale et 65 millions d'habitants, cet ordre de grandeur ne me paraît pas excessif. http://www.senat.fr/senfic/revet_charles95062k.html

M. Charles Revet

Que recouvre exactement la zone économique exclusive française ? Où en est l'exploitation des nodules polymétalliques envisagée depuis plus de trente ans ? La pêche française ne couvre que 15 % de nos besoins en poissons et crustacés : les Îles Kerguelen disposent-elles d'un potentiel nous permettant d'améliorer ce taux ?

Amiral Rogel

Les 11 millions de km 2 de notre ZEE comprennent à la fois les zones de métropole et des départements et collectivités d'outre-mer. C'est la deuxième plus étendue après celle des États-Unis (12 millions de km²) et avant celle d'États comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et la Russie (7 à 8 millions de km²).

Le changement climatique est susceptible de modifier les équilibres en ouvrant de nouvelles routes de passage au nord de la Russie et du Canada. Même si nous sommes encore au stade des promesses et pas encore de l'extraction, les nodules polymétalliques sont bien présents, notamment au large de Clipperton, dans le Pacifique, revendiqué également par le Mexique, où nous montrons régulièrement le pavillon national pour affirmer notre souveraineté. Mais la raréfaction des ressources à terre ouvre de nouvelles perspectives. La Chine possède 90 % des 17 terres rares nécessaires à des industries comme l'informatique ou les télécommunications. Certaines sont présentes en Polynésie, à Wallis-et-Futuna ou encore sur la faille Atlantique, sur laquelle la France a une revendication d'extension de son plateau continental. Les États émergents accroissent significativement leurs moyens maritimes. S'agissant des Kerguelen, le braconnage de la légine, qui mettait en danger son existence même, a été éradiqué en cinq ans, ce qui a nécessité la mise en oeuvre d'importants moyens d'intervention : surveillance par satellites, envoi de bâtiments quand nécessaire... http://www.senat.fr/senfic/trillard_andre01056v.html

M. André Trillard, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation

Quel est votre bilan des opérations Harmattan et Atalanta pour la marine ? En tirez-vous des enseignements pour la configuration de la marine nationale dans vingt ou trente ans ? Quelle est, enfin, votre position pour mieux assurer la sécurité des navires de commerce : une délégation au privé, à un privé qui serait « contrôlé » ou la dévolution de ces missions à la marine nationale ? http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur de la délégation

À la suite du Livre blanc et de la loi de programmation, le nombre de frégates a été réduit de 18 à 11 : la marine peut-elle répondre à ses missions compte tenu de la baisse de ses moyens ? Quelle est votre réflexion sur la mutualisation des missions et, en particulier, sur le concept de navire « générique » ? Quelle stratégie avez-vous en matière de motorisation des navires pour permettre leur adaptation, en particulier aux ports d'outre-mer ? Enfin, lors d'une mission de la commission des affaires étrangères en Guyane en décembre 2010, nous avions pu constater que les outils de lutte contre l'orpaillage et le pillage halieutique n'étaient pas adaptés. Des mesures ont-elles été prises depuis ? http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur de la délégation

La Polynésie s'étend sur 5 millions de km 2 et, alors qu'il y avait auparavant 4 patrouilleurs P400, depuis 2010, les moyens de surveillance ont décru. La collectivité d'outre-mer la mieux dotée en espace maritime est aussi la moins protégée, et ce jusqu'en 2018 ! Quelle réflexion menez-vous pour aboutir à un éventuel accord avec les États de l'ANZUS États-Unis, l'Australie et Nouvelle-Zélande, pour une meilleure surveillance de ces zones ?

Amiral Rogel

La France est très présente dans l'opération Atalanta, dont elle vient de reprendre le commandement pour l'Union européenne. La zone d'intervention Atalanta représente quatre fois la France. Entre les opérations sous l'égide de l'Union Européenne et celles menées sous l'égide de l'OTAN, ce sont en fait 8 et 10 bâtiments qui sont concernés, avec une concentration en mer d'Arabie. La difficulté est d'ordre judiciaire : que fait-on des pirates qu'on attrape ? Lorsqu'ils sont pris en flagrant délit, ils peuvent être jugés en France en vertu d'accords avec les États riverains. La difficulté est plus grande pour les présumés pirates, prompts à effacer toute preuve, ce qui nécessite la mise en oeuvre préalable de moyens aériens pour établir la matérialité des preuves.

S'agissant d'Harmattan, opération qui s'est étendue sur 7 mois, elle a vu se déployer 27 bâtiments de la marine nationale, avec toutes les composantes : sous-marin nucléaire d'attaque, porte-avions, bâtiment de projection et de commandement, chasseur de mines. La marine a bien rempli sa mission. Les rares points d'amélioration possible concernent les bombes de précision à faible dommage collatéral, permettant un ciblage fin en zone urbaine, et les drones navals. Nous avons tiré 3 000 obus contre terre, ce qui n'était pas arrivé depuis Suez en 1956 ou le Liban en 1982. On peut se féliciter que cette capacité ait été conservée. Je note que la France était la seule dans l'Union européenne à disposer de l'ensemble des capacités d'intervention. À l'heure où les États-Unis regardent vers le Pacifique, quelle doit être la puissance maritime des États membres de l'Union Européenne ?

Pour assurer la sécurité des navires de commerce, la marine dispose de quinze équipes de protection embarquées (EPE) sur des bâtiments définis comme « stratégiques » par le Premier ministre, tels que les câbliers, les pêcheurs de thon ou les navires de recherche sismique. Ces EPE n'interviennent qu'en cas de légitime défense. Il n'est pas possible de protéger tous les navires. La position de l'état-major est donc celle d'une ouverture contrôlée aux sociétés militaires privées. Ce contrôle est impératif car une mauvaise maîtrise des règles d'engagement élèvera forcément le niveau de la violence.

Par rapport aux années 2000, où nous disposions de 25 frégates, nous sommes aujourd'hui ramenés à 18 frégates de premier rang : 11 FREMM, 5 frégates furtives de type La Fayette et 2 frégates de défense aérienne. Nous allons remplacer les patrouilleurs par 15 BATSIMAR. La frégate De Grasse datant de 1967 sera désarmée fin 2012. Les bâtiments de transport léger BATRAL seront remplacés par des bâtiments d'intervention et de soutien. Ma préoccupation est que le format actuel « juste suffisant » soit conservé à l'avenir.

En matière de mutualisation, le secrétariat général à la Mer travaille avec l'administration des douanes et la gendarmerie maritime, ce qui permet un bon partage de l'information et une mutualisation des moyens. La création d'un corps de garde-côtes ne me paraît pas une solution adaptée ; il y aurait des risques de doublons.

Le livre blanc de 2008 n'a pas particulièrement mis l'accent sur les moyens à déployer outre-mer. S'agissant de la Polynésie, la réduction des capacités est temporaire, puisque les BATSIMAR seront déployés à partir de 2017-2020 et que nos trois bâtiments multi-mission (BMM) seront adaptés au soutien dans les îles. Pour la Guyane, nous avons en effet réorienté les moyens vers deux patrouilleurs pour lutter notamment contre le pillage halieutique ; l'appel d'offres sera lancé d'ici peu en attendant l'arrivée des BATSIMAR. Enfin, la motorisation de ces derniers sera adaptée à la situation locale des DOM et des COM.

Commissaire en chef de première classe Thierry Duchesne

S'agissant des accords dans la zone du Pacifique, la France est membre des organisations régionales de pêche de la commission des pêches du Pacifique central et de l'organisation régionale des pêches du Pacifique sud. Elle agit dans le cadre de ces organisations et utilise pleinement les informations de certains forums régionaux tels le Forum Fisheries Agency (FFA), en matière de police des pêches, même si la France n'en est pas pour l'instant formellement membre. http://www.senat.fr/senfic/beaumont_rene04091m.html

M. René Beaumont

Quels seront les impacts concrets sur l'organisation maritime de la future exploitation des fonds marins ou encore des exploitations gazières ou pétrolières offshore ? Quel est l'état de la coopération militaire franco-britannique après les accords de Lancaster House ? http://www.senat.fr/senfic/vergoz_michel11025f.html

M. Michel Vergoz

Si notre format de marine est aujourd'hui « juste suffisant », qu'en sera-t-il dans 20 ou 30 ans ? Et pourrons-nous disposer d'une marine à la hauteur de nos ambitions économiques ? http://www.senat.fr/senfic/trillard_andre01056v.html

M. André Trillard

Qu'en est-il du deuxième porte-avions ? Quels sont vos rapports avec les industriels de la construction navale ? La sécurité des approvisionnements est-elle assurée en matière de munitions ? http://www.senat.fr/senfic/claireaux_karine11023d.html

Mme Karine Claireaux

Si la route du nord-ouest devait s'ouvrir, comment la France pourrait-elle y tenir sa place ? Le réchauffement climatique, inéluctable et dramatique, pourrait aussi offrir une opportunité.

Amiral Rogel

Les nouvelles activités en mer auront forcément des répercussions sur les missions de la marine. Par exemple, les nouveaux parcs éoliens dans la Manche entraîneront sans doute des demandes nouvelles en matière de surveillance et de moyens de remorquage. La France dispose d'un remarquable système de surveillance littorale, avec les CROSS et la chaîne sémaphorique sur laquelle certains s'interrogeaient il y a quelques années. On ne peut que se féliciter de la qualité de ces moyens de surveillance.

Les défenses française et britannique n'ont jamais été aussi imbriquées, de façon très opérationnelle, que lors de l'opération Harmattan. La coordination a été parfaite. Vous lisez comme moi dans la presse que le Royaume-Uni, qui a prévu de disposer de deux porte-avions en 2020, n'a pas encore fait le choix entre un système de catapultes - à l'instar du porte-avions français - ou des aéronefs à décollage vertical...

Le porte-avions français est aujourd'hui le seul en Europe. Si, demain, l'Union européenne veut une permanence de porte-avions à la mer et que le budget français ne permet pas de disposer d'un second porte-avions, cette puissance de projection permanente reposera sur l'existence d'un porte-avions britannique.

Le CJEF ( combat joint expeditionary force ) franco-britannique se déploiera en octobre dans un exercice de grande ampleur dénommé Corsican Lion, qui validera le concept et dans lequel de nombreux bâtiments, dont le porte-avions français et les bâtiments amphibies britanniques, seront déployés.

Sur les moyens « juste suffisants », il est clair que nos missions seraient plus faciles à mener avec davantage de moyens. Toutefois, en matière de défense, il faut un équilibre entre les ambitions et les moyens budgétaires disponibles. La marine est aujourd'hui adaptée à ses missions actuelles ; ma préoccupation porte sur le renouvellement de la flotte. Si l'on devait réduire le format, il faudrait réduire aussi les ambitions.

Notre industrie navale est très performante. C'est un outil précieux qui permet ainsi de disposer d'une capacité française d'excellence dans un domaine de souveraineté.

Pour la « route du nord-ouest », il est trop tôt pour donner des réponses définitives, même si on peut envisager un rééquilibrage des flux de circulation mondiaux d'ici quinze à vingt ans, quand il sera possible de passer de l'Europe à l'Asie en évitant les points obligés que sont aujourd'hui les détroits de Suez, Malacca ou Bab-el-Mandeb ; mais il est encore trop tôt pour dire quelles en seront les conséquences.

Les munitions couvrent un spectre très large pour la marine, qui va des torpilles aux bombes guidées laser. L'opération Harmattan a montré que nous avions des circuits d'approvisionnement solides : les torpilles sont françaises, l'artillerie est partagée avec l'Italie, qui en a assuré le réapprovisionnement, et les bombes sont sous circuit OTAN sécurisé. Je n'ai donc pas d'inquiétude en la matière. http://www.senat.fr/senfic/lorgeoux_jeanny11106f.html

M. Jeanny Lorgeoux

Merci Amiral de cet échange particulièrement intéressant.

Audition du Contre-amiral Chevallereau, secrétaire général
adjoint de la Mer

M. André Trillard, président, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation

Monsieur le secrétaire général adjoint, nous avons souhaité vous auditionner à plusieurs titres : au titre du groupe de travail sur la maritimisation que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a créé dans la perspective de la mise à jour du Livre blanc et de la loi de programmation qui suivra, et au titre de la délégation à l'outre-mer, à laquelle nous avons souhaité ouvrir cette audition et qui travaille sur les enjeux des zones économiques exclusives (ZEE).

Nous avons également souhaité vous entendre en votre double qualité de secrétaire général adjoint de la Mer, en charge de la coordination de l'action de l'État en mer, et en tant que militaire, amiral, officier de marine, qui, je l'imagine, réfléchit à l'évolution du format et des missions de la marine nationale.

Je voudrais vous exposer l'état de notre questionnement. Depuis que l'homme navigue, la maîtrise des mers est un facteur de puissance. Il semble qu'avec la mondialisation nous ayons franchi une étape supplémentaire. La division internationale du travail entraîne une extrême sensibilité de nos économies à la fluidité des échanges maritimes et renforce la nécessité d'assurer la sécurité et la libre circulation des navires aux abords des ports et dans les zones stratégiques que constituent les détroits. La raréfaction des ressources terrestres conduira demain la France à exploiter le potentiel considérable des ressources des espaces maritimes et de leur sous-sol. Cette situation changera le visage de nos territoires d'outre-mer et modifiera les attentes à l'égard des pouvoirs publics.

Nous avons compris qu'à travers la fonction garde-côtes, le secrétariat général de la mer avait notamment pour fonction de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour sécuriser ces flux et ces ressources. C'est un des objets de la stratégie maritime exposée dans le Livre bleu. Nous avons également entendu que le secrétariat général de la Mer avait pour fonction d'estimer le format souhaitable de la fonction garde-côtes pour assurer ses missions (sauvetage des grands navires en mer, lutte contre les trafics, préservation des ressources halieutiques, lutte contre la pollution, protection des aires marines protégées). Il s'agit de définir les besoins des différentes administrations et les moyens nécessaires.

Pouvez-vous nous dire où vous en êtes de la définition de ce format ? Est-ce que ce format correspond au format actuel des administrations concernées ? Est-ce que les évolutions prévisibles dans l'exploitation des ressources en mer conduiront à faire évoluer ce format ? Est-ce que ces évolutions sont prises en compte par les administrations concernées ? Quelle est la position de la France par rapport à ses homologues - je pense à la Grande-Bretagne ?

Contre Amiral Patrick Chevallereau, secrétaire général adjoint de la Mer

Je prends la suite devant vous du chef d'état-major de la Marine, qui est venu accompagné, alors que je suis seul. C'est assez révélateur : le secrétariat général de la Mer est une petite structure, composée de douze chargés de mission, avec pourtant un rôle transversal de consultation et de coordination interministérielle.

Je vais effectivement essayer de contribuer à l'éclairage que vous recherchez sur les questions que vous évoquez, surtout en qualité de secrétaire général adjoint.

Pour bien aborder la question de l'articulation entre les enjeux et les capacités qu'il nous faut détenir, je voudrais insister sur quelques points importants de cette maritimisation.

Tout d'abord, elle est bien réelle : elle est indissociable, elle accompagne, elle conditionne le phénomène irréversible de mondialisation. Elle comporte deux grands volets économiques : d'une part, les flux maritimes, considérables, et, d'autre part, le domaine de l'accès aux ressources des océans. Cette question de l'accès aux ressources génère ce que certains appellent aujourd'hui un phénomène de territorialisation des océans.

Ensuite, je veux attirer votre attention sur le fait que la France est un cas assez unique dans ce contexte de maritimisation :

- il y a chez nous l'existence d'une ambition maritime affichée par les autorités gouvernementales et le monde politique en général d'ailleurs : c'est le discours présidentiel du Havre, le Livre bleu de 2009 (la stratégie nationale pour la mer et les océans), les comités interministériels de la mer tenus fin 2009 et en juin 2011, essentiels pour la mise en oeuvre de cette politique, et puis, dans le contexte de la campagne présidentielle, toute la classe politique s'engage sur la mer ;

- la deuxième caractéristique française, c'est une situation géographique absolument unique au monde : premièrement, deux façades maritimes métropolitaines, dont une qui nous met en position de contrôler des zones de trafic maritime parmi les plus denses du monde (le dispositif de séparation de trafic de Ouessant, celui des Casquets au large du Cotentin, et, bien sûr, le Pas-de-Calais, détroit vital pour les grands ports de l'Europe du Nord) ; deuxièmement, ce sont des territoires d'outre-mer, répartis sur tous les océans, avec de fortes densités de population par endroits, avec des intérêts économiques et des zones maritimes exclusives extrêmement étendues. Même les États-Unis, premier pays mondial en termes d'espaces maritimes sous juridiction, ne présentent pas une telle diversité en matière de dispersion géographique.

Cette France maritime a des atouts et des faiblesses. Indépendamment des caractéristiques évoquées, il faut avoir à l'esprit les 300 000 emplois directs que représente l'économie maritime et l'excellence de certaines filières : la recherche océanographique avec l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), l'exploration, l'exploitation et la maintenance offshore avec des compagnies comme Technip ou Bourbon, la filière nautique, la construction navale militaire avec DCNS, nos grands armateurs. Il y a là des capacités intellectuelles, un savoir-faire technologique remarquable, une énergie, un potentiel d'innovation, une capacité à emporter des marchés et, donc, vu du secrétariat général de la Mer, des perspectives de croissance.

Mais il y a aussi des faiblesses :

- la difficulté pour une majorité des Français à réellement se tourner vers la mer. Non pas la mer que l'on regarde quand on est sur la plage, comme le disait Tabarly, mais la mer du grand large, celle des flux maritimes, de l'exploration des grands fonds, de la maîtrise des immenses espaces de nos zones sous juridiction. Une mer dans laquelle innover, investir ;

- une autre difficulté évidemment : les contraintes budgétaires qui sont les nôtres et qui ne vont pas aller en diminuant. Elles pèsent sur les administrations qui concourent à l'action de l'État en mer notamment.

Il y a là quelque chose de contradictoire avec le volontarisme politique que je viens d'évoquer. En fait, la difficulté est bien de passer de la parole aux actes. Car, finalement, la France, historiquement, n'a pas vraiment l'âme d'une nation maritime comme peuvent l'avoir d'autres pays, tels le Royaume-Uni, les États-Unis, la Norvège, le Danemark et d'autres pays demain. Cette absence traditionnelle de tropisme maritime compte lorsque l'heure est à faire des choix budgétaires.

Un groupe de nations a aujourd'hui totalement intégré ce phénomène de maritimisation dans la planification de ses investissements pour les années qui viennent : c'est celui des puissances émergentes (Chine, Inde et Brésil, en particulier). Les efforts chinois sont connus : une volonté de maîtrise des mers adjacentes dans un premier temps, puis, mécaniquement avec le développement de son économie, des ambitions maritimes plus larges avec la nécessité de disposer d'une capacité de contrôle de ses voies de communication maritimes et, donc, le développement de points d'appui pour ses forces navales (le « collier de perles » de l'Océan Indien). En ce qui concerne le Brésil, c'est une véritable stratégie maritime qui est mise en oeuvre autour du concept « d'Amazonie Bleue ». Ce concept vise notamment au développement d'une marine puissante destinée à protéger les grands flux maritimes qui sillonnent l'Atlantique et qui continuent de se développer le long des côtes africaines. « L'Amazonie bleue », c'est aussi un programme d'investissements économiques très importants en direction des grands fonds de l'Atlantique sud.

Pour contribuer à camper le décor, il est nécessaire de revenir sur la notion de risques et de menaces qui s'exercent dans la dimension maritime. Ils sont de nature variée : des risques écologiques, des trafics illicites, le développement d'une criminalité maritime favorisé par des zones de non droit qui bordent certains océans et dont une des conséquences est l'émergence d'une véritable « industrie » de la piraterie maritime, le pillage des ressources halieutiques, des différends territoriaux et, enfin, une privatisation de l'emploi de la force armée en mer aussi qui pourrait devenir préoccupante si on ne canalise pas ce phénomène.

La question de la prise en compte à sa juste mesure de cette situation est un peu au coeur de la réflexion de votre groupe de travail sur la maritimisation. Je voudrais formuler une série de remarques qui ont leur importance si l'on veut mener cette réflexion sur les moyens :

- les espaces maritimes sont un lieu propice à l'expression du continuum sécurité - défense qui est l'un des axes importants du Livre blanc de 2008. Sur mer, les protagonistes, acteurs privés ou étatiques, jouent au chat et à la souris, s'observent, se jaugent, s'intimident. Comme il s'agit d'espaces géographiques où ces protagonistes ont la possibilité de se trouver au contact les uns des autres, il existe une possibilité d'escalade souvent plus importante que dans d'autres milieux. Ce sont donc des espaces au sein desquels la détermination et la crédibilité des acteurs sont des facteurs clés ;

- en conséquence, la ligne rouge de l'action armée en mer est souvent approchée, parfois franchie : on pense à la destruction de la corvette sud-coréenne Chenchuan par un mini sous-marin nord-coréen il y a deux ans, au différend turco-chypriote en Méditerranée orientale autour de questions de délimitations maritimes avec, à la clé, l'accès à des gisements d'hydrocarbures, à la résurgence d'une nouvelle guerre froide autour des Malouines, à la territorialisation de l'Arctique autour de la question des ressources des grands fonds et de l'ouverture de nouvelles routes maritimes, aux disputes en mer de Chine méridionale et enfin, bien sûr, aux poussées de fièvre récurrentes autour du détroit d'Ormuz.

Je mentionnais à l'instant la notion de crédibilité. Je voudrais rappeler le rôle qu'a joué dans le déclenchement du conflit des Malouines, en 1982, la perception par les Argentins que la volonté de souveraineté britannique était émoussée compte tenu de la décision de retrait du seul patrouilleur de la Royal Navy stationné dans les îles.

On assiste à un développement des atteintes à la sûreté maritime, dans un registre de relativement basse intensité sur l'échelle possible des conflits. Cette situation se traduit par l'intrusion dans le paysage maritime d'acteurs criminels non-étatiques comme les pirates, les trafiquants... C'est une caractéristique de ce début de XXI e siècle. On a plutôt l'impression d'une amplification du phénomène de piraterie, tant en termes d'espaces géographiques concernés qu'en termes de moyens mis en oeuvre pas ces acteurs. La presse se fait l'écho de l'activité de piraterie en Océan Indien, mais la situation devient préoccupante dans le golfe de Guinée, où se trouvent des intérêts économiques français. Dans le domaine de la lutte contre les trafics illicites - qui constitue en effet l'une des cinq grandes priorités de l'action de l'État en mer - nous sommes toujours confrontés à des flux importants par voie maritime aux Antilles, en Méditerranée et dans les atterrages des côtes d'Afrique de l'Ouest.

Après ce long constat, il s'agit bien de tirer les conséquences en termes de besoins capacitaires de cette conjonction entre le développement bien réel des risques et des menaces, l'importance et, plus encore, le potentiel économique des océans avec nos atouts nationaux et, enfin, notre volonté affichée d'une politique maritime nationale. C'est ainsi à un exercice de cohérence qu'il faut nous livrer, dans un contexte difficile de pression sur les budgets des ministères.

Nos espaces maritimes doivent être surveillés, contrôlés et nos intérêts en mer doivent être protégés : c'est ce que disent finalement les cinq missions prioritaires de l'action de l'État en mer. Elles ne sont réalisables qu'à condition d'en avoir la capacité. Cette approche capacitaire est au coeur de la démarche en cours d'un format global de la fonction gardes-côtes. À propos de cette démarche, je voudrais insister sur deux points :

- l'appellation « fonction gardes-côtes » n'est peut-être pas idéale, car elle donne l'impression de préoccupations d'ordre côtier. Or il s'agit aussi et surtout de la surveillance, du contrôle et de la protection d'espaces maritimes en haute mer, d'étendue considérable - il y a dans la notion de fonction gardes-côtes à la française une idée de profondeur des espaces maritimes ;

- la fonction gardes-côtes est un outil au service du concept national d'action de l'État en mer, qui s'exerce dans le domaine de la sécurité et de la sûreté maritime, pas dans le domaine de la guerre sur mer. Définir un format global de la fonction gardes-côtes est donc un exercice différent de celui qui consiste à formater nos forces armées pour répondre à des contrats opérationnels de défense.

Il demeure néanmoins que, parmi les administrations qui concourent à la fonction gardes-côtes, la marine nationale apporte environ 80 % des moyens, essentiellement du fait de sa compétence d'administration hauturière. Donc, formater la fonction gardes-côtes pour des missions de sûreté et de sécurité maritime, c'est aussi influer sur le format de la marine nationale. Il n'y a rien d'illogique, car nous sommes dans le cadre pertinent du continuum sécurité-défense.

Pour définir le format global de la fonction gardes-côtes, nous avons adopté une méthodologie qui part des cinq grandes missions prioritaires, puis qui étudie à la fois les caractéristiques communes de nos espaces maritimes et leurs caractéristiques particulières : les besoins de présence de patrouilles autour de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas les mêmes qu'en Manche-Mer du Nord ou dans le secteur des îles Kerguelen ; les menaces qui s'exercent dans le nord du canal du Mozambique, non loin de Mayotte, autour des îles Glorieuses, et qui sont caractérisées par l'extension géographique de la piraterie, par l'immigration illégale, ne sont pas les mêmes que dans les Caraïbes, où l'on a une forte dimension trafic de stupéfiants.

Bien sûr, toutes les administrations qui contribuent à la fonction gardes-côtes sont étroitement associées à ce travail de définition d'un format global.

Une autre caractéristique de notre approche, c'est qu'elle ne peut pas se limiter aux seuls moyens - nautiques ou aériens. Car l'efficience d'un dispositif, en vue d'un effet à obtenir, résulte aussi de synergies dans la formation du personnel, les doctrines, les organisations des administrations respectives, les infrastructures et l'interopérabilité des matériels. Une démarche capacitaire n'est pertinente que si elle est globale. C'est d'autant plus vrai en période de difficultés financières.

Cet objectif de synergie est important. Il est concrétisé par l'instauration récente pour les différentes administrations qui interviennent en mer (marine nationale, douanes, sécurité civile, affaires maritimes...) de sessions de formation supérieures communes. Cette synergie passe aussi par l'expérimentation d'un centre maritime commun en Polynésie française, qui regroupe notamment la coordination du sauvetage, la fusion de l'information maritime et le contrôle des pêches.

Il est une composante de ce format global sur laquelle je voudrais insister : c'est celle de la surveillance maritime qui inclut une dimension satellitaire. Nous déployons d'importants efforts en la matière et cette question occupe également beaucoup la Commission européenne dans le cadre de la Politique Maritime Intégrée de l'Union Européenne. La difficulté, au niveau européen, est celle du partage de l'information entre des secteurs de compétence très différents (contrôle des pêches, immigration illégale, lutte contre les narcotrafics, assistance et sauvetage en mer). Il ne peut y avoir de politique maritime sans surveillance maritime...

Nous souhaitons que ce format global soit défini cet été ou, au plus tard, à l'automne. Se posera la question de sa visibilité, de son poids, en fonction du niveau auquel il sera endossé. L'exercice ne sera pas achevé car il faudra ensuite que les administrations convergent vers ce format global : il sera nécessaire de bâtir des schémas directeurs par administration pour rejoindre ce format.

Les instruments de cette convergence sont d'abord les comités directeurs de la fonction gardes-côtes et les groupes de travail qui en découlent. À un niveau plus élevé, c'est le Comité interministériel de la mer (CIMER) qui définit des orientations et est surtout en mesure de procéder à des arbitrages, ce que le secrétariat général de la Mer ne peut faire aujourd'hui. Le CIMER est un instrument puissant dont il faut maintenir la fréquence de réunion.

Je dirais que le format actuel des administrations concernées n'est sans doute pas très éloigné de ce dont nous disposons actuellement. Mais il y a quelques points de vigilance que le format global devrait justement mettre en lumière. La question du renouvellement des moyens est ainsi cruciale : en certains endroits, elle pose des difficultés.

Et puis, en effet, il faut se pencher sur les perspectives d'exploitation de nouvelles ressources marines : l'existence prochaine, possible, de plateformes d'exploitation pétrolière au large de la Guyane pose la question de l'adéquation des moyens de l'État à cette nouvelle situation, en matière de surveillance ou de lutte antipollution.

D'une manière générale, le développement possible de l'exploitation de ressources minérales extraites du fond des océans génèrera des flux de trafic nouveaux, dans des zones qu'il faudra surveiller et qu'il faudra parfois sécuriser. Tout cela concernera beaucoup la haute mer, et donc beaucoup la marine nationale. Mais, à ce stade de nos connaissances, il est difficile de faire précisément rentrer ces considérations dans un format global de la fonction gardes-côtes. Cependant, ce n'est pas parce que cette projection dans le futur n'est pas simple qu'il ne faut pas anticiper. Dans ce contexte, nous avons évidemment tout intérêt à au moins préserver les outils de notre capacité de contrôle des mers.

Il faut être prêt au phénomène de surprises stratégiques, à l'exemple du 11 septembre ou du printemps arabe. Le XXI e siècle sera peut-être le siècle des surprises stratégiques sur mer.

S'agissant de nos partenaires, les États-Unis accordent toujours à la dimension maritime une importance particulière. Plus globalement, dans les pays dont l'effort de défense diminue, essentiellement en Europe, la dimension maritime diminue moins. Dans les pays qui augmentent leur effort de défense, notamment en Asie, la dimension maritime est celle qui augmente le plus. C'est le signe qu'il y a une prise en compte globale de la maritimisation. http://www.senat.fr/senfic/lorgeoux_jeanny11106f.html

M. Jeanny Lorgeoux

Vous avez évoqué la nécessité d'équipements capacitaires en haute mer. Pouvez-vous être plus précis ? Du pétrole a été découvert en Guyane : quels moyens seront nécessaires pour surveiller la zone ? http://www.senat.fr/senfic/revet_charles95062k.html

M. Charles Revet

Vous avez souligné la difficulté des Français de se tourner vers la mer. Je suis plus nuancé que vous. Je constate qu'au niveau des écoles maritimes, la marine nationale refuse aujourd'hui des candidatures. Au niveau des écoles maritimes classiques, c'est l'inverse. L'explication réside dans la différence des processus de formation : pour les officiers, il est très large, alors que la formation des écoles maritimes est peu attrayante. J'ai l'impression qu'il existe aujourd'hui une prise de conscience en la matière. À mon avis, les Français peuvent s'intéresser à la mer mais on a tout fait pour les en désintéresser. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que la nouvelle formation maritime est même adaptée ?

Dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, il était prévu la mise en place, pour la fin de l'été 2011, de schémas régionaux de l'aquaculture marine. Alors que l'aquaculture se développe partout dans le monde, ce n'est pas le cas en France, faute d'espace. Où en sont ces schémas, dans l'hexagone et outre-mer ? http://www.senat.fr/senfic/trillard_andre01056v.html

M. André Trillard

Plusieurs questions :

- le projet de DCNS visant à utiliser un sous-marin nucléaire comme centrale électrique pose à mes yeux des problèmes de sécurité. Où en est ce projet ?

- vous avez évoqué la sécurité des navires de passagers. Il s'agit de navires transportant 4 000 personnes. Il est rare de disposer sur le territoire d'un département des moyens permettant de sauver 4 000 personnes !

- la France aime-t-elle globalement sa mer ? Une seule illustration : le grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire représente 27 000 hectares. Aujourd'hui, il ne reste que 150 hectares constructibles, en raison des zones protégées.

Contre Amiral Patrick Chevallereau

Les espaces naturels se multiplient : c'est une bonne chose mais il faut aussi prendre garde à cette évolution. On ne doit pas créer un chapelet de secteurs sur nos côtes où on ne pourra pas investir.

La problématique des grands navires est une préoccupation du secrétariat général de la Mer. Nous travaillons à un concept d'intervention sur ce type de navires : il s'agit de privilégier l'intervention d'équipes de sauvetage à bord plutôt que l'évacuation, quand la flottabilité du navire est préservée, l'évacuation étant elle-même accidentogène. Il s'agit cependant d'un problème extrêmement difficile.

Je n'ai pas beaucoup d'éléments sur le projet Flexblue de DCNS.

Avons-nous aujourd'hui les capacités adéquates ? Nos moyens actuels constituent un minimum : nous n'avons plus de « gras ». En certains endroits, nous avons même des inquiétudes en matière de renouvellement des moyens, à l'exemple du Nord du canal du Mozambique : une aire marine protégée y a été créée, des pirates y sont actifs... Nous sommes en train de réfléchir avec les administrations concernées (Marine nationale, ministère de l'Environnement, ministère de l'Agriculture et de la Pêche) à l'action de l'État dans cette zone très étendue : on réfléchit à des mutualisations de missions et à la participation croisée de ministères. Les discussions sont difficiles, notamment en raison des contraintes budgétaires. http://www.senat.fr/senfic/lorgeoux_jeanny11106f.html

M. Jeanny Lorgeoux

Dans l'hypothèse où nous aurions de l'argent, que faudrait-il ?

Contre Amiral Patrick Chevallereau

Il faudrait assurer de la présence et donc disposer de moyens navals, aptes à faire face à l'intégralité du spectre de menaces. Du fait du risque de piraterie, par exemple, les bateaux devraient être capables de mettre à l'eau des bateaux armés d'intervention rapide. En matière de pêche, une capacité de coercition est également nécessaire. Par ailleurs, des moyens aériens et des images satellites sont également indispensables.

S'agissant de la relation des Français à la mer, il existe bien entendu des communautés maritimes vigoureuses et convaincues. Mais il faut investir, il faut faire des choix et des arbitrages. J'espère que la réforme de la formation maritime en cours ira dans la bonne direction. Globalement, il faut intéresser les Français à la mer, et donc parler de la mer. http://www.senat.fr/senfic/cornano_jacques11114f.html

M. Jacques Cornano

On a évoqué le déclin de l'aquaculture en raison du manque d'espace. Pourtant, il y a de l'espace outre-mer !

Contre Amiral Patrick Chevallereau

Je n'ai pas beaucoup d'éléments sur ce sujet. On a tout de même des opportunités pour développer l'aquaculture.

Après la stratégie maritime atlantique de Lisbonne de novembre dernier, s'est mis en place un Forum atlantique et un plan d'action atlantique est en train de se développer, impliquant la Commission européenne et les cinq États membres situés sur la façade atlantique. Cette stratégie balaie l'ensemble des aspects de la mer, dont l'aquaculture. Le secrétariat général de la Mer et les ministères concernés, dont le ministère de l'Outre-mer, travaillent sur le sujet et formuleront des propositions, qui pourront porter sur l'aquaculture. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur de la délégation

Depuis plusieurs semaines, on évoque les atouts de la Guyane en matière de mer. Je souligne cependant que c'est la seule région qui ne compte pas d'école des métiers de la mer.

Vous avez évoqué le centre commun de Polynésie française et la mutualisation à La Réunion. Serait-il utile de faire la même chose entre les Antilles et la Guyane ?

S'agissant des forages actuels au large de la Guyane : y a-t-il une réflexion sur les moyens qui pourraient être alloués pour contrôler l'activité future ? Est-il prévu de renforcer les moyens de l'État dans la zone ? http://www.senat.fr/senfic/vergoz_michel11025f.html

M. Michel Vergoz

Quelle articulation y a-t-il entre l'action de l'État et les élus locaux, outre-mer notamment ? Le secrétariat général de la Mer est au coeur du système : comment incluez-vous les outre-mer dans la réflexion ? http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur de la délégation

Je vois l'intérêt du travail croisé entre la commission des affaires étrangères et la délégation à l'outre-mer. Le statut des collectivités d'outre-mer n'est pas que celui des DOM. Nous sommes dans une relation statutaire permettant une certaine autonomie de gestion de l'espace maritime. Par ailleurs, je souhaite souligner qu'il existe une relation différente à la mer dans nos territoires : nous baignons dans la mer depuis plusieurs millénaires. Comment faire en sorte que, pour ces collectivités, la mer soit un levier de développement prioritaire ? http://www.senat.fr/senfic/claireaux_karine11023d.html

Mme Karine Claireaux

Certains territoires sont complètement tournés vers la mer, notamment outre-mer. Ainsi, Saint-Pierre-et-Miquelon n'existe que par la mer. Je voudrais par ailleurs attirer votre attention sur un projet très intéressant : le projet Océanide, visant à faire la démonstration du lien entre la mer et la prospérité et la puissance d'un État. http://www.senat.fr/senfic/boutant_michel08058d.html

M. Michel Boutant

Pendant des siècles, la seule activité économique liée à la mer a été la pêche. La mer regorge aujourd'hui d'intérêts multiples : ressources minérales, énergie, transport... Certains regrettent que des zones maritimes soient sanctuarisées. Se pose à mes yeux la question des conflits d'intérêt, notamment entre les environnementalistes et les partisans du développement économique. Comment anticiper les potentiels conflits d'intérêt à venir ?

Contre Amiral Patrick Chevallereau

Il y a, bien entendu, des territoires pour lesquels la mer est dans les gènes depuis des millénaires, à l'exemple de la Polynésie française. S'agissant également de l'outre-mer, plusieurs remarques :

- le ministère de l'Outre-mer est l'un des ministères avec lesquels nous avons des contacts très réguliers ;

- je voudrais signaler l'intérêt des conférences maritimes régionales, dont une s'est tenue l'année dernière à Papeete. Une conférence devrait avoir lieu en Guyane avant la fin de l'année 2012. Il s'agit d'enceintes privilégiées du dialogue entre ces départements et les représentants gouvernementaux ;

- nous nous sommes réjouis qu'en 2011 les autorités de La Réunion aient publié un Livre bleu sur l'Océan Indien ;

- tout récemment, un contrat de compétence en matière de lutte anti-pollution a été passé entre la Nouvelle-Calédonie et l'État, avec un transfert de responsabilités ;

- s'agissant du centre maritime commun de Polynésie, il s'agit pour l'instant d'une expérimentation. Au terme d'un an d'expérience, une évaluation sera faite et nous réfléchirons à la réplication d'une telle structure. Cependant, je ne vous cache pas que des questions de périmètre se posent.

Le secrétariat général de la Mer s'est investi dans le projet Océanide, qui a été évoqué. C'est un vecteur possible pour soutenir les préoccupations dont nous avons discuté aujourd'hui.

(Mercredi 30 Mai 2012)

Audition de Mme Nathalie Bassaler, conseil scientifique en prospective auprès du Centre d'analyse stratégique (CAS)

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, nous voilà à nouveau réunis pour deux jours de travaux en séance plénière de notre délégation.

Permettez-moi un mot de rétrospective avant d'aborder les travaux à venir : je me félicite du succès emporté par la rencontre que nous avons organisée le 9 mai dernier, sous le haut patronage du président du Sénat, sur la question des mémoires des histoires coloniales et de leur intégration dans l'histoire de la société française. Cette rencontre a réuni plus d'une vingtaine d'intervenants, historiens, anthropologues, enseignants, acteurs de la société civile engagés dans la lutte contre le racisme. Notre présidente de la commission de la Culture, Marie-Christine Blandin, ainsi que Christiane Taubira ont honoré de leur participation cette rencontre que Jean-Pierre Bel a tenu lui-même à clore. Je remercie ceux d'entre vous qui ont marqué de leur présence cette manifestation en dépit du calendrier électoral et je vous informe qu'un rapport d'information de la délégation, qui devrait être assorti d'un DVD permettant de visionner l'ensemble de la rencontre, sera prochainement publié.

S'agissant maintenant de nos travaux d'aujourd'hui et de demain, je vous rappelle que nous avions fixé depuis longtemps au 31 mai notre rendez-vous pour procéder à l'examen de la proposition de résolution européenne sur la prise en compte par l'Union européenne des réalités spécifiques de nos outre-mer dans la mise en oeuvre de la politique commune de la pêche : cette échéance aura été respectée et nous devons en remercier nos co-rapporteurs Maurice Antiste et Charles Revet. Nous examinerons leur proposition demain matin, ici même.

Dans le souci d'optimiser vos déplacements et avec l'accord des trois co-rapporteurs sur le thème des enjeux des ZEE ultramarines, Jean-Étienne Antoinette, Jean-Marie Bockel et Richard Tuheiava, a été organisé aujourd'hui et demain un nouveau cycle d'auditions. Alors que les auditions réalisées fin mars et début avril portaient sur les enjeux géostratégiques, les auditions de cette semaine ont en commun leur dimension prospective puisqu'il s'agit d'explorer les différentes ressources des ZEE, à l'exclusion des ressources halieutiques dont nous a déjà parlé M. Jean-Yves PERROT, président-directeur général de l'IFREMER. Ces auditions sont l'occasion d'examiner les perspectives liées à la prospection pétrolière mais aussi à la prospection des substances minérales non énergétiques, les fameuses terres rares, ou des nodules polymétalliques ou encore au développement des énergies marines.

J'espère que nous serons nombreux, demain, à questionner le président de Shell France sur la prospection pétrolière au large de la Guyane : cette audition sera retransmise en direct sur la chaîne Public Sénat.

Nous allons assister cet après-midi à quatre auditions ; et en premier lieu nous entendons Mme Nathalie Bassaler qui, historienne et économiste de formation, occupe la fonction de conseil scientifique en prospective auprès du Centre d'analyse stratégique, organisme rattaché aux services du Premier ministre. Le Centre d'analyse stratégique a en effet publié en 2009 un rapport intitulé « Outre-mer 2025 » contenant des développements relatifs aux ZEE. Mme Bassaler commencera par nous présenter ce rapport, puis elle établira un bilan et une mise en perspective du potentiel des ZEE des outre-mer français pour chaque type de ressource, en dégageant les enjeux pour la France et pour les différentes collectivités.

Le troisième point de son exposé portera sur les ressources minérales marines profondes des ZEE françaises qui auront un intérêt stratégique majeur dans les vingt ans à venir, leur localisation et l'état d'avancement des projets d'exploitation.

Enfin, nous lui demanderons un état des lieux sur la mise en oeuvre du programme français d'extension du plateau continental (Extrapalac).

Mme Nathalie Bassaler

Le rapport « Outre-mer 2025 » a permis de combler dans l'urgence une lacune dans l'exercice « France 2025 », qui initialement ne traitait pas de manière spécifique de l'outre-mer. Je vais tenter de replacer les enjeux dégagés par ce rapport dans la perspective de votre sujet d'étude relatif aux ZEE, que je complèterai par le travail de prospective conduit par l'IFREMER sur les ressources minérales marines profondes à l'horizon 2030. Le travail de synthèse sur les potentiels de nos outre-mer par type de ZEE et par type de ressource n'existe pas aujourd'hui. En dépit des grandes campagnes qui ont été menées, on manque de connaissance sur l'ensemble des ressources. Par ailleurs, peu d'analyses sont disponibles au sein des administrations centrales ou conduites par les outre-mer eux-mêmes sur l'avenir de leurs ZEE. Sur les vingt dernières années de travaux de prospective entrepris par les outre-mer, l'attention portée de manière spécifique aux ZEE est faible.

Le rapport « Outre-mer 2025 » traite quatre points :

- une réflexion sur les économies ultra-marines, avec un schéma de croissance particulier, caractérisé par un modèle intensif, une faible compétitivité, des économies introverties, vulnérables aux chocs externes (liés au prix des matières premières, aléas naturels...). Ces économies sont protégées par des dispositifs spécifiques : octroi de mer jusqu'à 2014, politiques de transferts, défiscalisation de l'investissement.

Le rapport « Outre-mer 2025 » pose la question des nouveaux schémas de croissance d'ici 2025, et des défis à relever, à considérer au regard des contextes à la fois mondial et régional : le désenclavement, face aux tendances à la concentration des dessertes aériennes et maritimes ; le défi d'attractivité et d'ouverture de ces territoires ; l'insertion régionale face à la mondialisation et à la libéralisation des échanges ; l'adaptation des outils financiers dans le contexte de raréfaction des ressources publiques nationales et européennes.

Un nouveau schéma économique est donc à imaginer. Les stratégies d'import-substitution que certains territoires d'outre-mer ont mis en place ont montré leurs limites. Il faut repenser le schéma de croissance, la productivité globale des facteurs (rapport capital/travail), réorienter les transferts vers l'innovation et les secteurs productifs, et répondre aux enjeux de diversification. Un éclairage spécifique a été apporté dans le rapport « Outre-mer 2025 » sur la Nouvelle-Calédonie, qui a connu des cycles économiques, et l'un des enjeux majeurs est de penser « l'après-nickel » pour asseoir un développement à long terme. L'exploitation des potentiels de ressources des ZEE représente une opportunité de diversification économique pour construire de nouveaux schémas de développement.

- la problématique des sociétés, « vulnérables », en outre-mer, plus spécifiquement les enjeux de recomposition du modèle de cohésion sociale et du modèle de solidarité entre les territoires et entre les générations. Il s'agit également de prendre en compte les grands défis sociodémographiques pour le développement économique et social futur. Ces défis sont contrastés d'un territoire à l'autre. En tendance, les Antilles sont marquées par le vieillissement, alors que la population de la Guyane restera une population jeune ; à La Réunion, les incertitudes démographiques sont fortes sur les migrations. C'est dans ce contexte que doit également être replacée la réflexion sur l'avenir des ZEE au regard des perspectives de diversification économique et de création d'emplois qu'elles sont susceptibles d'offrir à nos territoires ultramarins.

- les ressources rares : le rapport « Outre-mer 2025 » rappelle le réservoir de biodiversité que constitue l'outre-mer, et les menaces que fait peser le changement climatique. Il aborde également la problématique du potentiel des ressources dans les ZEE, en évoquant la question de l'extension du plateau continental, les ressources minérales marines et les ressources énergétiques.

- réinventer les relations entre les outre-mer et la métropole, créer une catharsis pour concrétiser une communauté d'intérêts. Il ne faut pas oublier que l'outre-mer est, sur le plan institutionnel, un laboratoire d'expérimentation sur le lien entre la République et ses territoires. La différence des statuts entre les outre-mer est à prendre en compte pour étudier les ZEE : qui gère, qui exploite, qui protège ces ZEE ? À cette question de répartition des compétences s'ajoutent des problématiques liées au partage de la richesse et à la fiscalité des ressources qui seront tirées de ces ZEE.

J'aborde à présent la question plus spécifique des ressources minérales marines profondes et celle du programme Extraplac.

S'agissant d'Extraplac, ce programme (travaux de cartographie du plateau continental juridique dans le cadre de l'article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer) consistait à délimiter les possibilités d'extension du plateau continental des ZEE. Extraplac a commencé en 2003 et s'est terminé par le dépôt des dossiers le 13 mai 2009. L'IFREMER a été l'organisme pilote avec le SHOM, l'Institut polaire Paul-Émile Victor, et certains ministères dont celui de la défense. Le budget d'Extraplac était de 16 millions d'euros, à comparer avec les 40 millions déployés par le Canada... L'objectif de la France était d'affirmer sa souveraineté politique et économique avec l'agrandissement de ses zones maritimes sous juridiction. Il s'agissait également d'exploiter les résultats de ce programme dans le cadre des négociations bilatérales ou multilatérales de délimitations maritimes en cours, notamment des ZEE dans l'Océan Indien. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Pouvez-vous définir le plateau continental et la ZEE ?

Mme Nathalie Bassaler

La ZEE est adjacente à la mer territoriale dont la limite est fixée à 12 milles. Les limites de la ZEE sont fixées à 200 milles et le plateau continental juridique peut être étendu jusqu'à 350 milles. http://www.senat.fr/senfic/revet_charles95062k.html

M. Charles Revet

Pourquoi n'existe-t-il pas une analyse du potentiel de la mer ? N'a-t-on pas les éléments de base pour faire une synthèse ? Ou bien n'a-t-on pas réuni ces éléments, qui existeraient de façon éparse, pour en faire la synthèse ? Il y a là des enjeux considérables, y compris en termes de responsabilité de la France, vis-à-vis du reste du monde.

Mme Nathalie Bassaler

Cette problématique de la ZEE est peu traitée, les connaissances font défaut. Prenons l'exemple des ressources minérales marines profondes. L'IFREMER dispose d'une somme de connaissances sur les nodules polymétalliques depuis les années 1970. Sur d'autres ressources minérales marines, on a fait depuis les années 1980 des campagnes qui visent à se doter d'une connaissance de ce type de ressources. Pour autant, s'agissant des ressources minérales marines profondes, les connaissances nécessaires (scientifiques, technologiques, biologiques) restent très parcellaires (spécifiques et localisées). On sait qu'il y a des nodules polymétalliques à Clipperton, et des encroûtements cobaltifères dans le Pacifique dans la ZEE polynésienne pour les plus riches d'entre eux. Mais la teneur des contenus en métaux de certaines ressources minérales marines profonde reste mal connue et les conditions économiques et technologiques de leur exploitation incertaines. La valorisation potentielle de ces ressources se raisonne sur une échéance de quinze à vingt ans, les incertitudes sont nombreuses alors que les enjeux de diversification de nos approvisionnements en métaux stratégiques comme ceux de nos économies ultramarines se posent à court terme. Les données manquent, les campagnes d'exploration des fonds sous-marins sont nécessaires, à l'exemple de celle conduite au large de Wallis-et-Futuna par l'IFREMER qui a permis de trouver des gisements de sulfures hydrothermales dans la ZEE. L'exploitabilité de ces ressources reste à démontrer dans toutes ses composantes, économique, technologique, environnementale.

D'une façon générale, les données et les analyses (par exemple sur les potentiels de valorisation économique, sur les avantages comparatifs et compétitifs...) font défaut, l'information reste partielle et éparse. Depuis récemment, l'outre-mer dispose d'un organisme dédié à la prospective, en charge de rassembler l'information disponible et de conduire des analyses. Nous souffrons encore d'un « déficit d'interministérialité », si bien que certaines études oublient souvent la dimension ultramarine. http://www.senat.fr/senfic/lorgeoux_jeanny11106f.html

M. Jeanny Lorgeoux

Qui peut approfondir la collecte d'informations indispensable concernant ces ressources, et en fournir une synthèse ?

Mme Nathalie Bassaler

Deux organismes pourraient piloter ce travail : la délégation générale à l'outre-mer, qui dispose d'un département dédié à l'analyse, à la prospective et à l'évaluation ; et le Centre d'analyse stratégique affecté au Premier ministre. Le tableau que vous souhaitez, de la typologie par ZEE et par ressources et de leurs mises en perspectives, reste à faire, pour en éclairer les enjeux et fonder la décision. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Il faut se donner les moyens pour interpeller le Gouvernement sur l'élaboration d'un tel tableau. http://www.senat.fr/senfic/lorgeoux_jeanny11106f.html

M. Jeanny Lorgeoux

Les enjeux sont très importants. Qui saisir ? Nous devons disposer des éléments d'analyse pour prendre les bonnes décisions politiques et réorienter la politique de la France. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Il s'agit de pallier le déficit de représentativité de l'outre-mer eu égard aux enjeux. Je rappelle qu'ici même, au Sénat, il n'a pas été aisé de mettre en place un atelier sur les ZEE, alors que j'en avais formulé la demande dès 2010, tant ces enjeux sont méconnus. La première des recommandations est en effet la commande d'une synthèse, pour savoir enfin ce que représente l'outre-mer ! J'ai deux questions : pourquoi avoir choisi 2025 comme échéance ? Et pouvez-vous nous expliquer ce que vous appelez la catharsis, au chapitre 4 de votre rapport ? http://www.senat.fr/senateur/le_menn_jacky08037x.html

M. Jacky Le Menn

Il semble qu'on dispose d'une somme d'informations, morcelées, à utiliser dans une perspective de développement économique des collectivités ultramarines. Les grands groupes français n'ont-ils pas des bureaux de recherche sur l'exploitation de ces ressources ? J'ai du mal à croire qu'on ne dispose pas déjà d'une quantité importante de connaissances. Il faut raisonner en termes d'opérationnalité et ne pas rester dans le registre de l'incantation. http://www.senat.fr/senfic/archimbaud_aline11055m.html

Mme Aline Archimbaud

Il est nécessaire de passer une commande publique pour recenser ces connaissances, dans l'objectif essentiel de promouvoir le développement endogène de ces territoires. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Absolument.

Mme Nathalie Bassaler

Nous n'avons pas l'information de synthèse sur le potentiel en ressources de chaque ZEE.

Concernant le développement de la pêche et de l'aquaculture, des travaux sont disponibles tant au ministère de l'agriculture qu'auprès des outre-mer, qui permettraient d'établir un état des lieux de ces ressources pour chaque ZEE. Il faudrait construire une réflexion prospective pour apprécier les potentialités de développement de ces ressources, en veillant notamment à replacer l'analyse dans l'environnement régional de chaque ZEE.

S'agissant des énergies marines, un travail a été fait par l'ADEME. C'est un enjeu pour l'autonomie énergétique des outre-mer, grâce à l'énergie éolienne, l'énergie solaire, la géothermie, l'énergie des mers. La Réunion s'est engagée dans le programme GERRI 2030, porté par l'État et le conseil régional, avec des industriels et des investisseurs. L'objectif assigné est de disposer de 50 % d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale des outre-mer à l'horizon 2020. Pour Mayotte, l'objectif est de 30 %.

Pour ce qui relève des ressources minérales marines profondes telles que les nodules polymétalliques, les encroûtements et les sulfures hydrothermaux, un travail important a été piloté en 2009-2010 par l'IFREMER avec une vingtaine d'acteurs du secteur, afin d'identifier les enjeux, le potentiel de ces ressources, les conditions de leur valorisation. Concernant la localisation des différents types de gisements, les nodules polymétalliques, que l'on connaît depuis longtemps, sont majoritairement situés dans la zone Clarion-Clipperton. Les encroûtements, qui contiennent du cobalt et du platine, ont leur plus gros gisement dans la ZEE de Polynésie. Wallis-et-Futuna recèle des sulfures hydrothermaux. En revanche, on connaît peu la localisation de l'hydrogène naturel.

Au-delà des conditions technologiques et socio-économiques susceptibles de rendre compétitive leur exploitation à différents horizons temporels, il faut tenir compte des impacts prévisibles de leur exploitation sur l'environnement. On ne peut plus aujourd'hui dissocier les enjeux économiques et environnementaux. À chacune de ces ressources minérales marines profondes, y compris dans les sulfures hydrothermaux qui recèlent des micro-organismes, sont associés des enjeux de préservation de la biodiversité et du vivant. Toute intervention visant à récupérer ces métaux aura un impact environnemental de plus en plus difficile à faire accepter par les populations et est freinée par le développement des aires maritimes protégées.

L'étude prospective de l'IFREMER sur les vingt prochaines années délivre les enseignements suivants :

- pour les nodules polymétalliques, l'exploitation apparaît possible techniquement à moyen terme, mais hypothétique sur le plan économique, et peu pertinente politiquement à cause du prix, car elle nécessite des technologies d'exploitation onéreuses. Cette ressource sera toujours plus chère que les ressources terrestres. Je rappelle notamment que la profondeur moyenne d'extraction est en effet de 4 000 mètres, ce qui est considérable. L'exploitation ne pourra pas être envisagée avant les quinze ou vingt prochaines années. Outre ces conditions d'exploitation incertaines, la valeur brute du minerai varie dans des fourchettes moyennes, ce qui laisse présager un rendement faible. Enfin, ce sont des gros gisements mais à faible teneur en métal ;

- certains encroûtements à petits gisements ont une forte teneur en métaux de base comme le cuivre, le zinc et quelques métaux précieux. Mais dans la mesure où le tonnage est assez faible dans chaque gisement, l'effet volume ne parviendrait pas à atteindre une quantité suffisante de métal. On estime que dans tous les cas de figure, l'exploitation de ces gisements n'aurait pas d'impact sur l'offre mondiale à l'horizon 2030. Les enjeux économiques demeurent donc très ponctuels, et plutôt à court et moyen termes ;

- des enjeux économiques importants peuvent, en revanche, être liés aux sulfures hydrothermaux. On connaît certains sites. Cependant, les campagnes d'exploration réalisées il y a plusieurs années n'avaient pas pour objectif de vérifier la teneur en métal. Les tensions qui pèsent sur les ressources minérales et les matières premières n'étaient pas aussi prégnantes à l'époque. La connaissance doit donc être approfondie. Certaines exploitations sont en cours avec Nautilus. Les zones concernées présentent un intérêt stratégique car ces sulfures comportent des métaux rares. Ces derniers sont cependant davantage situés dans les zones internationales que dans nos ZEE. La réunion d'experts publics et privés, et des opérateurs économiques, sur ces questions, a permis de se doter d'un tableau rassemblant des éléments de potentiel : on connaît la localisation des ressources et leur exploitation à l'horizon des dix à vingt prochaines années pour les nodules, et jusqu'à vingt à trente ans pour les autres ressources. Ces délais ne sont pas de nature à répondre à l'objectif de diversification économique actuel, même s'il convient de prendre en compte dès aujourd'hui ce potentiel et de créer les conditions favorables à son exploitation.

Un autre type d'enjeu est lié à la délimitation de nos ZEE. Là où n'existent pas d'accords sur leur délimitation, existent des conflits potentiels autour des ressources énergétiques. C'est le cas notamment dans l'Océan Indien, où les ZEE se superposent, et plus particulièrement dans la zone du canal du Mozambique, potentiellement riche en ressources pétrolières et gazières en eaux profondes, dont la ZEE française (Mayotte, Les Îles Éparses et Les Glorieuses) couvre 29 % de la superficie. La France a accordé des permis d'exploitation à des compagnies pétrolières, sous réserve d'accords de délimitation avec les États voisins, ce qui est source de tensions. C'est une zone à surveiller, compte tenu des enjeux économiques et géostratégiques, ne serait-ce qu'au regard des champs de gaz naturel découverts au large du Mozambique. Dans un contexte où les tensions sur les ressources énergétiques seront fortes à court et moyen termes, les conflits risquent d'être ravivés, ce qui ne crée pas un climat favorable au développement économique. Cela suscite également des incertitudes sur les retombées économiques de l'exploitation de ces ressources pour l'outre-mer. http://www.senat.fr/senfic/lorgeoux_jeanny11106f.html

M. Jeanny Lorgeoux

Cela souligne la nécessité d'une étude de fond centralisée pour connaître les enjeux et les intérêts de la France et sécuriser notre développement économique. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Cette commande serait un bon début. Mais il faudra également revenir sur la question de la catharsis à conduire pour faire évoluer le lien entre l'hexagone et ses outre-mer. Les trois modèles que vous proposez dans votre rapport m'intéressent. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Retenons que sans étude prospective, on ne peut pas établir de schéma de développement endogène. Et il faut aussi tenir compte de l'Europe, dont les accords commerciaux sont souvent préjudiciables aux outre-mer : les difficultés ainsi créées sont un frein à l'insertion régionale.

Audition de Mme Anne Duthilleul, chargée par le Gouvernement d'une mission sur l'avenir de l'industrie pétrolière au large de la Guyane

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, nous accueillons à présent Mme Anne Duthilleul, ex-présidente du conseil d'administration de l'Entreprise de recherches et d'activités pétrolières (Erap), chargée en novembre 2011 par le Gouvernement d'une mission sur l'avenir de l'industrie pétrolière au large de la Guyane.

Mme Anne Duthilleul

Suivant la trame qui m'a été envoyée, je vais commencer par vous présenter le cadre de la mission qui m'a été confiée par le Gouvernement. La mission d'accompagnement des développements pétroliers off-shore en Guyane m'a été confiée par les trois ministres de l'Outre-mer, de l'Énergie, et du Développement Durable, avec deux objectifs :

- fournir toutes les garanties de sécurité, notamment en matière de protection environnementale ;

- permettre, le cas échéant, un juste retour économique vers la Guyane de l'exploitation de ses réserves.

Un premier rapport provisoire, remis à la mi-janvier, a consisté à lister les questions qui doivent faire l'objet d'un suivi dans cette perspective, et à organiser l'information, voire la concertation, et le suivi du projet localement. J'ai proposé une commission régionale de suivi et de concertation à mettre en place avec l'État et la région, copilotes. Elle n'a pas encore pu être installée, du fait des périodes de réserve liées aux élections, mais des réunions d'information ont eu lieu.

La mission travaille en permanence sur deux horizons de temps distincts : l'exploration immédiate et les campagnes sismiques dès cet été et l'exploitation potentielle (et sa préparation, estimée à quatre ans environ).

Quatre objectifs sont retenus : la sécurité et l'environnement, le développement économique direct et indirect, la formation et l'emploi des Guyanais, et la gouvernance du projet et la traçabilité de sa mise en oeuvre. J'ai appliqué ce même principe de continuité et de suivi aux projets d'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie depuis neuf années.

Pour vous présenter l'activité pétrolière dans l'environnement régional de la Guyane, je vais simplement vous livrer trois éléments. Comme pour le projet guyanais, le Brésil exploite le pétrole off-shore, depuis 2005 déjà, Pétrobras étant la société nationale majoritaire. Le Venezuela est très riche en pétrole et possède également une industrie nationale, avec une plate-forme logistique à Trinidad et Tobago, utilisée d'ailleurs pour le premier forage de 2011 dans la zone guyanaise (à quatre jours de mer environ). Le Suriname exploite des gisements terrestres ; la logistique existe, mais les liaisons terrestres avec la Guyane sont difficiles.

Je passe maintenant à l'historique des recherches d'hydrocarbures au large de la Guyane. La première campagne sismique a été réalisée en 2002 par Tullow Oil et avait pour objet de comparer les structures géologiques sous-marines avec celles de la côte africaine (Libéria, Ghana). Le premier forage, à 5 000 mètres de profondeur, a été réalisé en 2011, avec des résultats positifs début septembre, confirmant l'analyse géologique et fondant des espoirs qui restent à confirmer par des sondages supplémentaires.

Le permis exclusif de recherches a été prolongé le 22 décembre 2011 pour cinq ans, avec la publication au Journal Officiel du 24 janvier 2012. Conformément à la réglementation, son périmètre a été réduit. L'opérateur chef de file est Shell depuis le 1 er février 2012, détenteur de 45 % des parts du consortium, tandis que Total en détient 25 %.

S'agissant de l'état des lieux et des perspectives des recherches en cours, des campagnes sismiques et des forages sont prévus en 2012-2013 pour confirmer la présence de pétrole, l'étendue du champ et l'exploitabilité. Deux forages sont prévus en 2012, un à proximité de celui réalisé en 2011 et un autre plus éloigné, deux autres en 2013. Il s'agit d'évaluer un volume disponible, sachant que la cible minimale est de quelques millions de tonnes pour une extraction de 100 à 200 000 barils par jour ; à 100 dollars le baril, cela fait une recette de l'ordre de 10 millions de dollars par jour, soit un chiffre d'affaires annuel de quelque 3 milliards de dollars. Un tel chiffre d'affaires permet d'envisager des investissements très significatifs de mise en exploitation de 5 à 10 milliards de dollars.

L'accueil réservé par la population guyanaise à cette nouvelle activité potentielle présente deux aspects contradictoires :

- l'espoir de développement économique rentable et à long terme pour la Guyane. Le projet est perçu comme une chance à saisir et à optimiser en termes de retombées économiques et sociales ; il fait naître un espoir de juste retour économique local ;

- à l'inverse, des craintes d'atteinte à l'environnement, au milieu marin, au développement durable énergétique global (hydrocarbures versus énergies renouvelables) se font entendre.

L'évolution récente est plutôt positive dans l'équilibre entre ces forces opposées. On observe un « cantonnement » des contestations sur les questions de principe. Les réponses aux craintes sont à apporter en permanence, et un suivi doit être assuré sur le terrain de l'emploi, de la formation et des activités induites notamment, avec toutes les parties prenantes locales et régionales. Je m'attacherai, dans le cadre de ma mission, à développer cette concertation avec les intervenants institutionnels et socioprofessionnels ainsi que les associations, en appliquant les principes de la Charte de l'environnement bien que la réglementation actuelle ne l'exige pas sur les activités d'exploration off-shore.

Des réunions d'information sont organisées par l'État : une telle réunion s'est tenue le 9 mai, co-présidée par le préfet et le président de région ; une autre réunion est programmée le 4 juin pour apporter des réponses aux questions posées.

J'en viens aux rôles respectifs de l'État, des collectivités territoriales et des opérateurs. La Guyane est un DOM, future collectivité unique en 2014 : le rôle de l'État y est très fort, ainsi que la présence de l'Union européenne, qui apporte des financements importants, à l'inverse de la Nouvelle-Calédonie.

M. Serge Larcher

Vous savez que le port de Guyane a un tirant d'eau très faible. Le pétrole s'acheminerait-il vers la Guyane, ou ailleurs ?

Mme Anne Duthilleul

Les choses ne sont pas fixées à ce stade. En l'état actuel des connaissances, l'exploitation de telles réserves ne justifierait pas a priori l'implantation d'une raffinerie en Guyane. Il y a déjà, au plan mondial, une surcapacité de raffinage.

M. Serge Larcher

Ce pétrole extrait dans la zone économique exclusive viendra-t-il en Guyane ou partira-t-il vers d'autres destinations ?

Mme Anne Duthilleul

Il partira de la mer vers une autre destination. Ce seront tout de même des exportations pour la Guyane. Le pétrole brut n'est pas commercialisable tel quel, il doit être raffiné. L'installation d'exploitation off-shore servira de terminal flottant. http://www.senat.fr/senfic/berthou_jacques08059e.html

M. Jacques Berthou

Le permis de forage vaut permis d'exploration. Le permis d'exploitation fera donc l'objet d'une négociation et il faudra obtenir des contreparties pour le développement local. L'exemple de Petroplus doit inciter à la vigilance. La Guyane ne doit pas simplement « voir passer les bateaux » ! http://www.senat.fr/senfic/archimbaud_aline11055m.html

Mme Aline Archimbaud

Vous avez évoqué les craintes des professionnels sur les risques pour la biodiversité. Des études approfondies ont-elles déjà été menées ? Quelles seront les retombées économiques pour la Guyane ? De qui dépend le permis d'exploitation ? Qui l'octroie et quel est le processus ?

Mme Anne Duthilleul

Je vous propose de finir mon exposé, qui répondra à toutes les questions. Je termine sur les rôles respectifs de l'État, des collectivités territoriales et des opérateurs. L'État a mis en place un co-pilotage avec la région, celle-ci étant compétente en termes de formation et de développement économique. La question de la fiscalité sera très importante. Un article de loi a déjà été voté fin 2011 pour prévoir un cadre fiscal et un partage 50 %-50 % avec la région.

C'est l'État qui est chargé d'octroyer le permis d'exploitation à l'issue de la phase de recherches, avec un droit de priorité à l'opérateur actuel.

J'en viens aux problématiques de sécurité et de protection de l'environnement liées à cette nouvelle activité. Le sujet de la sécurité des plates-formes pétrolières en mer a été étudié. La réglementation actuelle, très ancienne, doit être complétée. La prochaine campagne de forage sera faite non pas avec une plateforme fixe, mais avec un navire stationnaire dans la zone, qui résistera beaucoup mieux aux courants transversaux. Le nouveau navire de forage arrivera dans la zone dans quinze jours. Toujours du point de vue de la sécurité, l'industriel a trois niveaux d'intervention :

- le niveau local et régional, avec des moyens qui sont sur la plateforme ou à terre, donc à proximité, en Guyane ;

- des moyens propres de Shell disponibles à Aberdeen, mobilisables avec une certaine durée d'intervention (72 heures). Ce sont des moyens communs à tous leurs sites d'exploration-production ;

- des moyens mutualisés, plus proches, situés notamment dans le Golfe du Mexique.

L'État a adhéré au nouveau système de « Oil Spill Response », c'est-à-dire de secours en cas de déversement d'hydrocarbures. C'est un système d'assurance et d'intervention régionale. Les moyens d'intervention de l'État en mer peuvent aussi être régionalement mobilisés, en Guyane et aux Antilles. Ils doivent néanmoins être accrus ; cette question est en cours d'étude.

S'agissant de l'équipement du navire lui-même, son système permet une meilleure sécurité qu'une plateforme simple car il est doté de deux systèmes parallèles et redondants de forage. Il est à 150 km de la côte, ce qui correspond à une journée de mer, délai convenable. C'est d'ailleurs un des aspects favorables à la Guyane : cette proximité incite l'industriel à prévoir le maximum d'approvisionnement de Guyane pour éviter des transports beaucoup plus longs. Trinidad est en effet à quatre jours de mer. Le navire, neuf, a été inspecté par le pôle national d'off-shore de Bordeaux. En arrivant sur la zone, ils font également un test d'intervention pour vérifier que tout se passe bien en cas d'urgence, et ils passent en revue des plans de réponse aux incidents. Enfin, une Grande Commission Nautique se réunira d'ici dix jours pour donner toutes les conditions d'intervention en cas d'urgence et coordonner les services avec l'industriel.

S'agissant de l'environnement, les études d'impact des forages précédents et des campagnes sismiques ont été menées. Ces études ont été faites avant, pendant et après ces campagnes, par des organismes extérieurs comme le consultant Créocéan. Shell doit présenter ces études dans sa demande d'ouverture de travaux. Ils continueront à étudier les impacts sur la faune marine surtout, les cétacés, qui sont en très faible nombre, et les tortues, qui traversent parfois cette zone. Est également surveillé le benthos, c'est-à-dire l'ensemble des organismes aquatiques vivant au fond de la mer autour des zones de forage, car le forage génèrera des rejets de boue, c'est-à-dire de terre extraite avec une faible proportion de fluides de forage. Cette proportion sera réduite à moins de 5 % dans les rejets mais se déposera de façon très diffuse sur le fond des mers. L'estimation moyenne, compte tenu des courants dans la zone, est de 0,1 millimètre d'épaisseur de dépôt, ce qui est très faible, mais dont l'impact sur l'écosystème est à surveiller.

S'agissant des impacts potentiels sur les poissons, les cétacés et les tortues, Shell met en place des dispositifs d'éloignement afin que ces espèces ne rentrent pas dans la zone concernée pendant les campagnes sismiques. La plateforme de forage précédente jouait plutôt le rôle de dispositif de concentration du poisson : on a constaté que les poissons venaient massivement autour de la plateforme formant un écosystème artificiel pendant le forage, et cela est susceptible d'être proposé comme dispositif de compensation à l'attention des pêcheurs, à une distante suffisamment grande de la plateforme pour ne pas interférer avec les travaux. Cette forme de compensation est actuellement portée à la discussion avec les organisations locales de pêcheurs.

J'aborde maintenant les enjeux économiques et les retombées potentielles pour la Guyane. Les idées ont beaucoup évolué depuis six mois par rapport à ma lettre de mission. On pensait qu'il fallait anticiper et préparer l'exploitation potentielle et on s'est aperçu que les retombées potentielles étaient aussi plus immédiates, avec les campagnes d'exploration à accompagner tout de suite. Shell a déjà une équipe de huit à dix personnes sur place, qui créent des activités induites liées à leurs besoins en hébergement, en transports, en prestations diverses.

À plus long terme, on a demandé à Shell de faire l'inventaire des potentialités de créations d'emplois. Il faut une qualification spéciale pour les emplois sur la plateforme, et notamment l'exigence de parler anglais. Il en découle la nécessité de formations. Shell a ainsi proposé de mettre en place un programme de formation assorti de recrutements, par des entreprises spécialisées dans le secteur pétrolier, qui pourraient s'engager à recruter progressivement quelques dizaines, voire plusieurs centaines de personnes et à les former pendant les quatre à cinq ans à venir sur des activités pétrolières déployées ailleurs dans le monde. Les personnes concernées pourraient ensuite revenir en Guyane avec les qualités requises, à l'occasion du démarrage d'une exploitation. L'idée est de fédérer les entreprises, les sous-traitants notamment, autour de Shell. Il faut 90 personnes en permanence chez l'opérateur, sur au moins quatre équipes en rotation ; l'ordre de grandeur est donc de plusieurs centaines de personnes. Du côté des sous-traitants, qui génèrent des emplois indirects, les équipes sont également importantes, et s'occupent de l'entretien, de la maintenance...

Il faut également préparer les entreprises locales à répondre aux appels d'offre ou aux achats des sous-traitants et de Shell. Shell doit veiller à une coordination locale de façon à ce que ces activités et emplois soient réellement induits. Il convient aussi de répertorier le vivier des Guyanais déjà qualifiés à l'extérieur : parmi les 24 000 Guyanais vivant en métropole, beaucoup ont peut-être les qualifications requises et le souhait de revenir dans leur département d'origine.

Parmi les domaines d'activités induites, j'ajoute que des programmes de recherche seront financés par Shell, pour recueillir davantage de connaissances sur le milieu marin, mais aussi sur l'impact d'un éventuel déversement pétrolier en milieu terrestre (la mangrove). Ces sujets de recherche peuvent permettre à la Guyane de développer un pôle scientifique spécifique.

Enfin, il convient d'envisager la mise en place d'un environnement susceptible d'accueillir cette nouvelle activité, en développant des infrastructures et en formant les populations locales. Selon les cas, le développement des infrastructures peut se faire par un phasage des besoins. C'est le cas des infrastructures portuaires : une première étude de Shell a montré qu'avec les équipements existants, il était possible, pendant la ou les deux premières années à venir sur les campagnes d'exploration, de se satisfaire des capacités de stockage du port, avec un petit stockage de matériel non urgent à terre. Pour accroître les capacités de stockage et avoir accès en permanence au quai, un quai flottant supplémentaire pourrait être envisagé dans une seconde phase, et un troisième quai en dur pourrait être développé dans une troisième phase, non pas par Shell mais par le port. Toutes ces perspectives doivent être étudiées, et surtout planifiées.

La deuxième voie de préparation de ces retombées en infrastructures est l'accompagnement des groupements d'entreprises, pour répondre en quantité et en qualité aux besoins de l'exploitation et de l'exploration pétrolières (approvisionnement, logistique, production locale), en s'inspirant de l'exemple de Trinidad.

Enfin, doit être envisagée l'anticipation pure et simple des besoins en formation et en recrutement par les entreprises spécialisées, afin de disposer de ces personnels en temps utile.

J'ai rappelé que la distance courte (150 km, l'équivalent d'une journée de mer) permettait à la Guyane de se positionner pour bénéficier de retombées maximales, dans un intérêt économique partagé avec l'industriel qui voit raccourcir ses temps de transport.

J'aborde le dernier point : les modifications législatives et réglementaires qui seraient nécessaires. C'est un sujet sensible pour l'industriel, qui a besoin d'être parfaitement renseigné sur les conditions réglementaires, en particulier environnementales et fiscales, avant de démarrer une exploitation. Une réforme du code minier sur l'off-shore est indispensable ; le code de l'environnement doit être mis à jour, ne serait-ce que pour transcrire les principes de la Charte de l'environnement qu'on applique déjà de facto aujourd'hui. La réforme du code minier du point de vue de l'environnement doit aussi intégrer l'information du public et les études d'impact.

Pour répondre à la question sur les compensations et les modalités de négociation avec Shell de l'ensemble de ces conditions, Shell a déjà émis l'idée d'un accord de projet qui pourrait être négocié avec l'État et la région, sur l'exemple de l'usine du nord en Nouvelle-Calédonie, pour garantir à l'industriel une stabilité des conditions réglementaires et surtout fiscales, le moment venu. Il faut en amont que les conditions techniques et économiques de l'exploitation du gisement soient connues. La fiscalité ne doit pas être un frein à l'exploitation, mais doit permettre les justes retombées de l'exploitation pour la Guyane et la France. http://www.senat.fr/senfic/berthou_jacques08059e.html

M. Jacques Berthou

Il est indispensable que Cayenne se dote d'un port beaucoup plus important que l'actuel, notamment en ce qui concerne le tirant d'eau. Ces infrastructures perdureront au bénéfice des Guyanais. Par ailleurs, pourrait-on concevoir, pour l'exploitation pétrolière, une mise en concurrence de Shell au niveau mondial compte tenu des enjeux colossaux ?

Mme Anne Duthilleul

S'agissant du port, le plus urgent est de lancer des études, au financement desquelles l'Union européenne pourrait contribuer, pour connaître les développements futurs de l'activité portuaire. Maintenir un tirant d'eau est très onéreux. Les opérations de dragage, déjà actuellement, coûtent des millions d'euros par an.

En réponse à votre deuxième question, le droit minier actuel ne permet pas une remise en concurrence en vue de l'octroi du permis d'exploitation. Il est vrai qu'une loi de 2000 a transféré à la région les compétences d'octroi de certaines autorisations au titre du code minier, mais cette loi n'a pas fait l'objet d'une réelle application. D'une façon générale, je crois qu'un État n'a pas intérêt à renier sa parole et à revenir sur un droit qu'il a accordé. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Vous savez tous que la Polynésie française a été le théâtre d'essais nucléaires dans un contexte de déficit démocratique, alors même que l'opérateur principal était public. Je m'inquiète a fortiori de la situation actuelle, où l'opérateur est privé. Les questions environnementales ne doivent pas seulement faire l'objet d'un affichage, mais doivent être intégrées au cahier des charges ; la réhabilitation doit être prévue dès l'origine.

Mme Anne Duthilleul

Un projet de cette ampleur fait l'objet d'une programmation du début à la fin. On prévoit ce qui se passe à l'arrêt des exploitations, en fonction de l'état dans lequel l'environnement est laissé. Je suis d'accord avec vous : tout le cycle économique de vie du projet doit être pris en compte, des débuts jusqu'à la réhabilitation des fonds marins, à la fin du projet. Ce qu'il adviendra de cette réhabilitation doit être prévu dès le démarrage de l'exploitation. Les conséquences environnementales, et la façon de les traiter in fine , doivent être étudiées. http://www.senat.fr/senfic/archimbaud_aline11055m.html

Mme Aline Archimbaud

Les études environnementales pourraient-elles nous être communiquées ? Ont-elles été pilotées par le ministère ou par Shell ? Quel est le point de vue des pêcheurs sur les conséquences économiques sur la biodiversité ?

Mme Anne Duthilleul

Des études ont été publiées dans le dossier de déclaration d'ouverture des travaux et ont été mises à la disposition du public sur le site de la préfecture de Guyane dès le 17 avril.

M. Serge Larcher

On parle souvent des départements français d'Amérique : ne pourrait-on pas associer les départements de la zone comme la Guadeloupe et la Martinique aux programmes de formation et de recrutement nécessaires à la réalisation du projet ?

Mme Anne Duthilleul

On n'interdira pas, bien sûr, aux Martiniquais et aux Guadeloupéens de postuler ! Certaines entreprises antillaises se sont d'ores et déjà présentées pour répondre à des appels d'offres.

Je conclus sur la question précédente en précisant qu'un dialogue particulier a été établi avec les pêcheurs sur deux aspects : la connaissance du milieu halieutique avant, pendant et après les campagnes, et les pertes éventuelles en ressources ; et les systèmes de compensation proposés par Shell. Les pêcheurs sont donc partie prenante du programme de recherche.

M. Serge Larcher

Vous savez qu'une revendication des Guyanais est de ne pas acheter le pétrole à la SARA (Société anonyme de raffinerie des Antilles), jugé trop cher, mais de s'approvisionner au Venezuela, qui s'apprête à produire du pétrole aux normes européennes. Le pétrole de la SARA est cher à cause de la petite taille de la SARA, et parce qu'elle s'approvisionne en mer du Nord ! Si la SARA perd cette clientèle, cela pourrait être problématique. La SARA est une structure de solidarité entre les départements français d'Amérique.

Mme Anne Duthilleul

Shell a l'intention de s'approvisionner auprès de la SARA. La fourniture du brut à la SARA en provenance du forage guyanais restera en revanche à étudier.

Audition de M. Sylvain de Mullenheim, directeur des Affaires publiques et chef de cabinet du président-directeur général du groupe DCNS (énergies marines)

M. Sylvain de Mullenheim, directeur des Affaires publiques et chef de cabinet du président-directeur général du groupe DCNS (énergies marines)

DCNS est un des industriels les plus anciens d'Europe puisqu'il trouve ses origines à l'époque de Richelieu. Il s'agit aujourd'hui d'une entreprise dont le corps de métier est la maîtrise d'oeuvre de systèmes navals complets, détenue à 64 % par l'État. C'est un groupe en pleine mutation qui entend se saisir des opportunités qu'offrent les changements fondamentaux des rapports entre l'homme et la mer. En effet, longtemps, l'homme n'a été en mer qu'un nomade. Aujourd'hui, avec l'épuisement des ressources naturelles terrestres et l'exploitation des ressources des sous-sols marins, une activité sédentaire est en train de se développer en mer. La mer est une source formidable, non seulement d'hydrocarbures et de minerais, mais également une opportunité pour développer les énergies renouvelables. L'étendue des ressources en prospection illustre le fait que nous sommes à l'aube d'une révolution économique à la faveur de laquelle l'homme va se tourner vers la mer. Les contours de cette mer sont d'ailleurs, sous l'effet du réchauffement climatique, en train de changer, puisque, avec la fonte des glaciers de l'Antarctique, l'ouverture de nouvelles routes maritimes au nord du globe aura un impact géopolitique majeur, sans doute comparable à celui de la découverte du nouveau continent en 1492.

La mer offre à notre économie des opportunités considérables qu'il faut savoir saisir. Avec un chiffre d'affaires mondial de 1 500 milliards de dollars, l'économie de la mer est le deuxième secteur d'activité après l'agro-alimentaire, loin devant le secteur des télécommunications. Il s'agit d'un secteur économique dans lequel de nouveaux segments industriels apparaissent. Ainsi, en 2010, sur 1 500 milliards de dollars de chiffre d'affaires, 190 milliards d'euros proviennent d'activités qui n'existaient pas quelques années auparavant, comme les énergies marines renouvelables. Les études de prospective dans ce secteur montrent qu'à l'horizon 2020, sur 2 550 milliards de chiffre d'affaires, 450 milliards proviendront de ces nouveaux segments industriels. Il s'agit d'un secteur dont le taux de croissance est l'un des plus importants de toute l'économie mondiale.

DCNS veut profiter des opportunités offertes par cette dynamique. Nous sommes des concepteurs et des intégrateurs de systèmes navals complets. L'essentiel de notre savoir-faire réside dans les 3 000 ingénieurs qui contribuent à la conception des navires, des plateformes et des systèmes d'arme que produit DCNS. Nous ne fabriquons pas seulement la coque des sous-marins ou des navires que nous vendons, nous concevons le cerveau de ces bâtiments. Notre activité navale est en pleine croissance, avec 2,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 15 milliards d'euros de commandes et des perspectives d'exportation importantes dans les pays émergents, en Russie, au Brésil et en Inde.

Avec 13 000 collaborateurs, 40 % de notre activité se situe à l'international et en coopération. Cette stratégie d'exportation devrait nous permettre de faire face à la diminution des commandes publiques françaises consécutives aux difficultés que connaissent nos finances publiques. Mais notre stratégie ne s'arrête pas là, DCNS souhaite valoriser son savoir-faire pour investir massivement dans les énergies marines. Sur la base des savoir-faire, des compétences et des outils industriels du groupe, nous souhaitons nous implanter sur les segments de l'éolien off-shore flottant, l'hydrolien, l'énergie des vagues et l'énergie thermique des mers. Notre expérience en ingénierie et maintenance de systèmes navals complexes, celle de la gestion de projets industriels à cycle long, comme celui du nouveau SNA de type Barracuda, notre maîtrise des risques techniques et industriels, notre capacité à nouer des partenariats internationaux devraient nous permettre de réussir dans ce secteur d'avenir.

Pour cela, nous avons identifié quatre technologies porteuses d'avenir : la première est l'énergie thermique des mers (ETM). En s'appuyant sur le différentiel de température entre le fond des mers et la surface, l'ETM produit une énergie renouvelable non intermittente qui pourrait constituer une composante clé du mix énergétique des îles et des sites isolés. Nous avons construit un site pilote sur terre à La Réunion et nous souhaitons construire une centrale pilote d'ici 2016.

La deuxième source d'énergie marine que nous développons est l'éolienne off-shore flottante. Cette dernière permet par rapport aux éoliennes offshore posées une installation et une maintenance plus aisées, la réduction des conflits d'usage et l'utilisation de vents plus forts et plus stables au large des côtes. C'est pourquoi le marché des éoliennes flottantes représente trois fois celui des éoliennes offshore posées. En 2013, nous mettrons en oeuvre un prototype qui produira 1 mégawatt, en 2015 un second prototype de 5 mégawatts, avec pour objectif de mettre en place en 2017 une ferme pilote produisant plus de 25 mégawatts.

Les hydroliennes utilisant les courants de marées constituent la troisième technologie d'énergie marine développée par DCNS. Cette technologie présente l'avantage de n'avoir aucun impact visuel et sonore. Elle utilise une énergie prévisible dans la mesure où les courants de marée constituent une ressource prédictible et périodique. En 2011, une première turbine de 1 mégawatt a été installée à Paimpol. En 2016, une ferme pilote au Raz Blanchard d'environ 20 MW devrait voir le jour. Il s'agit d'une source d'énergie extrêmement prometteuse, qui exige cependant des courants très forts. DCNS a identifié une douzaine de sites particulièrement propices dans le monde, mais les territoires d'outre-mer français ne disposent pas des sites les plus adaptés pour ce type d'énergie, contrairement à l'énergie thermique des mers. La quatrième technologie d'énergie marine sur laquelle DCNS travaille est l'énergie des vagues. Il s'agit d'un potentiel énergétique considérable. DCNS n'est cependant, dans ce domaine, qu'à ses débuts, avec une première expérimentation à La Réunion.

L'énergie thermique des mers est sans doute le secteur le plus prometteur. L'histoire de cette technologie est ancienne puisqu'elle est évoquée par Jules Verne dans son livre « 20 000 lieues sous les mers », qu'elle a été formalisée au XIX e siècle par Jacques d'Arsonval et mise au point dans les années 30 par Georges Claude, dont les brevets sont à l'origine de la fondation de la société Air Liquide.

L'ETM utilise la différence de température entre l'eau de surface chaude et l'eau froide venant des profondeurs. Une usine installée en surface utilise cet échange thermique pour produire du courant électrique. Ce principe trouve sa pleine application dans la ceinture intertropicale. Il pourrait être parfaitement adapté aux besoins d'indépendance énergétique des collectivités d'outre-mer. En effet, le marché principal pour cette technologie est composé des réseaux électriques fermés, non interconnectés, avec des besoins limités et un coût de l'énergie d'origine fossile élevé. Dans ces situations, l'ETM répond à trois attentes : une source d'énergie renouvelable à un coût compétitif par comparaison avec les énergies fossiles, une énergie de base non intermittente, d'éventuels coproduits additionnels tels que l'eau douce, l'air conditionné, l'irrigation ou l'aquaculture.

Nous considérons qu'il existe une centaine de pays ou de zones avec des environnements favorables et nous avons identifié 20 cibles prioritaires dont les territoires d'outre-mer français. Nous pensons pouvoir développer des installations produisant, dans ces vingt cibles prioritaires, plus de 1 200 MW d'ici 2030. Pour développer l'ETM dans l'outre-mer français, il faudra former sur place des personnels spécialisés dans l'installation et la maintenance de ces infrastructures. Ces compétences permettront d'assurer la disponibilité des futures centrales ETM dans nos territoires d'outre-mer, mais également dans les régions voisines, dans la Caraïbe, l'Océan indien et le Pacifique Sud. Sur ce créneau, DCNS doit faire face à la concurrence du géant américain Lockheed Martin, n° 1 de l'industrie américaine de défense, qui représente un chiffre d'affaires de près de 20 fois celui de DCNS. Ce marché est en pleine croissance. Nous sommes actuellement en discussion avec un nombre croissant de clients, des producteurs d'électricité, évidemment, mais également des fonds d'investissement qui voient là une opportunité dans un secteur qui est amené à un développement considérable.

Quelle est la feuille de route de DCNS dans ce domaine ? Une équipe dédiée avec des experts dans tous les domaines critiques (ingénierie système, thermodynamique, architecture navale, échangeurs, conduites et tuyaux, ancrages, océanographie), comptant parfois jusqu'à 40 ingénieurs à temps plein, travaille sur la mise en exploitation d'un projet pilote en 2015. Nous avons conduit, de 2008 à 2010, des études de faisabilité, en Martinique, à La Réunion et à Tahiti. En 2011, nous avons installé un prototype à terre à La Réunion. Il nous reste à solutionner trois catégories de problèmes. Le plus important est la réalisation d'un tuyau de plus de 1 000 m de longueur et de 5 m de largeur. Ce tuyau permettant l'accès à la ressource d'eau froide doit être suffisamment solide pour résister à une forte pression et suffisamment souple pour s'adapter aux courants marins. Le deuxième défi est celui de produire une énergie suffisante à partir d'une différence de température relativement faible. Le troisième concerne la formation des techniciens de maintenance. C'est une des raisons pour lesquelles le prototype de La Réunion a été fait en partenariat avec l'IUT de Saint-Denis. Notre ambition est d'installer un prototype pilote en mer produisant 10 MW en 2015 et une centrale produisant deux fois 25 MW en 2020. Nous pensons que cette source d'énergie va monter en puissance du fait de l'augmentation du coût de l'énergie fossile, en particulier dans les territoires d'outre-mer, et de la réduction concomitante de son coût liée au double effet de l'apprentissage et des amortissements des frais de développement. En outre, nous pensons pouvoir amortir notre investissement dans ce secteur grâce à des exportations dans des sites qui présentent des caractéristiques comparables aux territoires d'outre-mer. Il nous semble donc qu'à partir de 2016 ce type de centrale sera rentable sans subvention. Elles seront suffisamment éloignées de la côte pour passer presque inaperçues dans le paysage. Elles se présenteront sans doute sous la forme de plateformes rondes, la rondeur leur permettant de prendre les vagues, avec la possibilité d'accueillir les hélicoptères ou de faire accoster des bateaux. http://www.senat.fr/senfic/berthou_jacques08059e.html

M. Jacques Berthou

Quels sont vos rapports avec les autres industriels du secteur ?

M. Sylvain de Mullenheim

Depuis 2009, nous avons développé les partenariats là où il nous a semblé que nous pouvions en tirer collectivement un bénéfice. Nous avons développé ces partenariats tout en conservant à l'esprit la nécessité de préserver nos technologies, car nous possédons un savoir-faire extraordinaire, et faisons en sorte de promouvoir l'emploi en France chaque fois que cela est possible. Nous avons des partenariats avec des entreprises japonaises, mais également avec des universités, des centres de recherche, l'IFREMER, des PME, les pôles de compétitivité Mer Bretagne et Mer PACA, sans oublier l'IEED France Énergies Marines. http://www.senat.fr/senfic/berthou_jacques08059e.html

M. Jacques Berthou

Si j'ai bien compris, pour nombre de ces technologies, vous en êtes encore au niveau des prototypes.

M. Sylvain de Mullenheim

S'agissant des houlomoteurs, nous sommes dans une phase d'expérimentation de différentes techniques. Il existe plusieurs procédés pour essayer de capter l'énergie des vagues. Mais il est vrai que nous sommes loin d'avoir abouti à un stade industriel. En revanche, dans le domaine des hydroliennes et des éoliennes off-shore, par exemple, nous sommes beaucoup plus avancés. Ainsi nous considérons que notre technologie hydrolienne est mature et préparons activement son industrialisation à grande échelle. En ce qui concerne l'énergie thermique des mers, nous sommes peut-être à l'origine d'une filière industrielle d'avenir, cela grâce à nos territoires d'outre-mer. Chez DCNS, quand nous pensons à ces territoires, nous voyons d'abord les opportunités de croissance et d'emploi qui sont devant nous. http://www.senat.fr/senfic/berthou_jacques08059e.html

M. Jacques Berthou

À quelle échéance pensez-vous installer les premières usines ?

M. Sylvain de Mullenheim

Les hydroliennes étant matures, des usines peuvent voir le jour à partir de 2014. Concernant l'éolien flottant, elles devraient commencer à produire en 2017. L'installation d'une première usine d'énergie thermique des mers pourrait avoir lieu d'ici 2015-2016. Le calendrier dépendra notamment du déblocage des dossiers à Bruxelles relatifs au Fonds européen NER 300. http://www.senat.fr/senfic/le_menn_jacky08037x.html

M. Jacky Le Menn

La recherche et le développement s'effectuent dans quelles régions ?

M. Sylvain de Mullenheim

Notre centre principal pour les énergies marines se situe à Brest, avec des annexes à Indret près de Nantes, Lorient et Cherbourg. Le budget de la recherche et développement dans ce domaine est amené à croître car la stratégie de DCNS vise à prendre acte des tendances budgétaires françaises en matière de défense et à diversifier son activité de façon à ce qu'à terme une part notable de son chiffre d'affaires soit consacrée aux énergies de la mer. http://www.senat.fr/senfic/le_menn_jacky08037x.html

M. Jacky Le Menn

Avez-vous des subventions des régions ?

M. Sylvain de Mullenheim

Nous avons des partenariats pour notre incubateur en Bretagne et en Basse-Normandie de même que dans les territoires d'outre-mer où nous menons des opérations-pilotes : la Martinique, La Réunion et Tahiti travaillent d'ores et déjà avec nous. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Quelle est la composition du capital de DCNS ? Quelle est la part de l'outre-mer dans votre chiffre d'affaires ?

M. Sylvain de Mullenheim

Le capital de DCNS appartient pour 64 % à l'État et 35 % à Thalès. La part de l'outre-mer dans le chiffre d'affaires est actuellement inférieure à 1 %. D'ici dix ans, cette part devrait atteindre un volume de chiffre d'affaires significatif. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Si j'ai bien compris, l'énergie thermique des mers produit de l'électricité moins chère. Quelle est la réaction des opérateurs existants devant la perspective de cette nouvelle concurrence ?

M. Sylvain de Mullenheim

Les opérateurs connaissent les hydroliennes car notre technologie est mature. S'agissant de l'ETM ils étudient les perspectives offertes par les stations. Cette technologie est plus récente et constitue un défi considérable. La technologie liée à l'échangeur n'est en soi pas nouvelle. La problématique réside dans l'amélioration de son rendement. Se pose aussi le problème de la réalisation d'un tuyau de la dimension dont nous avons besoin. Nous sommes en train de relever ce défi. L'enjeu final demeure le coût global de l'équipement. http://www.senat.fr/senfic/berthou_jacques08059e.html

M. Jacques Berthou

Faire circuler de l'eau sur 1 000 m avec un tuyau de 5 m de diamètre suppose que l'on fasse fonctionner une pompe pour amorcer la circulation. Quel est le bilan énergétique de l'opération ?

M. Sylvain de Mullenheim

Effectivement, au début, il faut mettre en route la pompe, mais ensuite le dispositif s'autoalimente, sachant que la durée de vie de la station se comptera en décennies. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher, président

Votre système se fonde sur un différentiel entre l'eau froide des profondeurs et l'eau chaude de la surface. Est-ce que votre dispositif fonctionne dans des eaux plus froides en surface ?

M. Sylvain de Mullenheim

Nous avons besoin d'une différence de 20 degrés entre le fond et la surface. La plupart des eaux profondes sont froides. Il nous faut donc des eaux relativement chaudes en surface. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

En Martinique, nous attendons que le dossier se débloque au niveau européen.

M. Sylvain de Mullenheim

Nous attendons effectivement la réponse de la Commission dans quelques semaines pour mettre en place notre projet de centrale ETM entre 2013 et 2014. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Avez-vous prévu des procédures de formation du personnel local ?

M. Sylvain de Mullenheim

La formation du personnel technique de maintenance au niveau local est une nécessité économique pour nos projets et une condition de leur rentabilité. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Est-ce que la mise en place de vos centrales ne va pas nuire au développement du tourisme ? N'est-ce pas un facteur de pollution visuelle ?

M. Sylvain de Mullenheim

La taille de nos unités est assez limitée. Par ailleurs les centrales, étant flottantes, seront peu visibles de la côte. En outre, la mise en place de notre dispositif entraînera un phénomène d'upwelling artificiel : les eaux des profondeurs, riches en nutriments, favoriseront la faune et la flore présentes aux alentours de la centrale.

Quant aux hydroliennes, elles sont par nature sous les mers et donc peu visibles. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Vous avez dit que ces hydroliennes n'étaient pas adaptées aux territoires d'outre-mer. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Il y a des passes dans les territoires d'outre-mer qui connaissent de très forts courants, c'est notamment le cas en Martinique avec la Passe des fous, où l'Atlantique se déverse dans la mer des Caraïbes.

M. Sylvain de Mullenheim

Il faudrait vérifier sur place en effet. Pour les hydroliennes, il faut 50 m de profondeur et des courants réguliers de l'ordre de 4 à 5 mètres par seconde. Le principal avantage des hydroliennes est de fonctionner avec des courants prédictibles, contrairement, par exemple, aux éoliennes. Sur certains sites, vous pouvez savoir des dizaines d'années à l'avance quelle sera l'intensité du courant à telle période de l'année en fonction des positions de la lune et du soleil. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Je vous remercie pour cet exposé particulièrement éclairant sur les perspectives qu'offrent les énergies marines. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Ce que je retiens de nos différents intervenants, cet après-midi, c'est l'idée que les territoires d'outre-mer peuvent constituer pour la France un atout. Cela valorise nos territoires et je m'en félicite. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Pour approfondir cette vision prospective, il faudrait pouvoir disposer d'une vision globale des atouts, des ressources et des perspectives de chaque territoire, secteur par secteur. De ce point de vue, je regrette que l'État n'ait pas mis en place un tableau de bord de ce type.

M. Sylvain de Mullenheim

Concernant les énergies marines, nous avons une idée assez claire des perspectives. Nous pensons être en mesure de mettre en place des unités produisant à l'horizon 2030 plus de 1 200 MW d'énergie thermique des mers dans nos marchés prioritaires, dont les territoires d'outre-mer. Il s'agit sans doute des débuts d'une nouvelle filière industrielle française, et cette filière ne se développera pas si nous ne développons pas l'outre-mer. Il en va de même pour les houlomoteurs, dont le potentiel est de plusieurs dizaines de gigawatts. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Que signifie l'acronyme DCNS ?

M. Sylvain de Mullenheim

À l'origine, l'acronyme DCNS est né à partir de la Direction des constructions navales (DCN) auquel on a rajouté un S au moment de la transformation de cette direction en entreprise. Il s'agissait de renouveler l'identité sans rompre avec la marque DCN.

Audition de M. François Bersani, président de la section régulations et ressources du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, cette dernière audition porte sur les ressources minérales non énergétiques.

M. François Bersani, président de la section régulations et ressources du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies

Je suis chargé des questions de sous-sols au sein du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies. Ce dernier est l'héritier du Conseil général des mines, institution créée il y a plus de deux cent ans pour conseiller le Gouvernement sur la gestion du sous-sol. Le Conseil donne ainsi un avis sur l'institution des titres miniers, sur les textes règlementaires ou encore au cours de l'élaboration des projets de loi portant notamment sur le code minier. Ce code, qui date de 1956, est un peu désuet. Nous travaillons actuellement à sa modernisation : le Sénat aura d'ailleurs à connaître d'une ordonnance, publiée au début de l'année 2011, qui porte sur la partie législative du code.

J'assure par ailleurs le secrétariat général du comité sur les métaux stratégiques, créé au début de l'année dernière, dont la mission est d'assurer une concertation avec les acteurs économiques préoccupés par les conditions d'approvisionnement en certaines substances stratégiques, comme les terres rares ou le lithium par exemple.

À ces deux titres, je m'intéresse donc à ce qui se passe au fond des mers.

On s'intéresse depuis longtemps aux fonds marins, avec notamment certaines exploitations un peu anecdotiques, des prolongements souterrains d'affleurements terrestres exploités en mer. Il existe ainsi un petit gisement de fer au large du département de la Manche. D'autres pays ont procédé de la même façon : le Canada et le Japon ont ainsi exploité des gisements dans leurs prolongements marins.

D'autres gisements marins sont par ailleurs connus depuis le XIX e siècle : il s'agit des gisements de nodules polymétalliques. Il s'agissait initialement de curiosités scientifiques. On s'est rendu compte, dans les années 70, que leur teneur en minerais pouvait présenter de l'intérêt. On a donc engagé des efforts de recherche-développement pour mieux connaître ces gisements, essentiellement dans le Pacifique. Les Américains, les Russes, les Japonais, les Coréens ou encore les Indiens l'ont fait également. La France a été d'autant plus active que ses ressources nationales étaient en voie d'épuisement et ses gisements en perte de compétitivité.

Pour la recherche de ressources minérales dans les fonds marins, la difficulté était qu'il n'existait pas de cadre juridique bien défini. Les négociations internationales ont abouti à la Convention sur le droit de la mer de 1982, dite convention de Montego Bay. Par ailleurs, ces recherches étaient freinées par les difficultés techniques : on n'a pas encore trouvé les moyens de faire de la récupération industrielle par 4 000 mètres d'eau. En outre, les conditions d'exploitation de ces nodules n'ont pas rendu ces gisements économiquement rentables et les efforts ont donc été mis en veille. La France a poursuivi ses discussions avec l'Autorité internationale des fonds marins et a obtenu un contrat d'exploration lorsque le régime juridique a été défini au niveau international, en bénéficiant du statut avantageux de l'investisseur-pionnier. La connaissance du gisement s'est améliorée depuis, mais on n'en est pas encore au stade de l'exploitation.

Au cours des trente dernières années, de nouvelles découvertes scientifiques ont été faites, avec deux nouveaux types de formation : les amas sulfurés ou les sources hydrothermales, des « cheminées » constituées par des dépôts de substances minérales à partir du tréfond, d'une part, et les encroûtements polymétalliques, d'autre part. On a découvert ces formations un peu par hasard, du fait d'anomalies géochimiques dans l'eau de mer et des prélèvements ont révélé la richesse en divers métaux de ces formations.

Ces nouvelles formations font l'objet de beaucoup de spéculations : on est à la charnière entre le scientifique et l'industriel. Les perspectives sont telles que le cadre juridique a progressé assez vite au plan international : le règlement pour l'exploration des amas sulfurés existe depuis deux ans et le règlement pour l'exploration des encroûtements devrait bientôt être rendu public.

On en reste aujourd'hui au stade de l'exploration. Dans les zones dans lesquelles les États exercent des droits souverains, le droit local s'applique. Certains groupements d'opérateurs miniers, tels Nautilus ou Neptune, ont déjà engagé l'aventure industrielle. Nautilus dispose ainsi de plusieurs titres d'exploration et vient d'obtenir le premier titre d'exploitation, pour des amas sulfurés situés au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L'exploitation n'a cependant pas commencé, car il faut encore obtenir l'autorisation de travaux et mettre au point les techniques industrielles. Parmi les fournisseurs de ces techniques, on trouve d'ailleurs une entreprise française active dans le domaine pétrolier, Technip.

Si la France exerce des droits souverains sur de vastes zones économiques, c'est l'outre-mer qui dispose, sur le plan prospectif, les cibles potentiellement les plus intéressantes, en l'état actuel des connaissances. En 2010, la France s'est ainsi intéressée à la zone économique au large de Wallis-et-Futuna, où les scientifiques suspectaient la présence d'amas sulfurés. Une campagne d'exploration a donc été lancée, associant l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), les opérateurs français - Eramet et AREVA - ainsi que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'Agence des aires marines protégées et Technip. Cette première campagne a confirmé les hypothèses scientifiques et permis la découverte d'ensembles volcaniques éteints et de sources hydrothermales en activité. Cette campagne a été suivie par une seconde en 2011, visant à reconnaître, autour des sources hydrothermales actives, non susceptibles d'exploitation, des sources hydrothermales inactives. Une troisième campagne est en cours, avec le même objet mais sur une autre zone.

On ne peut pas encore dire aujourd'hui que ces ressources constituent une richesse qui pourra être valorisée. Pour l'heure, on en est au stade de la vérification des hypothèses scientifiques. On attend avec intérêt le retour, au courant du mois de juin, du bilan des campagnes, afin de proposer le cas échéant au Gouvernement de poursuivre les opérations selon des modalités qu'il conviendra de déterminer. On pourrait devoir passer à l'octroi d'un véritable titre minier entraînant des dépenses plus importantes, alors que pour l'heure seule une autorisation d'exploration préalable a été accordée, ne donnant pas de droits à ceux qui investissent sur la zone, ce qui limite l'attrait pour les opérateurs.

Les autres zones économiques ne sont pas aussi intéressantes sur la base des connaissances actuelles.

S'agissant des zones internationales, le Comité interministériel de la mer a décidé l'année dernière de déposer une demande de contrat d'exploration pour les amas sulfurés, cette demande intervenant après celles formulées par la Chine et la Russie qui ont obtenu des contrats l'année dernière.

Les enjeux économiques représentés par ces ressources sont en voie d'approfondissement. Nous avons publié l'année dernière une étude prospective, en lien avec l'IFREMER, sur les ressources minérales des grands fonds marins. Des conjectures ont été faites sur la richesse des dépôts existant : les fourchettes sont très variables d'une zone à l'autre. On sait aujourd'hui que le gisement de Papouasie est probablement économiquement exploitable. Mais sans exploration complète de la zone et de très nombreux prélèvements, on en reste au stade des conjectures. Si les teneurs sont intéressantes, le procédé d'extraction peut être coûteux, réduisant d'autant l'intérêt de l'exploitation minière. Si le cours du minerai ne continue pas d'augmenter, les perspectives d'exploitation seront uniquement futuristes.

S'agissant de la connaissance environnementale, on a constaté qu'une vie intense se développait autour des amas sulfurés actifs. Les amas inactifs pourraient en revanche être exploités sans nuisance grave pour les écosystèmes.

À la différence des hydrocarbures, on en est donc aujourd'hui au stade de la recherche scientifique ou de l'exploration préalable. Le coût pour l'État est, dans ces conditions, difficile à évaluer. En 2010, l'État est intervenu à hauteur d'un peu plus de 2 millions d'euros pour la campagne lancée à Wallis-et-Futuna et l'IFREMER intervient à hauteur d'1 million d'euros par an. S'agissant de la campagne dans les grands fonds marins dans les eaux internationales, le dépôt de dossier a nécessité un financement de 500 000 dollars et le projet est programmé sur une quinzaine d'années.

Au niveau international, la Russie et la Chine disposent d'énormes moyens et cette dernière avance à marche forcée dans la recherche de ressources minérales non énergétiques. Les Français viennent ensuite, avec une avance scientifique liée aux travaux de l'IFREMER et la capacité de concourir dans les eaux internationales et dans des eaux où nous exerçons des droits souverains. Par ailleurs, l'Allemagne a obtenu une autorisation d'exploration sur les nodules dans une zone voisine de la nôtre ; le Japon et l'Inde s'intéressent également à ces questions. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Qu'en est-il du Brésil ?

M. François Bersani

Le Brésil s'intéresse essentiellement au pétrole. Les équipes brésiliennes ne sont pas aussi avancées que les françaises. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Et le rocher de Clipperton ? Ne dispose-t-il pas d'un gisement important de nodules ?

M. François Bersani

Les nodules sont situés au large de Clipperton, pas dans la zone des 200 milles où il n'y a pas eu de découverte à ce jour.

Par ailleurs, au large de la Polynésie, ont été découvert des encroûtements polymétalliques. Des investigations approfondies n'ont cependant pas encore été conduites. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

La Polynésie est aussi vaste que l'Europe. Disposez-vous de précisions à propos de ce gisement ?

M. François Bersani

On ne peut encore tracer de perspectives d'exploitation. Je rappelle cependant que certains gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie ne paraissaient pas exploitables et rentables il y a quelques années. L'évolution des cours du nickel et les progrès de la science ont changé la donne. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Merci pour cet exposé. S'agissant du Pacifique, une étude a été réalisée par le gouvernement local de Polynésie française, afin d'inventorier les ressources minérales situées dans la zone économique exclusive. Par ailleurs, l'université de Tokyo a annoncé avoir recensé 78 gisements de terres rares. Les interrogations portant sur les méthodes ayant conduit à cette annonce semblent sur le point d'être levées.

J'ai déposé une proposition de loi organique visant à rétrocéder la compétence en matière de métaux stratégiques à la Polynésie pour ce qui concerne sa zone économique exclusive. Première question : a-t-on clarifié la définition des métaux stratégiques ? Deuxième question : la France a formulé une demande au niveau international pour obtenir une autorisation de prospection préalable dans la zone internationale. Pourquoi avoir fait ce type de demande, alors que la France n'exploite pas le potentiel des eaux qui sont sous sa souveraineté ?

M. François Bersani

L'étude de l'université de Tokyo ne repose pas sur des campagnes de prospection intenses mais sur l'exploitation de résultats issus de quelques prélèvements. Nous avons beaucoup d'interrogations sur le caractère scientifique de la méthode utilisée.

Les terres rares sont un des composants du sous-sol marin. Leur dispersion pose la question de leur exploitabilité. Je vous rappelle que les encroûtements polymétalliques et les amas sulfurés constituent deux formations très différentes. Au large de Wallis-et-Futuna et dans la zone internationale, nous cherchons des amas sulfurés : nous pensons être prêts à passer assez rapidement de la recherche scientifique vers la recherche minière. On est donc déjà devant des réalités industrielles potentielles, et même au stade de la prospection préalable au large de Wallis-et-Futuna. On verra ensuite si on passe à la phase d'exploitation minière. S'agissant des encroûtements polymétalliques, nous sommes moins avancés et encore au stade de la recherche scientifique : leur exploitation sera également plus complexe car ils sont assez difficiles à broyer, surtout à grande profondeur. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

J'ai bien compris la différence entre les deux formations. L'étude japonaise porte cependant sur un troisième type de formation géologique, qui concerne notamment le large des Marquises.

M. François Bersani

Il s'agit des terres rares. La mise en valeur de ces « boues » pose problème du fait de la variabilité de leur teneur sur une zone et des méthodes d'extraction. Certains projets d'extraction ont été envisagés au début des années 1960 pour des boues métallifères en Mer Rouge. La teneur en terres rares est généralement faible.

La Chine dispose de l'essentiel de la production mondiale. Depuis plusieurs années, la recherche de terres rares a été relancée. Une mine entre aujourd'hui en production en Australie, les Américains remettent en production une mine... certains pays européens, les pays scandinaves, disposent de gisements un peu marginaux qui pourraient redevenir rentables si les cours restent élevés.

La France ne se désintéresse pas de la Polynésie et de son sous-sol. Pour les matières situées au large de ce territoire, on en est encore à la phase scientifique. En fonction des nouvelles découvertes ou de l'amélioration des connaissances, on pourrait passer à une phase pré-minière puis minière. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Qu'en est-il de la définition des métaux stratégiques ?

M. François Bersani

Il ne m'est pas possible de répondre de façon définitive à cette question. Une liste existe aujourd'hui, datant de 1959, qui porte sur les substances utiles à l'énergie atomique. Par ailleurs, le comité pour les métaux stratégiques, que j'ai évoqué tout à l'heure, mène une réflexion pour évaluer l'importance des divers métaux pour l'économie française. Le comité étudie l'intérêt économique mais aussi la problématique des sources d'approvisionnement. Au terme de ces études, une liste sera établie. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Nous connaissons les dégâts causés par les chalutiers. La méthode de collecte des nodules polymétalliques procède également du dragage. A-t-on mesuré par anticipation les dégâts potentiels et a-t-on déjà inventé une autre méthode de récolte ?

M. François Bersani

On n'a pas inventé de nouvelle méthode de récolte. Le dragage à 4 000 mètres de fond est compliqué, du fait des problèmes liés à la résistance des matériaux. Des recherches sont menées aujourd'hui sur ce sujet. Des prélèvements sont réalisés afin d'identifier et d'inventorier la vie présente au fond. Le but est d'amasser des connaissances qui seront présentées à l'Autorité internationale des fonds marins, comme justification de notre activité sur la zone, puisqu'il nous faudra démontrer que l'exploitation se fait dans le respect de l'environnement.

Des réflexions sont en cours sur des méthodes moins destructives : l'une consisterait à ne pas ramasser systématiquement, mais par sillons alternés. La question posée à l'IFREMER est donc la suivante : quelle largeur entre deux sillons permet la recolonisation des zones dévastées ? D'autres techniques, comme des robots broyeurs mobiles, sont également à l'étude afin d'éclairer au mieux les choix industriels à venir.

(Jeudi 31 Mai 2012)

Audition de M. Patrick Roméo, président de Shell France

M. Serge Larcher, président

Notre délégation à l'Outre-mer, créée il y a à peine six mois, s'est saisie de plusieurs sujets : après avoir planché ce matin sur une proposition de résolution européenne relative à la pêche ultramarine, elle s'intéresse cet après-midi au projet de prospection pétrolière dans les eaux guyanaises. Les enjeux des zones économiques exclusives ultramarines sont considérables. La délégation a confié l'étude de ce thème à trois rapporteurs, dont M. Jean-Étienne Antoinette, sénateur de Guyane, et M. Richard Tuheiava, sénateur de Polynésie française. Les ressources potentielles de ces ZEE - ressources halieutiques, énergies fossiles, énergies renouvelables, substances minérales stratégiques - sont autant d'espoirs de développement, dans un contexte de marasme économique.

Nos collectivités ultramarines sont souvent présentées comme des laboratoires, mais n'ont pas récolté les fruits de cette avance jusqu'à présent. Chaque projet doit donc chercher à produire localement des effets structurants et durables, permettant une diversification économique et le développement de véritables filières. Un développement équilibré suppose également des garanties environnementales : la biodiversité de nos outremers est un trésor à préserver. Il vous revient, monsieur Romeo, de nous démontrer que votre projet de prospection pétrolière répond à ces attentes et à ces objectifs. Je vous propose donc de procéder par séquences successives et de nous présenter le groupe Shell et la genèse du projet guyanais, le projet lui-même, les garanties offertes en matière de protection de l'environnement, les retombées économiques locales attendues et enfin les conditions nécessaires à la conduite du projet.

M. Patrick Roméo, président de Shell France

Je suis honoré d'avoir l'occasion de vous présenter notre projet et de répondre à vos questions. Le groupe Shell, première société européenne, est l'un des trois ou quatre plus grands pétroliers mondiaux. La société est implantée en France depuis 1919 ; en 2009, nous avons créé Shell Exploration-Production France, qui porte le projet guyanais.

À l'époque du réchauffement climatique, notre activité est-elle anachronique ? Ce qui va se passer d'ici 2030 est déjà écrit : c'est le résultat des investissements passés, aujourd'hui en cours de réalisation. Mais l'avenir énergétique à l'horizon 2050 et au-delà dépend des choix d'aujourd'hui. Or, la demande va énormément augmenter, voire doubler d'ici 2050 : il faudra produire en 35 ans l'équivalent de la capacité énergétique produite depuis le XIX e siècle ! La production aura du mal à suivre. Nous sommes à l'aube d'une période de pénurie énergétique. Il faut donc faire des choix de production. Je suis favorable à toutes les sources d'énergies, et fervent partisan des énergies renouvelables, mais il faut aussi produire du pétrole et du gaz. Nos choix d'investissement et de recherche répondent à trois objectifs : efficacité énergétique, recherche de nouvelles ressources, réduction de l'impact climatique.

L'augmentation de la demande tient avant tout à la croissance démographique. La Chine et l'Inde n'en sont encore qu'au début de leur développement économique et énergétique : si elles suivent le modèle de l'Europe ou de la Corée, leur demande triplera. Si la part du gaz dans la consommation énergétique globale doit augmenter d'ici 2050, et celle des énergies renouvelables s'envoler, celle du pétrole devrait rester autour de 30 %. C'est le charbon qui connaîtra la plus forte croissance. Il est donc important de produire du pétrole quand le potentiel géologique existe, afin de limiter la part du charbon. Sans compter l'avantage en termes de balance commerciale...

Le permis d'exploration de Guyane concerne une superficie de 24 100 km², qui s'étend de la frontière du Brésil à celle du Surinam, sur tout le bord du talus continental. Les profondeurs vont de 200 à 3 000 mètres ; nous avons déjà foré à 2 000 mètres. Le consortium réunit Shell, à 45 %, Tullow Oil à 27,5 %, Total à 25 % et Northpet à 2,5 %. Shell a succédé à Tullow Oil comme opérateur et porte-parole du consortium le 1 er février 2012. Fin 2011, le permis a été prorogé jusqu'en juin 2016 pour la troisième phase d'exploration. Nous avons déposé deux déclarations d'ouverture de travaux, la première pour démarrer les forages d'exploration et d'évaluation, soit quatre puits ; la seconde pour acquérir des données sismiques afin de détecter des réservoirs potentiels. Cela fait suite au travail déjà réalisé, qui a conduit à un premier forage en 2011 et à l'annonce de la découverte de puits.

Les fondations sont solides : nous avons accumulé de l'expérience, beaucoup collaboré avec les acteurs locaux, rassemblé leurs suggestions. Nous avons présenté au public et aux associations l'ensemble des données relatives à l'impact environnemental du projet. Nous travaillons avec les organismes scientifiques, les associations socioprofessionnelles et environnementales pour développer une approche collaborative.

Un navire de forage neuf, le Stena Icemax, est en route vers la Guyane depuis les chantiers navals de Corée ; il atteindra la zone en juin. Sur le plan technologique, ce navire, capable de forer en zone arctique, est ce qui se fait de mieux. Parallèlement, la campagne sismique démarrerait en juillet avec le navire Oceanic Phoenix. Nous sommes dans l'attente des autorisations.

Nous commencerions en juin le premier forage d'évaluation de la découverte annoncée en 2011, afin de déterminer l'étendue et le volume du gisement. La suite dépendra du résultat de ce forage. Un deuxième forage sera d'exploration, à 20 km du forage actuel, sur un autre gisement potentiel. Les deux forages qui suivront seront la conséquence des deux premiers : poursuite de l'évaluation ou exploration d'autres cibles.

Toute une zone a déjà été analysée au plan sismique ; nous demandons à l'étendre au nord-ouest, en direction du Surinam, pour poursuivre l'exploration. Les campagnes sismiques sont importantes pour valoriser ce patrimoine. http://www.senat.fr/senfic/neri_alain11105e.html

M. Alain Néri

Nous sommes à l'aube d'une pénurie énergétique, dites-vous, mais il faut tenir compte du coût de l'énergie. Dans ma région, les mines de charbon ont fermé car, étant donné le coût d'exploitation du charbon, elles n'étaient pas rentables. Si le prix des autres énergies s'envole, le charbon deviendra à nouveau compétitif !

Je comprends que vous soyez intéressé par la perspective d'un magnifique gisement au large de la Guyane, qui nous offrira peut-être une certaine indépendance énergétique. Mais, face à la dure réalité quotidienne, on est aussi en droit de s'interroger. Quid du raffinage ? Shell, en France depuis 1919, possédait la raffinerie de Petit-Couronne, qu'il a cédée en 2008 à Pétroplus. Aujourd'hui, la situation sociale et économique est dramatique, et Pétroplus en faillite. On comprend l'inquiétude des 550 salariés du site ! Faisons ensemble un peu de prospective : pourquoi ne pas raffiner le pétrole de Guyane à Petit-Couronne, qui est relié au port du Havre par un oléoduc ?

Enfin, si, par malheur, la raffinerie de Petit-Couronne fermait, il faudra dépolluer le site. Quelle sera l'implication de Shell, qui était propriétaire du site jusqu'en 2008 ? Il est hors de question que le coût soit exclusivement à la charge des collectivités locales !

M. Patrick Roméo

Le projet d'activité en Guyane, s'il aboutit, ne produira de pétrole qu'à partir de 2019... http://www.senat.fr/senfic/neri_alain11105e.html

M. Alain Néri

C'est demain !

M. Patrick Roméo

On ne peut conditionner l'avenir d'un site de raffinage à ce qui pourrait se passer, peut-être, en 2019. Il faut d'abord que le projet fasse la preuve de sa qualité pour qu'il y ait un investissement de production.

Votre seconde question nous entraîne assez loin de la Guyane... La dépollution n'est pas un coût ; elle est un investissement pour augmenter la valeur foncière d'un terrain avantageusement situé. La question est celle de la valeur foncière que le propriétaire du terrain réalisera par les activités de dépollution. http://www.senat.fr/senfic/repentin_thierry04090l.html

M. Thierry Repentin

M. Néri est élu du Puy-de-Dôme, moi de Savoie : nous ne sommes pas intéressés à titre électoral, mais en tant qu'élus de la Nation. La question de Petit-Couronne pose celle, plus large, des responsabilités sociétales des entreprises. Je souhaite que notre commission des Affaires économiques se saisisse de ces sujets, et j'attends avec impatience que l'Assemblée nationale renouvelle ses membres pour y travailler en commun.

Une grande société qui fait des profits doit être liée par un cahier des charges plus large que l'objet même de l'autorisation qu'elle demande, prenant en compte la nature de ses relations contractuelles avec l'État et ses responsabilités sociétales. Ces autorisations pourraient n'être délivrées qu'en contrepartie d'engagements à maintenir l'activité économique sur le sol national. Je serai très attentif sur ce sujet : on ne peut dissocier ce dossier de la présence, actuelle ou passée, du groupe Shell sur le territoire national.

Mon département subit deux délocalisations. Vous allez valoriser le foncier !, nous disent les grands groupes en cause. Avec de tels propos, vous vous mettez à dos les élus locaux, qui sont avant tout soucieux du maintien de l'activité économique ! Je demanderai que le Parlement fasse évoluer la législation pour introduire dans les appels d'offre un critère de responsabilité sociétale des entreprises lorsque l'entreprise a besoin d'une autorisation publique pour exercer son activité. Je suis en tout cas ravi que nous ayons eu ce débat !

M. Patrick Roméo

Connaissez-vous Shell ? Nous sommes une société exemplaire. Je n'ai aucun doute que nos engagements sociétaux historiques justifient largement la confiance que nous demandons qu'on nous accorde. http://www.senat.fr/senfic/tasca_catherine04056j.html

Mme Catherine Tasca

Les questions de mes collègues sont fondées ; elles expriment les préoccupations de la représentation nationale face aux enjeux globaux du développement économique. Mais ne brûlons pas les étapes... La Guyane est un territoire particulier, auquel nous sommes très attachés. Il faut veiller à concilier les évolutions économiques et environnementales. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le projet lui-même ? Quelles sont, d'ores et déjà, vos relations avec la population guyanaise et les élus ? http://www.senat.fr/senfic/revet_charles95062k.html

M. Charles Revet

En tant que sénateur de Seine-Maritime, je me dois d'intervenir, après les remarques de mes collègues. Je connais les préoccupations légitimes des 500 salariés de Petit-Couronne. Shell a pris des engagements. Ce n'est pas l'objet de la présente réunion, mais la commission des affaires économiques devra se pencher sur ce grave sujet au cours des prochaines semaines. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Poursuivons donc. Je note avec gourmandise que les hypothèses sont favorables en Guyane, et que ces ressources pétrolières pourraient alimenter les raffineries de France...

M. Patrick Roméo

J'en viens aux questions de sécurité et de protection de l'environnement. Un projet comme celui de Guyane ne peut être qu'exemplaire. Notre priorité est : zéro accident. On sait l'impact dramatique qu'un accident aurait pour les victimes, bien sûr, mais aussi pour l'image de la société, voire pour sa survie.

Shell compte parmi son personnel beaucoup de militants d'associations environnementales. Notre objectif est de minimiser l'impact de nos activités sur l'environnement. Comment développer une activité économique en Guyane si les Guyanais considèrent que le projet n'est pas conduit de façon responsable ? Nous n'avons pas la moindre envie de polluer. Nous avons la responsabilité de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour qu'il n'y ait pas d'accident, et pour minimiser l'impact sur l'environnement.

Nous avons une grande expérience en la matière : cela fait trente ans que nous y travaillons, nos installations sont exemplaires. Pour tenir l'objectif zéro accident, il faut avant tout faire énormément de prévention. Nos standards de conception, de construction et de conduite d'activité sont les plus stricts qui soient en termes d'élimination des risques.

La sécurité exige des matériels adaptés, des puits bien conçus, des équipements de sécurité redondants en cas de défaillance, etc. Ainsi, le Stena Icemax comporte non pas un mais deux systèmes d'obturateurs de puits. Il faut des spécifications techniques adaptées et mises à jour, des équipements maintenus constamment en bon état de fonctionnement et utilisés par des personnels formés et qualifiés. Il faut des systèmes de surveillance : en Guyane, la même activité est suivie en temps réel en parallèle par trois équipes, sur bateau, à Cayenne et à Houston. La sécurité est notre priorité absolue. Nous avons également défini des normes d'interruption des activités lorsque les courants sont importants, en application du principe de précaution, quitte à perdre quelques jours de forage. Cela fait partie d'une culture de la sûreté ! Tout cela suppose un énorme investissement en amont, dans les standards, l'équipement, la formation, la surveillance, la culture... qui font de Shell une société exemplaire.

Nos efforts étaient jusqu'ici essentiellement axés sur la prévention. L'accident BP Macondo montre qu'il faut aussi préparer l'intervention après un éventuel accident, aussi peu probable soit-il.

L'activité sismique emploie une technologie d'ondes acoustiques non destructrices. Selon toutes les études indépendantes, l'impact sur les poissons est négligeable au-delà de 200 mètres. En outre, nombre de ces animaux sont sensibles au bruit et s'écartent d'eux-mêmes ! Aucun impact environnemental n'a été documenté au cours des quatre campagnes sismiques menées en Guyane au cours des dix dernières années. Un inventaire des risques a été dressé par une société indépendante ; nous l'avons complété et avons mis en oeuvre des mesures préventives : observateurs des mammifères marins à bord, équipements de contrôle acoustique, procédures pour minimiser les perturbations, comme les démarrages progressifs. Nous minimisons l'impact et nous le mesurons, avant, pendant et après l'activité.

S'agissant des activités de forage, nous connaissons bien le milieu au large de la Guyane, pour y avoir foré pendant 260 jours en 2011. Lors de ce premier forage, aucun impact négatif sur l'environnement n'a pu être mesuré. Loin de s'éloigner, les poissons se sont concentrés autour des équipements immergés, et la zone est devenue un lieu de pêche ! http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

C'est l'effet DCP (Dispositifs de Concentration de Poisson) !

M. Patrick Roméo

Nous avons des règles strictes pour minimiser l'impact environnemental : maintenance et contrôle régulier des équipements, gestion des rejets, surveillance des navires, pas d'éclairage direct dans l'eau, réduction de l'empreinte carbone des bateaux de service, équipements en cas de déversement accidentel d'hydrocarbures.

En Guyane, la pollution due à un déversement accidentel resterait confinée en mer, grâce aux courants. La nature nous est favorable ! Même si des vents du nord poussaient la nappe vers les côtes, les courants contraires sont suffisamment forts pour nous laisser largement le temps d'intervenir. La première réponse tactique est de contenir la nappe sur le lieu d'épandage, puis d'interrompre la fuite à la source. La plupart des pollutions liées à ces activités sont petites, quelques dizaines de litres perdus, par exemple, au moment de l'avitaillement. Nous sommes équipés pour les contenir. Les navires disposent en permanence des moyens humains et matériels pour intervenir immédiatement et d'autres moyens sont disponibles à Cayenne et plus loin si nécessaire. Le Stena Icemax porte, je l'ai dit, deux systèmes d'obturateurs de puits pour interrompre une fuite à la source le cas échéant.

En cas de fuite plus importante, la meilleure réponse est de casser les molécules d'hydrocarbures en utilisant des dispersants non toxiques. La logistique d'approvisionnement est en place, avec des avions C130 à Trinidad et à Cayenne, et des moyens mobilisables à Georgetown et à Trinidad pour assurer la continuité de l'approvisionnement. En cas de situation extrême, des moyens supplémentaires sont mobilisables dans la région, et peuvent aussi être acheminés depuis l'Europe. http://www.senat.fr/senfic/archimbaud_aline11055m.html

Mme Aline Archimbaud

Je ne suis ni convaincue, ni rassurée... Vous ne pouvez nier que le risque existe. Dans son avis de mars 2012 sur la sécurité des plateformes pétrolières en mer, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rappelle que l'on a connu depuis 1976 une douzaine d'accidents majeurs. Le cadre juridique est encore incomplet, au plan européen et international. S'agissant de l'exploration préalable, le CESE préconise un meilleur respect du principe de participation du public au cours du processus d'attribution des titres et autorisations. Il préconise également le recours à une tierce expertise indépendante, dans l'intérêt général. À ma connaissance, ce processus n'est pas engagé aujourd'hui. Tenir quelques réunions d'information du public n'est pas associer la population au fond du dossier ! Nombre d'ONG et d'associations ont écrit au préfet, sans obtenir de réponse. Elles estiment que les risques encourus sont énormes, que les moyens d'intervention prévus en cas d'accident ne sont pas à la hauteur, et souhaitent être consultées tout au long du processus.

Ces premiers travaux exploratoires ont un coût considérable. Ne vaudrait-il pas mieux investir dans les énergies du futur ?

Enfin, toute atteinte à la biodiversité aurait des conséquences économiques et sociales catastrophiques : on sait l'importance économique de la pêche dans la région ! Attention aux « petites » pollutions qui deviennent grandes quand elles s'additionnent !

M. Patrick Roméo

Je participe depuis un an à des réunions avec les associations environnementales de Guyane. Je les ai invitées à participer à l'élaboration de nos systèmes. Elles ont décliné, ne voulant pas être coresponsables. Une association a claqué la porte de la commission de suivi et de concertation scientifique que nous avions mise en place pour étudier l'impact sur la biodiversité guyanaise. Je peux inviter, accueillir, mais pas retenir ! Notre propos est d'assurer un impact minimum sur l'environnement. Toutes les suggestions sont bienvenues !

Nous sommes en situation de pénurie énergétique. Je me félicite des investissements dans les énergies renouvelables, mais les sources d'énergie ne sont pas mutuellement exclusives : il faut aussi investir dans nos énergies. Ne me demandez pas de choisir entre misère économique et misère climatique ! Nous encourageons le développement de toutes les énergies. Shell est d'ailleurs leader dans le solaire, dans l'éolien, dans la biomasse, mais notre coeur de métier demeure la prospection pétrolière. Le monde a besoin d'énergie, la pénurie n'est pas acceptable.

Je sais l'importance de la pêche ; nous rencontrons les pêcheurs, notamment dans le cadre du groupe de travail sur l'action en mer. Nous sommes les premiers à leur apporter des réponses structurantes : création de coopérative de pêcheurs à Cayenne, réduction de la pénibilité, établissement de la connaissance halieutique. Nous sommes des marins, nous avons besoin de marins. Les écoles de formation aux métiers de la mer ne doivent pas produire des chômeurs...

Enfin, Shell assume sa responsabilité. Si nous devions être à l'origine de dégâts sociaux et environnementaux, nous serions là pour les réparer. C'est l'engagement de notre société. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

La production d'hydrocarbures est un enjeu historique pour le développement de la Guyane, comme pour la France hexagonale. Attention toutefois à la protection de la biodiversité. Les associations guyanaises de protection de l'environnement se sentent exclues du processus de décision. La Charte de l'environnement impose pourtant cette participation de la population. Les organisations et associations sont-elles réellement associées aux décisions ?

Un rapport du parlement britannique de 2011 a souligné l'expertise des consortiums pétroliers sur les volets industriels et financiers mais pointé des défaillances dans le domaine environnemental. La gouvernance a-t-elle été rééquilibrée ? Il y a un vide juridique dans le code minier, des zones d'ombre dans la réglementation internationale qui laissent la porte ouverte à des pratiques non conventionnelles. Il faut prendre les mesures nécessaires pour rassurer le grand public et faire partager un projet de développement.

Quels seront les procédés de forage retenus lors de la prochaine phase d'exploration ? Lors de la première phase, il y avait eu débat avec les associations, avant que le préfet ne tranche en votre faveur.

Que sait-on des risques géomorphologiques liés aux études de comportement de la couche d'hydrocarbure par prélèvement ? Sur les courants, votre analyse ne fait pas l'unanimité : selon certains spécialistes, les courants vont parfois vers les côtes !

Avez-vous pris en compte les migrations saisonnières de la faune aquatique ? Il paraît étonnant qu'il puisse y avoir une zone sans poissons... Quid de la fameuse tortue luth ?

Enfin, a-t-on une idée de la taille du gisement attendu lors de la phase d'exploitation ?

M. Patrick Roméo

Nous travaillons sur des données, pas des sentiments. Les données de courantologie sont fondamentales pour les marins que nous sommes : c'est notre coeur de métier ! Nous avons mené des recherches considérables sur les courants au large de la Guyane, fait des relevés pendant les 260 jours que nous avons passés en mer. Les courants sont très majoritairement orientés vers le large. Une tierce expertise ? Ces données techniques, scientifiques, sont validées par la marine nationale, par le Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE). Nous sommes équipés pour le cas, rare, où le courant serait orienté vers Cayenne. La probabilité que le pétrole atteigne la mangrove est très faible mais, si cela devait arriver, les moyens d'intervention sont prêts.

C'est pour tenir compte des migrations saisonnières que nous démarrons en juillet : nous avons choisi la meilleure période possible en fonction des migrations, notamment des tortues, et des courants et vents. Ces données sont accessibles sur Internet et ont été présentées aux associations à Cayenne. La faible densité de poissons est un fait reconnu par l'Ifremer : nous avons fait des relevés mensuels. Des expertises indépendantes nous conduisent à proposer l'activité qui aura l'impact le plus faible sur l'environnement.

Je suis fier d'annoncer que nous allons utiliser des fluides synthétiques de forage qui nous avaient été interdits il y a un an, car c'est un facteur majeur de sécurité. Si nous utilisons un fluide synthétique coûteux plutôt que de l'eau, c'est parce qu'il est efficace, biodégradable, non toxique selon la classification REACH, et qu'il réduit le risque. Vingt ans de recherche en ont démontré l'innocuité. Les services de l'État ont d'ailleurs jugé que notre approche était la meilleure. Les données sont publiques. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Qu'en est-il des capacités attendues ?

M. Patrick Roméo

Nous demandons à l'État l'autorisation de forer afin de pouvoir répondre à cette question ! http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Nous n'attendons pas une réponse précise aujourd'hui, mais un ordre de grandeur.

M. Patrick Roméo

Quand nous avons lancé le premier forage, nous n'avions qu'une chance sur dix de trouver des hydrocarbures. Nous avons validé notre hypothèse et gagné notre pari. Mais je ne peux dire quelles quantités pourront être produites : c'est précisément l'objet du travail que nous entamons. Je pense que le jeu en vaut la chandelle, ce qui ne veut pas dire que le succès est garanti. Nous pourrions, par exemple, trouver du pétrole dispersé en petites quantités sur une grande surface... http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Les études géologiques vous permettent tout de même de dire que cette partie du monde présente un potentiel.

M. Patrick Roméo

Elle est censée être le miroir de l'Afrique de l'Ouest, et pourrait donc présenter le même potentiel. Mais il y a loin d'une considération générale à un projet commercial ! Nous lançons le travail sur des fonds privés, preuve que l'industriel a la foi, sinon la certitude. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Le gisement pourrait-il être l'équivalent de celui du Qatar ?

M. Patrick Roméo

Sûrement pas. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

En saura-t-on davantage d'ici la fin de l'année ?

M. Patrick Roméo

Nous saurons alors s'il y a une vraie opportunité, si le deuxième puits d'évaluation valide nos hypothèses. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Je retiens que la présomption est très favorable. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Vos installations auraient un effet DCP. Mais elles sont entourées d'un périmètre de sécurité qui entraîne une interdiction d'approcher ! Dès lors, comment peut-on parler de DCP ?

M. Patrick Roméo

Il ne s'agit pas d'un DCP officiel, mais de fait. On peut imaginer installer de véritables DCP, à finalité de pêche, mais c'est une question d'aménagement. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

L'effet DCP n'est donc pas exploitable... Là où il y a peu de poissons, il y en aura beaucoup : il faudra penser à protéger toute cette chaîne alimentaire ! Le problème demeure entier.

M. Patrick Roméo

Il n'y a aucun antagonisme entre nous et les poissons ! Nous sommes au contraire les meilleurs observateurs des espèces, nous disposons des meilleurs ichtyologues. Nous avons besoin de connaître le milieu pour mesurer l'impact qu'entraînerait un développement commercial. L'effet DCP ne doit pas être considéré de façon négative. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Quelles seraient les retombées économiques locales en Guyane ? http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Shell a succédé à Tullow Oil comme opérateur, mais ce dernier reste membre du consortium. Pourquoi ce changement ?

Dans l'architecture actuelle, il est prévu que le pétrole soit directement acheminé vers les raffineries, sans transiter par la Guyane. Dès lors, quelles retombées les Guyanais peuvent-ils espérer ?

M. Patrick Roméo

Un consortium désigne toujours un opérateur pour offrir une interface unique. Il est légitime de choisir la société qui détient la plus grosse part du projet. C'est une démonstration de notre engagement. Les décisions stratégiques, comme le choix des lieux de forage ou le budget, sont cependant prises par l'ensemble des partenaires. C'est ensuite Shell qui met en oeuvre le projet, avec ses standards, ses équipes. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Les autres partenaires suivent-ils vos standards ?

M. Patrick Roméo

Il n'y en a qu'un, celui de Shell, qui est le standard de référence dans l'industrie.

Le projet a des retombées dans quatre domaines, qui font chacun l'objet d'un sous-groupe de travail du comité de suivi et de concertation : la formation et l'emploi, la stimulation du tissu économique local, la coopération scientifique, les actions en mer.

Le résultat de l'activité de prospective conditionne l'exploitation future, mais le projet a déjà des retombées locales à travers les appels d'offre, l'utilisation des infrastructures guyanaises, la création d'emplois directs et indirects. Déjà, 25 emplois directs sont en cours de création chez Shell, ainsi que 60 emplois indirects. Nous préparons le long terme dès aujourd'hui. Il faut trois à cinq ans d'expérience pour être qualifié « pétrole ». Nous lançons donc un programme de formation et de recrutement pour répondre aux besoins : les recrues seront employées dans nos métiers hors de Guyane en attendant que le projet arrive à maturité. Plusieurs sociétés participent à ce programme, dont Schlumberger, Endel, SARA, etc. Nous lançons donc les formations et les recrutements sans même attendre la confirmation de la viabilité du projet ! http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Il est normal que la Guyane soit privilégiée, mais n'oublions pas les autres départements français d'Amérique !

M. Patrick Roméo

Il y a un pilotage politique qui relève des élus. Nous recrutons déjà, en CDI, en assumant qu'il n'y aura peut-être jamais de projet. Sachez qu'il faut cinq ans à un soudeur pour être qualifié « pétrole » ! C'est un engagement novateur et très fort. Les entreprises sont prêtes à recruter à des fins de qualification dans les métiers dont nous aurons besoin ; il reste à structurer l'offre, à identifier les personnes susceptibles d'être recrutées : c'est le rôle du monde éducatif. Il faut une coordination d'ensemble pour mettre en relation la personne et l'opportunité. Le pilotage relève de la mission de concertation locale. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

La maîtrise de l'anglais est-elle une condition ?

M. Patrick Roméo

L'anglais est en effet important dans le monde du pétrole. Cela relève du pilotage. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Le partenariat avec le rectorat est déterminant, car ce dernier, qui a pour consigne d'adapter la formation aux marchés d'aujourd'hui et de demain, peut décider de la création de filières au lycée. Le partenariat avec les territoires est fondamental. Nous vous encourageons à poursuivre dans cette voie ! http://www.senat.fr/senfic/archimbaud_aline11055m.html

Mme Aline Archimbaud

On sait que les engagements cessent parfois d'être tenus au bout de quelque temps : les directeurs changent, et les promesses s'envolent ! Il faudrait un cadre qui garantisse la pérennité des engagements que vous prenez aujourd'hui en matière de recrutements. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Nous applaudissons cette démarche, même si nous resterons vigilants. Ce n'est qu'au bout de trente ans que le spatial a fini par créer des emplois guyanais ! Ne répétons pas les erreurs du passé. Je salue l'anticipation des recrutements, mais il faudra réfléchir à un cadre conventionnel pour garantir que ces engagements seront tenus dans la durée.

M. Patrick Roméo

Les grands élus font partie du pilotage. Le chantier est en cours. Je demande un pilotage politique : la formation de la population est de la responsabilité de l'État et de la Région. Nous sommes capables de structurer la demande et d'assurer un engagement à long terme. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

J'estime que cela vaut engagement devant la représentation nationale ! http://www.senat.fr/senfic/tasca_catherine04056j.html

Mme Catherine Tasca

Il faudrait établir un lien, sous forme conventionnelle, entre l'autorisation que vous sollicitez et cet engagement de formation, ne serait-ce que pour des raisons d'affichage. Vous dites vouloir informer et associer la population à l'élaboration de ce projet, mais les associations ne l'ont pas forcément perçu... Inscrire dans le marbre cet engagement de formation apporterait une réponse concrète à leur demande de participation. Il faut préparer les nouvelles générations à participer à cette aventure !

Outre la Guyane, dans quelles parties du monde avez-vous des forages en cours ?

M. Patrick Roméo

Nous sommes très présents au Brésil, en Guyana, et nous sommes leaders dans le golfe du Mexique.

Nous sommes une industrie complète, qui propose un spectre de métiers larges, à tout niveau de qualification. Pour une unité d'extraction au large, nous employons en moyenne deux équipes de 70 personnes au large ainsi qu'une de vingt personnes à terre, soit 160 personnes. En général, on compte qu'un emploi Shell génère quatre emplois indirects de spécialistes du pétrole ; quant aux emplois induits, le ratio est de un pour un. Les capacités actuelles de la Guyane sont peu développées dans certains secteurs - peu de soudeurs ou de chaudronniers -, davantage dans d'autres. Un mécanicien sur plateforme doit avoir quatre à cinq ans d'expérience ; la formation étant de type DUT-BTS, il faut recruter par anticipation. Initialement, les responsables, qui justifient de quinze ans d'expérience au moins, seront extérieurs, mais à terme, ils pourront être Guyanais. Les cibles de recrutement sont des profils bac+2, mais aussi CAP ou BEP. Enfin, notre industrie peut être une voie de réinsertion, car tous les métiers n'exigent pas de grande qualification.

Deuxième retombée : la stimulation du tissu économique local. Il paraît naturel que les entreprises guyanaises fournissent l'essentiel des métiers indirects et induits. Les petites entreprises locales devront être accompagnées afin de pouvoir se conformer aux normes strictes des appels d'offre, par exemple en matière de qualité alimentaire. Il faudra également inciter contractuellement nos propres fournisseurs à s'approvisionner localement.

Troisième axe : la coopération scientifique. Nous développons une connaissance approfondie du milieu, finançons des thèses et participons à des études en cours.

Le quatrième point concerne les actions en mer : soutien au secteur de la pêche, plan de développement des activités maritimes, aide à la constitution de coopérative de pêcheurs, recherche sur des moteurs plus adaptés, etc. C'est l'objet du dernier groupe de travail, qui associe notamment les pêcheurs. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Combien d'actions de ce genre menez-vous ? Combien de personnes seront-elles employées en moyenne ?

M. Patrick Roméo

J'ai cité le chiffre de 160 personnes par unité d'extraction. Le nombre total dépendra du projet qui sera effectivement développé. Nous explorons plusieurs réservoirs : peut-être y aura-t-il deux champs ! http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Où en êtes-vous des discussions avec les autorités régionales sur les infrastructures ? Lors de la première phase de forage, vous avez utilisé le port du Surinam. Qu'en sera-t-il pour la phase d'exploitation ?

M. Patrick Roméo

Pour l'exploration, notre base primaire est Trinidad, notre base secondaire, Cayenne. Pour le forage, nous utiliserons davantage Cayenne. Nous avons réservé 2 000 m² sur le port, et nous assurerons l'avitaillement depuis Cayenne, et non plus depuis Trinidad. Nous sommes contraints par la disponibilité du port. À terme, si nous lançons l'exploitation en mer, il faudra une infrastructure portuaire « pétrole » en Guyane. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Y a-t-il un effet coût ?

M. Patrick Roméo

Trinidad est à 4 000 km, Cayenne à 150 : son port devrait être compétitif ! http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Avez-vous déjà des échanges avec les autorités régionales pour réaliser un port dédié ?

M. Patrick Roméo

Il est encore trop tôt, mais il faudra réfléchir d'ici la fin de l'année à une extension temporaire du port de Cayenne. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Je reviens à Petit-Couronne. La société Shell s'inscrit-elle dans une logique de filière, de la production au raffinage ?

M. Patrick Roméo

Shell est déjà un leader mondial intégré, de la production à la vente. Le raffinage représente une activité très significative, mais le site de Petit-Couronne ne s'inscrit pas dans nos orientations à long terme. La basse Seine compte déjà deux raffineries beaucoup plus importantes, que Petit-Couronne n'est pas de taille à concurrencer. Nous avons choisi d'investir dans d'autres projets. L'acquéreur de ce site était à l'époque qualifié pour développer cette activité. Le choix des lieux de raffinage dépend de critères de marché, or sur le marché français, caractérisé par la vente de carburant par les grandes surfaces, nous ne pouvons développer un grand réseau de stations-service. http://www.senat.fr/senfic/antoinette_jean_etienne08072b.html

M. Jean-Étienne Antoinette

Et si le gouvernement conditionnait le permis d'exploitation à la reprise du raffinage à Petit-Couronne ?

M. Patrick Roméo

Ce serait illégal : rien, dans un État de droit, ne le justifierait. Les deux choses sont indépendantes. Nous respectons la loi, nous répondons aux critères techniques et économiques. Ce serait de la discrimination ! http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Si l'on trouve abondance de pétrole, sera-t-il raffiné en Martinique par la SARA ?

M. Patrick Roméo

La SARA nous approvisionne en carburant. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

La SARA fait venir son brut de mer du Nord, à grand frais. L'alimenter par du pétrole guyanais, que l'on dit peu lourd, permettrait de réduire les coûts de production.

M. Patrick Roméo

Cette question devra être étudiée si le projet réussit. On ne peut anticiper. http://www.senat.fr/senateur/mohamed_soilihi_thani11072n.html

M. Thani Mohamed Soilihi

Y aura-t-il des étapes d'ici l'échéance de 2019 ? Quand saura-t-on avec certitude si le projet sera concrétisé ?

M. Patrick Roméo

Il y a à cela deux conditions : la géologie, d'une part, la stabilité fiscale et juridique, d'autre part. Nous avons connu une évolution fiscale tous les treize jours au cours des cinq dernières années ! Difficile d'imaginer un tel investissement sans un minimum de discussion sur cet aspect. La stabilité fiscale et réglementaire sera déterminante dans la décision d'investir ou non. Si le projet se concrétise, la décision d'investissement pourrait être prise dans deux ou trois ans. Ensuite, encore deux ou trois ans pour construire, puis un an pour démarrer... ce qui nous conduit en 2019. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Je vous propose de nous revoir pour creuser ce dernier sujet. Nous avons eu plaisir à échanger avec vous. Ce projet montre que l'outre-mer n'est pas un handicap pour la France, encore moins une danseuse, mais bien un atout !

(Mardi 13 Novembre 2012)

Audition de M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer, accompagné de Mme Marie-Pierre Campo

M. Serge Larcher, président

Nous voilà à nouveau réunis pour trois jours de travaux en séance plénière de notre délégation. La rencontre riche et passionnante organisée hier avec l'Institut national de l'audiovisuel sur le thème des mémoires audiovisuelles des outre-mer donnera lieu à des actes assortis d'un DVD, comme nous l'avions fait pour la rencontre du 9 mai dernier.

Nous renouons maintenant avec le thème des zones économiques exclusives et de leurs ressources. Les auditions prévues se concentrent sur les sujets miniers et les énergies marines, c'est-à-dire les perspectives d'avenir.

Jeudi matin, nous auditionnerons deux ministres du gouvernement polynésien par visioconférence, par souci d'économie, tant pour le budget du Sénat que pour celui de la Polynésie française.

Je souhaite la bienvenue au délégué général à l'outre-mer, Vincent Bouvier, que nous avons récemment entendu sur les perspectives européennes des régions ultrapériphériques et je le remercie de sa disponibilité.

Notre délégation a désigné trois co-rapporteurs sur les ZEE : Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau, qui a succédé à Jean-Marie Bockel 173 ( * ) , et Richard Tuheiava.

M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer

Merci de m'auditionner sur ce sujet stratégique pour nos outre-mer. Ceux-ci représentent 97 % de notre zone économique exclusive, et c'est grâce à eux que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial. Face à la concurrence mondiale, nous devons inventorier, protéger et exploiter nos ressources.

Quelles sont les orientations majeures de notre politique maritime ? Notre stratégie nationale pour la mer et le littoral se décline par bassin, dont quatre bassins ultramarins : les Antilles, la Guyane, l'Océan Indien et Saint-Pierre-et-Miquelon.

À la suite du Grenelle de la mer, le Comité interministériel de la mer du 8 décembre 2009 a mis en exergue la nécessité de développer la politique marine des outre-mer, et adopté un Livre bleu, qui doit aussi être décliné par région.

Cette orientation a été confirmée par la réunion du 11 juin 2011, lors de laquelle a été décidée la réforme portuaire. Bien entendu, la politique nationale doit être coordonnée au niveau européen : en octobre dernier, les ministres de la mer des États membres ont adopté à Limassol une déclaration commune qui insiste sur l'innovation et le développement économique.

Enfin, lors de la campagne présidentielle, M. Hollande a défini les trois axes de notre politique maritime : gérer et protéger notre important littoral, exploiter durablement nos ressources marines, renforcer la gouvernance de la mer et du littoral. En tout état de cause, la mer est l'un des grands enjeux du XXI e siècle.

La délégation ayant déjà travaillé sur la pêche et l'aquaculture, je me limiterai aux ressources énergétiques.

D'abord, les hydrocarbures. Ils sont présents aux îles Éparses, à Saint-Pierre-et-Miquelon et, surtout, en Guyane, à 150 km au large de Cayenne. Le pétrole sera peut-être à la Guyane ce que le nickel fut à la Nouvelle-Calédonie... Cette découverte nous impose à la fois un devoir de gestion et de protection. Pour la Guyane, un arrêté du 22 décembre 2011 a prolongé de cinq ans un permis de recherche accordé à Shell, ou plus exactement à un consortium qui réunit entre autres Shell et Total. Six autres demandes sont en cours d'instruction. Deux arrêtés de janvier 2011 et de mars 2012 ont accordé des autorisations de travaux. Celles-ci ont été attaquées par des associations. C'est pour examiner les conséquences de l'exploration qu'un comité de suivi et de concertation avec les partenaires a été créé. L'État a également confié à Mme Duthilleul, ingénieur général des mines et présidente de l'ERAP, une mission d'accompagnement pour faire bénéficier la Guyane des retombées du pétrole et concilier impératif économique et devoir de protection de l'environnement ; elle a rendu un rapport d'étape en janvier 2012. La commission de suivi et de concertation se réunit régulièrement ; quatre groupes de travail ont été créés : sécurité et environnement, recherche, formation et retombées.

Deuxième ressource : les énergies marines renouvelables. L'objectif fixé par le Grenelle est très ambitieux : l'autonomie énergétique en 2030, 50 % en 2020. Nous en sommes loin. Énergie houlomotrice, climatisation par les eaux en profondeur, biomasse marine, éoliennes offshore , le panel est large. Sont développés en outre-mer de nombreux projets innovants : énergie thermique marine en Guyane et à la Martinique, climatisation par les profondeurs marines à La Réunion : c'est le projet SAC, Seawater Air Conditioning . Cela dit, restent des obstacles à surmonter, comme les freins technologiques - pour adapter, par exemple, l'éolien marin aux cyclones -, les tarifs de rachat et la prise en charge du risque industriel. Pour l'heure, de très grands groupes privés et parapublics s'intéressent à ces projets ; c'est dire leur intérêt.

Troisième ressource, les biotechnologies marines. Ainsi, les algues ont des débouchés sanitaires - la station marine de Roscoff exploite les oeufs des étoiles de mer pour fabriquer des médicaments anti-tumoraux - énergétiques, cosmétiques, alimentaires... Nous en sommes encore au stade de l'expérimentation.

Quatrièmement, les ressources minérales profondes : nodules polymétalliques, terres rares et encroûtements sulfureux difficiles à exploiter mais intéressants. Au large de Clipperton et de Wallis-et-Futuna, les ressources en nodules polymétalliques sont importantes. La concurrence est rude : les Chinois qui détiennent 35 % de la ressource en terres rares, l'exploitent à 95 %. Raison de plus pour développer cette activité.

J'en viens au contexte juridique. Il convient de le stabiliser rapidement, notamment sur la répartition des compétences en matière minière, entre État et collectivités. Le 5 septembre, la ministre de l'écologie a présenté les grandes lignes de la réforme du code minier. Un projet de loi est attendu pour début 2013. Ce texte a plusieurs objectifs : mise en conformité du code minier avec la Charte de l'environnement, notamment son article 7, révision des procédures, prise en compte des enjeux environnementaux, refonte du droit des installations classées, réforme de la fiscalité minière, adaptation aux spécificités ultra-marines, responsabilité sociale des entreprises.

Un groupe de travail informel, présidé par un conseiller d'État, M. Tuot, et auquel participe la délégation, travaille à un avant-projet de texte avec Mme Duthilleul. Parallèlement, le gouvernement a lancé un travail de codification de la partie réglementaire du code minier. Enfin, la répartition des compétences entre l'État et les collectivités est à l'étude. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, le transfert est déjà achevé. Cela pose question en Polynésie : comment définir les ressources stratégiques qui relèvent de l'État ? Les terres rares en font-elles partie ? A priori , oui, mais la question n'est pas encore tranchée.

Je termine sur les moyens. Nous avons des ressources considérables outre-mer, pour l'innovation technologique et le développement économique de la France et de chacun des territoires d'outre-mer. L'outre-mer est une chance pour la France, mais la mer est aussi une chance pour l'outre-mer ! Nous avons aussi un devoir de protection, sans quoi tout cela restera un voeu pieux. Si nous voulons protéger le deuxième domaine maritime mondial de la pêche illégale et du pillage, nous devons avoir des forces de souveraineté suffisantes : par exemple, un nombre suffisant de bateaux de la Marine nationale. Le sujet est d'actualité à l'heure où l'on révise le Livre blanc de la défense. Dans les difficiles arbitrages à venir, il faudra insister sur la priorité de l'outre-mer.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Merci pour cet excellent exposé. Au fil des auditions se dégage une tendance : tout le monde se félicite de ce que la France, grâce à l'outre-mer, détient le deuxième domaine maritime mondial. Mais quid de l'enracinement de cette politique ? Les collectivités guyanaises n'ont pas été informées des permis de recherche délivrés sur les hydrocarbures, sinon par la presse. Une concertation préalable est nécessaire ; la LODEOM la prévoit d'ailleurs pour les permis d'exploitation mais l'on attend encore ses décrets d'application. Sans concertation, il est impossible de mettre en place les filières, d'accompagner cette industrie.

Aujourd'hui, le port d'attache de la plate-forme guyanaise est Paramaribo, au Surinam, et non Cayenne. À quand un tournant dans la gouvernance et dans l'enracinement des projets ?

Dernier point, où en est la coopération avec les pays limitrophes, celle de la Guyane avec le Brésil et le Surinam ou celle de La Réunion avec Madagascar ?

M. Serge Larcher, président

À l'évidence, l'outre-mer présente de grandes potentialités pour la France, mais concrètement, quels sont les projets en matière de terres rares, de biotechnologies marines ? Avons-nous une stratégie pour mettre en valeur ces ressources ?

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

L'outre-mer est-il intégré dans la réflexion sur la révision du Livre Blanc ?

M. Michel Vergoz

Parlons clair : les ultramarins que nous sommes avons le sentiment, voire la certitude que nos intérêts sont insuffisamment pris en compte. À votre avis, comment faire pour ne pas être perpétuellement à la remorque ? Nous essayons de parler d'une seule voix sur la pêche...

Un contre-amiral est désormais, je crois, secrétaire général adjoint de la mer. Enfin, on agit ! On reconnaît l'importance de la mer.

M. Vincent Bouvier

Je conviens que la prise de conscience du fait maritime est récente. En 2008, on avait d'abord oublié l'outre-mer dans le Livre Blanc de la défense ! Concernant les hydrocarbures, il y a une volonté de concertation, de régler la question de la répartition des compétences. L'outre-mer a aussi besoin de ports adaptés aux besoins de développement. Mais les territoires devront se mettre d'accord : il n'y aura pas de grands ports partout.

La coopération ? Oui, il faut la renforcer avec les pays voisins, l'Europe et les grandes organisations non gouvernementales internationales de protection de l'environnement. Un exemple, nous coopérons avec la Dominique sur un projet d'exploitation géothermique.

La stratégie ? L'État, via ses grands instituts, soutient la démarche des grandes entreprises. Néanmoins, certains domaines comme les biotechnologies sont au stade de l'expérimentation ; d'où parfois une impression de tâtonnement.

Le Livre Blanc de la défense? Pour participer à un groupe de travail sur sa révision, je mesure qu'il y a une volonté, pour le dire brutalement, de ne pas oublier l'outre-mer contrairement à ce qu'il s'était passé la fois précédente.

Monsieur Vergoz, je l'ai dit, la prise de conscience de l'importance de la mer est récente. L'État a un rôle essentiel à jouer, mais les collectivités doivent aussi prendre leurs responsabilités.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

La France paraît absente de la compétition internationale. Quand elle cherche à combler son retard, elle commet souvent des erreurs : voyez la Polynésie française. Avons-nous donc une stratégie ? Où en est le projet Extraplac ? Des Japonais ont trouvé les terres rares chez nous... D'où ma proposition de loi tendant à rendre la Polynésie française compétente en matière de ressources stratégiques, à l'exclusion des minerais nucléaires.

Dans le cadre du groupe informel sur le code minier, pourquoi mettre l'outre-mer à la fin ? L'administration doit changer d'approche.

M. Vincent Bouvier

La France est-elle en retard ? En tout cas, nous voulons une vraie stratégie de développement maritime. Quant au projet Extraplac, il est toujours d'actualité : nous discutons avec les Canadiens.

La répartition des compétences est une question centrale, qui concerne aussi la Polynésie française. Le sens du mot « stratégique » reste à définir.

M. Serge Larcher, président

En ce qui concerne les terres rares, des permis ont-ils été accordés ?

Mme Marie-Pierre Campo

La Jamaïque a accordé un permis d'exploitation à L'IFREMER sur la dorsale océanique. Cela aura des implications indirectes sur l'outre-mer.

M. Serge Larcher, président

Les Japonais ont opéré des prélèvements au large des Marquises sans autorisation. Nous retrouvons la problématique du Livre Blanc : comment protéger nos ressources ?

M. Vincent Bouvier

Vous connaissez certainement les difficultés budgétaires. Il faudra faire des choix. Les projets industriels et énergétiques constituent de vraies vitrines technologiques, des premières mondiales parfois. En matière de recherche, la France est très bien placée.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Un rapport de Jacques Blanc en 2011 mettait en exergue la vulnérabilité du marché européen en ce qui concerne l'approvisionnement en ressources minérales destinées aux technologies de pointe. Une volonté de diversification des provenances existe-t-elle ?

M. Vincent Bouvier

Nous sommes certes dépendants, mais nous n'avons pas de difficultés d'approvisionnement à ce jour.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Le rapport parlait d'une perspective de vulnérabilité.

M. Vincent Bouvier

Certes, mais dans un contexte de raréfaction des ressources.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Pour les enjeux marins, l'État a-t-il une stratégie de financement des projets ? La politique fiscale d'aide au photovoltaïque a été erratique ...

M. Vincent Bouvier

Il faut des solutions acceptables, notamment sur les tarifs de rachat. L'ADEME a des moyens, certes insuffisants. Nous voulons aussi recourir aux fonds européens. Rien n'est pire que l'hésitation : le ministre de l'outre-mer a rappelé son souci de stabiliser le droit, et notamment les règles fiscales.

M. Serge Larcher, président

Merci de vos éclaircissements. Nous n'en sommes qu'au début du chemin. Tirons mieux parti des richesses de l'outre-mer !

Audition de M. Michel Paillard, département des énergies renouvelables marines, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président

Que fait-on des ressources marines de l'outre-mer ? Pensez-vous dresser un état des lieux des énergies marines renouvelables, des atouts ultramarins, de la concurrence internationale ? Quels sont les projets de l'IFREMER les plus aboutis ? Quelles sont ses perspectives à long terme ? Quels sont les aménagements envisagés pour mieux exploiter ces ressources - infrastructures, formation, etc. ?

M. Michel Paillard

Je me limiterai aux énergies marines.

L'éolien se décline en éolien posé, jusqu'à 40 m de profondeur, et flottant. On produit aujourd'hui principalement en Europe, mais aussi ailleurs, plus de 4 000 MW en éolien offshore , plus de 6 000 MW sont en construction et des dizaines de milliers en projet. La filière a atteint sa maturité, ce qui ne signifie pas que la recherche cesse. Bientôt, on ira vers des installations de 10 MW qui feront jusqu'à 180 m de diamètre, contre 6 MW pour 120-150 m de diamètre aujourd'hui. Il y a deux projets français d'éolien flottant, technique qui permet d'aller plus loin des côtes. Cela évite des conflits avec la pêche ou la protection du paysage.

J'en viens à l'énergie marémotrice. L'usine de la Rance date de 1966, elle avait été inaugurée par le général de Gaulle. Il y a aussi des installations récentes, en Corée par exemple, des projets au Royaume-Uni, mais cette technique très intéressante pose des problèmes environnementaux.

Les hydroliennes tirent parti de l'énergie cinétique, des courants marins. Il existe une dizaine de projets pionniers, et un projet de parc au large de la Bretagne ; il faut encore faire baisser les coûts. Le potentiel est faible au niveau mondial, mais comme les marées, les courants sont prévisibles : on sait donc ce qu'ils vont produire.

En revanche, l'énergie de la houle représente un potentiel immense, très bien réparti sur toutes les mers du monde ; le jour où les techniques seront prêtes leur rentabilité sera grande, notamment dans des îles ou archipels isolés.

Quant à l'énergie thermique des mers, le projet d'une centrale de 5 mégawatts à Tahiti n'a pas été financé à cause du contre-choc pétrolier, mais de nouveaux projets sont en cours.

Enfin, l'énergie osmotique est très difficile à exploiter. D'où le désintérêt des énergéticiens, sauf en Norvège.

La France est longtemps restée très en retard au plan technologique ; les Britanniques étaient leaders . Le Grenelle a changé les choses. Les Allemands et les Danois sont les leaders mondiaux de l'éolien, mais les Français commencent à s'y intéresser. AREVA a racheté un fabricant allemand, des appels d'offres sont lancés. Alsthom a créé une machine et veut la construire en France. Idem pour l'hydrolien. Bref, une filière industrielle se met en place, grâce à la contribution de grands industriels. Jusqu'à il y a peu, EDF était seule. STX SA est aussi partie prenante du projet de parc flottant à la Martinique. Il y a désormais plus de visibilité sur le marché mondial, et les entreprises françaises veulent conquérir des parts de marché.

L'IFREMER a des délégations dans la plupart des territoires d'outremer. Il s'intéresse aux énergies maritimes depuis la fin des années 1970, est aujourd'hui impliqué dans toutes les filières, à des degrés divers. Il participe aussi à des projets étrangers. Son originalité est d'être très pluridisciplinaire. Sur les matériaux composites, par exemple, il a une expertise très ancienne, liée au pétrole, valorisée aujourd'hui dans la recherche sur les énergies renouvelables. Nous avons aussi des spécialistes de la pêche. Rien ne marchera sans concertation avec les acteurs locaux.

L'IFREMER n'est pas initiateur de projets : il est sollicité par des industriels, notamment pour les investissements d'avenir.

En outre-mer, les projets sont encore rares, car les techniques ne sont pas encore au point. Un projet de climatisation par pompage de l'eau froide existe en Polynésie à l'Hôtel Intercontinental de Bora-Bora. À La Réunion, nous travaillons sur l'énergie de la houle, sur l'énergie thermodynamique à Saint-Pierre-et-Miquelon, sur le pompage destiné à la climatisation. À la Martinique, il y a un projet d'exploitation de l'énergie de la houle. En Guyane, rien. En Nouvelle-Calédonie, un projet d'exploitation des marées est en sommeil. Sur la plupart de ces projets, l'IFREMER n'a pas été sollicité. En Polynésie française, nous étudions le potentiel des passes des lagons, qui peut être intéressant à exploiter localement. Des industriels métropolitains ont exprimé leur intérêt.

En Nouvelle-Calédonie, il existe un projet de climatisation et un centre d'énergie de la houle, mais l'IFREMER n'est pas concerné.

Le jour où la filière aura atteint sa maturité, les choses changeront, mais il peut être contreproductif d'aller trop vite.

Une installation au Portugal a dû être démantelée, la technique n'étant pas encore fiable. À La Réunion, on songe à créer une unité pilote en 2014.

L'énergie thermique des mers repose sur la différence de température entre la surface et les fonds marins. C'est une technologie très capitalistique ; de plus, elle exige de capter énormément d'eau.

M. Serge Larcher, président

Avec quelle énergie ?

M. Michel Paillard

L'énergie consommée est moindre que l'énergie produite, la preuve en est faite depuis 1930 par Georges Claude.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Comment l'IFREMER accompagne-t-il un projet ? Qui les lance, et quelles sont vos relations avec les industriels ?

M. Michel Paillard

En outre-mer, il importe de bien connaître la ressource, donc de développer des modèles. Sur cette recherche en amont, l'IFREMER est moteur. En revanche, nous ne développons pas de modes d'exploitation pour les vendre aux industriels, mais nous y songeons.

Les premiers systèmes d'exploitation de l'énergie de la houle ont été élaborés en laboratoire, par des gens qui ne connaissaient pas la mer. Faute d'ingénierie offshore , ce fut un échec. C'est la raison pour laquelle les industriels viennent nous voir : le bassin de Brest a servi pour tester de nombreux appareils.

Bref, nous sommes associés à la production du prototype. Nous n'avons pas vocation à développer un projet industriel. En revanche, nous pouvons apporter une assistance à un maître d'ouvrage, par exemple un territoire. C'est le cas en Polynésie.

M. Michel Vergoz

À vous entendre, il n'y a aucune stratégie globale, c'est du coup par coup... C'est surprenant compte tenu de la dépendance insulaire à l'énergie fossile. Qu'attend-on ? Les régions établissent des schémas régionaux de développement des énergies renouvelables. À quoi cela sert-il, sans gouvernance globale ?

M. Michel Paillard

Les schémas régionaux concernent les énergies renouvelables existantes. Du fait que les énergies marines sont émergentes, elles sont seulement évoquées sans être programmées. Je sais que l'ADEME est intervenue à La Réunion, mais j'ignore dans quelles conditions. Dans la plupart des cas ce sont des industriels locaux qui initient la démarche.

Les conditions sont très différentes outre-mer : la houle, les cyclones... d'où l'importance de mener des tests dans les bassins avec les opérateurs locaux en coopération avec les pôles de compétitivité et les centres de recherche en métropole. Le pôle Mer Bretagne échange déjà avec la Polynésie française, mais tout cela est, encore une fois, émergent : les pôles de recherche ou de compétitivité outre-mer ont été créés récemment.

M. Jacques Berthou

Il serait bon d'établir un état des lieux précis des énergies susceptibles d'être développées à moyen et long terme ainsi que des spécificités locales. Les élus que nous sommes en ont besoin pour soutenir la filière.

M. Serge Larcher, président

Quels sont les secteurs prioritaires à développer ?

M. Michel Paillard

La commission européenne a réalisé en 2007 une étude sur le potentiel des régions ultrapériphériques. Cela dit, nous ne disposons d'aucune étude prospective car de nombreuses filières ne sont pas mûres. Mais les énergies marémotrice, éolienne ou hydrolienne sont pour demain : les premières fermes sont prévues en 2020 au large de Cherbourg, selon Alsthom.

L'énergie houlomotrice est plus complexe ; pour être fiable, il faut que le démonstrateur survive à la vague cinquantennale. Le projet Palemis sera prêt dans vingt ans. Vient ensuite la mise au point du récupérateur et la phase industrielle. Entre les deux, l'éolien flottant ? Sera-t-il accepté ? Peut-être dans trente ans quand l'énergie sera trop chère...

Les courants ne sont pas assez forts outre-mer, leur énergie n'est pas exploitable.

Reste l'énergie thermique de la mer, très intéressante aux Antilles et, surtout, en Polynésie française.

Monsieur Vergoz a raison : les territoires doivent afficher des objectifs précis programmés dans le temps.

M. Serge Larcher, président

Il faut travailler avec nos voisins, comme la Martinique et la Guadeloupe avec Dominique sur la géothermie. Nous sommes loin d'avoir atteint les objectifs du Grenelle : 50 % d'autonomie énergétique en outre-mer. Merci de nous avoir éclairés sur l'éventail des possibilités.

M. Michel Paillard

La compétition internationale pourrait accélérer la maturation des énergies marines. Il faut investir dans la recherche, comme l'a fait la Grande-Bretagne pour exploiter ce potentiel.

M. Serge Larcher, président

Le mot « potentiel » est le leitmotiv de nos réunions !

Audition de M. Vincent Trelut, directeur du développement ERAMET, accompagné de M. Alexandre Vié

M. Serge Larcher, président

Nous étudions depuis cinq mois l'importante question des zones économiques exclusives. Monsieur Trelut nous parlera des ressources minières outre-mer. La parole aux industriels !

M. Vincent Trelut

ERAMET est un groupe métallurgique, de la mine à la transformation métallurgique avancée - pour l'aéronautique, par exemple - jusqu'au recyclage.

Avec 47 sites industriels, nous sommes présents dans 20 pays, dont la Chine, mais aussi la Nouvelle-Calédonie, une collectivité française qui a un statut très particulier.

M. Serge Larcher, président

La Chine, notre principal concurrent.

M. Vincent Trelut

Pour nous, c'est un gros marché : ce pays consomme la moitié des ressources de nickel et de manganèse. Nous y avons trois usines de manganèse. En Indonésie, les Chinois nous font de la concurrence. Ils sont très intéressés, en particulier, par les ressources marines.

M. Serge Larcher, président

Alors que personne en France n'investit dans les nodules polymétalliques...

M. Vincent Trelut

Les ressources minérales profondes sont de trois sortes : les sulfures hydrothermaux sont liés à l'activité volcanique ; on peut exploiter les sites éteints entre 1 500 et 2 000 mètres de profondeur, ce qui est raisonnable. Ensuite, les nodules polymétalliques, dont on me parlait déjà à l'université dans les années 1970. Enfouis à 4 500 m, on ne sait comment récupérer ces cailloux dispersés sur le sol, qu'on trouve notamment au large de l'îlot de Clipperton. Des demandes de permis sont déposées, mais uniquement pour verrouiller l'accès à ces ressources. Enfin, les encroûtements cobaltifères dans les marges continentales, par exemple, au large de Tahiti, sont plus accessibles. Leur point commun est d'être situés à des profondeurs plus importantes que celles des mines marines existantes : 100 à 150 mètres pour les diamants dans l'Atlantique au large de l'Afrique australe, idem pour l'extraction de sables de construction en Bretagne.

La France n'est pas en retard : personne à ce jour n'exploite de mines marines profondes. Deux sociétés juniors, Nautilus Mineral et Neptune, y travaillent. Des études sont en cours, les engins sont là puisqu'on extrait du pétrole off-shore à des profondeurs bien plus grandes que 1 500 mètres, mais personne n'a encore lancé d'exploitation.

La Chine a déposé des permis d'exploration dans les eaux internationales auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui dépend de l'ONU. Sa zone économique exclusive, pour les minerais profonds, n'est pas très intéressante. Elle n'est donc pas spécialement en avance...

En revanche, la France dispose de gisements de sulfures hydrothermaux grâce à ses îlots volcaniques... La France a donc peut-être plus de perspectives avec la Polynésie française et Wallis-et-Futuna que le Japon, qui n'a pas de zones aussi prometteuses. De plus, nous ne sommes pas en retard technologiquement, grâce à notre compétence en ingénierie marine.

M. Serge Larcher, président

Le potentiel est donc prometteur à vingt ans ?

M. Vincent Trelut

Certes, mais ces minerais marins ne sont pas nécessaires pour couvrir les besoins de la planète : ce n'est pas comme le pétrole....

M. Serge Larcher, président

Quid des métaux rares ?

M. Vincent Trelut

La Chine détient un tiers des terres rares, mais des milliers de géologues arpentent le monde pour trouver de nouveaux gisements. Et ils en trouvent... Si la France a des ressources, cela réduira notre dépendance et sans être une nécessité pour l'approvisionnement, les terres rares seraient également l'occasion de développer une filière industrielle.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

N'est-ce pas vrai pour n'importe quels métaux ?

M. Vincent Trelut

Certes ! Personne n'a dressé un inventaire précis des ressources marines dans notre zone économique exclusive au demeurant très vaste. En toute hypothèse, l'effet environnemental de leur exploitation sera moindre que sur terre. D'autant qu'on espère trouver des métaux à forte teneur affleurant les fonds marins, de même que les Égyptiens ou les Crétois de l'Antiquité trouvaient de l'or, de l'argent ou du cuivre à portée de main. Actuellement, les mines de cuivre terrestres - c'était le cas de la mine de Falun, en Suède, pays qui n'est pas réputé pour son laxisme environnemental - exigent la manipulation de millions de tonnes de roches et une énorme consommation d'eau douce.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

A-t-on l'espoir que les mines marines deviennent rentables ?

M. Vincent Trelut

Depuis 2005, la Chine a changé le monde de la mine : la demande augmentant, les ressources terrestres s'épuisent et la teneur des minerais restant à exploiter diminue. À long terme, nous en viendrons donc aux minerais sous-marins.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Dispose-t-on des engins nécessaires, ou la recherche doit-elle progresser ?

M. Vincent Trelut

Il faut encore faire de la recherche-développement en France. Après la phase d'exploration, on pourra se poser la question de l'exploitation, et faire des essais.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

La France est-elle bien placée ?

M. Vincent Trelut

Elle n'est pas en retard, sauf peut-être dans telle ou telle technique particulière. Des partenariats avec d'autres pays sont d'ailleurs envisageables. Nos connaissances actuelles permettent d'élaborer un socle technologique français.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

C'est une obligation.

M. Vincent Trelut

En effet : ne ratons pas le coche.

Nous n'avons pas encore d'activités dans la zone économique d'outre-mer. La concurrence s'exerce surtout entre les États, non entre les sociétés privés. Le projet le plus mûr est celui de sulfure de cuivre et de zinc en Papouasie ; il n'y a pas de verrou technologique, non plus qu'à Wallis. La question est celle des moyens financiers et la connaissance des ressources. Nous n'avons pas besoin d'évolutions fiscales, mais d'un partenariat renforcé : le consortium actuel est trop étriqué, nous ne sommes plus que trois. Je répète que le problème est financier : des puissances étrangères misent beaucoup plus de moyens sur ces projets d'avenir.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Quid de la réforme du code minier ?

M. Vincent Trelut

Le code minier a le mérite d'exister. Le domaine sous-marin reste à défricher. Il est difficile de prévoir à l'avance. Une question importante est celle des retombées pour les collectivités. En l'état actuel du droit, rien n'interdit un partenariat avec Wallis-et-Futuna. Peut-être l'encadrement pourrait-il être amélioré.

Quoi qu'il arrive, il faudra tenir compte des spécificités de l'exploitation sous-marine. Nous en sommes encore à un stade très préliminaire. Quand viendra le temps de l'exploitation, alors il faudra veiller à l'impact environnemental, qui reste mal connu.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Des activités sont-elles prévues dans notre zone économique exclusive ?

M. Vincent Trelut

Si le partenariat à Wallis-et-Futuna se confirme, oui. Pour l'heure, nous ne voulons pas nous disperser.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Je participe au groupe de travail informel sur la réforme du code minier. Le principe de précaution doit prévaloir, lorsqu'on ne maîtrise pas le risque. Il y a eu des études sur le cobalt et le manganèse en Polynésie : les ressources y sont les plus élevées au monde.

Le recyclage est un enjeu immense. Quels acides employer pour extraire les métaux rares de la boue ? Les techniques sont-elles au point ?

M. Vincent Trelut

En effet, on ne doit se lancer dans une exploitation que si l'absence de risque est avérée. La France doit-elle être pionnière ? Ce n'est pas sûr.

L'exploration a très peu d'impact sur l'environnement : on se borne à prélever des échantillons au fond des mers avec des sous-marins de poche. L'exploitation, c'est autre chose.

Tant qu'on ne sait pas, on ne peut pas exploiter. Mais il faut chercher pour savoir, et faire des essais ! C'est là que se situe le débat. Refuser même les essais est contraire à l'esprit du principe de précaution. Si pareille règle devait être instaurée, autant le savoir au plus vite, nous éviterons de perdre de l'argent ! Nous avons suffisamment de travail ailleurs.

M. Alexandre Vié

Des biologistes sont associés à chaque campagne, pour comprendre ce qui se passe dans ces zones.

M. Vincent Trelut

Le recyclage des terres rares va progresser, celui des métaux comme le cobalt existe déjà. L'enjeu sous-marin est différent : c'est d'avoir du minerai très riche, facilement extractible.

Entre la production initiale et le recyclage, la demande a augmenté : le recyclage ne pourra jamais suffire aux besoins.

Ce ne sont pas des terres rares que l'on a trouvé à Wallis. Encore une fois, ce sont des minerais riches en surface que nous cherchons. Descendre à 3 000 m pour trouver un peu de terres rares ne présente aucun intérêt.

M. Alexandre Vié

Les terres rares ne sont pas rares !

M. Serge Larcher, président

Il faut être demain en position de force, notamment sur les matériaux stratégiques. À vous entendre, il s'agirait d'exploiter à un coût moindre des minerais riches.

M. Vincent Trelut

Mais aussi de construire des filières high tech et de mettre au point des techniques écologiquement responsables.

M. Serge Larcher, président

Vous ne voyez aucun intérêt à réformer le code minier ?

M. Vincent Trelut

Je ne parlais que des activités sous-marines, où l'on est loin d'avoir établi quelles sont les bonnes et les mauvaises pratiques.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Quel benchmerking sur les investissements des différents pays ?

M. Vincent Trelut

Nous disposons de rapports de sociétés privées, mais seuls les instituts d'État ont une vue d'ensemble ; l'IFREMER pourrait vous renseigner sur l'activité de L'IFREMER japonais...

M. Alexandre Vié

Nautilus représente quelques centaines de millions.

M. Vincent Trelut

Nous en sommes à vingt millions, rien que pour trouver des gisements. L'exploitation en coûtera des centaines, et au minimum un milliard.

Audition de M. Bruno Martel-Jantin, adjoint au chef du service Ressources minérales, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

M. Serge Larcher, président

Nous sommes curieux d'entendre l'avis du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur les réserves de notre zone économique exclusive outre-mer.

M. Bruno Martel-Jantin

Vous m'avez invité en tant qu'adjoint au chef du service Ressources minérales du BRGM ; depuis, les ressources minérales ont été regroupées avec la géologie et la géothermie. Même si mes compétences sont plus commerciales que scientifiques, je suis prêt à alimenter le débat.

Le BRGM compte 1 100 salariés, dont 700 ingénieurs et techniciens. Nous sommes présents dans toutes les régions et la plupart des territoires d'outre-mer, sauf à Saint-Pierre-et-Miquelon ; nous n'avons plus de représentation permanente en Polynésie. Notre chiffre d'affaires outre-mer représentait 6 millions d'euros en 2011, sur un total de 140 millions : 2 millions à La Réunion et à Mayotte, 1,5 à la Martinique, 1 en Guyane, 0,9 en Guadeloupe et 0,3 en Nouvelle-Calédonie.

Nos missions sont l'appui aux politiques publiques, la recherche et les activités à caractère commercial : cela vaut aussi pour l'outre-mer. Notre personnel en outre-mer est très limité et dispersé : 35 personnes, dont 10 volontaires du service civique.

Le BRGM, outre-mer, se préoccupe de géologie, de maîtrise des risques, de gestion de l'eau et des ressources minérales. Sur ce dernier point, nous sommes surtout actifs en Guyane. En Nouvelle-Calédonie, nous n'avons qu'un agent détaché.

Notre activité minière outre-mer est prioritairement orientée vers l'aide aux politiques publiques régaliennes, d'où nos fortes relations avec les services d'État et la faiblesse de nos relations contractuelles avec les régions.

Depuis la fin des grands inventaires miniers des années 1970, le BRGM ne s'intéresse plus guère aux ressources minérales en Guyane, même s'il apporte un appui technique à l'exploitation légale de l'or. Cela dit, M. Arnaud de Montebourg, ministre du redressement productif, nous a récemment sollicités pour relancer l'inventaire minier en France, y compris en outre-mer. On reverra donc le BRGM en Guyane.

Le BRGM s'implique aussi dans la gestion des ressources en granulats. Il est associé à ERAMET dans un projet sous-marin à Wallis-et-Futuna, en lien avec L'IFREMER.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Comment se répartit votre activité entre trois missions ?

M. Bruno Martel-Jantin

Dans l'ensemble, par tiers. Les activités commerciales nous servent à équilibrer nos comptes et donc à amplifier nos actions publiques et scientifiques.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Quels sont vos clients ?

M. Bruno Martel-Jantin

Nous avons une stratégie opportuniste : nous faisons feu de tout bois. Cela dit, nous nous efforçons d'être cohérents avec notre mission publique. Les mêmes questions nous sont posées par nos clients privés et nos tutelles publiques sur la sécurité d'approvisionnement ou la stratégie de développement minier : nous leur répondons en fonction du même socle de connaissances.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Ces clients s'intéressent-ils à l'outre-mer ?

M. Bruno Martel-Jantin

Certains, oui. Iamgold, qui a connu des déboires en Guyane, a songé à nous confier les études environnementales sur le site de Grand Caïman, mais nous avons refusé. Nous sommes beaucoup plus sollicités que par le passé, notamment en Guyane.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Le BRGM est un établissement public.

M. Bruno Martel-Jantin

Industriel et commercial.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Comment arbitrez-vous donc entre les collectivités publiques et les sociétés privées? Qui décide ?

M. Bruno Martel-Jantin

Tout dépend du directeur régional, qui est le mieux placé pour apprécier les enjeux au regard de nos activités. Il est le premier à recevoir les sollicitations des préfectures pour l'appui aux politiques publiques dans la prévention des risques naturels et le secteur minier. Si une activité du BRGM peut mettre en difficulté une de nos antennes par rapport à la tutelle, nous la limitons. Nous privilégions l'appui au développement des territoires. L'activité commerciale ne vient qu'après, s'il ne remet pas en cause notre stratégie.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Les inventaires sont-ils publics ? N'importe qui peut-il savoir où se trouve tel ou tel métal, ou y a-t-il une sécurisation ? Je pense aux orpailleurs clandestins...

M. Bruno Martel-Jantin

Tous les inventaires sont publics. Détenteur de ce patrimoine, nous sommes extrêmement sollicités pour le mettre à disposition. Notre tutelle a rappelé qu'il n'y avait aucune limite à la mise à disposition à condition d'assurer la traçabilité des demandes.

Quotidiennement, cela pose problème. Répondre aux appels téléphoniques et organiser la consultation des documents a un coût...

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Quid du domaine marin ? Y-a-t-il des échanges d'information avec le Brésil ou le Surinam ?

M. Bruno Martel-Jantin

Le domaine marin n'est pas la spécialité du BRGM même si une cartographie des fonds de Mayotte établie à partir de techniques géophysiques figure dans notre rapport d'activités. De manière générale, l'IFREMER a compétence sur la mer. Nous collaborons sur la frange côtière et l'exploitation des granulats ; nous sommes associés au projet mené à Wallis-et-Futuna où nous nous occupons des aspects géologiques.

Les collaborations interrégionales ? Elles sont faibles. Pour avoir travaillé en Guyane, j'estime qu'elles devraient l'être davantage dans le secteur minier avec le Brésil. Il y a des synergies à développer, bien que les frontières limitent les collaborations pour des raisons économiques et financières.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Participez-vous à la réforme du code minier ?

M. Bruno Martel-Jantin

Le BRGM a mis en place un atelier interne. Je n'y suis pas assez impliqué pour vous en dire plus. La question du guichet « H » et de la mise à disposition de l'information nous occupe et pose de nombreuses questions. Est-ce judicieux de prévoir une mise à disposition complète ? Il n'y a pas d'obligation, actuellement, pour les données de sondage et certaines données d'exploration. Si oui, selon quelles modalités pratiques ? Faut-il élargir les missions du guichet « H » au-delà des données juridiques ?

M. Serge Larcher, président

Merci de ces renseignements.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Comment concilier les activités commerciales avec la protection des intérêts nationaux ?

M. Bruno Martel-Jantin

Certaines de nos missions d'appui aux politiques publiques sont confidentielles ; c'est le cas de la mission d'intelligence économique sur les ressources minérales. Généralement, la tutelle nous demande de décliner nos rapports sous une forme adaptée à la diffusion publique.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Le Centre d'analyse stratégique fait-il partie de vos clients politiques ?

M. Bruno Martel-Jantin

Oui, de même que la Défense.

Audition de M. Jacques Peythieu, vice-président Stratégie et développement, AREVA Mines, accompagné de MM. Guillaume Renaud et Christian Polak

M. Serge Larcher, président

Bienvenue à Monsieur Jacques Peythieu d'AREVA Mines. Votre entreprise est peu engagée dans la zone économique exclusive française, mais elle le sera peut-être demain. Le potentiel serait riche...

M. Jacques Peythieu

Merci de me recevoir. M. Guillaume Renaud, qui s'occupe des relations publiques, et M. Christian Polak, chargé de la veille stratégique sur les métaux, pourront aussi répondre à vos questions.

Jusqu'au début 2012, l'activité d'AREVA se concentrait sur deux métaux, l'or et l'uranium ; elle représentait 16 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons vendu la partie « or » cet été dans le cadre d'un plan de développement stratégique pour financer nos autres activités. Notre présence est réduite à zéro outre-mer car on n'y a malheureusement pas trouvé d'uranium.

M. Serge Larcher, président

Avez-vous procédé à des explorations ?

M. Jacques Peythieu

Pour des raisons historiques, AREVA s'est spécialisée dans le nucléaire. Nous avons choisi l'or pour nous diversifier.

M. Serge Larcher, président

La discussion sera limitée... Les ressources marines vous intéressent-elles ?

M. Jacques Peythieu

Nous avons des accords avec d'autres entreprises sur des sites où il y a aussi de l'uranium. Par exemple, avec ERAMET au Gabon où l'on a trouvé un gisement de terres rares et de manganèse. En revanche, on n'a pas trouvé d'uranium dans les gisements sulfurés des fonds marins.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Que pensez-vous de la réforme du code minier ? Y êtes-vous associés ? Est-ce un enjeu pour vous ?

M. Guillaume Renaud

Nous sommes évidemment concernés puisque nous sommes une société minière. Nous avons extrait 75 000 tonnes d'uranium en France, ce qui nous a permis d'être leader après la guerre. Nous n'excluons pas d'exploiter de nouveau ce minerai dans l'Hexagone. Nous sommes associés à la réforme, via la Fédération des minerais, des minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Le droit actuel nous convient, même s'il faut y intégrer davantage les questions environnementales, conformément à une tendance mondiale.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Y a-t-il des exemples à suivre ?

M. Guillaume Renaud

Au Kazakhstan, nous sommes associés à l'État kazakh. Au Canada, il faut être Canadien pour exploiter l'uranium : un partenariat était donc indispensable. Au Niger, nous avons accordé une participation gratuite à l'État, sous la forme d'un free carry , à hauteur de 10 % ; c'est souvent le cas en Afrique. À chaque fois, nous nous adaptons. Faut-il prévoir une participation gratuite en France ? Je ne le crois pas.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Vous avez entendu parler du projet Iamgold en Guyane : les collectivités locales doivent-elles avoir un rôle dans la gouvernance ?

M. Jacques Peythieu

La question est politique ; il est difficile à un industriel d'y répondre...

Il est légitime que l'État ou les collectivités locales perçoivent une rente minière, qui peut prendre la forme de participations gratuites ou de royalties ; le Niger demande les deux. En Australie, il n'y a pas de participation au capital, mais les royalties sont plus élevées.

M. Guillaume Renaud

Tout dépend du niveau d'investissement. Une mine de cuivre ou de fer coûte des milliards de dollars. En revanche, en Guyane, l'or peut être exploité par des PME, et la communauté locale peut intervenir.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Qu'avez-vous à dire du recyclage et du procédé qui permet d'extraire les terres rares ? Les impacts environnementaux sont-ils maîtrisés ?

M. Guillaume Renaud

Chaque mine, chaque minerai a sa signature... Le recyclage correspond plutôt à de la sous-production : un métal aide les autres à se développer ; c'est le cas du gisement polymétallique de Mabounié au Gabon. Un savant japonais affirme avoir trouvé des terres rares dans le Pacifique : l'industrie minière a l'habitude d'un travail plus rigoureux. Quant à la crise médiatique des terres rares entre les Chinois et Rhodia, c'est un faux débat.

En revanche, notre expertise sur l'uranium est précieuse pour le gisement du Niger. Nous la développons là-bas pour des raisons plus commerciales que stratégiques.

M. Serge Larcher, président

Rien ne dit qu'on ne trouvera jamais d'uranium dans les fonds marins...

M. Jacques Peythieu

La géologie n'est pas une science exacte, mais a priori , les zones volcaniques des Caraïbes et de Polynésie ne recèlent pas d'uranium. D'ailleurs, celui-ci est soluble et se dépose très mal sur les sédiments ; un point sur lequel le rapport japonais est exact.

M. Serge Larcher, président

Merci de votre venue.

M. Christian Polak

Le stockage de l'énergie sous forme d'hydrogène est un secteur prometteur pour l'outre-mer. Nous serions heureux d'être auditionnés sur ce point.

M. Serge Larcher, président

Nous vous réinviterons avec plaisir !

(Mercredi 14 Novembre 2012)

Audition de M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales, et de Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité, ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions sur les aspects miniers et énergétiques des zones économiques exclusives. Aujourd'hui, nous recevons Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales. Madame la directrice, le potentiel que recèlent nos ZEE a-t-il un avenir ?

Mme Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie

Je vais tout d'abord vous présenter notre direction au sein du ministère. La Direction de l'eau et de la biodiversité est chargée des questions liées aux ressources minérales non énergétiques. Le bureau de M. Rémi Galin s'occupe de la co-tutelle du BRGM avec nos collègues de la recherche. La Direction de l'eau et de la biodiversité se préoccupe également de la qualité et de l'environnement marins. À ce titre, nous exerçons la tutelle de l'IFREMER, conjointement avec le ministère de la Recherche. Nous vous présenterons quelques exemples de nos travaux conjoints avec l'IFREMER sur les ressources minérales marines. L'exploitation, mais aussi la préservation de la qualité des milieux marins très en amont, sont les deux angles de la mission de notre direction. Je cède la parole à M. Rémi Galin pour exposer la cartographie des substances et les aspects liés aux explorations et permis en cours.

M. Rémi Galin, chef du bureau des ressources minérales

Mon bureau est engagé dans la problématique de l'approvisionnement en ressources minérales pour l'ensemble de l'industrie française, qu'il s'agisse de la construction, de l'industrie métallurgique et de la transformation des métaux. Dans ce cadre, nous sommes l'un des acteurs prépondérants du Comité pour les métaux stratégiques (COMES), qui a un groupe de travail spécifiquement dédié à la ressource. La ressource marine est un potentiel fort pour les années à venir et fait partie de nos préoccupations. L'IFREMER nous rend compte à cet égard de ses travaux. Certains d'entre eux, en cours d'achèvement, nous fournissent les informations techniques dont nous disposons. L'étude de l'IFREMER sur l'état des connaissances et des propositions pour une stratégie française pour les dix ans à venir est en cours d'examen par le groupe de travail du COMES. Nous y travaillons collectivement avec les différents ministères concernés. L'IFREMER constitue donc notre référentiel en termes de connaissances techniques. Je les ai exploitées pour vous permettre d'appréhender les perspectives réelles et les contraintes d'exploitation de ces ressources.

Il existe trois principaux types de ressources minérales non énergétiques présentes au fond des mers, sur lesquels nous avons focalisé, à des échelles différentes, nos travaux ces dernières décennies : les sulfures hydrothermaux, les encroûtements cobaltifères, les nodules polymétalliques. Un autre classement concernant les zones marines outre-mer définit quatre domaines principaux : les marches continentales, les îles et les îles volcaniques actives ou récentes, les anciens volcans et les atolls immergés, et enfin les plaines abyssales.

Les ressources les plus immédiatement disponibles sont les sulfures hydrothermaux, dans des zones favorables à la formation des sulfures polymétalliques. On les trouve à Wallis-et-Futuna, autour de la Nouvelle-Calédonie, aux îles Saint-Paul et Amsterdam, dans l'archipel des Crozet, à Kerguelen, Mayotte, aux Antilles et en Polynésie française. Ces amas sulfurés ont en général des teneurs en métaux sensiblement supérieures à celles des mines exploitées à terre, notamment en cuivre et en zinc. On trouve aussi des métaux plus rares, plus stratégiques, pour nos industries métallurgiques : l'indium, le germanium, le cadmium, l'antimoine, le sélénium, le bismuth ; et les fameuses terres rares, qui sont utilisées dans la composition des infrastructures de nos énergies renouvelables.

Le second type de ressources minérales présentes dans les volcans anciens et atolls immergés, tels que l'archipel des Tuamotu, les Kerguelen, Mayotte, les îles Éparses, sont les encroûtements cobaltifères. Il s'agit de l'oxyde de fer et du manganèse, c'est-à-dire des métaux un peu moins intéressants sur le plan économique aujourd'hui. Les concentrations les plus élevées sont en Polynésie. Elles y sont plus fortes que celles des minerais extraits à terre. On pense que ces encroûtements cobaltifères pourraient être une ressource d'avenir pour le cobalt, aujourd'hui présent au Congo, une zone géopolitique soumise à de fortes tensions. On trouve aussi, dans les volcans anciens et atolls immergés, des terres rares et du platine, qui augmentent considérablement la valeur du minerai.

Troisième type de ressources minérales, les nodules, présents dans les plaines abyssales : Polynésie française, Clipperton, où les travaux sont engagés depuis bien plus longtemps. On a beaucoup compté sur les nodules polymétalliques dans les années 70, avant de prendre conscience de la complexité de leur éventuelle mise en exploitation. Une des difficultés majeures est d'identifier la localisation des nodules les plus intéressants, c'est-à-dire à forte teneur en métal. On a trouvé des substances intéressantes dans certains nodules, mais pour d'autres, la teneur en métal est trop faible pour envisager une exploitation. Ils peuvent contenir du cuivre ou des éléments plus rares tels que tellure, zirconium, thallium.

Les marches continentales intéressent plutôt la Guyane, et éventuellement Saint-Pierre-et-Miquelon. Nos connaissances y sont beaucoup plus lacunaires. Le Brésil a cependant exploré ses zones ; il est possible que les eaux guyanaises recèlent le même type de ressources, c'est-à-dire sous forme de sédiment (sable) et non pas d'encroûtements ni de nodules. En termes d'exploitation, ces ressources pourraient s'apparenter aux granulats marins. On trouve dans ces sables des concentrations assez fortes en scandium, vanadium, titane, zirconium. Mais nous n'avons aujourd'hui aucun élément d'information pour la Guyane. Nous nous contentons de nous appuyer sur les travaux de l'IFREMER et sur ceux réalisés par le Brésil. L'évaluation de ces ressources reste à engager.

Enfin, les révélations très médiatisées des chercheurs japonais selon lesquelles les fonds des mers recèleraient des terres rares en énorme quantité dans les sédiments de Polynésie française sont à prendre avec circonspection. Les concentrations annoncées sont assez faibles, comparées à celles exploitées à terre notamment en Australie. On peut s'attendre à ce qu'il existe des zones plus riches, mais comment et où les trouver ? Il faut d'abord mettre en place des modèles de création de gisements qui permettent de localiser et d'expliquer la localisation de la ressource. C'est le travail de géologie, qui appartient au BRGM et à l'IFREMER. Ensuite viennent les phases de prélèvement des échantillons, de mise en valeur de la ressource, et de persuasion des investisseurs. C'est une problématique d'inventaire que le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg, a évoquée ces dernières semaines. Il a mis l'accent sur la nécessité du renouvellement de l'inventaire métropolitain, mais le raisonnement pour le offshore s'applique a fortiori , car il est encore moins connu.

En conclusion de ce panorama très rapide, on connaît assez bien les amas sulfurés, pour lesquels des projets miniers commencent à se présenter, comme à Wallis-et-Futuna. Ce sont les plus intéressants en teneur en métaux. Ils présentent potentiellement les possibilités d'exploitation plus matures, même si on n'en est pas encore à cette phase, en tout cas en zone française. Pour les autres, la connaissance est encore à affiner et à construire.

Les travaux récents de la France dans ce domaine ont largement été organisés dans le cadre du Comité interministériel de la mer (CIMER). L'IFREMER en est le porteur principal ; c'est un opérateur majeur au niveau mondial aujourd'hui.

Je vais à présent vous présenter l'état des campagnes. La plus ancienne campagne internationale a porté sur les nodules polymétalliques, à Clipperton, où la France détient un permis jusqu'en 2017, qui porte sur l'aspect ressources mais aussi sur l'aspect environnemental. En Atlantique Nord, la France vient d'obtenir, au cours de l'été 2012, par l'intermédiaire de l'IFREMER, un permis déposé en avril auprès de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM). La France s'est engagée sur un programme de travail portant sur 14 millions d'euros sur quinze ans, qui ne sont, à ce jour, pas financés du tout. C'est un sujet qui est en discussion avec les responsables politiques. Cette grosse somme est à répartir sur les quinze ans. Les années pendant lesquelles les campagnes seront menées seront les plus onéreuses : il faut compter 3 à 4 millions d'euros par année de campagne maritime.

La seule procédure de dépôt du dossier pour la demande de permis a coûté 500 000 dollars, financés à 50 % par le ministère chargé de la mer et à 50 % par la direction générale de la compétitivité de l'industrie (DGCIS) du ministère du redressement productif. Ces 500 000 dollars représentent uniquement le coût du « ticket d'entrée ».

Mme Odile Gauthier

Les 14 millions d'euros sont liés à une stratégie pour obtenir le permis. Plusieurs stratégies étaient envisageables.

M. Rémi Galin

Nous pouvions en effet opter pour d'autres stratégies, à 15, 20 ou 25 millions d'euros, en fonction du nombre de campagnes en mer. La décision a été arrêtée en avril. Pour des raisons budgétaires, nous avons choisi la formule minimaliste, sans pour autant que les modalités de financement n'aient été arrêtées. C'est un vrai sujet...

Les derniers travaux sur lesquels des efforts importants ont été réalisés, portent sur la zone de Wallis-et-Futuna : la ZEE au sud de Futuna. C'est un partenariat public privé. 18 millions d'euros ont été engagés ces trois dernières années, pris en charge par le ministère de l'Écologie, l'Agence des aires marines protégées, et par un consortium qui au départ était constitué d'ERAMET (l'opérateur minier), Technip (l'opérateur industriel), l'IFREMER et le BRGM, qui n'a participé qu'à la première campagne, et s'est retiré ensuite. AREVA était également présent sur les deux premières campagnes et s'est ensuite retiré. Le consortium est donc aujourd'hui réduit à ERAMET, l'IFREMER et Technip. L'État français est, lui, intervenu dans la première campagne. Nous suivons depuis les travaux par l'intermédiaire du COMES (Comité pour les métaux stratégiques). Trois campagnes ont eu lieu. Elles correspondent aux autorisations préalables qui ont été obtenues ; c'est le cadre juridique du code minier qui s'est appliqué. Ce n'était pas un permis exclusif de recherche, mais une autorisation de protection préalable, donc une procédure plus légère.

Dans le cadre de cette autorisation, l'IFREMER a pu bien tester ses outils de détection. Les amas sulfurés sont dans des sources hydrothermales. On sait bien détecter les sources hydrothermales « actives », qui sont les plus actives au regard de la biodiversité, mais aussi les plus contraignantes si on imaginait un jour de les exploiter. Il faut donc trouver des sites « éteints », c'est-à-dire qui ont fonctionné dans le passé. C'est plus compliqué. Par étalonnages successifs du matériel de l'IFREMER, on a trouvé de manière significative, dans la dernière campagne achevée en juillet, ce type de gisement, sur lequel des échantillons ont été prélevés dont la teneur en métal est supérieure à celle obtenue par les exploitations à terre. Les profondeurs d'eau, de 1 500 mètres, sont gérables selon les critères reconnus par Technip. Les contraintes technologiques sont ailleurs, j'y reviendrai, ainsi que sur les données relatives à la biodiversité qui n'ont pas encore été traitées et qu'il faut prendre en compte. On n'est pas capable aujourd'hui d'affirmer s'il existe un gisement, quel est son volume et son épaisseur. Pour obtenir ces données, un forage est nécessaire, d'une densité suffisante pour dimensionner un projet minier.

Il est possible qu'ERAMET dépose assez rapidement une demande de permis exclusif de recherche. Il est le seul à avoir la capacité technique pour le faire. Il envisage un partenariat afin d'abaisser le coût du ticket d'entrée du permis d'exploration, d'environ 100 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les coûts d'exploitation qui se comptent en centaines de millions d'euros.

Nautilus, groupe australien à capitaux canadiens, s'intéresse également à la zone et est engagé dans un projet d'exploitation en Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais a une attitude de financier plutôt que d'exploitant minier. Il fait beaucoup d'entrisme au niveau international.

Voici pour l'état des lieux technique de la ressource et de la prospection en France. Toutes les autres informations que nous avons proviennent des campagnes de reconnaissance scientifique qui ont été largement menées par l'IFREMER ou par du travail documentaire réalisé à l'occasion des travaux.

Mme Odile Gauthier

Pour ce qui concerne les enjeux économiques et environnementaux de l'exploitation de ces ressources, nous pensons avec l'ADEME que les amas sulfurés constituent la piste la plus opérationnelle à court ou moyen terme, et dans les vingt ans à venir. À terme, il faudra sans doute faire appel à ces ressources minérales offshore , à une date qui dépendra aussi de tous les axes qui sont mis en place actuellement sur les métaux stratégiques en termes d'économie de matière, de substitution et de recyclage.

Selon les hypothèses que l'on fait dans ces trois domaines (par exemple, la capacité à récupérer dans nos consommations de produits électroniques davantage de terres rares), on n'arrive pas du tout aux mêmes besoins à venir de matières premières minérales. Le groupe recyclage du COMES y travaille actuellement. Or, on est aujourd'hui dans une grande incertitude sur ces sujets, qui dépendront aussi de la capacité technologique et des coûts afférents à l'exploitation de ces ressources minérales non énergétiques.

M. Rémi Galin

Au fur-et-à-mesure que les pays se développent, l'appel aux matières premières va devenir plus important et ne sera pas satisfait par les politiques qui ont été énoncées.

Mme Odile Gauthier

Bref, on aura besoin de ces ressources, mais à quelle échéance ? Ce n'est pas évident. On peut se tromper. La deuxième question s'agissant des enjeux économiques, concerne les deux niveaux d'analyse : pour les territoires eux-mêmes, quelles retombées économiques et financières ? Cette question est liée à la fiscalité des ressources ; et surtout, quelle capacité des territoires à développer des filières en aval pour produire de la valeur ajoutée et de l'emploi ?

En termes d'intérêt national, nous avons des territoires qui ont de fortes potentialités justifiant que l'IFREMER et Technip puissent poursuivre leur avancée technologique s'ils considèrent qu'ils ont des perspectives. Mais l'intérêt national ne se confond pas nécessairement avec l'intérêt économique des territoires. On a vu qu'AREVA s'était retiré du projet minier de Wallis-et-Futuna, et qu'ERAMET poursuivait sa propre stratégie. On doit avoir à l'esprit ces deux aspects, les intérêts n'étant pas toujours convergents en termes de calendrier notamment. En outre, des analyses au niveau des territoires sur les filières aval à construire n'existent pas encore.

Face à des pays comme la Chine ou le Brésil dans le domaine des métaux stratégiques, la France ne peut pas être une concurrente à elle seule. Il faut un angle d'attaque européen, qui se traduise par un vrai travail de la Commission européenne, pas seulement pour peser sur les prix chinois quand la Chine décide de diminuer drastiquement ses exportations de terres rares, mais aussi pour associer des filières technologiques françaises à d'autres Européens, y compris la grande Europe, pour peser face à l'Asie et à l'Amérique du Sud. Là où ERAMET n'irait pas sur un marché, une entreprise allemande pourrait y entrer. L'IFREMER est très sollicité par des Européens et même des Russes. Une stratégie d'utilisation des ressources est développée au niveau européen, mais il faut aller plus loin.

S'agissant des enjeux environnementaux, la connaissance des grands fonds est encore très limitée. Nous avions insisté pour que, dans le cadre des travaux d'exploration menés à Wallis-et-Futuna, il y ait en même temps l'analyse de la richesse en termes de connaissance sur la biodiversité de ces grands fonds, et l'analyse en termes de capacités d'exploitation des métaux. C'est très important, car des moyens énormes sont mobilisés pour les campagnes. Il faut à la fois se préoccuper des enjeux de connaissance des minerais et des enjeux de connaissance de la biodiversité. Sinon, on court le risque de se tromper, ou de donner prise à la critique. L'AIFM (Autorité internationale des fonds marins) insiste d'ailleurs sur la nécessité de prendre en compte ces deux dimensions, l'exploitation des minéraux et l'éthique de la biodiversité.

Le ministère de l'Écologie a commandé en mai 2012 à l'IFREMER et au CNRS une expertise scientifique collective sur les impacts environnementaux possibles de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Notre commande porte sur une analyse bibliographique de l'existant, mais aussi sur des pistes sur les domaines dans lesquels il est nécessaire de faire progresser les connaissances, et enfin des scénarii pour améliorer les connaissances et conjuguer l'exploitation des ressources minérales marines profondes avec l'impact environnemental. Il faut avancer en parallèle sur ces deux aspects, y compris pour que les territoires puissent bien appréhender les décisions à prendre, soit en matière d'exploitation, soit en matière de protection des écosystèmes. Nous aurons une première synthèse en novembre 2013, et le rapport final en mars 2014.

Se pose également la question des technologies éventuelles d'exploitation : comment exploiter, avec quelles techniques d'exploitation, comment avoir des processus acceptables pour l'environnement ? C'est un champ d'investigation neuf. On n'a pas encore de vision pour exploiter ces ressources avec un moindre impact environnemental. Les opérateurs miniers pourraient approfondir leur réflexion sur leurs méthodes et leurs techniques d'exploitation en même temps qu'ils déposent leur demande de permis de recherche. C'est à développer.

M. Rémi Galin

Le seul projet que nous devons suivre attentivement, mais qui est repoussé de semestre en semestre, est le projet de Salora. Nautilus n'est pas très clair dans son discours : le groupe évoque des difficultés techniques avec le constructeur du bateau qui aurait fait faillite. C'est difficilement vérifiable. Il y a aussi la question des relations politiques avec le territoire. En tout état de cause, le premier coup de pioche n'a pas été donné aujourd'hui.

Mme Odile Gauthier

Vous demandiez ce qui était nécessaire pour favoriser les processus d'exploitation. Il faut un encadrement juridique lisible, ce qui renvoie à la réforme du code minier. Dans le cadre du second appel d'offres éolien en mer, on s'est aperçu qu'on n'avait pas d'encadrement règlementaire des activités en ZEE ! Le ministère a donc produit un décret, passé en Conseil d'État mais non encore publié, pour encadrer notamment les activités non minières en ZEE de façon à permettre à la fois la prise en compte de la Charte de l'environnement et davantage de lisibilité pour les investisseurs.

J'en viens à la réforme du code minier. Un travail est en cours sous la présidence du conseiller d'État M. Thierry Tuot. Il réunit chaque semaine toutes les parties prenantes pour élaborer d'ici le 15 décembre les grandes orientations de la réforme, qu'ensuite l'administration déclinera techniquement dans des projets de textes. Des travaux spécifiques pour l'outre-mer sont prévus, mais dans un second temps, une fois les grandes orientations dégagées.

La question de la fiscalité et des retombées au profit des territoires n'a pas encore été abordée par le groupe de travail de M. Thierry Tuot, mais le sera. Je crois qu'il faut être prudent sur cette question : tant qu'on n'aura pas identifié les ressources et les modalités d'exploitation, il sera difficile d'en évaluer la rentabilité économique et a fortiori les retombées pour les territoires. La fiscalité sur cette activité peu connue est un sujet complexe. De plus, se pose la question de la concurrence entre les territoires. Chaque territoire devra-t-il appliquer la même réglementation ? Ce n'est pas simple.

La réforme du code minier devrait être soumise assez rapidement au Parlement. À ce stade, elle ne devrait pas être centrée sur la question de l'exploitation à vingt ans des ressources minières profondes.

Les deux acteurs majeurs sont Technip et l'IFREMER, qui sont bien placés, mais ils ne sont pas des opérateurs miniers. ERAMET et AREVA ont leur propre stratégie d'entreprise. L'avenir des activités off-shore en ZEE repose sur les partenariats européens qui sont à construire. L'IFREMER a la capacité technique de développer des activités dans ce domaine, d'ailleurs l'exploitation minière profonde est un de ses axes stratégiques. Il faut faire en sorte que le BRGM et l'IFREMER travaillent mieux de concert sur ces questions, notamment sur les amas sulfurés. Notre rôle de tutelle est impliqué.

Je vais maintenant clarifier le positionnement de l'IFREMER. Dès lors que l'IFREMER est opérateur dans une campagne pour un État ou un opérateur étranger, il est expert auprès de l'État français pour nous assister dans nos décisions. Notamment pour les titres miniers en mer, l'IFREMER est obligatoirement expert auprès du ministère pour donner un avis scientifique avant la décision. Nous travaillons actuellement avec l'IFREMER afin de définir des règles de déontologie, qui permettent à l'IFREMER à la fois de poursuivre son développement technologique et ses relations avec les opérateurs privés, et aussi son rôle de conseil auprès des ministères pour des décisions publiques.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

J'aimerais soulever quelques questions. Tout d'abord, le pouvoir réglementaire a tendance à prendre le pas sur le pouvoir législatif : vous avez rédigé un décret faute de décision législative. Ce n'est pas nécessairement à déplorer, mais je tenais à le souligner.

Ensuite, vous avez évoqué les retombées économiques pour les territoires dont les intérêts seraient selon vous parfois en contradiction avec les intérêts nationaux. En Guyane, des entreprises nationales, voire européennes, de l'industrie spatiale, pourraient aussi travailler en lien avec les activités d'hydrocarbures. Certaines le font déjà, comme la Sodexo. Quand ce n'est pas le cas, c'est que nous n'avons pas su anticiper. Il n'y a pas eu de dialogue. Il faut donc trouver davantage de cohérence entre les décisions prises au niveau gouvernemental et les applications locales.

J'en viens à la fiscalité : certes, dans certains domaines, nous manquons de données pour apprécier les mesures à mettre en oeuvre. Mais certaines propositions législatives qui présentent un intérêt (par exemple, comment indexer la fiscalité sur le cours de l'or) ne sont pas entendues par le gouvernement. La réforme du code minier devrait être l'occasion de trouver des synergies entre la nécessité de protéger l'environnement, de favoriser des retombées économiques et de promouvoir l'attractivité des territoires. Nos territoires ont besoin de retombées fiscales mais aussi économiques.

Mme Odile Gauthier

Il est difficile d'avoir une visibilité sur la rentabilité et les retombées économiques d'activités qui relèvent de la prospective. Il y a une stratégie de long terme à mettre en place, par exemple sur l'activité portuaire. Je suis en revanche d'accord avec vous sur la fiscalité de l'or en Guyane.

M. Rémi Galin

Il peut exister un hiatus entre les intérêts du territoire et ceux de l'État. Une entreprise chinoise qui exploite une ressource dans la ZEE d'un territoire, en se conformant aux règles fiscales du territoire, alimente ses propres usines. Cette alimentation fait précisément défaut à nos industries nationales. De surcroît, la France a pu aider cette entreprise chinoise à se développer. Là réside le hiatus. Mais cela ne signifie pas nécessairement que les intérêts locaux et nationaux sont antagonistes. Les territoires doivent développer l'internationalisation de leurs rentes minières pour ne pas que leurs ressources leur échappent ! La valorisation de leurs ressources minières crée de la richesse pour le territoire !

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

S'agissant des sources hydrothermales, existe-t-il beaucoup de sites éteints répertoriés, et représentent-ils un intérêt économique ?

M. Rémi Galin

Je m'appuie sur les études de l'IFREMER. Aujourd'hui, les potentiels annoncés sont importants et représentent des années d'approvisionnement pour les industries. La difficulté réside dans l'identification des zones où ils sont éteints. La dernière campagne de l'IFREMER à Wallis-et-Futuna a permis des progrès dans son savoir-faire et sa technologie. Il n'existe pas de cartographie. Quelques zones d'intérêt ont été identifiées, comme à Wallis-et-Futuna et aux Tuamotu en Polynésie française. Il faut faire un inventaire minier off-shore. C'est un investissement d'avenir à faire pour attirer les projets miniers. C'est un investissement coûteux qui relève d'un choix d'investissement collectif.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Quel est votre sentiment sur la question de la dépendance nationale et de la sécurisation des approvisionnements stratégiques ? Le mode de consommation français et européen doit-il changer et s'appuyer sur le recyclage, qui constitue une forme d'autonomie énergétique ? Il s'agit d'éviter la pénurie. Or, ce n'est pas la préoccupation des opérateurs que nous avons entendus !

Mme Odile Gauthier

J'ai en effet insisté sur le recyclage. Selon la vitesse à laquelle on arrive à recycler des matières premières ou à réduire la consommation, la date à laquelle on a besoin de ces ressources n'est pas la même. On ne peut pas continuer à consommer sans se préoccuper de recyclage ou de substitution de ressources ! Nous avons des mines terrestres énormes qui ont un impact sur l'environnement très important. Le COMES traite de tous ces aspects en même temps. La France a tout à gagner à travailler sur ces aspects de recyclage, de substitution et d'économies de ressources, en même temps que sur l'exploitation de nouveaux gisements.

M. Rémi Galin

Le recyclage et la substitution sont aussi une condition d'acceptabilité des nouveaux projets. Il faut travailler sur tous ces aspects à la fois. Nous avons un devoir impérieux d'exemplarité. D'un autre côté, le recyclage et la substitution sont aussi une opportunité d'activité économique.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Peut-on dire que nous sommes dans une phase conservatoire, en attendant que les opérateurs aient plus de visibilité et que la recherche scientifique ait davantage progressé ? L'ensemble de ces données constitue-t-il un atout ?

Mme Odile Gauthier

Oui, c'est un atout, mais à quelle échéance ? Et à condition d'allier la connaissance des minéraux et de la biodiversité.

M. Serge Larcher, président

Les ZEE constituent une chance en matière de biodiversité et de matières minières. C'est une richesse potentielle. Mais elle pose la question de la protection de la nature. D'autre part, technologiquement, comment faire pour descendre dans les grandes profondeurs et atteindre les nodules polymétalliques ? Quant aux terres rares, elles ne sont pas rares. Ce qui importe est la teneur en métaux. L'intérêt est donc de trouver des matériaux qui ne soient pas trop profonds, et qui peuvent être exploités à bas coût et à profusion.

M. Rémi Galin

Je ne crois pas qu'on cherche ce qui est rare. Les amas sulfurés recèlent du zinc et du cuivre, qui ne sont pas des métaux rares. Ces métaux ont une valeur plus importante aujourd'hui qu'il y a trente ans. On a cherché les métaux les plus couramment utilisés. Aujourd'hui, on en a trouvé d'autres, qu'on sait quantifier et mesurer, et il y a un marché. L'approche est différente. Aujourd'hui, on a besoin de métaux plus stratégiques.

M. Serge Larcher, président

Il reste à maîtriser la technologie.

M. Rémi Galin

Oui. Il faut aussi avoir une approche prudente. On voit apparaître des associations environnementales dans le Pacifique qui ont des revendications légitimes, mais qui nous obligent à avancer avec précaution.

M. Serge Larcher, président

Il ne faut pas laisser les autres exploiter nos zones.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Vous avez cité des études du Brésil. Existe-t-il d'autres études communes avec d'autres pays ? Existe-t-il une coopération ?

M. Rémi Galin

L'IFREMER est un opérateur mondial, et à ce titre, il contribue à certains travaux. Sur certains permis, mais à ma connaissance, pas français, des pays se sont associés. C'est un de nos axes de travail, pour nous comme pour le COMES. Le Brésil pourrait être un bon candidat pour nous, par exemple.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Y aura-t-il une réflexion sur l'outre-mer dans la réforme du code minier ?

Mme Odile Gauthier

Oui. L'outre-mer fera l'objet d'une réflexion spécifique.

Audition de M. Damien Siess, directeur-adjoint, Direction productions et énergies durables, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

M. Serge Larcher, président

Je souhaite la bienvenue à M. Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

M. Damien Siess, directeur-adjoint à la Direction productions et énergies durables de l'ADEME

Je vais tout d'abord vous présenter les missions de l'ADEME, établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle conjointe des ministères en charge de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'ADEME participe à la mise en oeuvre des politiques publiques dans les domaines de l'environnement, de l'énergie et du développement durable. Afin de leur permettre de progresser dans leur démarche environnementale, l'Agence met à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, ses capacités d'expertise et de conseil. Elle aide en outre au financement de projets, de la recherche à la mise en oeuvre dans ses domaines d'intervention.

Les métiers de l'ADEME se déclinent selon quatre modalités :

- Connaître : l'ADEME assure l'animation et participe au financement de la recherche et de l'innovation. Elle participe également à la constitution et à l'animation de systèmes d'observation pour mieux connaître l'évolution des filières et être au fait des meilleures technologies d'aujourd'hui et de demain ;

- Convaincre et mobiliser : l'information et la sensibilisation des publics sont des conditions essentielles de réussite des politiques en matière d'environnement. Dans ce cadre, l'ADEME met en oeuvre, avec des partenaires pour démultiplier les effets, des campagnes de communication de grande ampleur pour faire évoluer les mentalités, les comportements et les actes d'achats et d'investissement. L'ADEME mène ainsi des campagnes grand public pour le compte du gouvernement ;

- Conseiller : l'ADEME assure un rôle de conseil pour orienter les choix des acteurs socio-économiques. C'est une aide à la décision pour les entreprises. La diffusion directe par des relais de conseils de qualité est une composante majeure de la mise à disposition de l'expertise de l'Agence (aide aux maîtres d'ouvrage, soutien aux relais et réseaux d'acteurs pour démultiplier l'offre de conseils). L'ADEME élabore également des outils et des méthodes adaptés aux attentes de ces acteurs ;

- Aider à réaliser : pour les aides directes à la concrétisation des projets, l'ADEME déploie des types de soutien financier gradués. Elle favorise également la mise en oeuvre de références régionales et nationales.

Le rôle de l'ADEME est d'avoir « un coup d'avance » pour alimenter les décisions publiques et définir la réglementation de demain. Pour être éligibles à nos aides, il faut aller au-delà des prescriptions réglementaires.

L'ADEME compte 1 000 agents, répartis dans les services centraux et les directions régionales, y compris dans les quatre DOM historiques ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. L'outre-mer représente 10 % des effectifs et du budget de notre action régionale, et une cinquantaine de personnes.

Le budget de l'ADEME s'élève à quelque 200 à 250 millions d'euros annuels. Les engagements annuels représentent 600 à 650 millions d'euros par an. Le domaine énergie-climat représente la moitié de notre activité ; c'est le premier métier de l'Agence. Enfin, depuis le lancement des investissements d'avenir, nous avons un budget à part, le budget du Commissariat général à l'Investissement (CGI) confié à l'ADEME : quatre programmes représentent 2,5 milliards d'euros d'investissements d'avenir, dont 1,5 milliard affectés aux énergies décarbonées, la chimie verte, les réseaux intelligents... Nous sommes donc un acteur important dans l'innovation pour les énergies de demain.

S'agissant de l'énergie et du climat, nous avons deux compétences : les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables. L'un des grands objectifs que nous a confiés le gouvernement est véritablement l'efficacité énergétique et l'aide au financement ou à l'expertise des énergies renouvelables.

S'agissant particulièrement des énergies marines, il faut savoir qu'elles concernent davantage le littoral et la zone territoriale que la ZEE : plus on s'éloigne de la côte, plus les contraintes se multiplient et élèvent les coûts. Le coût de raccordement, ne serait-ce qu'électrique, avoisine le million d'euros par kilomètre ; le coût d'intervention en maintenance et en installation est également plus élevé ; les contraintes physiques sur les matériaux, liées aux marées et au vent, doivent aussi être prises en compte.

L'exploitation à distance des côtes est donc un sujet de long terme, qui supposerait, pour se développer, des baisses très fortes des coûts technologiques (notamment du raccordement), qui permettraient de démultiplier la surface potentielle.

Elle présente cependant également des avantages : en s'éloignant des côtes, on multiplie le potentiel en surface. L'acceptabilité de l'exploitation est davantage acquise que sur le littoral, marqué par les conflits d'usages potentiels liés à l'esthétique, la pêche, la plaisance... La pression foncière au sens large du point de vue des usages de la mer est beaucoup plus prégnante à proximité des côtes.

La deuxième évolution qui favoriserait le développement des énergies marines loin des côtes consisterait en des solutions massives de stockage, notamment d'électricité, soit de type gravitaire (par différence de hauteur entre des niveaux d'eau), soit des stockages chimiques, aujourd'hui pas complètement maîtrisés, ou à des coûts prohibitifs. La mise en place de telles technologies de rupture à l'horizon de 40 à 50 ans rendrait les ZEE potentiellement intéressantes, car elle augmenterait la rentabilité de projets de très grande taille, certes chers en investissement, mais avec la possibilité à la fois de stocker l'énergie sur place et de la rapatrier à terre pour satisfaire la demande à tout moment.

Ces éventuelles évolutions relèvent pour l'instant de la prospective et de la recherche à des échéances de 30 ou 40 ans. La maturité à court et moyen termes des technologies demeure proche des côtes.

Je vais à présent vous présenter les différentes technologies marines, par ordre de maturité décroissante.

La plus mature et la plus ancienne des technologies marines est le marée-moteur. C'est un système de barrage aux coûts connus, mais dont les perspectives sont relativement faibles en termes de croissance car il existe peu de sites adaptés dans le monde, et les sites existants ont des impacts environnementaux forts (blocage de la circulation d'eau, impact sur la biodiversité).

Ensuite, l'éolien : l'éolien posé sur le fond des mers, jusqu'à 40 mètres, est la deuxième technologie plus mature car c'est une adaptation directe de ce que l'on sait faire à terre. L'éolien posé n'est cependant pas conçu comme une énergie marine. Il s'est d'abord développé sur des sites de faible profondeur, en mer Baltique par exemple, assez loin des côtes pour éviter les conflits liés à la dénaturation du littoral. En outre-mer, les fonds descendent très vite, ce qui rend quasiment impossible le déploiement de ces technologies ancrées, sauf à les installer à moins de deux kilomètres des côtes.

Pour ces mêmes raisons, les développements pour l'instant peu matures de l'éolien flottant sont plus intéressants car ils permettent de s'affranchir de la profondeur. Des systèmes d'ancrage permettent de maintenir la plateforme flottante sur laquelle sont installées les éoliennes. Il s'agit cette fois d'une véritable énergie marine, pour laquelle la France a des atouts importants : elle possède à la fois un espace maritime énorme qui produit de l'énergie grâce à la houle, les vagues, le courant ; et également les capacités scientifiques et industrielles pour développer les plateformes en mer et les navires, que ce soit pour l'installation ou la maintenance. Il y a donc un véritable potentiel pour la France, comme l'a souligné cette semaine encore la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Mme Delphine Batho.

L'éolien flottant rassemble des professionnels très compétents en ancrage, en stabilité de flotteurs, et qui ne sont pas des acteurs historiques de l'éolien. Il y a donc une véritable rencontre entre les acteurs de la mer et ceux de l'éolien pour cette technologie.

La raison pour laquelle l'éolien en mer n'est pas nécessairement le plus intéressant pour l'outre-mer est que, dans un certain nombre de territoires d'outre-mer, on atteint déjà un taux important d'énergies renouvelables intermittentes parmi les énergies électriques. Dans certaines conditions (consommations faibles et périodes ensoleillées et éventées), ce taux peut atteindre 30 % de la production d'électricité à un instant donné, ce qui est la limite si on veut aujourd'hui gérer « sereinement » un réseau électrique. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas faire mieux demain, surtout si l'on dispose de réseaux intelligents et de capacité de stockage. Cela signifie que les énergies renouvelables constituent un enjeu très important dans les outre-mer : c'est le cas de la géothermie et de certaines des énergies marines que je vais présenter, et dans une moindre mesure de l'éolien en mer.

L'hydrolien (grandes hélices sous-marines qui utilisent le courant des marées, d'autant plus important qu'on a des phénomènes d'accélération à proximité des côtes) trouve des zones propices très près des côtes. Si, demain, on s'affranchissait de certaines contraintes, on pourrait utiliser les grands courants océaniques qui sont loin des côtes, mais on retombe sur les contraintes que j'ai indiquées précédemment. On utilise donc l'énergie hydrolienne plutôt à proximité des côtes, en métropole, où on trouve des phénomènes de marnage plus importants qu'en outre-mer. Le potentiel pour l'hydrolien en outre-mer est donc assez faible.

Le houlomoteur (utilisation directe de l'énergie des vagues ou de la houle) se présente également sous deux options : soit à proximité des côtes où on utilise les phénomènes liés aux vagues hautes, soit l'utilisation de la houle océanique, moins importante en hauteur mais très régulière et très puissante. Le potentiel en outre-mer est important, mais de façon intermittente, en fonction de l'intensité de la houle. Les services météorologiques peuvent prédire les niveaux d'intensité de la houle, ce qui est un facteur positif. Mais globalement, l'hydrolien reste peu mature.

L'énergie thermique des mers est cruciale pour l'outre-mer, avec deux types d'applications possibles : électrique, en utilisant les différences de température entre l'eau en surface et l'eau profonde ; ou pour des besoins de climatisation directement à partir de l'eau froide récupérée dans les profondeurs pour alimenter un réseau d'eau froide. Ces deux applications sont donc adaptées à l'outre-mer : la première permet de fournir de l'électricité de base ; la seconde permet de fournir des systèmes de froid renouvelable, particulièrement intéressants pour les territoires d'outre-mer soumis à des climats de forte chaleur. À l'inverse des technologies précédentes, on recherche cette fois des eaux profondes, sans avoir besoin d'aller très loin des côtes.

Enfin, l'énergie osmotique qui consiste à utiliser la différence de salinité entre deux eaux, n'est pas du tout mature et utilise des matériaux coûteux ; cette énergie n'est pas d'actualité aujourd'hui.

J'en viens plus précisément aux enjeux directs pour l'outre-mer. Vous savez que l'énergie y est plus chère qu'en métropole, de l'ordre de quatre fois plus chère. L'intérêt de remplacer ces énergies par des énergies renouvelables - remplacement acté par un certain nombre de schémas régionaux pour l'outre-mer - est double : ce sont des énergies carbonées pour l'instant, et dont les moyens de production coûtent cher. Un système de péréquation, la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) a été mis en place. Surtout, le potentiel existe réellement : nous avons l'accès à la mer et à la ressource, pour certaines des énergies marines renouvelables. L'intérêt est fort pour les énergies de base, et pour les solutions de stockage. Pour les énergies qui ne produisent en permanence, il faut raisonner en stockage associé pour avoir de réelles perspectives. C'est le cas de l'éolien en mer.

Parmi les plus beaux exemples de projets actuels qui donnent des perspectives intéressantes pour l'outre-mer, j'en citerai deux qui sont liés à l'énergie thermique des mers (ETM). Le premier, l'ETM Martinique, qui vise à produire de l'électricité, a été soutenu par la France dans le cadre de l'appel d'offres de la Commission européenne NER 300, qui consiste à financer au niveau européen des projets d'énergies renouvelables ou de stockage de CO 2 avec les crédits des mises aux enchères des crédits carbone. La France a soutenu sa candidature ; l'ADEME a indiqué que si le projet était retenu au titre du programme NER 300, il y aurait un complément de financement au titre des investissements d'avenir déployé par le budget français. Mais ce projet ETM Martinique est actuellement en souffrance, car il figure en dernière position dans le classement des projets rendu par la Commission européenne en juillet 2012, c'est-à-dire qu'il est premier « relégable ». En effet, la Commission européenne aura moins de crédits que prévu pour chaque projet, compte tenu de la baisse du cours du carbone constatée au moment du lancement du programme. Certains projets de la liste préliminaire ne seront donc pas retenus. Il est très probable que le projet ETM Martinique soit « recalé » quand la Commission annoncera sa décision finale. Se posera alors la question, pour DCNS, la région Martinique et les autres porteurs de projet, de l'avenir de ce projet, dont l'intérêt technique demeure. Quelle partie des études environnementales ou sur le gisement pourra être réutilisée pour d'autres énergies marines, par exemple pour un projet de climatisation ? En tout état de cause, le projet est en soi un beau projet, qui utilise la différence de température en surface (25 degrés) et en profondeur (5 degrés), mais très cher et très probablement non retenu par la Commission européenne.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Pourquoi a-t-il été classé dernier ?

M. Damien Siess

Le critère déterminant du classement est le ratio entre le coût et le productible, notamment la quantité d'énergie produite in fine. D'autres projets sont plus immédiatement rentables. Il ne m'appartient pas de juger si ce sont les projets les plus chers ou les moins matures qui mériteraient justement d'être aidés...

Le deuxième projet très important est le projet SWAC à Saint-Denis, à La Réunion, d'un budget de 140 millions d'euros, dont 20 millions d'euros d'aides financés par l'ADEME et 30 millions d'euros de la région, du Fonds européen et du FEDER. C'est un projet de climatisation qui utilise de l'eau profonde pour fournir du froid renouvelable. Ce projet est porté par un consortium au sein duquel GDF-Suez est le leader. La société Climespace et la Caisse des Dépôts sont également parties prenantes. Le deuxième intérêt du projet est qu'il permet un effacement électrique : les pompes à chaleur ont besoin de moins d'électricité que les climatiseurs pour produire du froid. Le coefficient de performance est donc très élevé, de l'ordre de 10 (l'énergie obtenue sous forme de froid est 10 fois supérieure à l'énergie utilisée par la pompe à chaleur).

Or, chaque production électrique dans les zones non interconnectées comme La Réunion étant plus chère que la moyenne nationale, la différence est compensée par la CSPE, le système de péréquation qui sert à payer le tarif de première nécessité. Un système peu coûteux en électricité comme ce projet SWAC permet donc de faire des économies sur la CSPE. L'objectif économique de ce projet est qu'EDF puisse rémunérer la société porteuse du projet pour les kilowatts heure électriques non appelés (les effacements) et qu'ensuite cette rémunération soit répercutée sur la CSPE mais de façon moindre que ce qui aurait été répercuté si on avait seulement fait tourner les climatiseurs. En revanche, le dispositif actuellement prévu par la CSPE ne permet pas de compenser l'effacement avec de la CSPE. Peuvent être compensés les seuls trois domaines suivants : tarif de première nécessité, production dans les zones non interconnectées et production renouvelable. Il n'existe pas de rémunération possible par la CSPE d'économies d'énergie ni sur le stockage. C'est paradoxal au regard des enjeux à moyen et long termes. Cela nécessiterait une modification législative. C'est l'objet d'un amendement à la proposition de loi du député M. François Brottes instaurant une tarification progressive de l'énergie. Cet amendement permettrait à la CSPE de compenser l'effacement électrique. Une telle disposition aurait un fort impact sur la faisabilité du projet SWAC.

Ce projet devra par ailleurs obtenir l'aval de la Commission européenne, compte tenu des niveaux d'aide apportés. Cela suppose encore un an de discussion pour que les financements publics accordés soient validés avant le commencement du projet.

D'autres projets de même nature sont en cours, mais moins avancés : l'un à Saint-Pierre à La Réunion, porté par EDF, sera sans doute déposé prochainement. Si le projet ETM Martinique ne se fait pas du tout et qu'il est décidé de faire autre chose que de l'électricité, l'eau profonde froide serait alors utilisée directement dans un autre réseau de froid et éventuellement dans d'autres territoires.

L'ADEME soutient par ailleurs des projets houlomoteurs, à un stade d'avancement encore moindre. Je souhaite citer un projet qui met en évidence l'importance du stockage : c'est un projet de steppe marine en Guadeloupe, à un stade expérimental pour l'instant, et qui permettrait le stockage de l'électricité sur le même principe que les steppes en zone montagneuse, avec des dénivelés et un système de réservoirs aval et amont. Ces systèmes ont de très bons rendements, proches de 85 % à 90 %. On peut réaliser ce type de projet soit en bord de mer, à proximité d'une falaise par exemple, soit en pleine mer avec des digues et des lagons artificiels. Il s'agit d'une technologie d'avenir, nous en sommes au stade de la recherche-développement.

En conclusion, il faut continuer la recherche-développement technologique, notamment pour permettre le développement d'un certain nombre de filières qui ont un fort potentiel à la fois en termes d'enjeux énergétiques pour l'outre-mer et pour l'industrie française. À terme, il faut non seulement développer les espaces marins proches des côtes, mais utiliser aussi la ZEE. Aujourd'hui, on en est encore au stade de la recherche - développement.

M. Serge Larcher, président

Je vous remercie de cet exposé exhaustif.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

J'ai le sentiment que vous opposiez l'outre-mer à l'hexagone. Or, il y a une diversité de situations dans les outre-mer. Certains territoires pourraient-ils être exploités comme des zones pilotes, afin que la technologie ainsi expérimentée soit ensuite généralisée, voire exportée ? Les thermo-énergies par exemple, pourraient-elles constituer un projet expérimental ?

M. Damien Siess

La ZEE ultra-marine se caractérise par un enjeu double : un intérêt pour la demande énergétique nationale et des filières d'export. L'expérience montre qu'on ne peut pas être présent à l'export si on n'a pas au préalable un marché domestique sur lequel on existe. En outre-mer comme ailleurs, les meilleurs acteurs sont ceux qui ont une présence forte chez eux. Si on réalise de beaux projets en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion, on peut prétendre les exporter, vers la zone Caraïbes par exemple. De même, les enjeux de la géothermie sont doubles : l'énergie géothermique peut aussi intéresser d'autres territoires comme la Dominique, qui consomment des énergies chères et carbonées.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Avez-vous des études précises, par exemple pour la Guyane, où nous avons de nombreux fleuves, sur les barrages ?

Par ailleurs, l'ADEME possède-t-elle des études incitant davantage à développer tel ou tel procédé ?

M. Damien Siess

Je ne suis pas sûr que nous ayons des études sur le potentiel hydroélectrique en Guyane. On considère généralement que l'hydroélectrique est une énergie terrestre.

Pour répondre à votre deuxième question, l'ADEME a produit un document fondateur au moment où les investissements d'avenir ont été lancés. Quand l'ADEME s'est vue confier les 2,5 milliards d'euros au titre des investissements d'avenir, elle a ciblé précisément ce qu'elle voulait pour leur mise en oeuvre. D'autres modalités d'application des crédits des investissements d'avenir ont davantage été des guichets ouverts. Avant de recevoir les projets et de monter leur financement, nous avons pris le temps d'établir des feuilles de route et de lancer des appels à manifestation d'intérêt très ciblées sur la différence technologique et les potentiels existants. Il y a eu notamment une feuille de route sur les énergies marines, qui a indiqué que nous allions cibler telle ou telle technologie ; ensuite, les projets reçus dans le cadre des appels à manifestation d'intérêt devront bien répondre à tel ou tel verrou technique ou socio-économique, actuel ou à venir en cas de développement important des énergies marines. Ce travail en amont nous a permis de cibler les projets.

M. Serge Larcher, président

Je vous remercie pour votre exposé clair et complet.

(Jeudi 15 Novembre 2012)

Visio-conférence avec M. Temauri Foster, ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française, et M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française

M. Serge Larcher, président

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité car le décalage horaire entre la Polynésie et l'hexagone, de 11 heures depuis le passage ici à l'heure d'hiver, vous conduit à nous rencontrer à 22 heures, heure locale.

Cette visioconférence est une première pour la délégation à l'outre-mer qui fêtera bientôt son premier anniversaire et j'espère qu'aucune saturation des réseaux du côté des États-Unis ne viendra perturber ou interrompre nos échanges. La thématique des zones économiques exclusives nous fait aborder décidément de nombreux défis techniques !

Notre délégation a en effet choisi comme sujet d'étude les ZEE ultramarines : à travers de nombreuses auditions, nous en explorons semaine après semaine les ressources et les enjeux. Ces enjeux sont évidemment majeurs pour les collectivités des outre-mer et il était donc indispensable de recueillir l'expression d'autorités politiques locales sur ce sujet : Richard Tuheiava, un de nos trois rapporteurs, avec Jean-Étienne Antoinette, sénateur de Guyane et Joël Guerriau, sénateur de Loire-Atlantique, n'a pas manqué d'attirer notre attention sur ce point.

Je vous donne la parole.

M. Temauri Foster, ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française

C'est un grand honneur pour moi d'être entendu par la délégation sénatoriale à l'outre-mer. La Polynésie française est une poussière d'îles, située au coeur d'une immense zone maritime de 5 millions de km 2 . Nos 119 îles représentent 270 000 habitants, un PIB de 4,2 milliards d'euros, et un taux de chômage estimé à plus de 12 %. La Polynésie ressent fortement la crise, avec une chute du PIB de 10 % sur la décennie.

Je vais tout d'abord vous présenter un rapide panorama des secteurs économiques auquel s'intéresse le ministère des ressources marines. En 2011, les produits de la mer, la pêche, l'aquaculture et la perliculture représentaient une production de 11 000 tonnes pour une valeur estimée à plus de 142 millions d'euros ; la perliculture et la pêche sont les première et deuxième ressources du pays à l'exportation.

Les énergies renouvelables marines représentent une production annuelle de 200 millions de KWh et 28 % de la production totale d'énergies renouvelables. Nos objectifs fixés par le schéma directeur des énergies renouvelables nous conduiront à privilégier les projets hydroélectriques tout en optimisant la filière photovoltaïque et en préparant l'avenir avec des projets pilotes sur les énergies du futur. En 2018, 38 % de notre production d'électricité devra venir des énergies renouvelables, contre 28 % aujourd'hui.

Pour atteindre nos objectifs économiques, toutes filières confondues, des mesures d'accompagnement sont indispensables : refonte de notre cadre réglementaire et institutionnel ; nécessité de mieux gérer et protéger nos ressources ; évaluation et refonte de notre dispositif d'aides avec le souci de plus d'efficacité et d'équité ; développement de nos coopérations régionales et internationales ; formation de notre jeunesse et des acteurs de ces filières. Notre programme est ambitieux, et correspond aux enjeux économiques, sociaux et énergétiques que nous devons relever. La réduction de notre dépendance aux énergies fossiles est notamment un objectif crucial pour nous. Nous avons fixé comme objectif d'augmenter le chiffre d'affaires du secteur des énergies marines d'ici 2018. Mais les équipements structurants sont très coûteux. Nous cherchons des financements nationaux et internationaux, publics ou privés. Nous avons besoin du soutien de la métropole pour financer des investissements lourds, notamment en matière d'énergies renouvelables et de pêche. Nous souhaitons bien sûr le maintien du dispositif de défiscalisation.

Enfin, j'exprime toutes mes préoccupations sur la diminution des moyens déployés pour surveiller notre immense zone économique exclusive. Enfin, nous sollicitons un accompagnement renforcé dans la recherche et développement de nos filières les plus importantes.

M. Serge Larcher, président

Je vous remercie, Monsieur le ministre. Vous avez soulevé le problème de la souveraineté sur nos espaces maritimes. La rédaction d'un Livre blanc de la Défense est actuellement en cours ; notre préoccupation est d'y affirmer notre volonté de protéger, sauvegarder et surveiller les espaces maritimes de tous nos outre-mer, afin que nos richesses halieutiques et minières ne soient pas exploitées par d'autres. La France doit se doter des moyens d'affirmer sa souveraineté dans ce domaine.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des projets en cours concernant les énergies renouvelables ?

M. Temauri Foster

La Polynésie s'est engagée à réduire ses besoins en énergies renouvelables de 50 % d'ici 2020. Un plan a été mis en place. Nous travaillons actuellement au développement d'une autre centrale de distribution hydroélectrique d'un potentiel de production de 10 mégawatts. Pour ce qui concerne le solaire, nous arrivons à saturation. Il faut désormais trouver des solutions de stockage de l'énergie solaire.

L'un des projets les mieux maîtrisés en Polynésie utilise l'énergie thermique des mers : c'est le SWAC, un système de climatisation qui utilise de l'eau profonde pour fournir du froid renouvelable. Un hôtel de Bora-Bora est entièrement climatisé grâce à ce système. Cela fonctionne très bien. Un deuxième projet SWAC en cours concerne un hôtel en construction sur l'atoll de Marlon Brando. Un troisième projet SWAC a pour objet de climatiser l'hôpital de Taiohae aux Îles Marquises. Son plan de financement est en cours de finalisation. Un quatrième projet SWAC concerne la côte ouest de Tahiti.

Nous avons par ailleurs entamé une étude sur l'énergie houlomotrice. Nous attendons un projet finalisé de la société porteuse du projet.

Concernant l'énergie hydrolienne, un début de travaux a été réalisé sur l'atoll de Hao, où des essais sur la courantologie ont été menés. Nous cherchons des sociétés pour réaliser les futures turbines. Notre objectif est d'appliquer ce programme dans tous les atolls où il y a de forts courants.

Enfin, nous avons, en partenariat avec l'État, cofinancé un projet d'études qui utilise l'énergie thermique des mers (ETM). Nous avons fait appel à une société française et une société japonaise, qui ont travaillé en collaboration. L'étude est à présent terminée. Nous attendons la finalisation de ce projet, très coûteux, pour lequel nous avons besoin du soutien financier de la métropole.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Quel est le sentiment du gouvernement polynésien au regard des enjeux des ressources minérales profondes et au vu des contraintes technologiques et budgétaires ?

M. Temauri Foster

Mon collègue, M. Jacky Bryant, vous répondra plus précisément sur les ressources minérales. Pour ce qui concerne les ressources marines, nous maîtrisons les ressources de surface, mais pas celles des grandes profondeurs. Il faut investir beaucoup de moyens pour connaître les ressources de nos fonds marins. De plus en plus de navires de recherche, nationaux et internationaux, sillonnent nos océans. Mais nous ne connaissons pas toujours les objectifs de leurs recherches.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

On constate une baisse capacitaire en matière de surveillance. Dans les huit prochaines années, comme l'indique le Livre Blanc sur la Défense, on rencontrera des difficultés réelles en matière de surveillance des mers. Quelles sont vos recommandations sur cette importante question ?

M. Temauri Foster

Je dois vous faire part de ma profonde déception. Nous n'aurons peut-être plus de moyens pour assurer la surveillance de notre ZEE d'ici huit ans. Je reste persuadé qu'avec l'aide de l'État d'autres moyens seront déployés. Je m'adresse à vous pour relayer ce message afin que l'État investisse en Polynésie dans des moyens plus modernes, satellitaires notamment, pour déceler tous les navires conformes à la réglementation imposée par les différents comités de pêche internationaux. Ces navires qui naviguent dans nos ZEE doivent être équipés de façon à pouvoir être détectés par des radars. Nous devons être capables de déceler les navires étrangers qui pénètrent dans nos ZEE. De tels outils modernes nous permettraient de simplifier notre intervention, même si nous n'aurons prochainement plus autant de bateaux de surveillance.

M. Serge Larcher, président

C'est une préoccupation de la délégation que la France puisse exercer ses compétences régaliennes sur ses ZEE. Le Livre Blanc sur la défense nous inquiète beaucoup. Les navires étrangers peuvent traverser nos ZEE, mais non y stationner pour y piller nos richesses. Nous devons nous faire entendre.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Vos objectifs sont ambitieux et clairvoyants. Votre espace maritime de 5 millions de km 2 constitue une richesse mais aussi un défi. Existe-t-il un document plus précis qui analyse cet espace maritime, et décrive les moyens à mettre en oeuvre pour aller dans le sens de vos préoccupations ?

La pêche et l'aquaculture polynésiennes sont en concurrence avec l'Asie. Pourquoi cette concurrence est-elle si forte, et comment pouvez-vous renforcer votre compétitivité pour y faire face ?

En matière de recherche et développement, de quoi disposez-vous sur votre territoire, en matière d'effectifs notamment ? Quels sont vos besoins ?

Vous avez à relever un certain nombre de défis ; quels sont les handicaps les plus lourds à surmonter pour vous ?

M. Temauri Foster

Nous avons mis en place, avec l'État, un Conseil polynésien de la Mer et du Littoral, présidé par le Haut-Commissaire et par le Président de la Polynésie. Dans le cadre d'un renforcement du partenariat avec l'État, ce Conseil étudie les moyens de renforcer la contribution à l'essor économique de la Polynésie, tout en veillant à la protection de l'environnement.

Il se réunit deux fois par mois et est composé de plusieurs comités, notamment : le comité stratégique qui conduit la politique maritime intégrée ; le comité opérationnel de l'action en mer, chargé de coordonner l'action des services de l'État et de la Polynésie. Les aspects liés à la surveillance de la pêche en Polynésie sont en cours de discussion. L'État et la Polynésie travaillent ensemble pour accompagner le développement des activités autour des ressources marines, mais nous ne disposons pas d'un Livre Bleu.

S'agissant de la concurrence avec l'Asie, il est très difficile pour la Polynésie d'être compétitive, pour des raisons notamment salariales ; la main d'oeuvre asiatique est très faiblement rémunérée comparée à celle polynésienne, qui perçoit un SMIC. Un autre handicap pour nous est l'éloignement de notre territoire des autres marchés. Cet éloignement est dû au coût élevé du transport. Pour y remédier, nous avons demandé que la Polynésie puisse bénéficier du dispositif européen d'aide au transport des produits de la mer, dispositif dont bénéficient la Guadeloupe et La Réunion. Cela permettrait à la Polynésie d'exporter davantage ses produits. Nous sommes par ailleurs à la recherche de marchés de niches, mais nous sommes freinés par le coût du fret.

Pour être plus compétitifs, nous avons choisi d'améliorer et d'accroître notre flottille de pêche afin qu'elle couvre une surface plus importante de ZEE. Il faut savoir en effet qu'un tiers seulement de notre ZEE est exploité de manière constante et efficace. Nous examinons par ailleurs la possibilité de faire appel à une part raisonnable de main d'oeuvre étrangère, notamment à des techniciens de haut niveau pour assurer la conservation des poissons dans le froid.

M. Serge Larcher, président

Votre marché cible est-il hexagonal, ou bien est-il constitué des pays de votre zone, y compris le Japon par exemple ?

M. Temauri Foster

Notre plus gros marché pour la pêche est l'Europe. Nous travaillons également avec les États-Unis, les Îles Hawaï, le Japon.

M. Serge Larcher, président

Quelles sont vos attentes s'agissant de la recherche et développement ? Travaillez-vous avec l'IFREMER par exemple ?

M. Temauri Foster

Nous travaillons avec l'IFREMER, l'IRD, le Trium, qui sont installés en Polynésie française. Notre partenariat porte sur la recherche fondamentale et appliquée. Nous cherchons à avoir un soutien technique de chercheurs métropolitains spécialisés pour accompagner nos axes de développement.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Quel est votre sentiment sur la question des câbles optiques sous-marins, technologie de pointe ?

M. Temauri Foster

Cette poussée technologique est inévitable et s'avère indispensable dans le monde actuel de la communication et des échanges. Je me réjouis que la Polynésie dispose de câbles optiques sous-marins, mais je crois qu'ils doivent être davantage développés. Le câble polynésien est sous-exploité. Il faut accroître son utilisation pour raccorder plus de capacités, améliorer la qualité de la transmission, augmenter la puissance du débit entrant et sortant, et diversifier la ramification vers d'autres pays.

M. Serge Larcher, président

Je vous remercie, Monsieur le ministre. Vous pouvez compter sur notre soutien, tout particulièrement sur les questions de la souveraineté française sur nos ZEE et de la recherche et développement.

M. Serge Larcher, président

Nous entendons à présent M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française. Je vous cède immédiatement la parole.

M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française

Avant de vous présenter mon ministère, je ne peux pas faire l'impasse d'une première réflexion sur la relation des Polynésiens avec le monde océanique, relation qui remonte à la nuit des temps. C'est l'océan qui fait le lien entre nos îles. Nous ne pouvons pas, aujourd'hui, envisager de développement durable sans avoir à l'esprit l'ensemble de nos déplacements immémoriaux sur mer. La source de nos connaissances se trouve dans la répétition de ces déplacements, et dans nos traditions, cruciales pour comprendre notre démarche et pour permettre les mutations vers l'avenir.

J'en viens à la présentation du Ministère de l'environnement, de l'énergie et des mines de la Polynésie française. Il exerce, sous l'autorité du Président de la Polynésie française, les missions confiées par le conseil des ministres en matière de politique environnementale, énergétique et minière. Il assure également le suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française.

À ce titre, il exerce la tutelle sur les services administratifs suivants :

- la direction de l'environnement ;

- le service de l'énergie et des mines ;

- la délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.

En matière d'environnement, l'axe de travail prioritaire du gouvernement porte sur le volet réglementaire, avec la volonté affichée de rendre notamment le dispositif répressif plus efficace et dissuasif.

En 2012, deux lois du pays ont ainsi été promulguées : l'une relative à la protection des espaces classés et l'autre à la répression du dégazage en mer. Un projet de loi du pays relatif aux espèces protégées a été soumis à l'Assemblée de la Polynésie française, tandis qu'un autre projet de loi du pays, relatif à l'habilitation des agents assermentés pour constater et rechercher les infractions en matière environnementale, est en cours de rédaction.

Nous nous préoccupons également du traitement des pollutions. En 2012, dans le cadre d'un partenariat avec l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), une étude sur le gisement des déchets dans l'ensemble du Pays a été réalisée. La restitution des résultats interviendra à la fin de l'année et débouchera sur la rédaction de la politique sectorielle des déchets.

Ce document référence présentera les objectifs de la Polynésie française à court, moyen et long termes ainsi que les plans d'actions et de financements correspondants. Il quantifiera également le nécessaire effort de solidarité à mettre en place vis à vis des îles éloignées.

Le gouvernement finalise par ailleurs la mise en place d'une responsabilité élargie du producteur, qui permettra de responsabiliser les metteurs sur le marché de certains produits, et de les sensibiliser à leur collecte et à leur traitement en fin de vie.

Pour ce qui concerne les opérations liées à la biodiversité, des plans de gestion des écosystèmes réconciliant les savoirs traditionnels et la connaissance scientifique sont en cours d'élaboration, prioritairement sur les îles sentinelles que sont Eiao, Scilly, Rapa et Maiao.

Enfin, la Polynésie française, en partenariat avec l'État et l'Union Européenne, poursuit le déploiement de nombreux projets environnementaux, notamment dans le cadre des dispositifs INTEGRE, RESCUE et du RUAHATU. Ainsi, un nouvel axe dénommé « Zones de vie » a été créé afin de favoriser des projets d'aménagement destinés à améliorer le cadre de vie des citoyens.

J'aborde à présent la politique énergétique du ministère. Le projet de loi du pays relatif aux principes directeurs de la politique énergétique de la Polynésie Française, présenté à la fin de ce mois à l'assemblée de la Polynésie française, inscrit la maîtrise de l'énergie comme axe de travail prioritaire.

Le gouvernement a souhaité y poser les bases d'une saine concurrence dans le domaine des énergies renouvelables. D'autres lois du pays viendront compléter ce cadre réglementaire, notamment sur la production, le transport et la distribution d'électricité, ainsi que la définition de règles d'urbanisme, d'aménagement et de construction réduisant la consommation d'énergie.

La Chambre territoriale des comptes avait reproché à la Polynésie française de s'être entièrement retirée de sa mission d'autorité concédante et de contrôle. Le gouvernement s'efforce de prendre les dispositions nécessaires pour que le Pays soit à nouveau porteur de ses choix de développement énergétique et qu'il exerce un véritable contrôle sur le délégataire du service public.

Progressivement, la Polynésie française se réapproprie sa mission de transport de l'énergie électrique, maîtrisant ainsi les flux et choisissant la nature des énergies prioritaires, privilégiant les énergies renouvelables (photovoltaïque, hydraulique, etc.). Les gouvernements précédents avaient mis en place des incitations financières fortes pour les installations photovoltaïques, jusqu'au 30 juin 2011, en faisant abstraction de la concession liant la Polynésie française à l'opérateur historique. Ces incitations financières pèsent aujourd'hui, et de manière durable, sur le budget du Pays. Le gouvernement a maintenu une politique d'incitation des installations photovoltaïques tout en privilégiant l'utilisation de l'électricité produite en autoconsommation et en limitant les coûts pesant sur le budget de la collectivité.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Pouvez-vous nous dresser un panorama de vos ressources minérales profondes ?

M. Jacky Bryant

Nous avons très peu de connaissances sur nos ressources. De nombreuses informations laissent à penser que les fonds marins de la Polynésie française seraient riches en minerais, plus ou moins précieux. Nous avons comme objectif de produire, d'ici 2013, une étude prospective globale des activités liées à l'exploration et à l'exploitation des ressources minérales océaniques profondes, à partir des publications qui ont été faites. Quelques atolls disposent de ces ressources, mais leur exploitation est sans commune mesure avec les quantités existantes.

La Polynésie française détient notamment dans son sol et son sous-sol maritime des encroûtements de ferromanganèse enrichis en cobalt et platine. Les premiers résultats de l'étude en cours permettent d'affirmer qu'en Polynésie française les trois types de gisements rencontrés, par ordre d'intérêt décroissant, sont les suivants :

- les encroûtements polymétalliques, qui présentent le plus grand intérêt, de par leur richesse en cobalt (1,8 %) et platine (2,8 g/T) ainsi que leur présence à des profondeurs modérées (entre 800 et 1 500 mètres, sur les flancs et sommets des monts sous-marins), notamment aux Tuamotu et entre Tahiti et les Australes. Cette configuration autorise une exploitation relativement aisée ;

- les vases des plaines abyssales, qui contiennent des terres rares (lanthanides, yttrium, scandium) en quantité significative, à des profondeurs comprises entre 4 000 et 5 000 mètres ;

- les nodules polymétalliques, qui présentent un intérêt très limité, de par leur teneur réduite en éléments métalliques.

Ces gisements marins en eau profonde ne présentent cependant pas d'intérêt immédiat, dans la mesure où les ressources terrestres actuellement identifiées en cobalt, platine et terres rares, d'exploitation bien plus aisée, correspondent respectivement à 100, 200 et 800 années de consommation.

Par ailleurs, il n'y a aucun projet minier en cours dans la ZEE polynésienne. En effet, malgré l'importance des travaux déjà menés dans la ZEE dans le cadre du programme ZEPOLYF, de nombreuses données restent à acquérir pour définir précisément les caractéristiques des gisements identifiés, notamment dans les secteurs des îles Tuamotu et celles de la Société, ainsi que leurs rendements potentiels. En outre, l'expérience de la dernière concession minière, mal vécue par les populations, incite le Pays à demeurer prudent, pour protéger ses populations et son environnement souvent endémique à une île.

Des travaux d'exploration complémentaires doivent donc nécessairement être réalisés. Or, de tels travaux sont extrêmement coûteux. Autant les moyens d'exploration des grands fonds sont aujourd'hui bien maîtrisés, autant en matière d'exploitation les techniques et processus sont toujours en cours de développement. Le coût estimé pour l'exploration d'une zone de 100 km² avoisine les 2 849 200 euros.

La Polynésie française suit avec grand intérêt le projet SOLWARA, première exploitation industrielle en eau profonde prévue pour la fin 2013 en Papouasie Nouvelle-Guinée. La faisabilité technique et la rentabilité économique de ce type d'exploitation devra être démontrée.

Enfin, la Polynésie française est exclue des programmes de financement des études et formations dans le cadre de la coopération du Pacifique Sud.

Encore une fois, j'attire votre attention sur notre démarche. Si la logique est de soutenir le développement de la Polynésie par l'extraction des ressources (nodules, encroûtements, terres rares...) pour compenser la baisse de l'activité d'autres domaines économiques, ou la baisse des transferts de l'État, alors cette logique n'a pas d'avenir. Notre démarche doit porter aussi sur le volet environnemental. La ressource minérale, la ressource minière et la ressource en biodiversité doivent trouver leur place dans une exploitation que nous devons créer, imaginer, mais pour laquelle nous devons aussi investir des moyens. Il faut un projet de développement durable pour que la connaissance des grands fonds ne serve pas seulement à l'extraction : la magie des profondeurs doit aussi devenir un atout pour un nouveau type de tourisme de découverte des fonds marins : la plongée en eau profonde. Cette approche prendra du temps. Il faut beaucoup investir dans la recherche.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Quels enseignements tire-t-on des études d'impact sur l'exploitation des gisements : quelle rentabilité économique ; quel impact sur l'environnement ?

M. Jacky Bryant

L'exploitation des ressources minières océaniques, qui s'apparente à l'industrie pétrolière offshore, nécessitera la mise en place d'infrastructures lourdes tant sur site qu'à terre, pour l'extraction, le transport, le stockage et le traitement des minerais le cas échéant. Toutes ces activités génèreront des quantités importantes de boues et de déblais à terre, qui devront être pris en charge et éliminés.

Les impacts environnementaux de telles activités sur les écosystèmes des grands fonds, bien que difficilement quantifiables, sont largement prévisibles : la perturbation de la morphologie des fonds marins et de leur environnement physico-chimique et hydrodynamique, ainsi que les inévitables pollutions accidentelles connexes, entraîneront une forte perturbation, voire une destruction irréversible de la biodiversité et des habitats des zones d'extraction.

Ces effets seront d'autant plus fortement ressentis au niveau des monts sous-marins que ces derniers sont caractérisés par leur grande vulnérabilité, liée à un fort taux d'endémisme et de spéciation. L'industrie de la pêche polynésienne risque également d'être atteinte puisque les monts sous-marins, où se concentrent les poissons pélagiques et notamment les thonidés, constituent des zones de pêche privilégiées pour la flottille palangrière polynésienne.

Enfin, la mise en exploitation de certains gisements, identifiés au sein de zones de reproduction des thonidés, aurait des répercussions à l'échelle du stock mondial de cette ressource.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Quelles sont les actions que vous conduisez actuellement pour optimiser les ressources en énergie des océans ? Quels enseignements en tirez-vous ?

M. Jacky Bryant

Un atlas du potentiel de développement des énergies marines renouvelables a été réalisé l'année dernière par le Pays. Il en ressort que la Polynésie française possède non seulement un fort potentiel dans l'exploitation thermique des mers, mais également un avantage comparatif. En effet, la Polynésie française présente les caractéristiques suivantes :

- un fort différentiel thermique : la température de l'eau change rapidement avec la profondeur ;

- et un tombant près des côtes : il existe de la profondeur très près des côtes, ce qui réduit les coûts d'investissements.

Le Pays a ainsi tout intérêt à développer le SWAC (Climatisation par l'eau des océans), technologie qui consiste à utiliser l'eau froide des profondeurs des mers pour refroidir par contact, grâce à un échangeur, l'eau du circuit des climatiseurs. Cette eau froide se substitue aux compresseurs électriques.

Après un projet pilote dans un hôtel de Bora Bora, ce système de climatisation est en cours de déploiement dans un second hôtel au large de Tahiti, ainsi qu'au centre hospitalier de la Polynésie française. Cette technologie est très intéressante pour une autre raison : elle contribue à la diminution des gaz à effet de serre.

La deuxième technologie utilisant le différentiel thermique est la production d'électricité destinée à la consommation. L'état du fluide circulant dans un circuit fermé (habituellement de l'ammoniaque) se modifie en fonction de sa température. La modification de l'état (passage de l'état liquide à l'état gazeux) fait fonctionner la turbine qui fabrique l'électricité. Cette électricité va être par la suite transportée vers les points de consommation. Toutefois, cette technologie est nouvelle et en cours d'expérimentation. Les coûts de construction sont très élevés et il convient de noter que la mise en place d'une telle technologie occupera un domaine maritime qui pourrait concurrencer d'autres activités maritimes.

Il ressort également de l'étude produite l'année dernière que la Polynésie aurait intérêt à exploiter l'énergie de la houle, compte tenu de sa surface maritime. Là encore, cette technologie demeure nouvelle et nécessite des expérimentations. De même, sa mise en place occupant un domaine maritime, pourrait concurrencer d'autres activités maritimes.

Il n'en demeure pas moins que la Polynésie, compte tenu de sa configuration géographique, dispose d'atouts certains en matière d'études et d'expérimentations de nouvelles technologies durables liées à la mer et au soleil. Une réflexion devrait pouvoir être menée afin de favoriser l'implantation d'unités de recherche dans ces domaines.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Quelles sont les actions locales en cours concernant la réforme du code minier ?

M. Jacky Bryant

La loi organique statutaire donne compétence à la Polynésie française pour réglementer et exercer les droits d'exploration et d'exploitation des ressources minérales de sa ZEE, y compris du plateau continental constituant son sol et son sous-sol. Cette compétence ne concerne cependant ni les matières premières stratégiques, ni la recherche scientifique en mer, ces domaines relevant de l'État. De même, celui-ci conserve dans la ZEE les compétences en matière de circulation en mer, de sécurité des navires et de répression de la pollution causée par les opérations d'exploration et d'exploitation minières.

Mon ministère travaille actuellement à la refonte du code polynésien en vue de l'adapter aux techniques modernes de prospection et d'extraction. Les points suivants sont concernés :

- la procédure d'instruction et d'attribution des titres miniers ;

- le choix du mode de gouvernance ;

- les mesures fiscales et douanières ;

- le contrôle et les sanctions administratives et pénales ;

- le renforcement de la protection de l'environnement marin.

(Interruption de la visioconférence du fait de la dégradation de la liaison.)

Audition de M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, nous auditionnons M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources minérales marines profondes à l'IFREMER. Je lui cède tout de suite la parole.

M. Yves Fouquet, spécialiste des ressources marines profondes à l'IFREMER

Je vous remercie de m'avoir invité. Géologue, je travaille sur les grands fonds marins depuis 1982. J'ai fait une thèse sur les ressources minérales terrestres et j'ai travaillé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : j'ai mené des explorations terrestres essentiellement au Gabon. Je suis donc initialement un « terrien » mais je travaille sur les océans depuis de nombreuses années.

Je vais commencer mon propos par une courte introduction pour bien préciser le sujet. J'évoquerai ensuite le contexte international. Je montrerai enfin les potentialités des zones économiques exclusives (ZEE) françaises.

Pourquoi s'intéresser aux océans ? Les océans recouvrent deux tiers de la planète. Près de 60 % des océans sont à plus de 2 000 mètres de profondeur. Les explorations scientifiques des grands fonds ont conduit à la découverte de certains types de minéralisation. L'intérêt des océans n'est pas de remplacer les continents en termes de ressources, mais ils peuvent permettre la diversification des sources d'approvisionnement. Depuis quelques années, dans le contexte de l'augmentation de la demande au niveau mondial, l'industrie s'intéresse à ces connaissances scientifiques sur les grands fonds.

On peut relever plusieurs contextes dans lesquels les différents types de minéralisation peuvent se former. Ma présentation n'évoquera pas le contexte du plateau continental, dans lequel on trouve des sables, des graviers ou des minéraux lourds. On a ensuite le talus continental et les grands fonds, avec les zones sédimentaires et la croûte océanique, essentiellement volcanique. Dans les plaines abyssales, on trouve les nodules, les encroûtements et, éventuellement, les sédiments métallifères qui peuvent contenir de petites concentrations de terres rares. Dans la partie volcanique, on trouve les amas sulfurés associés aux sources hydrothermales.

Les nodules sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre qui peuvent tapisser les fonds océaniques, en particulier dans les zones éloignées des continents. Ils se situent à environ 4 000 mètres de profondeur.

À des profondeurs moindres, entre 1 000 et 3 000 mètres, on peut trouver les encroûtements de manganèse qui, contrairement aux nodules, se forment sur tout substrat dur, comme des anciens volcans ou des atolls immergés. Il s'agit de croûtes noires, qui peuvent faire de 10 à 20 cm d'épaisseur.

Le troisième des principaux groupes de minéralisations est celui des sulfures hydrothermaux : ces sites se situent entre 1 000 et 5 000 mètres de profondeur et se présentent sous forme de cheminées hydrothermales.

S'agissant de la composition de ces minéralisations, les nodules sont composés essentiellement de manganèse et de fer. Ils peuvent aussi contenir - il s'agit des éléments intéressants - du nickel, du cobalt et du cuivre (en moyenne à hauteur de 2 %). Les encroûtements contiennent également une dominante de fer et de manganèse, mais également 0,7 % de cobalt en moyenne. Ils sont donc plus riches que les nodules. Il ne s'agit par ailleurs que d'une moyenne et certaines zones sont beaucoup plus enrichies. Les sulfures hydrothermaux sont constitués d'une combinaison de souffre et de métaux, avec, en moyenne 11 % de zinc et 5 % de cuivre. Ce sont donc des composés plutôt riches.

À côté de ces métaux de base, on peut trouver d'autres métaux : des encroûtements enrichis en platine, tellure ou nickel ; pour ce qui concerne les sulfures, on peut trouver des concentrations en métaux précieux, en or et en argent, mais aussi du plomb ou du cobalt, ou encore des métaux plus rares comme le germanium.

Quelles sont les dimensions de ces différents objets ? La zone la plus intéressante en matière de nodules, qui fait l'objet aujourd'hui de permis miniers dans les zones internationales, se situe au milieu de l'océan Pacifique. Il s'agit d'une zone très étendue, de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Pour ce qui concerne les amas sulfurés, l'extension ne comprend que quelques centaines de mètres. Ces objets sont donc tout à fait différents des nodules en termes de nature, de richesse et d'extension.

Depuis plusieurs années, on constate un certain engouement pour ces ressources marines profondes. À partir 1978, date de découverte des premières sources hydrothermales au large du Mexique, de nombreuses campagnes d'exploration ont eu lieu dans l'Est du Pacifique. De nombreux sites hydrothermaux ont été découverts dans les années 80. À la fin des années 1980 et au début des années 90, des actions d'exploration ont été menées dans le Sud-ouest du Pacifique et ont permis la découverte d'autres sites hydrothermaux. Plus récemment, à la fin des années 90 et dans les années 2000, des actions ont eu lieu dans l'Atlantique, notamment dans le cadre de programmes européens, essentiellement dans la ZEE des Açores. Dans le Pacifique-Est, la France coopère avec l'Allemagne, les États-Unis et le Canada. Dans le Sud-ouest du Pacifique, des coopérations ont existé avec l'Allemagne et le Japon.

Il y a donc des enjeux scientifiques, à la fois en géosciences mais aussi en biologie, des enjeux environnementaux - de connaissance de la biodiversité et des écosystèmes des grands fonds marins - ; des enjeux économiques et technologiques car, pour explorer et exploiter, il faut faire évoluer les technologies. Il y a bien sûr également des enjeux juridiques, des enjeux géopolitiques liés à la diversification des sources d'approvisionnement. Enfin, il y a des enjeux d'éducation et de formation.

Je souhaite maintenant dresser l'état des lieux au niveau mondial.

S'agissant des ZEE des États, on a des permis d'exploration par exemple dans le Sud-ouest Pacifique et dans les zones japonaises. En 2010 et 2011, des permis d'exploitation ont été délivrés en Papouasie et en mer Rouge. Ainsi, à horizon de plusieurs années, il pourrait y avoir de l'exploitation.

Le domaine international est géré par l'Agence internationale des fonds marins (AIFM), liée à l'ONU. Une législation internationale s'est mise en place progressivement : au début des années 2000 pour les nodules et en 2010 pour les sulfures hydrothermaux. La législation sur les encroûtements est en cours de discussion et pourrait être adoptée l'année prochaine.

Cette législation a conduit au dépôt de permis d'exploration, notamment pour la zone au large du Mexique. La France a un permis dans cette zone, tout comme l'Allemagne. Des groupes privés ont également obtenu des permis dans cette zone particulièrement intéressante en matière de nodules. Dans l'Océan Indien, l'Inde a obtenu un permis dans une zone nodulée.

S'agissant des sulfures, quelques heures après la validation de la législation, la Chine a déposé un dossier. Elle détient aujourd'hui un permis dans l'Océan Indien, à la pointe Sud-est de l'Afrique. La Russie a obtenu un permis dans l'Atlantique. La France envisage de déposer une demande de permis au Nord de la zone russe dans l'Océan Atlantique. Ce permis est en cours de discussion. La Corée a obtenu un permis dans l'Océan Indien. On sait par ailleurs que le Brésil se mobilise sur ce sujet et a la volonté de déposer un permis dans l'Atlantique, au Sud du permis russe. On soupçonne enfin que les Chinois souhaitent déposer un nouveau dossier pour l'Atlantique Sud.

S'agissant des encroûtements cobaltifères, le Japon et la Chine souhaiteront très certainement déposer des permis quand la législation sera déposée.

Comme vous le voyez, il y a une vraie dynamique en termes de dépôt de dossiers par les différents pays.

Mme Catherine Tasca

Quelle est la nature exacte de ces permis ? S'agit-il de permis exclusifs et quelle durée couvrent-ils ?

M. Yves Fouquet

Dans les zones internationales, ce sont des permis exclusifs délivrés pour 15 ans. Des rapports doivent être produits chaque année pour indiquer les travaux réalisés sur la base de ces permis.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Vous parlez bien de l'Autorité des fonds marins qui est basée à Kingston, en Jamaïque ?

M. Yves Fouquet

Oui, c'est bien cela !

M. Serge Larcher, président

N'est-elle pas à Montego Bay ?

M. Yves Fouquet

L'Autorité est basée à Kingston, mais la convention qui régit le droit de la mer a été signée à Montego Bay.

Pour terminer, je souhaite apporter un éclairage sur le potentiel de nos ZEE.

Ces zones font à peu près 11 millions de kilomètres carrés, une grande partie étant située en Polynésie, mais aussi autour des îles Kerguelen, Crozet et Saint-Paul et en Nouvelle-Calédonie.

Du point de vue hydrothermal, on connaît certains indices aux Antilles, un potentiel existe près de Clipperton tout comme autour des volcans actifs de Polynésie. Une amorce d'exploration a été lancée avec succès à Wallis-et-Futuna. Il pourrait également y avoir un potentiel autour des volcans actifs en Nouvelle-Calédonie. Pour avoir des minéralisations de ce type, il faut des températures de 300 ou 400 degrés pour le cuivre et 150 ou 200 degrés pour le zinc, ce qui n'est possible qu'en grande profondeur.

Pour les oxydes de manganèse, on en a découvert aux Kerguelen, un potentiel existe du côté des îles Éparses mais il reste à explorer. Quelques jalons existent en Nouvelle-Calédonie. Des actions d'exploration ont été menées en Polynésie française il y a plus d'une vingtaine d'années. On y a démontré l'existence de croûtes intéressantes : les zones les plus enrichies en cobalt sont, au niveau mondial, en Polynésie. À Wallis-et-Futuna, des opérations préliminaires ont été menées et ont conduit à la découverte de croûtes entre 500 et 1 500 mètres.

S'agissant enfin des nodules, beaucoup d'explorations ont eu lieu dans le Pacifique. Quelques nodules sont connus du côté de Clipperton ou de la Polynésie. Les nodules étant loin des îles, les zones intéressantes sont plutôt dans les zones internationales.

Enfin, je souhaite souligner que, au cours des deux dernières années, des campagnes d'exploration ont été menées dans la ZEE de Wallis-et-Futuna. On n'avait jusqu'alors pas de cartes hydrographiques : dans beaucoup de ces zones, il faut donc faire les cartes. On s'est focalisé sur les zones volcaniques actives : on a mené des explorations scientifiques pour retrouver des indices, c'est-à-dire un processus conduisant à la concentration de métaux. Ces explorations, financées par l'État français, par l'IFREMER mais aussi par les groupes privés comme ERAMET, ont été fructueuses puisque des indices ont été trouvés.

Il y a donc un réel potentiel et un contexte mondial qui montre que beaucoup de choses se passent dans ce domaine.

M. Serge Larcher, président

Merci pour votre excellente présentation ! Nous aurions peut-être dû commencer par vous auditionner.

M. Yves Fouquet

Une réflexion nationale a été menée en 2010 sur les ressources minérales marines. Cela a abouti à un document qui a été publié récemment, analysant le sujet et ayant une approche prospective. Certaines conclusions ont été reprises par le Comité interministériel de la mer de l'année dernière. Elles font aujourd'hui l'objet de discussions au niveau ministériel.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Merci pour cet exposé ! Notre compréhension est redessinée s'agissant du contexte mondial. Votre exposé démontre que les choses bougent en ce moment.

M. Yves Fouquet

Pour ce qui concerne les ressources minérales marines, je suis le seul spécialiste en France. Je travaille depuis 30 ans sur ce sujet. Si beaucoup d'efforts ont été faits par la France dans les années 70, les spécialistes de l'époque sont aujourd'hui en retraite. Le dernier spécialiste des nodules part en retraite dans six mois et ne sera pas remplacé : il n'y aura alors plus de mémoire.

Il y a un vrai engouement en matière de ressources minérales profondes. Il faut cependant faire passer la bonne information : ce n'est pas l'Eldorado, mais il y a un vrai potentiel.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Vous avez évoqué la législation internationale. Nous sommes en train de réformer notre code minier. La France n'est-elle pas en retard en matière de législation ? Par ailleurs notre législation nationale est-elle cohérente avec la législation internationale ?

M. Yves Fouquet

Je ne suis pas juriste, mais je connais les discussions actuelles sur le code minier.

Quand on regarde les critères retenus pour le programme Extraplac, il s'agit de questions de pente ou d'épaisseur de sédiments, critères qui m'ont toujours paru orientés sur la recherche de pétrole. Je pense que, pour la mise en place de législations, il est important de connaître le potentiel des ZEE. S'agissant de la France, ne faisons pas l'erreur d'instituer des critères orientés par les pétroliers n'ayant aucune connaissance des objets minéralisés. Les juristes et les scientifiques doivent discuter ensemble.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

J'ai le sentiment que les opérateurs industriels sont encore un peu timides. Quelles sont les ressources minérales profondes qui auraient un intérêt stratégique majeur pour les prochaines années ?

M. Yves Fouquet

C'est une question délicate. Cela dépend des éléments qui seront stratégiques dans 20 ou 30 ans. L'exemple très médiatisé, ce sont les terres rares : c'est un groupe chimique très particulier. C'est un élément stratégique du fait du monopole de la Chine. Mais d'autres éléments comme l'indium ou le germanium, qui ne sont pas des terres rares, sont également stratégiques.

On évoque beaucoup les terres rares, notamment suite à un article d'une université japonaise évoquant la Polynésie française. Or, en Polynésie, les sédiments concernés sont en grande profondeur et les concentrations sont limitées. Les mines chinoises ont des taux de concentration plus importants. Il faut donc rester objectif. Pour la Polynésie française, il convient de faire des explorations plus poussées, en cherchant des concentrations dépassant la moyenne.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Merci pour cette présentation très intéressante et très instructive.

La technologie des forages d'exploration est-elle au point ? D'où viennent les outils de forage ? Sont-ils le produit de nos propres industries ? Qui détient les savoir-faire ? Comment avez-vous vécu ces forages ?

De nombreuses nations s'intéressent aux ressources minérales marines et déposent des permis. Les Français ont été les pionniers : notre pays perd-il son avance scientifique en matière d'exploration ? Certaines opportunités qu'il ne faudrait pas manquer existent-elles aujourd'hui ?

Comment peut-on fédérer les intérêts industriels, techniques et scientifiques pour que la France prenne toute sa place au plan international ?

M. Yves Fouquet

La France est très bien placée en matière de connaissance scientifique, du fait de l'effort fait au cours des années 1970. Le permis de nodules français est situé dans la zone où la densité est la plus importante. La France a été considérée comme explorateur pionnier en matière de nodules et, en matière de sources hydrothermales, elle a été le découvreur en 1978 et reste bien placée.

Pour autant, la France était bien placée dans les années 1970-1980 car elle disposait de la technologie. À la fin des années 1980, les sous-marins japonais et russes sont apparus. Avec les actuels engins téléopérés, la technologie s'est démocratisée, avec les allemands, les portugais, les canadiens, les japonais... La Chine a testé cet été son sous-marin habité, qui peut plonger le plus profond au monde. Il y a également des pays très dynamiques comme l'Inde ou la Corée.

Dans ce domaine existe une vraie volonté politique en Chine et en Corée. Il faut ensuite aussi les moyens et les technologies.

L'Europe a, au contraire, délaissé le Pacifique au cours des dix dernières années. En France, on ne compte que cinq ou six personnes qui travaillent sur ce sujet.

Les industriels ont pris des risques pour la phase d'exploration à Wallis-et-Futuna et cette phase a permis la découverte d'indices intéressants. Dans mon équipe, trois personnes partent en retraite dans l'année qui vient. La France est donc certes bien positionnée de par la durée de la recherche et de par la technologie, mais on arrive à la limite de crédibilité : la France ne dispose plus des masses critiques pour mener tout de front. Notre pays a développé de bonnes coopérations avec la Russie dans l'Atlantique. Au Brésil, une vraie volonté politique existe et les moyens sont là, mais les chercheurs sont encore ignorants : une volonté de coopération avec la France existe. Si la France ne le fait pas, les Chinois y sont prêts.

Mme Catherine Tasca

S'agissant de la campagne de Wallis-et-Futuna, j'ai été étonnée de vous entendre évoquer un problème de cartographie. Cela concerne-t-il beaucoup de territoires ? Y a-t-il une planification des campagnes de cartographie ?

M. Yves Fouquet

Non, pour l'instant, le seul programme planifié est celui relatif à l'extension du plateau continental. Pour autant, il ne suffit pas de faire des cartes, il faut aussi établir un inventaire des indices minéralisés. Cette démarche n'est pas lancée et il n'existe par ailleurs pas de stratégie de financement.

Les zones clés pour notre pays sont, dans le fil d'une stratégie nationale, l'axe France-Brésil, mais aussi le permis de la France dans l'Atlantique et le permis pour les nodules. Les actions semblables à celle menée à Wallis-et-Futuna sont intéressantes et peuvent être un exemple. Il faut donc de l'argent et, surtout, des bras.

Mme Catherine Tasca

Ou des têtes !

M. Yves Fouquet

S'agissant des technologies, pour les sulfures, il y a des choses à développer du point de vue des équipements de forage. Il y a les outils géophysiques, de méthode indirecte. Il y a également des technologies à développer pour la surveillance de l'environnement.

M. Serge Larcher, président

Nous vous remercions pour votre contribution d'aujourd'hui, qui nous permet d'y voir un peu plus clair. Les opérateurs industriels nous avaient plutôt inquiétés, en minorant l'intérêt de ces richesses minérales, estimant qu'elles étaient inexploitables du fait de la profondeur ou du manque de technologies appropriées et que, d'autre part, il y avait suffisamment de minerais et de terres rares sur les continents.

M. Yves Fouquet

Certes, mais il faut diversifier les ressources d'approvisionnement !

M. Serge Larcher, président

Ils estiment par ailleurs qu'il existe peut-être des minerais riches à des profondeurs moindres. Enfin, ils soulignent que le mode d'exploitation conduirait à nuire à l'environnement.

M. Yves Fouquet

Le point important est déjà de savoir ce qui existe.

M. Serge Larcher, président

Il faut donc faire l'inventaire de toutes ces possibilités.

Audition de M. Julien Denègre, Business development manager, Département Mines, Métaux, Défense nucléaire, TECHNIP

M. Serge Larcher, président

Je souhaite la bienvenue à M. Julien Denègre, Business Development Manager, dans le département Mines et métaux de Technip. Quels sont les enjeux des ZEE pour la France et l'Europe ?

M. Julien Denègre, Business Development Manager, Mines et métaux, Technip

Je suis responsable commercial de la branche Mines et métaux du groupe Technip, société d'origine française créée en 1958 par l'Institut français du pétrole, à l'initiative du général de Gaulle. Notre coeur de métier est l'ingénierie et la construction de grands projets dans le domaine de l'énergie pour des sociétés minières comme ERAMET et AREVA, et des groupes pétroliers, comme Total, Shell, BP. Nous ne sommes pas opérateurs nous-mêmes. Notre chiffre d'affaires atteignait 7 milliards d'euros en 2011 ; nous employons 32 000 personnes dont 4 500 en France. Notre groupe est donc très international. Nos trois segments sont les activités sous-marines, les activités de surface en mer, et les activités terrestres.

Nous n'avons pas d'activité en mer dans la ZEE française autre que le projet de Wallis-et-Futuna ; nous l'avons commencé en 2010, en partenariat avec l'IFREMER et ERAMET. Notre unique projet en outre-mer, qui a atteint le stade de l'exploitation, est à terre. il concerne l'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie. Nous travaillons par ailleurs, dans cette région du monde, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Nous sommes très exposés à la concurrence européenne, américaine, sud-asiatique, chinoise. Nous sommes pionniers pour l'activité minière sous-marine, pour laquelle nos concurrents sont néerlandais, car les Pays-Bas ont une forte culture des métiers du dragage.

Enfin, pour répondre à une question que vous m'avez posée par écrit, n'étant pas « miniers » nous-mêmes, nous ne sommes pas impliqués dans la réforme du code minier. Nous apportons des solutions d'exploitation à nos clients : nous construisons des usines, à terre comme en mer. Une fois l'usine terminée, nous n'intervenons plus, ni dans la maintenance, ni dans l'opération. Nous ne cherchons pas à rentrer dans ces activités, car nous deviendrions concurrents de nos clients.

M. Serge Larcher, président

Avez-vous des projets en Guyane ?

M. Julien Denègre

Non. Si Total ou Shell nous demandait de construire une usine ou une plateforme, nous le ferions. Mais nous ne sommes pas concessionnaires d'un permis d'exploitation de pétrole, que ce soit en Guyane ou ailleurs.

S'agissant de l'état des lieux des campagnes, l'IFREMER a réalisé trois campagnes en mer à Wallis-et-Futuna, qui étaient essentiellement des campagnes d'exploration. Nous n'en sommes pas encore à l'exploitation, ni même aux études d'ingénierie.

Nous travaillons par ailleurs sur des projets qui en sont au stade de l'exploitation de minerais en eau profonde ou peu profonde, pour des compagnies australiennes, canadiennes, sud-africaines ou japonaises. Nous avons réalisé des études et des systèmes permettant l'exploitation de minerais en eau peu profonde ou très profonde. Jusqu'à 3 000 mètres, la profondeur est considérée comme accessible. De 4 000 à 6 000, c'est difficile, mais nous y viendrons un jour. D'autres projets sont beaucoup plus accessibles : le phosphate par exemple, est à une profondeur de 200 à 400 mètres seulement. En Nouvelle-Zélande ou aux Fidji, où l'eau est peu profonde, les solutions mises en oeuvre consistent dans le dragage.

À l'inverse, à Wallis-et-Futuna, le système déployé est très proche des systèmes pétroliers très profonds, dans des conditions extrêmes.

Nous travaillons aussi avec Nautilus en Papouasie. Nous avons également travaillé pour le compte d'un consortium japonais.

À l'instar des Français, les Japonais cherchent à valoriser les minerais qui se trouvent dans leur ZEE. Les Coréens, qui n'ont pas de ressources dans leurs eaux, vont explorer ailleurs. Ils ont des concessions aux Îles Tonga où ils cherchent à mettre en place un pilote. C'est ce que nous avons fait à Wallis-et-Futuna : nous avons mis en commun les expertises nationales de l'IFREMER et d'ERAMET. Nous avons les savoir-faire, que nous associons, à l'image de ce que feront bientôt les Brésiliens et de ce que font déjà les Russes.

M. Serge Larcher, président

Quels pourraient être les scénarios de prospective à moyen et long termes dans nos ZEE ?

M. Julien Denègre

Nous avons la chance d'avoir une immense ZEE. Technip a choisi de commencer par Futuna car nous savions qu'il était très probable que nous y trouverions des amas sulfurés. C'est aujourd'hui la ressource la plus convoitée. Nous savons aussi que la Polynésie et les Caraïbes pourraient receler des ressources. Le programme EXTRAPLAC au large de la Guyane a montré qu'il pouvait y avoir des hydrates de métal. Mais explorer notre riche ZEE suppose une stratégie de long terme, avec les moyens financiers suffisants pour mener à bien ces campagnes. Le partenariat permet de mettre en commun les compétences, mais aussi les moyens financiers. Technip n'a pas vocation à faire de l'exploration ; nous intervenons une fois l'exploration terminée, quand le forage est fini et quand le potentiel minier a déjà été prouvé. Pour autant, au vu du gros potentiel, notre président a souhaité accompagner le financement de Futuna, mais ce n'est pas la vocation de Technip. L'IFREMER reste le maître d'oeuvre du projet à Futuna, même si les industriels intéressés contribuent financièrement. L'exemple de Futuna est intéressant non seulement pour la science, mais aussi du point de vue de la structure contractuelle choisie, qui met en commun les savoirs des établissements publics, des spécialistes de l'exploration, de la technologie et de l'exploitation. Il fallait une société minière pour porter la concession, ERAMET en l'occurrence. Ce projet est un bon laboratoire scientifique, mais aussi d'idées.

Si, demain, on veut exploiter la ZEE pour son potentiel minier ou énergétique, il faudra le soutien d'une société pétrolière ou « énergéticienne ». Si on veut exploiter les hydrates en Guyane, il serait bon que GDF-Suez ou Total soit intéressé à prendre part à un consortium.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Le montage financier consiste souvent en un partenariat public-privé. Les industriels prennent des risques. Est-ce un bon schéma de fonctionnement ?

M. Julien Denègre

Nous pensons que oui. C'est le schéma à Futuna. Les engagements du Grenelle de la Mer de 2009 comportaient un important volet sur l'océanographie, l'amélioration des connaissances des fonds marins et en particulier de la ZEE française. Les objectifs sont louables, mais coûteux compte tenu justement de l'immensité de notre ZEE. Un moyen de financer l'océanographie est de coupler les campagnes en mer avec les projets industriels. Le projet de Nautilus en Papouasie-Nouvelle-Guinée qui a nécessité de nombreuses campagnes en mer, est privé, et aujourd'hui, Nautilus est probablement le seul projet d'exploration de gisement qui ait été réalisé à un niveau scientifique aussi élevé, et grâce à des moyens privés. Les campagnes de forage de cette profondeur, comme les études d'impact environnementales très approfondies, n'avaient encore jamais été réalisées. Les scientifiques qui ont contribué au projet de Nautilus se sont félicités d'avoir pu atteindre ce niveau élevé de connaissance, grâce aux moyens financiers.

Pour conclure, il sera d'autant plus facile d'explorer les fonds marins français que des industriels s'y associeront, avec des moyens de financer des campagnes comme celles de Nautilus.

De même, nous avons exploré la ZEE de Futuna avec l'IFREMER à un niveau qui n'avait jamais été réalisé, grâce à la mise en commun des moyens financiers. Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui les ministères de tutelle aient la capacité de déployer un effort financier de cette envergure. Or, l'objectif est industriel, comme l'indique l'engagement du Grenelle de l'environnement de « préparer à moyen terme le pilotage industriel » de la zone de Futuna. Pour autant, les projets industriels sont aussi un moyen d'améliorer la connaissance scientifique de la ZEE, comme cela a été le cas à Futuna, d'une manière considérable.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Comment passe-t-on de l'exploration à l'exploitation ?

M. Julien Denègre

Pour envisager l'exploitation d'un projet minier, il faut avoir démontré sa rentabilité. Cela implique plusieurs étapes :

- établir plusieurs études : une étude géologique du gisement ; une étude d'impact environnemental en vue de démontrer que l'exploitation sera acceptable du point de vue de l'environnement ; et une étude d'ingénierie ;

- en déduire si le projet est rentable, et à quelle échéance, compte tenu également du coût du minerai sur le marché et des coûts de maintenance de l'opération.

Il faut ensuite instruire un titre minier, compte tenu des risques environnementaux et des retombées pour le territoire. À Futuna, nous avons trouvé un gisement, mais nous n'avons pas encore réalisé les études du pilote. L'acceptabilité environnementale et la rentabilité n'ont pas encore été démontrées. Nous avons commencé l'exploration en 2010 ; nous espérons que les résultats des analyses nous seront remis en juin 2013. S'ils sont concluants, nous mèneront davantage de campagnes et probablement des études d'ingénierie qui détermineront l'existence d'un intérêt économique pour éventuellement poursuivre le projet. Les éléments économiques, financiers et environnementaux, sont donc cruciaux pour décider de la réalisation du projet.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Quel est le grand rendez-vous que la France ne doit pas manquer sur le plan technologique ou industriel ?

M. Julien Denègre

Les enjeux d'aujourd'hui concernent l'exploration minière, qu'elle soit maritime ou terrestre. Il faut encourager les projets comme celui de Futuna, et avoir une vision à long terme. Les filières électronucléaire, d'Airbus ou d'Ariane, ont mis dix à quinze ans pour être créées. Pour développer une filière, il faut du temps, une stratégie de long terme, et l'encouragement continu de cette filière. Si le projet à Futuna continue, on peut aboutir à une vraie filière minière sous-marine française. Il y a eu une véritable impulsion après le Grenelle, après le Livre Bleu, après le plan métaux stratégiques de M. Jean-Louis Borloo en 2010, puis avec la création du Comité des métaux stratégiques, le COMES. Il y a donc eu une réelle continuité. Cette dynamique doit être poursuivie et entretenue, par des mécanismes financiers ou juridiques. Certes, le risque existe : dans une campagne à la mer, on peut ne rien trouver. Aussi bien l'État que les industriels, Technip et ERAMET, ont pris ce risque. Mais j'y crois. On peut aboutir à une vraie filière. Le nouveau gouvernement s'y intéresse, dans la continuité du gouvernement précédent.

M. Serge Larcher, président

C'est un véritable sujet pour nous. Le potentiel en richesses existe. Il nous reste à rendre possible à terme l'exploitation de matériaux qui seront demain rares ou enfouis à des profondeurs inaccessibles. L'enjeu est aussi notre dépendance énergétique. C'est politique. Les industries de pointe ont besoin de matériaux stratégiques.

M. Julien Denègre

Par exemple, les turbines éoliennes consomment beaucoup de cuivre et un peu de terres rares. La fabrication de ces machines, dont l'objet est de contribuer au développement durable, nécessite des minerais, donc d'exploiter une mine... L'image de la mine n'est pas très positive aujourd'hui.

M. Serge Larcher, président

Mais nous avons besoin de matériaux rares, et spécifiques aux milieux océaniques, qui sont très agressifs.

M. Julien Denègre

Une autre question importante est la sécurisation des matières premières par des sociétés françaises. On peut acheter du cuivre à la Chine, mais cela peut devenir risqué si la Chine se trouve brusquement en situation de monopole, comme c'est le cas en ce moment avec ses exportations de terres rares. La vraie question est : la France a-t-elle la volonté d'exploiter des mines avec des miniers français ? En Nouvelle-Calédonie, beaucoup de titres ont été attribués à des sociétés étrangères. Le nickel n'est pas seulement exploité par ERAMET. Une des raisons qui nous ont incités à commencer par Futuna était d'empêcher les industriels étrangers, nombreux à s'être intéressés à ce projet, de prendre des titres miniers sur ce territoire. Nous avons commencé par Futuna pour protéger les intérêts français.

La France doit donner les titres miniers aux compagnies minières françaises. Le danger de perdre notre souveraineté sur nos territoires est réel. On l'a fait dans le passé... Le contrôle de notre ZEE est un vrai sujet stratégique.

(Mardi 15 Janvier 2013)

Audition de M. Denez L'Hostis, pilote de la mission « mer et littoral » de France Nature Environnement et administrateur de l'Agence des aires marines protégées

M. Denez L'Hostis, pilote de la mission « mer et littoral » de France Nature Environnement et administrateur de l'Agence des aires marines protégées

Merci d'avoir songé à inviter France Nature Environnement. Je souhaite aborder devant vous un grand nombre de questions, qui concernent non seulement les zones économiques exclusives, mais aussi les outre-mer français en général. Certes, les zones économiques exclusives constituent une richesse pour la France, mais la plupart des acteurs qui traitent du milieu marin s'y intéressent trop peu.

France Nature Environnement fédère près de trois mille associations environnementales, rassemblant environ huit cent mille adhérents. Quoique méconnu, son poids correspond à peu près à celui d'un des grands syndicats de salariés en France. Elle présente de plus l'avantage de comporter des associations implantées sur tout le territoire, y compris outre-mer : en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte... Or, en matière de biodiversité marine, l'essentiel des richesses se trouve dans les outre-mer, comme l'a bien mis en évidence le colloque que nous avons organisé il y a un an et demi au Conseil économique, social et environnemental : 1,5 km 2 de récif corallien comprend autant de biodiversité que tout le littoral métropolitain. La France possède, grâce à ses outre-mer, 10 % des récifs coralliens mondiaux. La préoccupation de France Nature Environnement est de développer à la fois la connaissance et la préservation de cette biodiversité, c'est-à-dire de trouver le moyen d'encadrer le développement économique dans les zones économiques exclusives afin de minimiser son impact environnemental.

Mon travail de pilote de la mission « mer et littoral » est bénévole, mais France Nature Environnement emploie quelque 1 500 permanents, dont environ 45 au siège. J'ai la responsabilité politique de tous les dossiers liés à la mer à l'Agence. Après avoir été chercheur à l'INRA et à l'Ifremer, je me suis intéressé aux problématiques de la pêche, puis, pendant dix ans, j'ai dirigé un parc à thème scientifique sur les enjeux des océans profonds.

Je suis, comme vous l'avez indiqué, administrateur de l'Agence des aires maritimes protégées ; je n'ai toutefois aucun mandat pour m'exprimer ici en son nom. Je vous donnerai néanmoins mon avis sur son rôle, tout particulièrement outre-mer. Je suis aussi membre du comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens, qui rassemble des scientifiques, des administrations, des organisations non gouvernementales pour travailler à la protection des récifs coralliens. Je serai enfin membre du Conseil national de la mer et du littoral que le Premier Ministre va installer ce vendredi, et je présenterai ma candidature à son bureau.

La mission de l'Agence des aires marines protégées est d'installer des parcs marins. Hélas ! La situation budgétaire actuelle difficile bloque le développement des projets. Je le vois bien au conseil de gestion du parc naturel marin des Glorieuses, mitoyen de celui de Mayotte. Face à cette situation gênante, je sollicite l'appui des sénateurs. L'objectif de l'Agence est d'installer 20 % des eaux françaises (qui sont, en étendue, les deuxièmes au monde) en aires marines protégées, dont 50 % en réserves halieutiques. Cet objectif ambitieux semble aujourd'hui oublié, malgré quelques réalisations notables : après le parc d'Iroise, créé il y a cinq ans, sont venus ceux de Mayotte, du golfe du Lion, et M. Cuvillier a récemment signé l'arrêté créant celui de Picardie. De beaux projets restent en rade, et nous sommes presqu'absents de la protection de la mer dans nombre de nos territoires ultramarins. Il est vrai qu'en Martinique une réflexion est engagée, qui pourrait déboucher sur la création d'un parc - mais sans moyens, à quoi bon ? En Guadeloupe, le parc national mixte constitue un premier outil de protection du milieu marin. En Guyane, la situation est plus délicate, surtout avec les projets de développement d'activités pétrolières. La situation de la Polynésie est encore plus difficile, il n'y a que quelques aires maritimes protégées, surtout lagonaires, et un très grand projet autour des îles Marquises, dans la perspective de leur reconnaissance comme patrimoine mondial par l'Unesco. Et Saint-Pierre-et-Miquelon est une zone souvent oubliée. Le canal de Mozambique constitue un enjeu majeur en termes de biodiversité comme d'un point de vue diplomatique. Cette zone extrêmement riche, sans habitat permanent, mérite un niveau de protection très ambitieux ; or, faute de moyen, on n'avance guère. C'est pourquoi France Nature Environnement a refusé de voter le budget de l'Agence des aires marines protégées, insuffisant même pour les parcs existants.

En fait, les enjeux de la zone économique exclusive ne sont pas foncièrement différents de ceux des zones territoriales, ou de la haute mer. D'ailleurs, les limites de la zone économique exclusive pourraient bien s'étendre bientôt, et il faut garder à l'esprit que des sujets qui concernent actuellement la haute mer deviendraient alors propres à notre zone économique exclusive.

Les aires marines protégées doivent être des outils de développement durable. Plutôt qu'une protection à tout prix, il convient de rechercher un équilibre entre différentes activités, en minimisant leur impact sur l'environnement.

Les eaux de Clipperton sont le théâtre d'activités de pêche illégales, que nous n'avons pas les moyens de contrôler en dépit d'une surveillance satellitaire. En Guyane également, nos moyens de contrôle, pour significatifs qu'ils soient, ne suffisent pas. Nous avons deux patrouilleurs et une vedette des douanes, qui effectuent un nombre significatif de sorties mensuelles. Pourtant, 60 % des navires qui croisent dans la zone économique exclusive de Guyane sont étrangers : brésiliens, surinamais, guyanais, vénézuéliens... Plus grave, leur pêche est nettement plus importante que la pêche française, ce qui gêne une gestion durable des ressources. La pression sur celles-ci, hélas, va croissant, puisque 25 à 30 navires étrangers pêchent quotidiennement dans nos eaux, et y prélèvent entre deux et trois fois plus de poissons que nous. Et même s'ils sont arrêtés, ils n'hésitent pas à revenir ! Leurs engins de pêche ne correspondent pas aux normes environnementales que nous exigeons des nôtres, et auxquelles les pêcheurs guyanais ont récemment fait de gros efforts pour s'adapter. Voilà un exemple de très mauvais contrôle d'une zone économique exclusive.

Les énergies marines renouvelables constituent un secteur d'avenir pour nos zones économiques exclusives. L'éolien posé ou flottant a peu de chance de s'y développer. En revanche, il y a des projets pour l'énergie thermique des mers, notamment à La Réunion et aux Antilles. Elle donne lieu à des installations situées plutôt en eaux territoriales qu'en zone économique exclusive, et, juridiquement parlant, dans un quasi-désert. On l'exploite en pompant les eaux profondes, plus froides, et en produisant, grâce au gradient de température avec les eaux de surface, de la vapeur d'eau qui fait tourner des turbines. Cette technique n'est pas sans impact sur la biodiversité. En effet, l' upwelling artificiel risque de provoquer un véritable boom planctonique, les nutriments étant beaucoup plus abondants en profondeur qu'en surface. Une centrale pilote devrait ouvrir en Martinique en 2016. À La Réunion, DCNS apportera sa technologie pour la production de 10 MWh, avec cet avantage que c'est une production constante.

L'installation de structures aussi lourdes a des effets sur l'environnement maritime. Il s'agit d'abord de la pollution acoustique, notamment lors des travaux initiaux, qui peut être fatale à certains cétacés. Les câbles qui partent de ces installations peuvent entraîner une pollution électromagnétique, même si son intensité et son extension sont mal connues, ainsi qu'un problème de température dans leur voisinage immédiat, perturbations qui peuvent conduire à des phénomènes d'évitement. Il y a aussi ce qu'on appelle un effet-récif, ou effet réserve, c'est-à-dire que des populations importantes, notamment de poissons, se fixent aux alentours des outils qu'on installe. Ce peuvent encore être des perturbations lumineuses au niveau de la surface. En ce qui concerne la pollution par contamination, en revanche, l'exploitation de l'énergie thermique des mers ne présente pas de risque important.

Le décret en préparation sur les îles artificielles, pour encadrer la multiplication des éoliennes flottantes, des plateformes pétrolières, au statut juridique très flou, souffre de nombreuses faiblesses : le projet ne prévoit pas de concertation avec les structures nationales de protection de la nature, ni de consultation du futur Conseil national de la mer et des littoraux, non plus que des conseils ultra-marins qui ont été installés ces derniers mois.

Alors qu'un certain nombre de nos territoires sont concernés par les permis d'exploration, une réforme du code minier est en cours. En Guyane, nos associations souhaitent l'accélération du schéma minier marin, mais aussi que la participation du public soit véritablement une donnée essentielle, et que le principe pollueur-payeur soit instauré. L'Agence des aires marines protégées a montré que la biodiversité des eaux guyanaises était beaucoup plus forte qu'on ne le pensait : elles abritent en particulier des cétacés. Avec l'association Robin des bois, nous avons dénoncé le fait que l'étude d'impact n'abordait que le fonctionnement normal des forages et n'envisageait pas les accidents. Or, un drame comme celui du Prestige , ou comme ce qui s'est passé récemment dans le Golfe du Mexique, pourrait arriver aussi outre-mer, où nous n'avons pas les moyens de traiter une telle situation. Les recherches sismiques entreprises dans la prospection pétrolière sous-marine doivent tenir compte, dans leurs aspects acoustiques, de la biodiversité et en particulier, en Guyane, de la présence de cétacés.

Les ressources génétiques sont en principe régies par la Convention sur le droit de la mer, mais les contraintes sont très faibles. Les recherches sont surtout poussées dans le domaine pharmaceutique. La France est l'un des principaux pays qui s'intéressent à cette ressource. Développer un produit coûte 200 à 300 millions d'euros, mais les chiffres d'affaires de certains produits issus des fonds marins se chiffrent en milliards de dollars. Cela pose le problème de la brevetabilité du vivant, et surtout de la territorialisation de celui-ci : aujourd'hui, toutes ces ressources sont gratuites. J'avais du reste adressé il y a deux ans une longue note sur ce sujet au secrétaire général des Nations unies. La prise de conscience de ces enjeux se développe en France ; le sujet mériterait des travaux parlementaires, auxquels les outre-mer devraient prendre part de manière significative. Nous souhaitons un protocole additionnel à la Convention sur le droit de la mer, qui vient de fêter ses trente ans. La France n'a pas été aussi active sur ce thème qu'elle aurait pu l'être - il est vrai que de nombreux pays ne font rien pour clarifier les règles de l'accès à ces ressources.

France Nature Environnement est étroitement associée à la réforme du code minier. Lors de la phase préparatoire actuelle, quatre groupes de travail examinent chacun une centaine d'articles. Nos exigences sont de trois types : une meilleure définition de l'intérêt stratégique national, une prise en compte réelle des incidences environnementales, et l'émergence et le développement d'une fiscalité en mer, qui n'existe pour ainsi dire pas, et qui pourrait apporter des moyens aux territoires ultramarins concernés.

Bien que de très nombreuses activités soient possibles dans les zones économiques exclusives, il y en a peu en fait, et nous ne les connaissons pas assez pour prévenir les atteintes qu'elles portent à l'environnement.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Merci pour votre exposé très complet, qui nous a beaucoup intéressés : parmi nous sont présents des sénateurs d'outre-mer : Guadeloupe, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Guyane, Wallis et Futuna... mais aussi du Lot, de Seine-Maritime et de Loire-Atlantique, et même un sénateur, représentant des Français établis hors de France, ce qui constitue une très vaste circonscription.

Combien y a-t-il de parcs marins aujourd'hui ? Quelles sont vos ambitions pour eux ? Quel coût représentent-ils ? Quels sont les enjeux ?

M. Denez L'Hostis

Le Grenelle de l'environnement avait prévu huit parcs marins pour 2012 : nous ne les aurons pas. Ceux qui existent sont de taille relativement modeste : nous sommes loin de 20 % des eaux sous protection pour 2020. Pour faire fonctionner un parc marin, il faut une trentaine de personnes. Or il n'y en a que deux ou trois dans celui du Golfe du Lion, quelques-unes aussi à Mayotte, mais aucune en Picardie, ni aux Glorieuses, qu'on envisage de mutualiser avec celui de Mayotte, faute de moyens. L'Agence ne bénéficie pas d'une fiscalité propre : l'État abonde son budget. Une piste pourrait consister à créer, sur le modèle de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), une fiscalité propre à la mer, qui serait fléchée sur la protection du milieu marin.

Faire en sorte que les activités maritimes financent la mer est l'un des enjeux de la fiscalité pour l'année qui vient. Tel n'est pas le cas lorsque, pour obtenir la paix sociale, l'on verse 35 % du produit de la taxe sur les éoliennes à l'ensemble des pêcheurs au travers du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), une part étant aussi versée aux pêcheurs locaux et aux communes situées en co-visibilité d'un parc. Rien n'est clair quant au fléchage des ressources vers la biodiversité. Peut-être cela relèvera-t-il de l'Agence de la biodiversité, qui devrait être créée sur la base du rapport attendu pour la fin du mois de juin ? Mais si l'Agence mêle les intérêts maritimes à un ensemble de sujets terrestres, cela posera problème. Elle ne devrait probablement pas disposer de moyens spécifiques autorisant la création de parcs marins en 2013, alors qu'il s'agit de l'outil le plus intéressant pour suivre les activités en mer.

M. Thani Mohamed Soilihi

On ne donne pas leur chance aux énergies renouvelables, alors que la dépendance aux carburants est très grande dans des zones reculées comme les nôtres. Vous n'avez pas évoqué l'énergie hydrolienne ?

M. Denez L'Hostis

La production d'énergie par les hydroliennes est désormais une technologie mature, même si une mauvaise manipulation a précipité au fond de la rade de Brest celle qu'EDF devait installer à Bréhat. L'hydrolienne du Fromveur, dans le parc marin d'Iroise, devrait quant à elle être exploitée par une société bretonne rachetée par GDF-Suez. Ces technologies sont promises à un grand avenir et nous pourrions en installer des dizaines, à condition de les adapter aux courants. Pour l'heure, on ne les utilise qu'avec les courants les plus forts, tels qu'à la pointe du Cotentin - à Barfleur - ou en Bretagne.

Je travaille actuellement sur un projet à l'île de Sein. Comme à Mayotte, 100 % de l'énergie y provient du fuel. Afin d'accéder à l'autonomie énergétique, le maire et la population réfléchissent à l'installation d'une éolienne qui pourrait couvrir l'ensemble de la consommation d'électricité, en particulier grâce aux réseaux intelligents, les smarts grids. Cela est toutefois impossible du fait de la loi littoral. L'installation de plusieurs hydroliennes est donc aussi envisagée, à l'ouest de l'île. Je ne crois pas que la courantologie de Mayotte soit suffisante. Or, il faut que le courant atteigne 6 à 7 m par seconde. Quand cette exigence sera abaissée, on installera des hydroliennes dans les fleuves ; un test sera prochainement réalisé dans la Gironde. Dans les territoires ultra-marins, des hydroliennes pourraient être installées dans les zones de forts courants entre deux îles ; elles éviteraient les difficultés d'installation posées par les éoliennes.

On ne parle jamais de l'absorption d'énergie. Pourtant, il est possible d'installer des houlomoteurs sous des jetées des ports, lieux en permanence battus par les flots. Installés sous le niveau de la mer, ces dispositifs seront moins affectés par les tempêtes tropicales. Pour l'heure, le premier houlomoteur va être installé dans la baie d'Audierne.

Aucune énergie n'est à négliger, même si les éoliennes présentent certains risques en cas de cyclone tropical, à moins de pencher les éoliennes comme on le fait en Guadeloupe... La Réunion a un projet d'autonomie énergétique pour 2030 ; une telle démarche est à la portée des autres territoires. Souhaitons que les ultra-marins comme les métropolitains poussent à la roue pour combler le retard pris par notre pays qui était en avance dans les années 70. Je compte aussi pour cela sur la représentation nationale.

M. Charles Revet

À la conférence du droit de la mer organisée à l'ONU il y a trente ans, on commençait à parler de nodules polymétalliques. Où en est-on ? A-t-on commencé leur exploitation ?

Les aires maritimes protégées se prêteront-elles à une cohabitation ? À Antifer, la faune marine s'est développée autour des enrochements.

M. Denez L'Hostis

C'est l'effet-récif : chaque installation joue comme un dispositif de concentration du poisson. Reste à savoir quels sont ses effets à long terme sur une zone plus large. L'Agence des aires maritimes protégées a travaillé sur cet effet réserve mais, pour aller plus loin, France Nature Environnement demande que les parcs éoliens soient transformés en aires marines protégées, précisément afin d'améliorer nos connaissances grâce à la présence humaine sur ces parcs.

Pour l'heure, les nodules ne sont pas encore exploités, bien que des recherches soient menées en Papouasie-Nouvelle-Guinée sur des encroûtements de soufre. Le travail porte surtout sur les terres rares des fonds marins pour lesquelles les Chinois détiennent déjà des permis d'exploitation dans le centre et dans la partie orientale de l'océan Pacifique. Faute de technologie adaptée, le problème principal demeure le coût d'accès à ces ressources.

Mme Karine Claireaux

Comment mieux prendre en compte les richesses naturelles des territoires ultramarins ? Les associations locales font de leur mieux, malgré des moyens limités, et l'on n'arrive pas à faire remonter les informations par exemple sur les richesses insoupçonnées de l'archipel en cétacés ou en coraux. Le regard des instances nationales se pose trop peu sur l'outre-mer.

M. Denez L'Hostis

La première contrainte est culturelle : aux Antilles, la mer est davantage perçue comme une ennemie ou un lieu vide que comme un espace de découvertes et d'activités. Même à Saint-Pierre-et-Miquelon la connaissance du milieu semble relativement faible.

Mme Karine Claireaux

Elle est variable selon les espèces.

M. Denez L'Hostis

Dans ce territoire, l'association locale membre de France Nature Environnement se substitue le plus souvent à l'État.

La conscience maritime de la France demeure insuffisante. Le mot « mer » n'apparaît pas dans le code minier ; ce sont donc les règles valables pour la terre qui seront appliquées. Le ministère des outre-mer devrait s'intéresser davantage à la mer.

M. Christian Cointat

Il passe outre...

M. Denez L'Hostis

En Guyane, à Clipperton ou aux Glorieuses..., la pêche illégale compromet la chance que la mer représente pour la France et ses outre-mer.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Merci beaucoup.

M. Denez L'Hostis

Je compte sur vous ! J'étais justement avec deux sénateurs en Polynésie dans le cadre de l'Ifrecor.

M. Robert Laufoaulu

Mme Claireaux souhaitait que l'on parle des coraux...

M. Denez L'Hostis

À Saint-Pierre-et-Miquelon, il s'agit de coraux froids, exclus du champ d'intervention de l'Ifrecor.

Audition du général Pierre Chavancy, chef de la division emploi à l'État-major des armées et de M. Axel Moracchini, officier traitant « forces de souveraineté »

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Veuillez excuser l'absence du président Serge Larcher, souffrant. Vous comprendrez aussi tout particulièrement la raison du retard de cette audition : l'hommage rendu par le président du Sénat à nos soldats morts au Mali et en Somalie.

M. Pierre Chavancy, chef de la division emploi à l'État-major des armées

Une précision sémantique pour commencer : au sein des forces pré-positionnées, il faut bien distinguer les forces de souveraineté dont nous allons parler, des forces de présence stationnées dans des pays étrangers avec lesquels nous avons passé des accords.

La réorganisation du dispositif militaire en outre-mer résulte tout d'abord du livre Blanc de 2008 qui a défini des orientations stratégiques nationales : la priorité donnée à la Guyane qui accueille le centre spatial de Kourou, l'attention portée aux enjeux de souveraineté liés à l'étendue de nos zones économiques exclusives et la nécessité d'un dimensionnement de nos forces strictement adapté aux missions militaires. Les armées conservent cependant la capacité d'intervenir en soutien de l'action de l'État dans les situations d'urgence ou pour pallier les déficiences capacitaires des autres administrations Pas moins de douze réunions interministérielles (RIM) ont été consacrées à la réorganisation du dispositif militaire outre-mer et à son articulation avec, notamment, les services du ministère de l'intérieur - gendarmerie et sécurité civile - et les douanes qui dépendent du ministère des finances.

Cette réorganisation procède aussi de la RGPP, qui a posé un objectif de réduction de 54 000 postes de l'effectif total des armées entre 2009 et 2014 ; nous y sommes presque. La copie prévoyant tout le chemin parcouru depuis 2008 n'avait pas été écrite par le seul ministère de la défense, elle était d'abord et avant tout une production interministérielle.

Pour le dispositif outre-mer, ces objectifs impliquaient initialement une réduction d'effectifs de 40 % à l'horizon 2011. Les 12 RIM ont affiné la cible et ramené la réduction à 23 % en 2020. Plusieurs principes généraux ont été retenus pour y parvenir, à commencer par un recentrage sur nos missions militaires maintenant notre capacité à intervenir en situation d'urgence et accompagné d'une réaffirmation des responsabilités régaliennes de chacun des ministères. La rationalisation de l'ensemble s'est faite selon une logique de théâtres : la zone Antilles-Guyane, marquée par la priorité donnée à la Guyane et la présence de points d'appuis aux Antilles, l'océan Pacifique avec une consolidation en Nouvelle-Calédonie et le maintien en Polynésie d'un dispositif essentiellement maritime du fait de l'importance de la ZEE, et enfin la zone Sud de l'océan Indien.

Il a été clairement arbitré au niveau interministériel qu'il n'y aurait pas de réduction des moyens militaires participant à l'action de l'État en mer. Nous avons dit ce que nous faisions et fait ce que nous avions dit. Cet objectif, que nous remplissons quantitativement et qualitativement, a été confirmé à l'issue du rapport du préfet Cayrel, dont les recommandations ont été reprises en septembre 2010 par le Secrétariat général de la mer.

Mme Karine Claireaux

Pourquoi y a-t-il une zone Antilles-Guyane et non pas Atlantique, à l'instar de ce qui existe pour les autres océans ?

M. Pierre Chavancy

Le centre spatial présente un enjeu stratégique non seulement pour la France mais pour l'Europe. Les enjeux et priorités pour la France de la zone Antilles - Guyane ont amené à ne pas les « diluer » dans une zone Atlantique aux enjeux déjà nombreux. Par ailleurs, la ZEE de Saint-Pierre et Miquelon fait partie de la zone maritime Atlantique sous l'autorité du commandant en chef pour l'Atlantique (CECLANT) basé à Brest.

M. Christian Cointat

Il n'y a pas que dans le domaine militaire que l'on procède de la sorte, il en est de même pour les ambassadeurs régionaux. Je suis d'accord avec ma collègue, je défends Saint-Pierre-et-Miquelon !

M. Pierre Chavancy

Ne m'accusez pas d'oublier Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour nous, militaires, la zone Antilles-Guyane concerne une grande part de l'activité, notamment du fait des opérations de lutte contre le narcotrafic (Narcops).

M. Jeanny Lorgeoux

C'est une question de vocabulaire.

M. Christian Cointat

Pas seulement.

M. Pierre Chavancy

Nous sommes sur une ligne de baisse des effectifs de 23 % ; les 20 % seront atteints en 2014. Les marges de manoeuvre apparaissent maintenant étroites. Tout retour en arrière sur les arbitrages interministériels serait compliqué et ne pourrait certainement pas se faire à moindre coût.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Vos documents distinguent personnels civils et personnels militaires ?

M. Pierre Chavancy

Oui, car dans ce type de réorganisation, la gestion des militaires est plus souple.

Pour mener à bien cette réorganisation, nous avons joué sur les formats capacitaires, créé les bases de défense et rationalisé les soutiens. Nous comptons sur les travaux interministériels pour atteindre la cible. Sur cette trajectoire, nous avons marqué une pause en 2012 et 2013 dans la réduction des effectifs des forces de souveraineté aux Antilles et en Polynésie. La question est aujourd'hui de savoir si cette pause prendra fin ou non en 2013.

La plupart des moyens aériens de la base aérienne du Lamentin a été transférée en Guyane et compensée par l'installation en Martinique d'aéronefs d'autres administrations. L'action de l'État en mer a effectivement été préservée, à une exception près : à La Réunion, le remplacement du patrouilleur austral Albatros n'est pas prévu. La diminution de l'effectif global outre-mer est supportée à hauteur de 45 % par l'armée de terre, de 30 % par l'armée de l'air et de 25 % par la marine. L'augmentation des effectifs de 7 % en Guyane s'accompagne nécessairement d'une discrimination négative ailleurs, et pas seulement dans les DOM-COM.

M. Jeanny Lorgeoux

Il y a des choix.

M. Pierre Chavancy

L'évolution des forces de souveraineté est en effet très liée à celle des forces de présence, sujet auquel il convient d'être très attentif, comme l'actualité nous le rappelle. L'essentiel du chemin ayant été parcouru, nous sommes engagés dans une canule dont il est extrêmement difficile de sortir. Nous pouvons tout au plus varier de quelques degrés vers le haut ou vers le bas.

À quelles difficultés sommes-nous confrontés ? Outre les contraintes budgétaires propres au ministère de la défense, une difficulté pourrait consister en la remise en cause des décisions arbitrées en interministériel. Au sein du pôle aéronautique étatique qui a remplacé la base aérienne du Lamentin, les ministères ont chacun une quote-part d'utilisation des installations. Que se passe-t-il s'ils ne veulent plus payer ? La question vaut aussi pour des structures comme le centre maritime commun de Polynésie. Les arbitrages interministériels ont été tellement difficiles à rendre que des retours en arrière pourraient compromettre tout l'édifice.

Même si la marine nationale est la seule à posséder une capacité d'intervention hauturière, l'action de l'État en mer est fondamentalement interministérielle. La capacité de surveillance des espaces de souveraineté ne se limite pas aux seules capacités aéromaritimes : il faut y ajouter, d'une part, les moyens satellitaires ou radars ou électroniques, et d'autre part, la présence de l'armée de terre sur certains territoires comme les îles Éparses. En particulier, les moyens maritimes militaires pré-positionnés seront à terme quantitativement égaux à ceux de 2008 et qualitativement bien supérieurs.

Quelles sont les possibles évolutions ? Sous réserve des options retenues par le prochain livre blanc, les risques et menaces sont a priori inchangés, ce qui devrait justifier un maintien de la priorité stratégique donnée à la Guyane. La contrainte budgétaire ne pourra que s'accroître, ce qui conduit à opérer de nouveaux choix - et choisir, c'est aussi renoncer.

Dans une hypothèse haute, nous aurions la possibilité de combler quelques lacunes, telles que la disparition de l' Albatros , et de compenser les réductions temporaires de capacités liés à l'âge de certains moyens. Cela demeurerait de toute façon limité et ne se ferait pas à moindre coût. Une hypothèse moyenne consisterait pour nous à rester sur la trajectoire actuelle sans mener ces actions correctrices. Enfin, dans une dernière option que je n'ose imaginer, il nous serait demandé de contribuer encore davantage à l'effort de réduction de la dette publique. Cela signifierait une réduction drastique de nos capacités outre-mer avec principalement la mise en place de « points d'accueil » centrés autour d'une base navale, à la fermeture des bases aériennes avec mise en place de pôles aéronautiques étatiques, l'armée de terre étant condamnée à un rôle restreint. Je précise que le service militaire adapté (SMA), relavant du ministère des outre-mer est une troupe « désarmée ». En cas de catastrophe ou crise grave, il fournit des bras et des moyens mais, ne peut assurer de protection en armes.

En conclusion, la réorganisation menée depuis 2008 se traduit par un recentrage des différents ministères sur leur coeur de métier. Elle ne se limite pas à une simple logique de moyens car ceux-ci demeurent cohérents avec les missions de chacun. De nombreux arbitrages interministériels ont été rendus : la pente n'est adaptable qu'à la marge et au moindre coût.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Y a-t-il des pistes de coopération avec les États riverains ?

M. Pierre Chavancy

Nous faisons déjà beaucoup de choses dans ce domaine. La coopération avec les États-Unis aux Antilles-Guyane dans le cadre de Narcops est bien rodée et donne des résultats. Il est en revanche extrêmement difficile d'aller au-delà avec des pays ayant des systèmes juridiques différents du nôtre. S'engager dans certaines opérations avec des États où la peine de mort est en vigueur peut poser des problèmes politiques. Nous pouvons aussi nous trouver en concurrence avec les pays riverains. En 2003, j'avais vu, au collège de Macapá, pourtant proche de Saint-Georges-de-l'Oyapock, on ne discernait pas la Guyane française...

En Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, nous sommes en relation principalement avec la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis. Ces derniers, dont l'intérêt pour l'océan Pacifique est très net, nous font des appels du pied en nous demandant régulièrement où nous en sommes et de quels moyens nous disposons. La France conduit sa propre politique et ne souhaite pas être entraînée au-delà. Chaque commandant supérieur de zone a la responsabilité des relations internationales militaires et de la coopération opérationnelle militaire avec les pays riverains de sa zone.

M. Axel Moracchini, officier traitant « forces de souveraineté »

Chaque commandant supérieur basé outre-mer mène en effet des actions de coopération opérationnelle militaire. En revanche, en matière de protection de nos ZEE, les actions sont relativement limitées. Dans le Pacifique, peu de choses sont faites en-dehors des accords France-Australie-Nouvelle-Zélande (FRANZ) d'assistance en cas de catastrophe naturelle ou de la coopération en matière de pêche que nous avons mise en place avec l'Australie.

Plus généralement, nombre de pays insulaires ne disposent guère de capacités hauturières et lorsque nous menons des actions de coopération militaire et de formation des garde-côtes avec les Comores et Madagascar par exemple, destinées à leurs permettre d'assurer le contrôle de leurs propres zones, c'est du temps et parfois des moyens de moins qui sont consacrés à la surveillance de nos ZEE. On ne peut donc pas vraiment compter sur la coopération internationale pour renforcer nos moyens.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Les transferts auxquels vous procédez entre les Antilles et la Guyane sont-ils uniquement justifiés par l'enjeu du centre spatial ou bien sont-ils aussi dictés par la lutte contre le pillage des ressources ?

Nous devons mieux protéger notre zone en Guyane, comme le Brésil et le Surinam le font. Je pense aux normes sur les tonnages de poissons ou les filets, mais aussi aux hydrocarbures. Cela dit, pourquoi ce désintérêt pour les Antilles ? N'y a-t-il pas aussi des enjeux dans les Caraïbes ?

Je m'interroge aussi sur vos moyens. En Guyane, les bâtiments de la marine, qui datent d'il y a trente ans au moins, sont plus ou moins bien entretenus. On prévoit de les remplacer, le calendrier sera-t-il respecté ? Le débat sur le recours à des bâtiments polyvalents, mieux adaptés à nos côtes, a-t-il été tranché ?

Pour finir, la coopération. Vous en avez globalement indiqué les limites. Je soulignerai, moi, l'insatisfaction de certaines professions devant le pillage de nos zones.

M. Pierre Chavancy

La protection du centre spatial guyanais relève exclusivement de la défense tandis que l'opération Harpie, et c'est une différence majeure, constitue une opération interministérielle. Pour la conduire, le préfet s'appuie sur nos forces, mais aussi sur celles de la gendarmerie et des douanes.

Les frontières entre nos champs d'action sont parfois ténues, soit. Il y a néanmoins des lignes de démarcation claires. Dès qu'il s'agit de combattre le terrorisme, qu'il soit intérieur ou extérieur, cela relève de l'armée. Ce n'est pas le cas de la lutte contre la délinquance ; en tout état de cause, pas en tant que primo-intervenant et quand bien même cette délinquance est puissante et bien équipée. Je pense au quartier de la Crique à Cayenne à propos duquel les cabinets de l'intérieur et de la défense ont beaucoup échangé.

En clair, l'armée veut accomplir sa mission, toute sa mission, mais rien que sa mission. Et la raison ne tient pas seulement à la logique de réduction des coûts. La lutte contre la délinquance n'est pas notre métier.

Les sujets des hydrocarbures et de la pêche illégale ne nous ont pas échappé, les événements récents en témoignent d'ailleurs.

M. Jean-Étienne Antoinette

Pourquoi ce retrait des Antilles ?

M. Pierre Chavancy

Il a fallu faire des choix dans le livre blanc. Nous sommes pauvres, nous devons gérer la pénurie.

M. Axel Moracchini

Pour la Guyane, les deux patrouilleurs de 400 tonnes ont 30 ans. Leur remplacement, décidé le 3 mai 2011 à Matignon, est planifié pour 2016 : il n'y aura pas de rupture de charge. Les nouveaux modèles, des patrouilleurs légers à faible tirant d'eau, posséderont des capacités bien supérieures.

Les Antilles n'ont pas été oubliées. Le dispositif y a été recentré sur « l'action maritime » et, en particulier, la lutte contre les trafics illicites hauturiers avec deux frégates de surveillance disposant chacune d'un hélicoptère auxquels il faut ajouter un patrouilleur de souveraineté et d'intervention maritime (BATSIMAR) de l'ordre de 1 000 tonnes à compter de 2018. Par ailleurs, un bâtiment de transport léger (BATRAL) est affecté aux Antilles.

M. Christian Cointat

Je n'étais pas favorable à la suppression du service militaire avant de me laisser convaincre par M. Jacques Chirac. Oui, la France avait besoin d'une armée de métier moderne, opérationnelle et adaptée aux défis de demain. L'effort supposait un retour sur investissement. Hélas, la RGPP s'est ensuite invitée à la défense... Je l'ai déplorée dès le début, en dépit de mon appartenance à l'UMP, car je savais que l'outre-mer en pâtirait. Quel est le résultat ? Deux fois moins d'effectifs, des Transall qui ne fonctionnent presque plus et trois vieux Casa pour la Polynésie française ! Est-ce ainsi que nous apporterons à l'outre-mer la protection et la sécurité ? N'oublions pas non plus le soutien logistique. Le Haut-commissaire de Polynésie que j'avais rencontré lors d'un déplacement pour le Sénat m'avait assuré qu'il lui était indispensable pour venir au secours des populations en cas de catastrophe naturelle. Quand vos moyens sont réduits à la portion congrue, pouvez-vous encore remplir vos missions ? Entendons-nous bien, je ne vous reproche pas d'être responsable de cette situation, car il appartient aux politiques de prendre les bonnes décisions.

Les rumeurs sur un refus d'intervention dans le cinquième district des Terres australes et antarctiques françaises, autrement appelé les îles Éparses, sont-elles fondées ? Et Clipperton ? J'y suis particulièrement attaché pour être l'auteur de l'amendement qui leur vaut de figurer dans la Constitution. Cet atoll, une richesse pour la biodiversité, est aujourd'hui utilisé par des narcotrafiquants pour charger et décharger leurs marchandises. Ils y ont même construit une piste d'atterrissage ! Je pourrais également citer les pirates de l'Océan indien, même si les risques sont éliminés dans cette zone depuis qu'une mission y a été conduite.

Alors, vous répondrez certainement, par un oui, à la question que j'ai posée sur le caractère suffisant de vos moyens. Mais sera-t-il franc et massif ou nuancé ?

M. Pierre Chavancy

Inutile de dire que je vous répondrai franchement car vous penseriez que j'ai quelque chose à cacher... Toujours est-il que ma réponse est oui, même si nous sommes en limite basse, parce que nos activités ont été recentrées sur les missions militaires. D'aucuns continuent de solliciter nos interventions par habitude, comme cela se pratiquait auparavant. Ainsi, le préfet administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna a sollicité notre participation à l'organisation des neuvièmes mini-jeux du Pacifique. Nous avons dû lui rappeler que le recours à des moyens militaires ne doit désormais être promu qu'en cas d'impossibilité de recours à des services civils. Cette règle est importante pour ne pas voir les armées accusées d'empêcher le développement et le bon fonctionnement de sociétés de services susceptibles d'assurer une prestation de même nature. Attention à l'accusation de concurrence déloyale ! Il existe des précédents douloureux, comme pour le trafic trans-îles à Mayotte.

M. Christian Cointat

Qu'en est-il des îles Éparses et de Clipperton ?

M. Axel Moracchini

Le Livre blanc de 2008 et sa déclinaison prévoyait un transfert des missions de présence permanente sur les îles Éparses, assurées par les armées, à d'autres administrations. Quel est le constat cinq ans après ? Aucune administration n'ayant manifester la volonté de reprendre ces missions, les armées continuent à assurer cette tâche. , environ 45 militaires effectuant 45 jours de rang une présence sur les trois îles. La mise en place s'y fait encore le plus souvent par Transall. C'est d'ailleurs le seul DOM-COM à disposer de ce type d'avion qui est en fin de vie, les autres étant consacrés aux opérations extérieures, notamment en Afrique. C'est dire la priorité donnée à cette région, une priorité qui coûte cher aux armées.

Puisque vous parlez des TAAF, évoquons le projet porté par le préfet concernant les bâtiments mutualisés multi-missions, le B3M Australe et le B3M Mozambique. Bien que ce sujet ait fait l'objet de nombreuses discussions et que le Secrétariat général de la mer l'ait remis sur la table en septembre, nous sommes loin du consensus interministériel. Si la défense payait, cela conviendrait à tout le monde. Malheureusement, cela n'est plus possible.

M. Christian Cointat

Et Clipperton ?

M. Axel Moracchini

Nous avons deux frégates de surveillance dans la zone Pacifique, nous en envoyons une à Clipperton au moins une fois par an. La surveillance satellitaire de Clipperton et des ZEE (Polynésie et Clipperton) sera très prochainement expérimentée. Le projet est piloté par la fonction garde-côtes.

M. Christian Cointat

Excellent !

M. Éric Doligé

L'UMP a un point commun avec les militaires : nous sommes disciplinés... Malgré les réductions de moyens, tenez-vous vos objectifs ? Il y a eu des changements de périmètres et le qualitatif, vous l'avez dit, peut remplacer le quantitatif...

Vous avez parlé de frontières à propos des champs d'action des différents ministères. J'évoquerai, moi, les frontières passoires de la Guyane et de Mayotte. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait privilégier une approche interministérielle et replacer votre action parmi celles des autres acteurs concourant à la sécurité ?

M. Pierre Chavancy

Prenons la Guyane : l'armée dans son format actuel ne suffirait pas à étanchéifier ses frontières ! La seule solution, et c'est celle que met en oeuvre le préfet avec l'opération Harpie, est d'agir sur les flux en rendant la Guyane, et surtout l'orpaillage clandestin, moins attrayants.

M. Axel Moracchini

Je le confirme : pour Mayotte et la Guyane, la seule solution est interministérielle et globale. Dans le précédent livre blanc, les responsabilités régaliennes de chaque ministère étaient réaffirmées en fonction des missions (militaires, de sécurité intérieure, de sécurité civile...). Cependant, le dimensionnement des services déconcentrés de l'État en outre-mer ne sont pas l'image de la métropole. À titre d'exemple, le ministère de la défense assurent plus de 80 % des missions incombant à l'État en mer, alors même qu'il n'est chargé à titre principal d'aucune des politiques publiques mises en oeuvre.. Tout cela est complexe et nous devons jongler en permanence entre les priorités à accorder à chaque mission au regard du volume de nos moyens.

M. Robert Laufoaulu

Moi qui m'apprêtais à relayer la demande du préfet de Wallis-et-Futuna pour les mini-jeux du Pacifique, je suis un peu surpris. L'aide de la marine, très précieuse, nous a manqué sur un sujet plus grave. Le cyclone du 14 décembre dernier a arraché la toiture de plus de 400 maisons. On nous avait promis deux Casa et le BATRAL Jacques Cartier le lendemain. Finalement, l'aide s'est réduite à un seul Casa, l'autre ayant été envoyé aux îles Fidji en application de l'accord qui lie la France à cette république. Les tôles nous seront livrées seulement à la fin du mois de janvier, par des bateaux civils.

Cette diminution de la présence militaire française explique-t-elle le retour en force des États-Unis dans le Pacifique depuis 2010 ? Ce pays possède l'ambassade la plus importante de la région aux îles Fidji. L'accord sur la surveillance de la pêche illégale les inclut aux côtés de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de la France. Il y a de quoi s'interroger.

M. Pierre Chavancy

A-t-on observé une baisse drastique des effectifs des armées outre-mer ? Oui, bien sûr ! La RGPP avait prévu 54 000 suppressions de postes, nous avons presque atteint cet objectif. Les forces de souveraineté ont contribué à cet effort à hauteur de 1 600 postes seulement. Cela peut sembler énorme, mais les DOM-COM, la Guyane en particulier, ont bénéficié de mesures de discrimination positive.

Le recentrage des Américains dans le Pacifique ? Vaste sujet politique lié, non à un défaut de France, mais à leur volonté d'être présent sur un théâtre dont ils sont riverains et pour lequel les enjeux futurs sont importants. Le positionnement par rapport à la Chine rentre également en ligne de compte. D'où l'installation d'une énorme base en Australie. Pour eux, nous sommes un allié qui compte et qui compte d'autant plus que, c'est mon avis, l'alliance n'est pas automatique. Dans le Pacifique, ils ne cessent de nous le dire, nous sommes une nation souveraine. Même si nous n'avons pas de groupe amphibie permanent à Nouméa, nous sommes l'armée française, une armée capable de faire ce pour quoi nous avons été mandatés. Voilà l'important à leurs yeux. Mais ce n'est pas parce que nos moyens diminuent que les Américains sont arrivés...

M. Axel Moracchini

Nous faisons le maximum avec les moyens qui sont les nôtres... Nous avons prolongé le BATRAL de trois ans jusqu'en 2013 afin de tenir compte de la situation en Nouvelle-Calédonie. Idem pour un des patrouilleurs : deux ans de délai supplémentaire viennent d'être accordés, avec une prolongation éventuelle de trois ans à l'issue. Par ailleurs, des avions de surveillance maritime ont été conservés dans la zone Pacifique vue son étendue géographique, ce qui n'est pas le cas ailleurs.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Merci pour votre franchise. Nous sortons de cette audition peut-être un peu inquiets de savoir vos moyens si limités au regard de vos missions.

Audition de M. Marc Rohfritsch, ingénieur divisionnaire de l'industrie et des mines, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Je vous prie d'excuser l'absence de M. Serge Larcher, président de la délégation, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement. Nous attendons de vous, monsieur l'ingénieur, un éclairage sur l'industrie des mines.

M. Marc Rohfritsch.

La direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, comme son nom l'indique, a pour mission de développer la compétitivité et la croissance des entreprises françaises. Elle est placée sous l'autorité du ministère de l'artisanat et de celui du redressement productif. Mon bureau, au sein du service de l'industrie, participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques industrielles dans leurs composantes sectorielles. À ce titre, nous animons la Conférence nationale de l'industrie, qui prendra bientôt le nom de Conseil ; nous soutenons les secteurs à forte valeur ajoutée et d'avenir ; nous accompagnons les secteurs en forte difficulté, et ils sont quelques-uns ; nous assurons une veille sectorielle et développons une connaissance fine du tissu industriel et d'autres actions transversales de soutien.

Mon bureau est compétent sur la production et la transformation des matériaux. Les matériaux, ce sont les plastiques, le caoutchouc et les composites, mais aussi les céramiques ou encore le bois, le papier et le carton et, naturellement, les métaux. L'exploration minière relève d'une autre direction. Cependant, pour ce qui concerne les ressources minérales, nous tâchons de mieux connaître et d'anticiper l'évolution de la demande industrielle, d'inciter les acteurs à mieux prendre en compte les risques qui pèsent sur leur approvisionnement et, enfin, d'actionner les bons leviers pour réduire la dépendance. Voilà le rôle que je joue sur le sujet qui vous occupe : l'exploitation des ressources minières marines profondes dans les zones économiques exclusives outre-mer.

Comment abordons-nous les besoins des industriels au sein du Comité pour les matériaux stratégiques, le Comes ? Quels sont les drivers ? Autrement dit, quelles sont les applications qui tirent les besoins ? La demande en métaux est en hausse, qu'ils s'agissent des métaux de commodité comme l'acier ou l'aluminium, ou des métaux plus stratégiques high tech . Ces derniers sont fortement liés au niveau de développement du pays.

Le mode de consommation des métaux dépend de trois grandes tendances sociétales : la sensibilité à l'éco-responsabilité, la hausse du prix de l'énergie et la recherche effrénée de technicité dans les produits. Il faut également citer les normes diverses et variées provenant de directives ; je pense à l'interdiction du Chrome 6, néfaste pour l'homme et l'environnement, ou encore à l'écoconception et le recyclage.

Nos industriels dépendent pour leur approvisionnement de l'extérieur. Si on fait exception de l'or en Guyane et du nickel en Nouvelle-Calédonie, la France n'a pas de gisements de matériaux stratégiques, si bien que l'ensemble de la chaîne de valeurs peut potentiellement être affectée, par un effet domino, du fait d'une difficulté ponctuelle dans telle ou telle zone géographique. L'an dernier, nous avons conduit une étude sur deux filières particulièrement exposées : l'automobile et l'aéronautique. Ses résultats sont décevants, comme nous aurions dû nous y attendre, car les difficultés sont exactement celles sur lesquelles le Comes a buté. Les industriels ne veulent pas donner ce type d'information qu'ils considèrent très confidentielle. Et pour cause, ce serait afficher la vulnérabilité de leur entreprise. Tout cela pour expliquer que nous peinons à obtenir une vision agrégée de la consommation réelle de matériaux stratégiques en France.

Que faire pour réduire cette dépendance ? Nous avons réalisé des scénarios sur l'offre et la demande. Les premiers s'appuient sur des projections des valeurs de vente, l'impact des évolutions de marché - par exemple, l'augmentation des ventes de véhicules électriques - et l'estimation des effets de l'innovation sur le produit final. Pour l'offre, plus on va vers l'amont minier, plus nous sommes dans du temps long - il faut sept à dix ans pour ouvrir une nouvelle mine. Ce qui n'est pas vrai pour l'aval où les ajustements sont plus rapides. Nous tenons évidemment compte du recyclage, mais non des ressources marines parce que cela nous a paru prématuré.

Ces équilibres entre l'offre et la demande sont sensibles au rythme de démarrage des nouveaux marchés. Comment appréhender le moment où un nouveau marché démarre ? Prenons la transition énergétique, nous aurons peut-être alors grandement besoin de vanadium pour un stockage de masse de l'électricité. Autre exemple, le dysprosium, une des terres rares les plus stratégiques, qui entre dans la fabrication des aimants permanents indispensables pour le développement des éoliennes. Ces deux matériaux sont à surveiller de près, ainsi que le palladium et le platine. A contrario, l'offre est excédentaire pour le lithium et le restera demain. Nous avons effectué une étude sur dix métaux en 2012, elle est à la disposition des industriels.

Comment sécuriser l'approvisionnement des industriels ? La crise des terres rares, le tsunami au Japon et les inondations en Polynésie ont entraîné de fortes perturbations sur le marché des matières premières. Les acteurs industriels ont de plus en plus conscience des risques de dépendance, sans doute grâce au Comes. Cela dit, cette prise de conscience varie selon leur place dans la chaîne de valeurs : elle est plus élevée en amont, chez les mineurs et les transformateurs, qu'en aval.

Pour les acteurs aval, en revanche, le métal stratégique n'est que l'élément d'un alliage destiné à la fabrication d'un sous-composant : les préoccupations ne sont donc pas les mêmes. Reste que les perturbations dans la chaîne de l'approvisionnement ont poussé les industriels à se mobiliser et à participer au dialogue partenarial mis en place par l'État.

La crise des terres rares de 2011 a permis de mesurer les capacités de réaction industrielles, des stratégies de diversification de l'approvisionnement jusqu'à la constitution de stocks. Renault-Nissan a ainsi mis en place une stratégie volontariste de réduction des quantités de terres rares entrant dans ses composants. Un communiqué de presse de Nissan annonce que le moteur électrique de la Leaf utilise 40 % en moins de terres rares. Il en va de même pour les lampes basse consommation, où les terres rares sont remplacées par d'autres additifs. Autre exemple, le Japon, qui, en 2011, s'approvisionnait à 90 % en Chine, s'est tourné vers le Kazakhstan, l'Inde et le Canada, si bien que sa dépendance à la Chine est tombée, en 2013, à 50 %. Conséquence de tout cela, le marché de terres rares s'est retourné ; les prix, qui, au plus fort de la crise, avaient été multipliés par dix, se sont totalement dégonflés. Et les quotas restrictifs posés par la Chine pour 2012 sont restés très supérieurs à ce qui s'est réellement vendu ; ce fut, au regard de la stratégie agressive qui avait été la sienne en 2012, un véritable retour de bâton. Preuve que des contournements sont possibles, pour se protéger.

À quoi s'ajoute le peu de dynamisme de l'économie, qui a ses effets sur le front des matières premières. C'est, pour les pays dépendants, une opportunité à saisir : cela laisse le temps de se préparer à d'inévitables crises nouvelles. Il ne faut pas relâcher les efforts.

La France peut compter sur un tissu industriel d'importance et des organismes académiques et de recherche de premier plan, mondialement réputés. Tous ces acteurs doivent travailler à réduire les risques liés à l'approvisionnement. Ce qui exige la mise en place d'une démarche par filières, sous l'égide des pouvoirs publics, en lien avec les fédérations professionnelles. Tel est le sens de la création, en 2010, du Comes, et de son rapprochement en cours avec la Conférence nationale de l'industrie.

Les pouvoirs publics peuvent également apporter un appui ciblé. C'est ainsi qu'a été élaboré un outil d'auto-évaluation de la vulnérabilité des entreprises, en ligne sur le portail du ministère, qui vise à mieux sensibiliser les acteurs de terrain et doit jouer un rôle pédagogique auprès des PME. Dans le même ordre d'idées, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), publie, à la demande de sa tutelle, des panoramas sur les métaux rares, sources précieuses d'information sur leurs applications, les gisements existants, les filières industrielles concernées. Au-delà, lors du colloque sur les métaux stratégiques, le 16 octobre dernier, M. Arnaud Montebourg a appelé à la constitution d'un observatoire national de référence afin de mutualiser l'information sur l'approvisionnement en matières premières. Projet soutenu par les membres du Comes, qui ont rappelé la nécessité d'avoir accès à une information de qualité, à coûts mutualisés, via un portail public ou semi public, assurant également l'interface avec les initiatives européennes en ce sens.

Nous agissons aussi pour améliorer l'environnement général des entreprises. Ainsi en attestent l'évolution en cours du code minier, la protection face à la concurrence déloyale, le soutien à la recherche pour développer des compétences en géologie, en technique minière, en recyclage... Ainsi également des encouragements à mettre en place des filières de recyclage, à attirer des investisseurs étrangers, qui ont notamment débouché sur l'inauguration, en 2012, d'un projet industriel porté par Rhodia, à La Rochelle, pour le recyclage des terres rares contenus dans les ampoules basse consommation.

D'autres leviers peuvent venir du secteur privé ou du partenariat public-privé : stratégies d'achats groupés, comme l'Allemagne qui en a annoncé la mise en place ; constitution de stocks ; démarrage de nouvelles exploitations minières, prises de participation dans les entreprises minières, rapprochements client-fournisseur - bref, les stratégies classiques de sécurisation.

Les perspectives d'exploitation des ressources minérales profondes dépendent, pour conclure, du résultat des travaux de recherche actuels, destinés à mieux qualifier les ressources disponibles, à travailler sur les techniques d'exploration et d'exploitation industrielle et leur impact sur l'environnement. La rentabilité des exploitations à venir dépendra du prix du minerai sur le marché. Si les prix s'envolent, il faudra se poser la question de l'exploitation de mines terrestres aujourd'hui non exploitées faute de rentabilité, ainsi que de la recherche dans les profondeurs marines. Car il est une préoccupation stratégique première, celle de la souveraineté : si l'exploitation devait se trouver dans les mains de pays dont la politique n'est pas favorable aux intérêts de la France, il faudra diversifier, fût-ce en exploitant la ressource marine.

M. Éric Doligé

Les ressources minières, depuis le nickel jusqu'à l'or, ne manquent pas outre-mer. D'où l'intérêt de notre délégation pour le sujet. À mon sens, la France manque d'une stratégie, peut-être du fait d'une méconnaissance des ressources et des besoins. À quoi s'ajoute la question de l'environnement, qui reste une pierre d'achoppement, même si j'ai bien compris, au travers de vos propos, que la recherche minière relève aujourd'hui davantage du ministère de l'industrie que de celui de l'environnement.

Reste que lorsque l'on évoque la question de la recherche minière en Guyane, on a l'impression qu'il faudrait mettre ce territoire sous cloche. Pas trop de recherche sur l'or, pour ne pas polluer, nous dit-on. Même chose pour le nickel : on s'est posé tant de questions que ce sont finalement les Canadiens qui ont mis la main dessus en Nouvelle-Calédonie. Quant au BRGM, il a laissé filer et ses mines, et sa recherche...

Avez-vous le sentiment que les choses évoluent, car nous souffrons de blocages qui nous sont un handicap au regard de nos concurrents ?

M. Marc Rohfritsch

Vous posez la question de l'acceptabilité sociétale de la recherche minière. Je ne sais si les politiques s'infléchissent, mais je puis vous dire que le ministre du redressement productif est très volontariste. Il a, à plusieurs reprises, déclaré que s'il souhaitait que les ressources soient exploitées dans le respect indispensable des conditions de sécurité et de l'environnement, il ne voulait pas de moratoire, car la souveraineté de notre puissance industrielle est en jeu. Il a évoqué un démonstrateur de la mine propre, qui pourrait être de nature à changer le regard sur l'exploitation minière. Si l'activité minière n'a pas bonne presse, c'est aussi parce que le lien n'est pas suffisamment fait avec les produits d'usage courant qui en sont issus. On en reste au syndrome du Nimby, « Not in my backyard », qui n'est, au reste, pas spécifiquement français. Si bien que sur les gaz de schiste, la proposition Gallois, qui allait à maintenir la possibilité de quelques forages pour estimer les gisements et rechercher des techniques alternatives à la fracturation hydraulique n'a pas été retenue.

M. Éric Doligé

Cela se fera ailleurs...

M. Marc Rohfritsch

Sans doute, et si une technique plus acceptable voit le jour, nous avancerons. L'Allemagne a le même problème, mais elle a, en revanche, su relancer la mine, avec le soutien des pouvoirs publics et lancer ainsi la première phase de mise en production de petites mines pour la production de métaux. Preuve que les difficultés auxquelles se heurte la France ne sont pas insurmontables.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

N'y a-t-il pas conflit entre la logique productiviste du ministère du redressement productif et la logique de protection environnementale du ministère de l'environnement ? Vous avez évoqué la sécurisation de l'approvisionnement, qui peut passer par la diversification des partenariats, mais quelle doit être notre attitude à l'égard des pays qui ne respectent pas les normes environnementales et sociales ou qui font travailler les enfants dans les mines ? Existe-t-il des préconisations ?

M. Marc Rohfritsch

La révision du code minier doit permettre de mener des activités d'exploitation dans le respect des conditions établies par la loi. C'est tout l'enjeu des discussions en cours que de réconcilier des objectifs qui peuvent paraître contradictoires, mais doivent pouvoir se concilier. Il est vrai cependant que l'organisation de l'administration centrale n'est peut-être pas optimale : les services en charge de l'industrie extractive et de la recherche de matières premières sont restés au ministère de l'environnement, où les avait placés la création du grand ministère Borloo, qui avait pris dans son giron énergie et matières premières. Avec l'alternance, l'énergie est revenue à l'Industrie, mais les matières premières non énergétiques sont restées à l'Environnement. C'est ainsi. C'est donc la direction de l'eau et de la biodiversité qui est chargée de faire la balance entre préoccupations environnementales et industrielles.

Oui, nous préconisons des partenariats avec d'autres pays pour assurer la sécurité des approvisionnements. Nous avons ainsi concrétisé un accord avec le Kazakhstan sur la filière titane. Une filiale d'Eramet, qui fabrique des pièces en titane pour Airbus, connaissait des problèmes d'approvisionnement, si bien que pour y remédier, un joint-venture a été créé avec un partenaire Kazakh. Des discussions avec le Canada, l'Australie sont également en cours et une stratégie européenne commence à se dessiner, puisque la Commission européenne signe des accords avec de nombreux partenaires - le Maroc et la Tunisie récemment.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Existe-t-il des partenariats européens pour la prospection ?

M. Marc Rohfritsch

Je ne suis pas le mieux placé pour répondre mais ils sont, à ma connaissance, assez rares. Je puis signaler la création, en Allemagne, d'une structure qui rassemble des entreprises utilisatrices de métaux rares dans la chimie, la sidérurgie ou l'automobile, comme BASF, Thyssen Krupp ou BMW, pour des appels à partenariats, sachant que l'Allemagne n'a pas d'opérateurs miniers. Eramet pourrait parfois être en situation de répondre à ce type de demandes.

M. Joël Guerriau, président, co-rapporteur

Il me reste à vous remercier de votre intervention, qui nous donne matière à poursuivre nos travaux.

(Mercredi 16 Janvier 2013)

Présentation par MM. Jean-Etienne Antoinette et Georges Patient, sénateurs de la Guyane, d'une étude de législation comparée sur les régimes applicables en matière d'exploration et d'exploitation pétrolières offshore

M. Georges Patient, président

Dans le cadre de notre réflexion sur les enjeux des Zones économiques exclusives (ZEE), nous avons demandé aux services du Sénat de réaliser une étude de législation comparée sur le régime applicable à l'extraction des produits minéraux tirés des fonds marins.

Je vais vous présenter aujourd'hui, en compagnie de mon collègue Jean-Étienne Antoinette, le résultat de la première partie de cette étude, qui concerne le régime juridique de l'exploration et de l'exploitation pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental.

Cette étude tend à nous donner, vous l'aurez compris, des éléments de comparaison utiles dans le contexte des recherches qui ont lieu au large de la Guyane et dans la perspective de la réforme du code minier que M. Tuot a d'ores et déjà évoquée devant la commission du développement durable en décembre dernier.

Une seconde partie de l'étude, présentée sous la forme d'une autre note, nous sera remise courant février. Elle concernera les évolutions du régime de recherche et d'exploitation des ressources minérales sous-marines : nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux. Elle intéressera donc plus directement des territoires français situés dans le Pacifique.

Afin de clarifier le propos, nous vous proposons un exposé à deux voix. Dans la première partie, je vous présenterai le cadre général et les principes qui déterminent le régime de la recherche et de la production pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental. Puis, dans un second temps, notre collègue Jean-Étienne Antoinette insistera sur les principales conclusions que la comparaison qui nous est proposée permet de tirer de l'étude des législations de l'Australie, du Brésil, du Mexique, du Royaume-Uni et de la Norvège.

Commençons par le cadre général et la définition de la ZEE, du plateau continental et du régime français qui y est applicable

En vertu de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, la ZEE s'étend au-delà de la mer territoriale jusqu'à 200 milles marins, soit 370 kilomètres des lignes de base. Ce chiffre est important car il suggère l'immensité du domaine couvert par ces zones pour la France.

La première carte qui vous est présentée montre l'extension des ZEE de l'ensemble des États du monde et celle de la France. À cette zone il convient d'ajouter le plateau continental qui s'étend jusqu'au rebord externe de la marge continentale. Il peut aussi être revendiqué par les États riverains. Sur ces deux aires, les États côtiers exercent des droits exclusifs : même s'ils n'exploitent pas eux-mêmes le tréfonds de la mer, nul ne peut en entreprendre l'exploitation sans leur autorisation. La loi n° 68-1181 du 30 décembre 1968 dispose d'ailleurs, pour la France, que toute activité entreprise sur ce plateau est subordonnée à la délivrance préalable d'une autorisation.

Ceci me conduit à vous rappeler les grands types de titres miniers qui sont délivrés dans notre pays en vertu du code minier. La législation de la recherche et de la production pétrolières françaises est incorporée - parfois plus mal que bien, j'y reviendrai - dans ce code minier, qui a été modifié à de nombreuses reprises et qui se trouve en cours de réforme.

Avant d'en venir aux titres miniers eux-mêmes, je souhaite vous rappeler l'existence de deux grands types d'activités dans les activités pétrolières :

- tout d'abord, l'exploration « préalable », qui est comme une première approche destinée à connaître les caractéristiques géologiques générales d'une zone ;

- puis l'exploration-production, qui est menée à bien dans une zone - on parle de « blocs à explorer et exploiter » - où existe une forte présomption de trouver du pétrole.

J'insiste sur la nécessité de lever toute équivoque sur la notion polysémique d'» exploration ». Selon les diverses législations étudiées, elle peut viser aussi bien des investigations « préalables » ou « superficielles » dont je viens de parler, que des recherches approfondies débouchant sur la production de pétrole, son « exploitation » qui viennent ensuite.

La France attribue, quant à elle, trois types principaux d'autorisations : l'autorisation de prospection préalable, le permis exclusif de recherche et la concession. Je les examinerai successivement.

L'autorisation de prospection préalable est accordée par l'autorité administrative sans mise en concurrence ni enquête publique et sans concertation locale, pour une durée qui ne peut excéder deux ans. Elle donne le droit non exclusif d'exécuter des travaux de recherches, à l'exception des sondages dépassant une profondeur de 300 mètres à partir du fond de la mer, mais ne permet pas de disposer du produit des recherches mis à part des échantillons ou des prélèvements. Elle permet d'effectuer une première approche du plateau continental pour savoir s'il serait intéressant d'effectuer des prospections plus approfondies. Elle permet d'accumuler des connaissances, des données qui pourront, du reste, être vendues à des explorateurs.

Le permis exclusif de recherche est accordé, après mise en concurrence, par l'autorité administrative compétente (le ministre au nom de l'État dans le cas général, et le président de la région en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion et à Mayotte) pour une durée maximale de cinq ans, sans enquête publique. Il est prorogeable deux fois de cinq ans sans nouvelle mise en concurrence.

Nous passons à la phase de production avec un dernier titre, la concession, qui est accordée après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du code de l'environnement et mise en concurrence, sauf dans le cas où elle est consécutive à l'obtention d'un permis exclusif de recherche. Seul le titulaire d'un tel permis a le droit, s'il le demande avant l'expiration de ce titre, à l'octroi d'une concession sur les gisements exploitables découverts à l'intérieur du périmètre du permis. La concession est accordée soit par le Premier ministre par décret en Conseil d'État, soit par le président de la région en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte.

D'une durée maximale initiale de cinquante ans, la concession peut être prorogée sans que chaque prorogation puisse dépasser vingt-cinq ans.

J'ajoute qu'en vertu d'une disposition adoptée à mon initiative dans la loi de finances rectificative pour 2011, à compter du 1 er janvier 2014, pour les gisements en mer situés dans les limites du plateau continental, les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux seront tenus de payer une redevance annuelle calculée sur la production. Elle sera déterminée en appliquant un taux progressif à chaque tranche de production annuelle. Ce taux sera fixé en fonction de divers paramètres : nature des produits, continent au large duquel est situé le gisement, profondeur d'eau, distance du gisement par rapport à la côte et montant des dépenses consenties pendant la période d'exploration et de développement, dans la limite de 12 %. Le produit de la taxe sera affecté pour 50 % à l'État et pour 50 % à la région dont le point du territoire est le plus proche du gisement.

Telles sont les principales caractéristiques du système français d'attribution des titres.

J'en viens à des considérations de nature plus « économique ».

En effet, en étudiant certaines des législations étrangères qui ont été votées au cours des dernières années, on constate que les pouvoirs publics de ces autres pays ont envisagé les diverses options qui s'offraient à eux pour l'établissement du cadre juridique, le plus souvent contractuel, des relations entre la puissance publique et les exploitants de champs pétrolifères.

Je m'inspirerai de plusieurs documents publiés par le Sénat du Brésil pour vous présenter les grands types de modes de gestion du pétrole.

Il existe dans le monde plusieurs grands « modèles » de gestion de la production pétrolière : le monopole, la concession et le contrat de partage de la production pour n'évoquer qu'eux. Je mentionnerai pour mémoire les contrats de service en vertu desquels une entreprise publique nationale rémunère une entreprise pétrolière pour une prestation donnée, et le contrat d'association ou joint-venture par lequel une entreprise nationale crée un consortium avec d'autres entreprises.

Le monopole confié à une entreprise d'État correspond à une gestion directe par les pouvoirs publics.

La concession a, quant à elle, les caractéristiques suivantes :

- pendant une période donnée, tout le pétrole extrait appartient au concessionnaire ;

- en échange, le concessionnaire peut payer un « versement à la signature » (ce qui favorise les entreprises qui sont déjà des opérateurs du secteur, seules capables de verser celui-ci) ou chaque année des royalties en numéraire (et pas en pétrole) qui garantissent un revenu minimum à l'État calculé en fonction de la valeur du pétrole ;

En vertu d'un contrat de partage de la production :

- la propriété du pétrole extrait appartient à l'État ;

- l'exploitant perce les puits à ses frais et risques ;

- l'entreprise qui perce les puits est assurée, pendant une période donnée, de recevoir, en cas de succès, d'une part le remboursement en pétrole des coûts qu'elle a engagés et, d'autre part, une fraction de la production à titre de rémunération, l'État recevant l'autre fraction de la production.

La carte qui vous est présentée provient d'une étude récente réalisée au Brésil à l'occasion de la discussion de la loi sur les contrats de partage de production.

Elle montre les pays qui recourent à des systèmes qui s'inspirent du régime de la concession, ceux qui recourent à des contrats de partage de la production et, enfin, ceux qui recourent aux deux dispositifs.

Pour la réalisation de l'étude qui nous est soumise, on a choisi d'étudier cinq États divers, compte tenu des compétences linguistiques dont dispose le Sénat - l'étude repose sur des documents en langue originale, hormis pour la Norvège où l'on s'est fondé sur le texte en anglais publié par les autorités d'Oslo. Ont été retenus le Brésil, du fait de sa proximité avec la Guyane et du caractère innovant de sa législation ; le Mexique parce qu'il présente le cas original de maintien d'un monopole historique ; et enfin l'Australie, la Norvège et le Royaume-Uni, qui s'avèrent particulièrement actifs en matière d'exploitation pétrolière.

Je vous propose, avant de conclure mon propos, de souligner les grands thèmes qui me paraissent devoir être pris en compte dans la réflexion relative à l'évolution de la législation française sur la recherche et l'exploitation pétrolières.

La question primordiale est la suivante : existe-t-il un intérêt à disposer d'une législation pétrolière spécifique ? Ceux d'entre nous qui ont lu le code minier savent que les développements qu'il consacre au pétrole sont « noyés » parmi ceux relatifs au sable, à la marne et aux granulats...

Bref, que l'on s'interroge sur la façon dont il est lu par les professionnels... Il serait légitime de clarifier cette législation pour que les opérateurs, mais aussi les citoyens et les défenseurs de l'environnement sachent « sur quel pied danser ».

La seconde question qui saute aux yeux lorsque l'on étudie les législations étrangères est de savoir si les procédures de gestion du domaine minier qui peut contenir du pétrole sont assez incitatives : la loi facilite-t-elle la connaissance des ressources ? Encourage-t-elle leur exploitation ? Ou permet-elle le « gel » des zones accordées et la perpétuation de situations acquises ?

Corollaire de ces questions : de qui doit relever l'initiative de l'exploration pétrolière ? De l'État ou des entreprises ? Le sujet est loin d'être anodin puisqu'il traduit l'existence - ou l'absence - de politique en la matière.

Troisième grand « point de passage obligé », la nécessité de protéger l'environnement, qui constitue une préoccupation de base, unanimement partagée : il convient d'optimiser les conditions dans lesquelles les consultations relatives à l'autorisation de l'exploitation pétrolière sont menées.

Je vous rappelle que nous raisonnons ici sur des zones qui, si elles sont inhabitées et situées jusqu'à 370 kilomètres des côtes, peuvent avoir une grande importance pour la pêche, pour les activités côtières mais aussi pour la biodiversité et la vie des mammifères marins. À l'ère de la transparence, les modalités d'information, de consultation et de contribution du public aux procédures d'autorisation sont donc essentielles.

Le quatrième volet qui m'apparaît incontournable concerne le degré de concurrence qu'il convient d'instituer entre les opérateurs. Nous verrons qu'il s'agit d'une préoccupation d'intensité variable selon les pays. Sur ce point, le législateur doit arbitrer entre la volonté de préserver les intérêts de l'État et celle de développer l'activité économique. L'expérience prouve en effet que les États ne peuvent se désintéresser de la gestion du « cycle de vie » des champs pétroliers, des sondages « d'exploration » au démantèlement des plates-formes. Il est par conséquent nécessaire de prévoir les conditions dans lesquelles, sans se substituer à l'initiative privée, l'État peut « réguler » l'exploitation pétrolière et les modalités concrètes des opérations sur le terrain.

Enfin, la dernière préoccupation qui m'apparaît incontournable est celle qui concerne les retombées de la « rente » pétrolière sur les collectivités et sur les populations des régions côtières. Je sais, du reste, que cette préoccupation est partagée par plusieurs de nos collègues, dont mon ami Jean-Étienne Antoinette à qui je cède la parole afin qu'il nous présente de façon détaillée les conclusions de l'étude des législations des cinq États qui ont été analysées.

M. Jean-Étienne Antoinette

Comme l'a rappelé Georges Patient, la note qui nous a été remise présente le régime de l'exploration et celui de l'exploitation dans la ZEE et sur le plateau continental dans cinq États : deux situés en Europe (la Norvège et le Royaume-Uni), deux en Amérique (le Mexique où prévaut un monopole public et le Brésil), ainsi qu'un dans le Pacifique (l'Australie).

Les préoccupations qui inspirent le législateur varient, selon les pays, compte tenu de l'état des connaissances sur les ressources pétrolières et leur niveau d'exploitation, c'est-à-dire la « maturité » du domaine minier.

Cette note n'aborde pas certains sujets tels que le transport ou le stockage des hydrocarbures et les régimes de l'extraction du gaz. Elle n'évoque pas non plus la législation applicable aux activités d'exploration ou d'exploitation elles-mêmes (mesures de sécurité et de prévention des risques de pollution ou autorisations de travaux...), celle qui concerne le démantèlement des installations de production ni même le régime de responsabilité en cas d'accident ou de dommage à l'environnement. On peut regretter enfin qu'elle n'étudie pas le régime fiscal du secteur pétrolier (régime des investissements, des provisions...) sur lequel il semble que les études fassent défaut. Il s'agit d'un sujet important car il faut mettre en place un régime fiscal sérieux.

L'étude se focalise donc sur la législation applicable aux procédures d'autorisation de l'exploration et de l'exploitation, qui relève, dans les cinq pays choisis, de textes spécifiques.

Dans ces cinq cas, les relations contractuelles entre l'État et les exploitants sont régies par des contrats de concession, en vertu desquels l'exploitant reçoit la propriété de la production (les licences accordées en Australie, au Brésil hors de la zone du Pré-Sal, en Norvège et au Royaume-Uni peuvent se rattacher à la catégorie des concessions) et de partage de production entre l'exploitant et l'État (Brésil dans la zone du Pré-Sal). Le Mexique fait figure de cas particulier puisqu'il exerce un monopole par l'intermédiaire de son opérateur public, PEMEX ( Petróleos Mexicanos ), qui peut tout au plus conclure des contrats de prestation de services avec des tiers.

L'Australie est le seul des cinq pays où les titres pétroliers sont délivrés par une « instance commune » composée du ministre fédéral chargé de l'Énergie et de celui de l'État fédéré concerné, qui statue sur la base d'un avis rendu par un service technique national. Dans les quatre autres États, les titres sont délivrés au niveau fédéral (Brésil et Mexique) ou national (Norvège et Royaume-Uni).

L'analyse des cinq cas étudiés montre notamment que le recours à une législation spécifique claire est un indice de l'importance assignée à la production du pétrole par la politique énergétique.

Quelles que soient leurs différences de contenu, ces cinq législations ont en commun de recourir à une ou des loi(s) pétrolière(s) spécifique(s) traitant de l'exploration et de l'exploitation, depuis la prospection préalable jusqu'à la restitution des gisements. Tous les États n'ont pas choisi ce système : la France et les Pays-Bas, pour ne prendre que leur exemple, ont inséré le régime pétrolier au sein d'un code minier « généraliste ».

Quoi qu'il en soit, les cinq textes étudiés évitent les équivoques et déjouent les confusions entre les hydrocarbures et les autres substances minières, permettant une lisibilité effective, y compris pour les non-spécialistes du droit minier.

C'est ainsi que le contenu des obligations de l'exploitant figure dans un document type prévu par la loi ou le règlement en Australie, en Norvège et au Royaume-Uni, dans la loi et le projet de contrat de partage de la production au Brésil. En d'autres termes, l'opérateur peut aisément savoir, dans ces États, ce à quoi il s'engage...

La volonté d'écrire une loi claire - même si elle est très volumineuse comme en Australie - montre que, loin d'être seulement technique, la législation pétrolière semble traduire dans les cinq cas étudiés la volonté politique de développer le secteur pétrolier.

Il existe donc une relation entre la « substance » de la loi et la volonté des pouvoirs publics de développer le secteur de l'extraction pétrolière.

Ce constat est également illustré par l'observation que la gestion des gisements pétroliers passe par l'incitation à l'exploration.

La délimitation de l'ampleur du domaine maritime exploitable repose notamment sur la transparence de la procédure d'ouverture des « blocs », dans le cadre de mises aux enchères à échéances régulières, le plus souvent annuelles, comme en Australie, ou encore la mise en oeuvre d'une politique définie par des instances chargées de la politique énergétique nationale comme au Brésil ou encore par l'administration nationale. C'est ainsi qu'en Norvège les nouveaux « blocs » ne sont ouverts à l'exploration-production qu'après consultation du Parlement.

De la même façon, le paiement de droits superficiaires qui incitent les exploitants à ne conserver que le minimum de zones utiles évite le « gel » de ces superficies. Le cas est illustré en Australie, au Brésil et au Royaume-Uni.

Si l'initiative de l'exploration peut relever des entreprises, celle de l'attribution de « blocs » pour la production pétrolière relève de l'État dans les cinq cas considérés.

Dans le système français, ce sont les opérateurs qui demandent des permis pétroliers. De même, l'initiative relève du secteur privé pour la phase d'exploration préalable en Norvège et au Royaume-Uni. En revanche, c'est la puissance publique qui décide du lancement d'une procédure de mise en concurrence pour le choix d'un explorateur en Australie. S'agissant du choix d'un exploitant, c'est également la puissance publique qui le désigne en Norvège et au Royaume-Uni, tout comme au Brésil et au Mexique, dans ce dernier cas par l'intermédiaire d'une société nationale, PEMEX.

On constate également que le souci de protéger l'environnement en assurant l'information et la participation du public est unanimement partagé, encore qu'à des stades divers des procédures.

Commençons par ce qui concerne la protection en matière d'environnement. Quel que soit le régime juridique d'exploitation retenu, les cinq législations étudiées mettent l'accent sur la protection de l'environnement. Cependant, la prise en compte des questions environnementales survient à des stades divers au cours du long processus qui va de l'exploration préalable jusqu'à la production de pétrole brut et même jusqu'au démantèlement après épuisement du gisement.

Les procédures environnementales peuvent se dérouler :

- lors de la détermination des zones dans lesquelles l'exploitation pétrolière est soit interdite, soit soumise à restrictions comme au Brésil et au Mexique ou encore avant la publication de la liste des « blocs » susceptibles de faire l'objet d'une exploration, comme en Australie et en Norvège, ou d'une exploration-exploitation, comme au Royaume-Uni ;

- avant la délivrance d'une autorisation d'exploration en Australie ;

- avant l'octroi de l'autorisation d'exploitation : en Norvège, au Royaume-Uni et au Mexique (où les demandes d'autorisation sont publiées sur le site du ministère de l'Environnement) et en Australie ;

- et, enfin, à l'occasion de la délivrance de trois autorisations environnementales successives (préalable, d'installation et opérationnelle) au Brésil.

S'agissant de l'information et de la participation du public, les cinq cas étudiés ménagent des procédures de consultation du public :

- soit lors de la préparation de l'étude environnementale préalable à l'ouverture des « blocs », comme en Norvège et au Royaume-Uni ;

- soit avant la rédaction de la version définitive des études de zone sédimentaire qui déterminent les secteurs où l'exploitation pétrolière est possible, comme au Brésil ;

- avant la préparation par l'exploitant du « plan environnemental » qui précède l'attribution d'un titre en Australie ;

- après la publication de la demande et avant l'octroi d'une autorisation, à la demande de quiconque au Mexique ;

- et, enfin, avant l'octroi de l'autorisation d'exploitation en Norvège et au Royaume-Uni.

Ces procédures utilisent les moyens traditionnels de publicité comme la presse, mais aussi les nouvelles technologies de l'information et Internet.

La mise en concurrence pour le choix des opérateurs est, en revanche, une préoccupation d'intensité variable.

Hormis au Mexique, où l'État, on l'a déjà dit, est dans une situation monopolistique, on recourt à la mise en concurrence pour l'attribution des concessions des licences, en Australie, en Norvège et au Royaume-Uni et pour celle des contrats de partage de la production au Brésil.

Je souhaiterais, à ce stade, insister sur la situation très particulière du Brésil où, par dérogation à la loi pétrolière qui prévoit le recours à des concessions, une loi de 2010 a prévu que l'on pourrait, dans la zone du Pré-Sal, signer des contrats de partage de la production.

En effet, le Brésil a fait d'importantes découvertes pétrolifères en haute mer, dans la zone dite du « Pré-Sal ». Comme vous le montre la carte qui vous est présentée, cette zone se trouve face à Rio de Janeiro et São Paulo. Les champs pétrolifères sont situés jusqu'à 340 kilomètres de la côte (300 kilomètres précisément pour le puits de Tupi, l'un des premiers en service). Comme vous le montre un autre schéma, les hydrocarbures se trouvent sous une profondeur d'eau de 2 200 mètres, protégés par une couche de sel dont l'épaisseur peut atteindre 2 200 mètres, entre 3 et 5 kilomètres du fond.

L'exploitation de tels gisements relève donc de l'exploit technologique et nécessite une forte incitation. C'est pourquoi le législateur brésilien a permis le recours aux contrats de partage de production pour cette seule zone. Pour le moment aucun contrat n'a été passé, mais on pense qu'un premier appel d'offres pourrait être lancé en 2013.

Précisément, des procédures de mise en concurrence sont prévues avant l'exploration-recherche en Australie et avant l'exploitation-production au Brésil, lors de la publication du projet de contrat de partage de production et avant l'attribution des licences dites de production en Norvège et au Royaume-Uni.

Norvège et Royaume-Uni ne prévoient du reste cependant pas de mise en concurrence pour la délivrance des autorisations (non exclusives) d'exploration préalable.

Les cinq États considérés contrôlent les modalités de recherche, de développement et de production des gisements.

L'intervention de l'État passe en premier lieu par le contrôle de la gestion des gisements. C'est à ce titre que les États se réservent le droit d'intervenir afin d'assurer la gestion optimale des ressources :

- soit en confiant celle-ci à leur opérateur national (Mexique) ;

- soit en astreignant les entreprises signataires des contrats de partage de production à constituer des consortiums avec leur opérateur historique dans le cas du Brésil ;

- soit en exerçant un contrôle approfondi sur les plans d'exploration, de développement et d'exploitation des gisements et les investissements en Australie, au Royaume-Uni et en Norvège ;

- soit en fixant le programme de travail minimum et les investissements estimés correspondants au Brésil ;

- soit encore en prévoyant des délais maximum de déroulement de l'exploration préalable à la production, assortis d'obligations de restitution des zones momentanément dévolues aux opérateurs comme en Australie, au Brésil et au Royaume-Uni.

L'Australie prévoit même de retirer la licence en cas de non exploitation pendant une période continue d'au moins cinq ans.

En ce qui concerne l'exclusivité des permis, un sujet dont nous avons parlé à plusieurs reprises, il faut distinguer :

- le niveau de l'« exploration préalable » où l'Australie garantit une exclusivité à l'explorateur sur une zone ;

- et le niveau de l'« exploration-production » au stade duquel les cinq États considérés garantissent l'exclusivité des droits de l'explorateur en liant, dans un seul contrat, l'exploration et l'exploitation.

Les États se livrent de surcroît à une gestion « fine » du cycle de vie des titres miniers et manifestent la volonté d'adapter la législation aux différentes phases de l'exploitation pétrolière.

La loi britannique, qui s'en tient à l'attribution d'une seule licence, dite de production, pour effectuer toutes les opérations nécessaires sur un champ pétrolier, décline cette licence en quatre grandes « sous-catégories », dotées de phases et de durées variables adaptées à la vie des différents types de champs pétroliers.

En Norvège et au Royaume-Uni, la licence confère un droit exclusif d'exploitation du pétrole mais n'interdit pas l'attribution à un tiers de droits d'exploration ou de production d'autres substances, si cela n'occasionne pas de préjudice déraisonnable au titulaire initial dans le premier cas et avec son accord dans le second.

Pour éviter toute rupture entre les phases de recherche et de production, l'Australie reconnaît à l'explorateur un titre transitoire, la « déclaration de localisation », qui permet à son titulaire, une fois que l'administration l'a acceptée et l'a publiée, de passer d'un permis d'exploration à une licence de production sans nouvelle mise en concurrence.

Sans prétendre à l'exhaustivité, on observe aussi des dispositions qui permettent la modification des titres miniers avec :

- la possibilité d'amodier un programme de travail d'exploration au-delà des trois premières années avec l'accord de l'administration en Australie ;

- le droit d'obtenir un « bail de conservation » d'un « bloc » dans lequel du pétrole a été trouvé et dont l'extraction n'est pas commercialement viable mais qui pourrait le devenir dans un délai de 15 ans en Australie ;

- la division de la licence de production britannique en phases dont les objectifs doivent être successivement atteints ;

- et la faculté d'opérer la cession d'une licence de production sous réserve de l'autorisation des services compétents en Australie, au Brésil, en Norvège et au Royaume-Uni.

Le partage de la « rente » pétrolière concerne aussi bien l'État que les collectivités territoriales.

Parmi les cinq législations pétrolières étudiées - qui n'excluent nullement l'existence d'un régime fiscal spécifique des activités de production-commercialisation d'hydrocarbures -, seule la législation brésilienne prévoit des dispositions financières détaillées et le versement aux collectivités territoriales d'une fraction des recettes issues des concessions, une partie de celles consécutives aux contrats de partage de la production étant versée à un fonds de développement social et régional.

Il serait aussi intéressant d'identifier le rapport entre le partage de la rente ou celui de la compétence pour délivrer les titres miniers et les obligations des collectivités concernées. On peut se demander si celui qui délivre le titre contrôle l'activité d'exploitation, touche une rente pétrolière et se voit imputer la responsabilité en cas de dommage d'un exploitant défaillant.

Les lois d'Australie, de Norvège et du Royaume-Uni prévoient, quant à elles, le versement de redevances superficiaires à l'État.

Telles sont, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer de l'étude de ces législations étrangères. Je crois que la principale leçon qui saute aux yeux est que, dans la réforme du code minier qui est en préparation, une attention majeure doit être apportée à la recherche et à l'exploitation des ressources pétrolières de notre territoire.

Audition de M. Patrick Roméo, président de Shell France

Mme Catherine Tasca, présidente

Notre président Serge Larcher est malheureusement retenu chez lui pour des raisons de santé. Je souhaite la bienvenue à M. Patrick Roméo, président de Shell France, qui nous avait rendu une première visite le 31 mai 2012 pour nous présenter le projet d'exploration pétrolière mené au large de la Guyane. Cette audition avait duré plus de deux heures sans parvenir à épuiser l'ordre du jour ni étancher notre curiosité ; nous étions alors convenus de nous revoir quand l'exploration offshore aurait progressé.

Nous aborderons aujourd'hui, outre les enjeux de l'opération qui nous avaient exclusivement occupés en mai, la question des retombées économiques et sociales pour la Guyane, notamment en termes d'emplois.

Au-delà des opérations en cours et des questions relatives à la zone économique exclusive dans les outre-mer, nous aborderons enfin la réforme du code minier qui sera bientôt discutée au Parlement. Selon vous, convient-il d'aménager une lisibilité spécifique au sein du code minier à l'exploration et l'exploitation des produits pétroliers ?

Mais dans un premier temps, vous voudrez bien nous dresser un bilan des deux forages que vous avez réalisés, notamment sous l'angle environnemental, puis nous livrer les perspectives retenues pour 2013 en matière d'exploration.

M. Patrick Roméo

Le projet est entré dans sa phase active en 2010 : l'exploitation des données sismiques a permis l'identification de la cible à forer. Un premier forage, dit GM-ES-1 a été réalisé en 2011, qui a permis la découverte de pétrole dans une grappe de bancs de sable enfouie à 4 000 mètres sous terre. L'existence d'hydrocarbures, d'un réservoir de bonne qualité et d'un système étanche pour le préserver, nous a été confirmée. Un deuxième forage sur la même grappe a été réalisé à 5 kilomètres à l'ouest et en amont du premier. Le succès technique a été complet : les travaux se sont déroulés conformément au programme, et aucun accident n'a été déploré. La profondeur de 6 200 mètres a été atteinte le 3 décembre 2012 mais le réservoir cible s'est révélé vide d'hydrocarbures.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Les investissements devaient être particulièrement lourds... La perte sèche s'élève à combien ?

M. Patrick Roméo

Oui, mais c'est la logique d'une telle exploration : la probabilité de succès est faible. Ce n'est que l'addition de tous les forages qui indique ou non si un gisement est commercialement exploitable. Et un forage, c'est 20 % de chances de succès... Nous avons été moins chanceux avec le deuxième, mais nous poursuivons nos recherches. Nous avons rebouché le puits, conformément au programme approuvé par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal).

Le 27 décembre dernier, notre navire s'est approché de la zone d'un troisième forage, baptisé « Priodontes » sur une grappe de réservoirs à 11,6 kilomètres du précédent. Le navire, non amarré, est positionné dynamiquement au-dessus d'une colonne d'eau de 1 793 mètres par satellite et par sonar. La tête de puits et le bloc obturateur de puits sont installés, ce qui a permis de démarrer le forage à l'abri du milieu marin. Nous espérons atteindre les zones cibles dans les mois qui viennent. Pour que ce forage annonce l'exploitation commerciale d'un gisement, la quantité et la qualité du pétrole doivent être suffisamment élevées, et le coût de l'extraction suffisamment bas. À cet égard, un grand réservoir de pétrole unique est plus avantageux que plusieurs petits.

Nous avons mené plusieurs campagnes sismiques en 2012. Nous procédons actuellement à l'interprétation des données qu'elles ont permis de récolter, afin d'améliorer notre connaissance des sous-sols et de définir notre politique de forage à compter de mi-2013. Nous avons connu la déception après un premier succès, ce qui ne remet rien en cause, mais nous encourage au contraire à poursuivre sereinement notre travail. J'ajoute que dans le cadre de l'autorisation de procéder à des campagnes sismiques, nous avons décidé avec l'ensemble des parties prenantes de mener six campagnes de prélèvements halieutiques ces prochaines années pendant les saisons des pluies et sèche afin de mieux connaître les ressources. La dernière a eu lieu du 2 au 11 décembre 2012 avec la participation d'armements guyanais.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Avez-vous des éléments de coût à nous communiquer ? Quels investissements avez-vous consenti, pour quels résultats probants ?

M. Patrick Roméo

Le coût est fonction de la durée de forage. Près de 450 personnes travaillent sur ces opérations, et le coût des matériels est très lourd. Les statistiques du commerce extérieur font état d'1 milliard d'euros de location d'équipements de longue durée. Le chiffre couramment avancé est de plus d'un million de dollars par jour. On pense souvent - les Guyanais nous le disent - que si l'on fore, c'est que l'on sait pouvoir trouver du pétrole : c'est faux ! Nos techniques nous permettent d'identifier des réservoirs cibles, mais les hydrocarbures sont situés à des profondeurs telles que nous devons forer pour savoir ce qui s'y trouve. À l'endroit du deuxième forage, il y a eu des hydrocarbures, mais je rappelle que ceux-ci ont tendance à remonter naturellement vers la surface sur une échelle d'environ 100 millions d'années. Et que l'on trouve ou non du pétrole, il faut de toute façon acquitter l'ensemble des coûts générés par les opérations. L'investissement est donc cher, mais il est consenti, d'ailleurs uniquement par le privé. C'est une façon qu'a le privé d'identifier le patrimoine de l'État - car je rappelle que les ressources appartiennent à ce dernier - en espérant simplement obtenir une concession d'exploitation du gisement. Les ressources sont ensuite réparties entre la collectivité et l'investisseur.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Vous avez rappelé les deux conditions à remplir pour qu'un gisement soit rentable. Quelle quantité d'hydrocarbures avez-vous découvert lors du premier forage ?

Nous avons eu en mai dernier un débat sur votre technique nouvelle de forage. Peut-on en tirer les enseignements, notamment en matière de rejets ? Vous savez que la réglementation précise qu'ils ne doivent pas dépasser 5 %.

M. Patrick Roméo

Nous avions estimé les réserves découvertes lors du premier forage à 300 millions de barils. Nous n'avons pas plus d'informations à l'heure actuelle. En toute hypothèse, il en faut davantage pour envisager un développement commercial.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

À quel niveau se situe la rentabilité économique ?

M. Patrick Roméo

Elle dépend de la quantité et de la qualité du pétrole, du coût d'extraction, ainsi que de l'environnement fiscal. Aujourd'hui, nous n'avons de certitudes sur aucun de ces trois éléments. Nous savons simplement qu'il y a du pétrole, la présence d'un réservoir étant en soi un événement géologique non négligeable. Nous ne sommes qu'au début du processus. Trois autres forages sont prévus à partir de 2013 : celui actuellement en cours, ainsi que deux autres à venir.

Un mot sur les fluides de forage. Le premier forage a été réalisé avec de l'eau qui, mélangé à l'argile sec environnant les couches traversées, a créé un mélange visqueux qui a failli nous contraindre, à trois reprises, à abandonner. Imaginez-vous percer du béton avec une mèche à bois... Décidés à ne poursuivre les opérations qu'avec les outils adaptés, nous avons obtenu la possibilité d'utiliser des fluides synthétiques de forage, non toxiques et plus performants dans l'argile. Ces nouveaux outils ont permis de réaliser un deuxième forage de grande qualité : interrompu pour cause de courants marins, il a pu être repris dans un second temps, chose impensable avec l'eau utilisée auparavant ! Comme nous y étions tenus, nous avons fait réaliser le bilan des opérations par un tiers. Ses conclusions, favorables, doivent à présent être expertisées par un autre tiers afin d'être validée ensuite par l'État.

J'insiste sur ce point : il n'y a pas eu de rejet de pétrole ou de fluides en mer. D'abord, les fluides coûtent une fortune, nous n'avons aucun intérêt à les rejeter. Ensuite, les seuls rejets sont des remblais nettoyés dans le navire.. Le taux de 5 % de fluides de forage contenus dans les rejets de déblais en mer a été plus que respecté, puisque la teneur réelle avoisinait 1,5 %.

Mme Aline Archimbaud

Trois questions : quelle profondeur le premier forage a-t-il atteint ? Qui est le tiers chargé d'expertiser vos opérations ? Enfin, lors de la dernière audition, vous aviez évoqué que ce niveau de 5 % était une source de toxicité : auriez-vous changé d'avis ?

M. Patrick Roméo

Les fluides de forage sont conçus et testés préalablement, et classés par la législation européenne comme non toxiques. Du reste, l'eau de forage elle-même n'est pas pure, puisqu'elle contient des additifs, des huiles de forage. La question de sa toxicité ne se pose pas moins. Le seuil de 5 % est une norme fixée par l'État, car il faut bien positionner la limite quelque part. Même si la toxicité était reconnue nulle, nous aurions besoin d'une norme pour évaluer l'efficacité des opérateurs. Dans notre cas, nous avons fait bien mieux que cette norme grâce aux excellentes capacités de traitement de notre navire de forage. Nous restons persuadés que les fluides synthétiques sont le meilleur choix possible en termes d'impact, car plus vous forez vite, moins vous restez, donc moins vous rejetez.

La profondeur du premier forage était de 6 000 mètres. C'est un peu moins profond que pour le second mais nous y sommes restés plus longtemps. Nous avons pris le temps d'extraire des échantillons de roches et de pétrole.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Le préfet pourrait donc prendre des arrêtés fixant la limite des rejets autorisés à 3 % plutôt qu'à 5 % ? À vous entendre, l'approche en la matière pourrait aisément être réévaluée.

En outre, quelle réponse faites-vous aux marins-pêcheurs qui dénoncent le manque d'études concernant les ressources halieutiques ?

M. Patrick Roméo

Les fluides ne sont pas toxiques, ce qui signifie que nous pourrions théoriquement retenir un taux de 100 % ! La norme existe toutefois pour s'assurer que l'on ne rejette pas n'importe quoi n'importe comment. Les outils utilisés lors du forage du premier puits n'auraient pas permis d'atteindre les bons résultats obtenus lors du deuxième. Le chiffre de 5 % a été retenu parce qu'il est rond, mais il n'a pas de justification scientifique. J'ajoute que la France est un des pays les plus stricts en la matière. J'ai défendu, sans succès, l'idée que cette norme était un peu excessive eu égard à ce qui est pratiqué ailleurs. En définitive, il faut savoir être raisonnable.

Un mot sur les ressources halieutiques : la connaissance du milieu marin de la Guyane, à 150 km des côtes en tout cas, n'est que peu étoffée. À ce jour, notre impact environnemental équivaut à la présence de n'importe quel navire - même si nous sommes présents plusieurs mois. La question se poserait différemment dans le cas d'une installation pour trente ans d'une plate-forme d'extraction des hydrocarbures. Nous avons créé un groupe de travail et de recherche piloté par des scientifiques de Guyane, pour étudier ces questions dans l'hypothèse d'un développement commercial.

Mme Aline Archimbaud

Le tiers chargé d'expertiser vos opérations, qui est-ce ? Est-ce une société désignée par l'État ?

M. Patrick Roméo

Son nom m'échappe. Pour le désigner, l'État doit choisir parmi les propositions que nous lui avions faites.

Mme Aline Archimbaud

Son bilan est-il public ?

M. Patrick Roméo

Il sera remis à l'État et je suppose qu'il sera consultable. Le rapport ne fera pas qu'évaluer les travaux entrepris : il formulera également des pistes pour diminuer les taux de rejets par exemple.

Mme Catherine Tasca, présidente

Vous avez annoncé que deux autres forages étaient prévus en 2013 : avez-vous des précisions à nous communiquer sur vos travaux de prospective ?

M. Patrick Roméo

Nous avons fait une déclaration d'ouverture de travaux, qui définit l'emplacement de nos trois prochains forages. La législation nous impose de communiquer le lieu de leur réalisation. Suite aux résultats du dernier forage [GM-ES-2], le prochain sera déplacé de quelques kilomètres de son point initial. Par la suite, nous pourrions modifier nos emplacements cibles et demander l'adaptation des autorisations obtenues pour tenir compte des nouvelles informations recueillies.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Comment optimiser la connaissance que vous avez des ressources pétrolières ? Y a-t-il un niveau de profondeur auquel vous vous interdisez de forer ?

M. Patrick Roméo

Les campagnes sismiques s'apparentent à des échographies et s'analysent de manière analogue. De plus, nous interprétons les échantillons que nous prélevons. Les données recueillies à l'occasion de chaque forage sont comparées à celles obtenues lors des forages précédents. Les modèles se précisent ainsi. Puis, nous calibrons les forages à venir. Forer à 6 kilomètres, c'est-à-dire atteindre, d'ici, le Grand Palais : à un mètre près, vous pouvez vous trouver à l'intérieur comme en-dehors !

S'agissant de la profondeur de forage, il n'existe pas vraiment de contraintes techniques : nous pouvons théoriquement forer à 10 km de profondeur. Il s'agit plutôt d'évaluer le rapport coût - bénéfices, sachant que le coût marginal d'un mètre de profondeur supplémentaire est très élevé.

M. Georges Patient

Un de vos partenaires, Total, a déposé des permis visant à intervenir seul. Est-ce le signe d'une mésentente ?

M. Patrick Roméo

Total n'est pas la seule société à vouloir intervenir seule...

M. Georges Patient

Oui, mais c'est votre partenaire !

M. Patrick Roméo

Nous ne nous sommes pas mis d'accord sur la nature de notre alliance. Mais le fait qu'ils déposent des permis à leur tour témoigne de l'intérêt de notre démarche.

Mme Catherine Tasca, présidente

Ce ne sont donc plus vos partenaires ?

M. Patrick Roméo

S'ils obtenaient ce nouveau permis de recherche, ils en auraient l'exclusivité. La loi prévoit toutefois une mise en concurrence. J'ignore à qui les permis seront attribués. En général, l'État demande aux entreprises de se mettre d'accord en amont du processus.

Mme Catherine Tasca, présidente

Abordons désormais un thème que nous n'avions qu'effleuré lors de notre première rencontre, car vos opérations étaient à l'état de prémices : l'impact social et économique de vos travaux en Guyane.

M. Patrick Roméo

Les vraies retombées économiques sont liées à l'exploitation commerciale...

Mme Catherine Tasca, présidente

... qui n'est pas pour demain !

M. Patrick Roméo

... qui est la seule véritable source de richesses pour la collectivité. Aujourd'hui, nous sommes en phase de prospection. Il est possible que tout s'arrête demain. Les impacts liés à la prospection ne sont pas nuls, mais ils sont ponctuels. Nous faisons actuellement ce qui est en notre pouvoir pour générer de l'activité : à ce jour, 150 entreprises fournissent Shell et ses partenaires en services, en affrètement de navires de pêche et de sécurité pour participer aux campagnes sismiques par exemple, ou en avitaillement en produits frais. Entre février et septembre 2012, 2 millions d'euros ont été dépensés en Guyane, notamment en transports, salaires, maintenance, hôtellerie, carburant, contribution aux organisations professionnelles, etc.

Quand nous sommes arrivés en Guyane, nous avons fait du port de Dégrad des Cannes, en raison de son accessibilité limitée, notre base secondaire, la base principale étant située à Trinidad. L'adaptation constante du port de Dégrad des Cannes, et notamment sa transformation en grand port maritime avec l'entrée en vigueur au 1 er janvier 2013 de la réforme portuaire, est susceptible de changer la donne.

De plus, un certain nombre de projets de renforcement de l'activité en Guyane sont en cours d'étude : la création d'un entrepôt « sous-douane », l'utilisation de lignes maritimes régulières entre Dégrad des Cannes et Port of Spain, le partage de moyens maritimes entre Dégrad des Cannes et Kourou.

L'aéroport Félix Eboué est d'ores et déjà la base principale aéroportuaire. Les équipages y transitent, grâce aux vols d'Air France et aux trois vols d'hélicoptère quotidiens, six jours sur sept, ce qui assure les rotations d'une centaine de personnels par semaine. Nous souhaitons faire plus : des investissements sont prévus dans les infrastructures nécessaires aux travaux de maintenance. Ces projets seront toujours utiles aux collectivités concernées.

Nous avons déjà créé 19 emplois depuis le début des opérations en avril 2012. Cinq stagiaires seront en outre recrutés pour travailler à Cayenne, mais aussi à La Haye et Paris.

Mme Catherine Tasca, présidente

Ce sont des stagiaires locaux ?

Mme Aline Archimbaud

Ils viennent de Cayenne ?

M. Patrick Roméo

Oui. Ils bénéficieront d'une connaissance approfondie de nos activités. À cela s'ajoute un programme de communication et d'information auprès des jeunes ; la mise en place d'une base de données de CV : 170 ont été collectés pour l'embauche d'une dizaine de personnes ; le soutien à l'apprentissage de l'anglais, indispensable dans notre secteur ; la participation à des programmes éducatifs locaux et la sensibilisation des jeunes aux métiers du pétrole ; ainsi que la création d'un poste de chargé de mission pour la Commission de suivi. Nous construisons un pool de personnels guyanais très qualifiés dans les métiers du pétrole ; le programme sera modulé en fonction des résultats. Les métiers du pétrole connaissent une crise d'offre : cette filière est porteuse dans le monde, si bien que même en cas d'échec du projet, les Guyanais volontaires pour quitter la Guyane trouveront du travail dans le pétrole. Nous travaillons avec la Région pour préparer les recrutements à venir en ajustant la carte des formations, avec à l'esprit que tous ces chantiers seront amplifiés si la perspective d'une exploitation commerciale des hydrocarbures se précise. À ce stade, nous travaillons pour l'horizon 2019-2020.

Mme Catherine Tasca, présidente

Lors de notre précédente rencontre, vous aviez indiqué qu'une formation qualifiée dans le secteur pétrolier durait au minimum cinq ans.

M. Patrick Roméo

En effet, la lourdeur de la formation explique pourquoi nous ne recrutons que dix personnes en formation longue en 2013 au sein du groupe.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Près de 2 millions d'euros dépensés sur le territoire guyanais à fin septembre 2012, 450 personnes sur place, 19 créations d'emplois... Reste que la Guyane est plus proche que Trinidad, donc en principe plus compétitive. Or aujourd'hui, ce n'est qu'une base secondaire ! Que changer pour qu'elle devienne prioritaire ?

M. Patrick Roméo

La proximité de la Guyane en ferait une base privilégiée en effet. Cela suppose l'évolution de Dégrad des Cannes pour suivre l'activité. On parle de construire un quai flottant dédié, de changer le fonctionnement du port... Mais cela supposerait de faire de l'activité pétrolière l'activité prioritaire du port, ce qui n'est pas sans poser problème.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Par qui seront financés ces investissements ?

M. Patrick Roméo

Des études ont été engagées - avec retard, certes - dans le cadre de la transformation de Dégrad en grand port maritime. J'ignore précisément quelles sont les sources de financement. Le problème réside essentiellement dans la durée de mise en oeuvre de ces travaux.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Si 2 millions d'euros ont été injectés en Guyane, combien à Trinidad ? 80 % de vos dépenses totales ?

M. Patrick Roméo

Je ne puis vous le confirmer. En gros, sans doute.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Entre 2 et 3 millions d'euros sont gérés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Comment sont répartis ces fonds ? À quelle mode de gouvernance cette répartition obéit-elle ?

M. Patrick Roméo

La CDC accueille simplement ces fonds, qui sont gérés par un comité de pilotage composé de représentants de l'État, de la Région et de Shell. Pas moins de 300 000 euros sont dédiés à la commission de suivi : chargé de mission, suivi des projets, développement, maintenance. Mais ce chargé de mission est aussi chargé de missions pour les groupes de travail.

Le groupe de travail sur la pêche, par exemple, aura son propre chargé de mission lorsque ses travaux auront pris de l'ampleur. Ajoutez à cela 1 million d'euros consacré à la recherche ; en l'occurrence, à l'acquisition et à la mutualisation de matériels entre le CNRS, le BRGM ou encore l'IFREMER, sachant que, traditionnellement, les équipements sont plus compliqués à financer que les programmes. D'autres sommes seront disponibles lorsque des projets seront identifiés, , notamment pour les projets collectifs des pêcheurs.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur

Si vous passez à la concession, combien cela représentera-t-il d'emplois ? Quels profils rechercherez-vous ?

M. Patrick Roméo

Cela va du soudeur au géologue. Nous rechercherons des gens autonomes, comme les marins doivent l'être pour travailler au large, des gens qualifiés que nous recruterons à la sortie des écoles et que nous formerons chez nous ou chez des prestataires durant cinq ans. Il faut se représenter la concession comme une usine au large : nous aurons besoin de gens capables d'assurer la supervision du site, sa maintenance, son encadrement, la logistique, le transport par les airs ou la mer ou encore la communication. À terre, il faudra des gens responsables de l'entreposage, de la fourniture, de la logistique et des services administratifs habituels. Combien de personnes en tout ? Au Brésil où nous avons des activités similaires, 250 personnes pour une exploitation. En Guyane, 450 personnes sont mobilisées, dont des experts uniques qui viennent spécialement sur place pour interpréter des données sismiques puis repartent. Si l'on totalise les emplois directs, indirects et induits, la fourchette est comprise entre 700 et 1 000 emplois.

Mme Aline Archimbaud

Vous venez de répondre à ma première question, je n'y reviens pas. Pourriez-vous nous en dire plus sur les projets collectifs des pêcheurs ?

Une remarque sur la nécessaire vigilance. L'exploration et l'exploitation à 6 000 mètres de profondeur comportent des risques. En cas d'accident, les coûts seront environnementaux, mais aussi économiques et sociaux ; on l'a bien vu dernièrement.

M. Patrick Roméo

Les exploitants sont les premiers concernés à se soucier de la sécurité, dans la conception, la prévention... Notre objectif, c'est « zéro accident ». Nous sommes extrêmement exigeants et prudents, les élus qui sont montés sur le bateau de forage le savent. Idem pour les aspects environnementaux associés.

Nous avons identifié quatre projets pour les pêcheurs : la mise en oeuvre d'une chaîne du froid pour rentabiliser la filière, l'avitaillement en carburant des bateaux de pêche au prix de gros de Shell, la motorisation hybride pour adapter les moteurs des bateaux aux eaux boueuses de Guyane et l'analyse des ressources halieutiques sur la longue durée et en présence d'une exploitation au large.

J'espère que ces projets, qui doivent bénéficier collectivement à toute la filière, sont en cours de définition.

Mme Catherine Tasca, présidente

Abordons maintenant notre troisième séquence relative à la réforme du code minier.

M. Patrick Roméo

Les forages et la mise en production en mer présentent certaines spécificités et mobilisent des sommes colossales - potentiellement des milliards de dollars pour la Guyane, l'équivalent de presque deux centrales nucléaires - avec le même niveau d'exigence de sécurité et de respect de l'environnement. Les moyens mobilisés sont rares et importants. Pour investir, nous avons besoin de stabilité fiscale, de prédictibilité fiscale, et d'une rémunération équitable pour juste retour sur investissement : la clarté de ces paramètres est nécessaire à la mobilisation des investisseurs.

Par ailleurs, pour l'information du public, de quelle commune parle-t-on lorsqu'il s'agit d'offshore ? Ce n'est pas comme en Seine-et-Marne... La procédure d'information devra être bornée dans le temps pour éviter des ruptures de charge. Je ne peux pas mobiliser 450 personnes et des matériels onéreux sans disposer d'un échéancier prédéfini.

Mme Catherine Tasca, présidente

La fiscalité est-elle un sujet de discussion avec les pouvoirs publics ?

M. Patrick Roméo

Pas vraiment à ce stade... Le sujet à l'ordre du jour est plutôt l'information du public.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

La loi de décembre 2011 prévoit une répartition 50-50 de la taxe de 12 %. Ce système, comparé aux autres, vous semble-t-il intéressant ? Comment percevez-vous la position des pouvoirs publics au sein du comité de suivi ? Êtes-vous bien accompagnés ? Faut-il une gouvernance décentralisée, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis ? Vous qui avez la pratique d'autres pays, quel système vous semble le meilleur ?

M. Patrick Roméo

Celui de la concession fonctionne bien : un permis de recherche, puis un droit à concession en cas de découverte.

Attention : la taxe de 12 %, qui est flexible en fonction des autres paramètres, porte sur le chiffre d'affaires, et pas sur les bénéfices. Je vous le dis d'emblée : ceux qui pensent à 70 % sur le chiffre d'affaires n'auront plus aucune chance de trouver des financeurs. Le législateur a prévu des retombées locales. À titre personnel, je suis pour. Sans quoi, et c'est mon expérience personnelle dans d'autres pays, on crée une frustration chez les locaux. Le lien avec le territoire est indispensable. Du temps de la taxe professionnelle, les maires soutenaient nos projets.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur

Au Brésil, une loi de 2010 traite spécifiquement du régime applicable à l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures offshore . Qu'en pensez-vous ?

M. Georges Patient

En sus de la redevance de 12 %, il est question de prendre en compte d'autres externalités, comme la post-exploitation. Quel est votre avis sur ce dossier ?

M. Patrick Roméo

Le débat va dans le bon sens. D'une manière générale, je me méfie des lois qui cherchent à tout résoudre : le nickel n'a rien à voir avec le pétrole offshore . Il faut ménager une lisibilité des dispositifs applicables aux opérations offshore .

M. Georges Patient

Je ne parlais pas seulement de la Guyane ! Pour la post-exploitation, on peut aussi citer le nord de la France que des entreprises ont quitté en laissant des territoires en déshérence.

Mme Aline Archimbaud

À ce propos, des syndicalistes de Pétroplus nous ont alertés : vous ne voudriez pas participer à la dépollution du site de Petit-Couronne.

M. Patrick Roméo

Merci de me poser cette question. Grâce à elle, je peux rappeler que nous avons vendu le site de Petit-Couronne il y a presque cinq ans dans le respect scrupuleux de la loi. Peut-être cela vous déplaît-il, mais les faits sont les faits.

On parle toujours des coûts de dépollution en oubliant la valeur des terrains. Regardez ce qu'il s'est passé à Reichstett : le terrain a été acheté, dépollué par une entreprise spécialisée dans la reprise de friches industrielles et revendu à un meilleur prix. Il n'y a pas de dette là-dedans et, encore une fois, Shell n'a laissé d'ardoise à personne. La loi est la loi, et le responsable est le dernier exploitant.

Mme Aline Archimbaud

Nous cherchons à faire évoluer la loi ; c'était le seul objectif que je poursuivais en vous posant ma question. Pour le site de Pétroplus, s'il n'y a pas de repreneur, qui va payer : l'État ?

M. Patrick Roméo

Non, ce sera la société à qui le liquidateur aura revendu le terrain. Le site de Petit-Couronne a tous les atouts pour un développement multimodal : aux portes de Paris, il est à proximité des autoroutes, du rail et de la Seine. Certains font déjà des projets mais doivent attendre, pour se déclarer, que la faillite soit prononcée. Modifier la loi ? Le système du dernier exploitant est plus simple. Si vous deviez rechercher les exploitants précédents, imaginez le travail pour remonter dans le temps !

Mme Catherine Tasca , présidente

Merci pour votre disponibilité. Ce rapport d'étape a été très utile ; nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir en 2013 pour faire le point. Espérons que le troisième forage sera fructueux !

(Mercredi 27 Mars 2013)

Présentation par M. Jean-Étienne Antoinette d'une étude de législation comparée sur les ressources minérales marines profondes

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, M. Jean-Étienne Antoinette va nous présenter une étude réalisée par le service de législation comparée sur les ressources minérales profondes. Cette étude nourrira notre réflexion sur les enjeux des zones économiques exclusives.

M. Jean-Étienne Antoinette

Je vous ai d'ores et déjà présenté, le 16 janvier dernier, en compagnie de mon collègue Georges Patient, le résultat de la première partie de nos travaux concernant les fonds marins. Elle concernait le régime juridique de l'exploration et de l'exploitation pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental.

Désireux de ne pas nous limiter à une approche « atlantique » de cette problématique, nous avons demandé aux services du Sénat de réaliser une seconde étude de législation comparée sur le régime applicable à l'extraction des produits minéraux tirés des fonds marins. Cette étude concerne le régime de recherche des ressources minérales profondes : les nodules polymétalliques, les encroûtements et les sulfures hydrothermaux que l'on trouve, entre autres, dans certaines zones du Pacifique. Elle tend à nous donner, elle aussi, des éléments de comparaison utiles dans la perspective de la réforme du code minier que M. Tuot a évoquée devant la commission du développement durable, en décembre dernier.

L'étude examine le régime applicable à l'exploration et à l'exploitation de ces ressources minérales dans six États extra-européens : le Brésil, les États-Unis, les Îles Cook, les Îles Fidji, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Hormis les États-Unis, tous sont membres de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Je vous présenterai successivement :

- tout d'abord, quelques éléments de contexte ;

- puis le régime applicable dans les diverses parties des océans ;

- avant d'aborder l'état d'avancement de l'exploration des ressources minières sous-marines ;

- et enfin, de vous présenter les conclusions que cette étude nous permet de tirer.

Pour introduire le contexte, je vous rappellerai tout d'abord les définitions des minéraux auxquels nous nous intéressons.

Les nodules polymétalliques sont connus dans tous les océans sous toutes les latitudes à partir de fonds de 4 000 mètres, dans des zones caractérisées par une faible sédimentation. Ils se composent surtout d'hydroxyde de manganèse et de fer.

Les sulfures hydrothermaux sont, quant à eux, le produit de la circulation d'eau de mer dans la croûte océanique sous l'effet de forts gradients thermiques. On les trouve sur toutes les structures sous-marines d'origine volcanique. Ils se caractérisent par de forts enrichissements en métaux de base. Comme nous l'a indiqué l'IFREMER lors de son audition devant notre délégation, leur inventaire reste très incomplet.

Les encroûtements d'oxydes ferromanganèsifères ont été répertoriés dans tous les océans dans des environnements où la combinaison de courants et de faibles taux de sédimentation a empêché le dépôt de sédiments pendant des millions d'années. Ils varient de quelques centimètres à 25 centimètres d'épaisseur et couvrent des surfaces de plusieurs kilomètres carrés. Ils sont constitués d'oxydes de fer et de manganèse. Ils sont riches en cobalt et souvent fortement concentrés en platine.

Je désignerai désormais dans le cours de mon exposé, par commodité, les trois types de minéraux sous le nom commun de « nodules et autres substances ».

Comme j'aurai l'occasion de le dire à plusieurs reprises, le droit de l'exploration des nodules et autres substances est un droit « à l'état naissant ».

La rareté des législations spécifiquement applicables aux substances minières sous-marines résulte, en premier lieu, de l'état lacunaire des connaissances relatives à l'étendue et à la nature du domaine exploitable.

En effet, si les ressources en nodules polymétalliques disponibles - les plus prometteuses - de la zone de Clarion-Clipperton polarisent l'attention de plusieurs explorateurs, la cartographie des sulfures hydrothermaux et celle des encroûtements semble encore très incomplète. De même les techniques d'exploitation industrielle de ces minéraux ne sont-elles pas, au moins pour le moment, opérationnelles. Le droit peine à régir un objet dont les contours concrets ne sont pas clairement identifiés.

Certes, plusieurs États estiment qu'existent, dans leur législation, des normes qui sont appropriées pour régir tant les activités dans la ZEE et sur le plateau continental que celles des entreprises qu'ils pourraient patronner ou patronnent d'ores et déjà dans la « Zone » internationale placée sous la sauvegarde de l'AIFM.

J'observe cependant que nombre de ces législations ne sont pas spécifiquement consacrées à ces activités apparues récemment ou à des substances découvertes après leur entrée en vigueur.

Faute de pouvoir s'appuyer sur des compétences techniques pour lever tout doute sur ce point, la note qui nous a été remise s'attache à présenter l'» état d'avancement » des réformes législatives et réglementaires survenues dans plusieurs des États qui sont dotés de ressources potentielles ou qui manifestent un intérêt pour les recherches en la matière.

Il s'avère en effet que si la législation des États étudiés est loin d'être complète, un mouvement commun se dessine : de plus en plus de pays se préoccupent du sort de ces minéraux.

J'en viens à présent à un bref panorama des régimes applicables aux diverses parties des océans. Je distinguerai ici :

- tout d'abord le régime général qui concerne la Zone économique exclusive, la ZEE et plateau continental ;

- ensuite, la « Zone », soumise à l'AIFM, dont le siège est en Jamaïque ;

- et enfin le régime français.

S'agissant de la ZEE et du plateau continental, la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, conclue le 10 décembre 1982 à Montego Bay, reconnaît aux États côtiers la faculté d'exercer des droits souverains sur la ZEE, d'une part, et sur le plateau continental, d'autre part.

La ZEE est, selon les articles 55 à 57 de la convention, « une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci » qui ne s'étend pas au-delà des 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée l'étendue de la mer territoriale. L'État côtier y a « des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol [...] ».

Aux termes de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République, la ZEE française s'étend jusqu'à 188 milles marins au-delà de la limite des eaux territoriales, elle-même fixée à 12 milles marins, soit 22,224 kilomètres à compter des lignes de base. La France y exerce des droits souverains en ce qui concerne l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, du fond de la mer, de son sous-sol et des eaux surjacentes.

Les articles 76 et 77 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, dite « convention de Montego Bay », précisent que le plateau continental d'un État côtier comprend : « les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet État jusqu'au rebord externe de la marge continentale ou jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure » . L'État côtier y exerce « des droits souverains [...] aux fins de son exploration et de l'exploitation de ses ressources naturelles » qui sont « exclusifs » au sens que, si l'État côtier n'explore pas le plateau continental ou n'en exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités sans son consentement exprès.

Ce qui ne relève pas de la juridiction nationale relève donc de l'AIFM.

Le deuxième régime applicable aux océans est celui de la « Zone » soumise à l'AIFM. En vertu des articles 1, 139 et 153 de la convention de Montego Bay, les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale constituent la « Zone ». Celle-ci couvre au moins la moitié des fonds marins de la planète, soit 260 millions de kilomètres carrés. Les activités qui s'y déroulent sont organisées, menées et contrôlées par l'AIFM, pour le compte de l'humanité tout entière.

Ces activités sont actuellement mises en oeuvre, en association avec cette autorité, par les États eux-mêmes ou par les entreprises qu'ils « patronnent », dans le respect des deux règlements adoptés par l'AIFM sur la prospection et l'exploration dans la « Zone » des nodules polymétalliques, d'une part, et des sulfures polymétalliques, d'autre part. En vertu de ces textes, la prospection ne confère au prospecteur aucun droit sur les ressources.

Les articles 2 et 3 de l'Annexe III de la même convention précisent que l'exploration et l'exploitation de la Zone ne sont effectuées que lorsque le prospecteur s'est engagé par écrit à respecter la convention dans des secteurs spécifiés par des plans de travail approuvés par l'Autorité.

Les États qui patronnent des activités d'exploration sont en outre tenus de prendre les « mesures raisonnablement appropriées » afin d'assurer le « respect effectif » des obligations qui résultent de la convention sur le droit de la mer par les cocontractants qu'ils patronnent dans l'activité d'exploration et d'exploitation de la Zone, soit au-delà des eaux qui sont soumises à leur juridiction, sauf à voir leur responsabilité engagée du fait des dommages qui peuvent survenir.

La Commission juridique de l'AIFM a, du reste, proposé l'établissement d'une législation-type pour aider les États parrainant des activités à honorer leurs obligations. Puis le Conseil de l'Autorité a décidé de faire réaliser un rapport sur les lois, règlements et dispositions administratives concernant les activités dans la Zone adoptés par les « États patronnant ». Selon ce rapport, publié au printemps 2012, dix États avaient, à cette époque, communiqué des renseignements concernant leurs législations respectives.

J'en viens enfin à la législation nationale.

Le régime applicable à l'exploration et à l'exploitation des substances minières sous-marines résulte, pour ce qui concerne la France, de divers textes.

Aux termes de l'article L.123-2 du code minier, la recherche de l'ensemble des substances minérales ou fossiles contenues dans le sous-sol du plateau continental ou dans le fond de la mer et le sous-sol de la ZEE, ou existant à leur surface, est soumise au régime applicable aux substances de mine.

Le statut, fixé par une loi organique, des collectivités d'outre-mer (COM) qui sont régies par l'article 74 de la Constitution, peut prévoir que l'adoption d'un tel régime relève de leur compétence. À titre d'exemple, la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d'autonomie de la Polynésie française, prévoit que cette COM « réglemente et exerce le droit d'exploration et le droit d'exploitation des ressources naturelles biologiques et non biologiques du sol, du sous-sol et des eaux surjacentes de la mer territoriale et de la ZEE dans le respect des engagements internationaux » .

En application de l'article L. 671-1 du code minier national, la compétence en matière d'exploration et d'exploitation des matières premières stratégiques ne relève toutefois pas de la Polynésie française.

Je vais maintenant aborder l'état d'avancement de l'exploration des ressources minières sous-marines. Les entités qui cherchent à prospecter des nodules et d'autres substances minières sous-marines peuvent recevoir des permis d'exploration ou d'exploitation :

- soit des États côtiers sur leur ZEE ou de leur plateau continental ;

- soit de l'AIFM dans la « Zone » internationale, au-delà du plateau continental.

En matière d'exploration, on retiendra que plusieurs États ont attribué des permis concernant des zones sous-marines. Je ne citerai que l'exemple des Fidji qui, en décembre 2011, avaient délivré 17 permis et celui de la France qui a, quant à elle, délivré le 20 juillet 2010 une autorisation de prospection préalable de substances minérales ou fossiles dans les fonds marins de la ZEE des îles de Wallis-et-Futuna à l'Institut français de recherche pour l'exploration de la mer (IFREMER) et aux sociétés de la Compagnie française de mines et métaux, ERAMET et BRGM SA, pour deux ans.

En matière d'exploitation, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a délivré, en janvier 2011, un permis d'exploitation dénommé « Solwara 1 » à la société Nautilus Minerals Inc. pour une zone située à 1 600 mètres de profondeur, dans la mer de Bismarck, laquelle contient des gisements de sulfures massifs riches en cuivre et en or. C'est une première.

Quant à l'AIFM, elle a, d'ores et déjà, conclu des contrats avec des partenaires qui explorent des surfaces situées dans la « Zone ». Le contractant y a le droit exclusif d'explorer un secteur dont la superficie initiale peut atteindre 150 000 kilomètres carrés. Huit ans après la signature du contrat, la moitié de ce secteur doit être restituée. Six de ces secteurs d'exploration sont situés dans le sud du Pacifique central et au sud-est d'Hawaï et le septième au milieu de l'océan Indien. Ces contrats ont été conclus avec :

- le Gouvernement indien (2002) ;

- l'IFREMER et l'Association française pour l'étude de la recherche des nodules (2001) ;

- une société japonaise (2001) ;

- une entreprise publique russe (2001) ;

- l'Association chinoise de recherche-développement concernant les ressources minérales des fonds marins (2001) ;

- un consortium formé par la Bulgarie, Cuba, la Fédération de Russie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie (2001) ;

- le Gouvernement de la République de Corée (2001) ;

- et l'Institut fédéral des géosciences d'Allemagne (2006).

Le conseil de l'AIFM a également approuvé :

- en juillet 2011, des plans de travail pour l'exploration de la Zone parrainés par Nauru, d'une part, et Tonga, d'autre part ;

- en juillet 2012, des plans de travail présentés par diverses entités, dont l'IFREMER.

Les dates que je viens de citer montrent bien que plusieurs États se préoccupent dès à présent du sort de ces ressources.

J'observe du reste que le Brésil et la Nouvelle Zélande y ont consacré des développements spécifiques dans les rapports établis pour préparer la modification de leur législation minière.

Mais, me direz-vous, quelles conclusions tirer de l'étude des législations que j'ai évoquées ?

L'analyse des six législations précitées permet de constater :

- en premier lieu que les nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux demeurent des objets juridiques assez mal identifiés : si parmi les législations étudiées celles des États-Unis dans les fonds marins hors plateau continental et des Îles Cook dans leur ZEE font explicitement référence aux « nodules polymétalliques », la prospection et l'exploitation de ces éléments ne sont pas encore bien appréhendées par les autres droits en vigueur, alors même que l'exploitation des ressources minérales de la ZEE et du plateau continental semble devenir une préoccupation de plus en plus partagée.

- en second lieu qu'il existe un paradoxe : on ressent le besoin de règles en matière d'exploitation minière sous-marine, mais on rencontre des difficultés pour concevoir ces normes. L'analyse des six législations permet de constater que le besoin de règles en matière de prospection et d'exploitation minières sous-marines se fait sentir.

De son côté, l'AIFM travaille à faire mieux prendre en compte le principe de responsabilité des États en la matière, pour ce qui concerne la « Zone ». Cette démarche a une incidence indirecte, elle exerce un « effet d'entraînement » sur les législations nationales des États. Plusieurs de ces États ont, en effet, entamé un processus de réflexion à l'instar des Fidji et de la Nouvelle-Zélande. Les Îles Cook font, sous cet angle, figure d'exception en ayant d'ores et déjà modifié leur législation dans la perspective d'une intensification des recherches sous-marines de minéraux solides.

Deux des États considérés, le Brésil et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, estiment que la législation minière en vigueur permet de faire face aux besoins qui sont, du reste, encore mal connus : si les recherches semblent progresser sur la localisation des gisements de ressources minérales, une inconnue demeure quant à leur réelle « exploitabilité ».

On ne connaît aujourd'hui ni les méthodes industrielles d'extraction, ni la rentabilité réelle de la production compte tenu des fluctuations du cours des matières premières. Cette question, soulignée par les autorités néozélandaises en 2005 dans le document qu'elles ont consacré à la gestion des effets environnementaux des activités offshore dans la ZEE, est d'autant plus importante que le recours à une méthode d'extraction plutôt qu'à une autre pourrait avoir des effets plus ou moins importants sur le milieu environnant :

- le respect de l'environnement est une préoccupation partagée : toutes les législations étudiées accordent une place importante à l'environnement dont on constate que des défenseurs s'avèrent hostiles à l'exploitation minière en eaux profondes ;

- enfin, on constate qu'il existe un réel besoin de coopération internationale, y compris pour l'élaboration des législations nationales, afin d'éviter que ne se constituent des vides juridiques et que ne prévale le « moins disant législatif ». Les initiatives repérées montrent l'intérêt d'une telle coopération internationale. J'en veux pour preuve l'action de l'AIFM et de celles d'organisations régionales du Pacifique dont la préoccupation semble être de définir des règles communes qui éviteraient toute forme de « moins disant législatif ».

Pour conclure mon propos, je vous dirai, mes chers collègues, qu'il m'apparaît souhaitable que ce dossier soit évoqué au cours de la préparation de la réforme du code minier qui nous sera présentée dans quelques mois.

M. Serge Larcher, président

Merci. Avez-vous des questions ?

M. Charles Revet

Je suis très heureux d'entendre parler des nodules polymétalliques, ce qui me rappelle mon jeune temps d'élu quand je faisais partie de la conférence internationale pour le droit de la mer à l'ONU de 1978 à 1981. J'étais, à l'époque, surpris d'apprendre que ces nodules en eau profonde constituaient une perspective intéressante pour l'avenir. On y vient peut-être. J'ai plusieurs questions : dans les zones économiques, c'est l'État riverain qui autorise les recherches et éventuellement l'exploitation. Mais dans la Zone internationale, qui est habilité à donner les autorisations ? Dans les années 1980, en vertu de la philosophie onusienne, le produit des ressources exploitées dans les eaux internationales profondes était destiné à financer les pays en voie de développement. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Enfin, quel est l'intérêt d'inscrire ces ressources dans le droit minier ? Celui-ci concerne en effet l'exploitation des ressources terrestres. Dans quelles conditions se font les autorisations de recherche du pétrole en mer ?

Mme Odette Herviaux

S'agissant de l'état des recherches, je me souviens que dans les années 2005, des travaux sur l'extraction des ressources en haute mer m'avaient été présentés par l'IFREMER, notamment sur les recherches concernant les nodules. À la faveur de l'extraction des granulats en bordure de côte, nous avions eu accès à certains dossiers des chercheurs. Les travaux en eau profonde existaient donc à l'époque. A-t-on évolué depuis ?

M. Serge Larcher, président

Je rappelle qu'il convient de distinguer la mer territoriale, la zone exclusive économique, puis, au-delà, le plateau continental.

Mme Odette Herviaux

Mais les conséquences environnementales dans chacune de ces zones ne sont pas prises en compte par les scientifiques. Par ailleurs, Monsieur le rapporteur, vous avez présenté votre étude en corrélation avec la réforme du code minier ; faites-vous partie du groupe de travail coordonné par M. Thierry Tuot sur cette réforme ?

M. Jean-Étienne Antoinette

En réponse à mon collègue Charles Revet, la Zone internationale est soumise à l'autorité de l'AIFM, qui délivre des autorisations d'exploration, mais ne délivre pas d'autorisations d'exploitation. Se pose alors la question de la prévisibilité pour sécuriser les investisseurs, qui a été évoquée par le groupe de travail de M. Tuot. Il est évident que ces derniers seront incités à engager des explorations seulement s'ils ont la perspective de possibilités d'exploitation. On distingue, en effet, deux phases dans la livraison des permis : une première phase d'exploration, mais qui n'engage pas la seconde phase d'exploitation.

Concernant l'état des connaissances en haute mer, il demeure modeste, comme l'a souligné l'IFREMER, ce qui n'incite pas les investisseurs à s'engager.

Nos collègues MM. Georges Patient et Richard Tuheiava nous représentent au sein du groupe de travail de M. Thierry Tuot, dont je ne connais pas le calendrier exact. Ses travaux, qui ont pris du retard, pourraient être présentés fin 2013.

M. Serge Larcher, président

Je rappelle que même dans la zone économique exclusive, la souveraineté de l'État côtier n'est pas totale.

Mme Odette Herviaux

Nous devons aussi nous pencher sur les conséquences sur l'environnement, et les anticiper.

M. Serge Larcher, président

D'où l'intérêt du code minier. Le cas de la Guyane en est une illustration : il faut des normes environnementales.

M. Jean-Étienne Antoinette

Il ressort en effet des auditions sur la réforme du code minier, que certains des enjeux de cette réforme consistent justement à se mettre en phase avec les normes environnementales et de tenir compte des impacts sur l'environnement, ainsi qu'à prévoir la participation du public dans le processus.

Mme Odette Herviaux

Qui aura les connaissances techniques nécessaires au sein du groupe de travail de M. Tuot ?

M. Jean-Étienne Antoinette

Il y a différents collèges, dont un composé de spécialistes. Le code minier est un outil très technique. L'un des objectifs de la réforme est aussi de le rendre plus compréhensible.

M. Serge Larcher, président

Je vous félicite pour la qualité de votre présentation.

(Jeudi 28 Mars 2013)

Audition de M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières

M. Serge Larcher, président

Nous poursuivons nos travaux sur les enjeux des zones économiques exclusives ultramarines.

Notre collègue Jean-Étienne Antoinette est le seul de nos trois rapporteurs présent aujourd'hui, Joël Guerriau et Richard Tuheiava étant empêchés.

Les trois auditions de ce matin concernent l'extraction pétrolière et la question énergétique. Il s'agit d'examiner les potentiels de nos outre-mer dans ce domaine mais également de mettre en perspective ces questions avec la discussion prochaine du nouveau code minier.

Nous commençons avec M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières, à qui je souhaite la bienvenue.

M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières

Je vous remercie. Le potentiel de la zone économique exclusive (ZEE) ultramarine est très important pour notre pays. La révision du code minier est fondamentale, tant pour les travaux onshore en métropole que pour les travaux offshore dans les ZEE.

Nous avons été reçus par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale sur le code minier, où nous avons insisté sur l'importance de la refonte envisagée.

L'UFIP, qui regroupe toutes les grandes entreprises françaises du secteur, est le syndicat professionnel du pétrole et couvre de nombreuses activités en France et outre-mer. En ce qui concerne l'exploration et la production, nous comptons une vingtaine de petites et moyennes entreprises adhérentes, de diverses nationalités. Il y a une soixantaine de concessions d'exploitations sur le territoire métropolitain et autant de permis d'exploration en cours.

La production nationale est de 800 000 tonnes de pétrole et, pour le gaz, notre production se monte à 800 millions de m 3 , soit respectivement 1 % et 2 % de la consommation française, c'est dire notre dépendance aux importations.

La facture d'hydrocarbures s'élève à 60 milliards d'euros par an, dont 80 % pour le pétrole et 20 % pour le gaz ; toute production nationale améliore donc notre balance des paiements.

La France est l'un des pays où existe une véritable filière du pétrole, avec de grands groupes comme Total, Schlumberger, Technip, CGG Veritas et Vallourec (qui fabrique des tubes).

Notre pays est le deuxième exportateur mondial d'équipements et de services de cette filière. L'outre-mer entre dans le champ des missions de l'UFIP, aussi bien pour l'amont pétrolier que pour l'aval, qui concerne le raffinage, la distribution et le traitement des huiles usagées.

Les opérateurs ne sont pas tous adhérents de l'UFIP, à l'instar de Rubis qui est présent aux Antilles.

Le développement de l'amont pétrolier est important : aujourd'hui, il y a quatre grands permis en cours de validité : Guyane Maritime, Caravelle (Martinique), Juan de Nova profond et Est (maritime profond, dans les Îles Éparses du Canal de Mozambique, entre le Mozambique et Madagascar) et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le permis de Caravelle n'est pas actif et celui de Juan de Nova donne lieu à des recherches sismiques, sans forage.

Nous avons, par ailleurs, sept demandes de permis : Concorde en Guadeloupe, un autre permis au large de la Martinique (Gwo Ka Caribbean), Bardoil à Saint-Pierre-et-Miquelon. En Guyane, nous avons quatre demandes de permis : Papillon, Udo/Total, Shelf/Total, Demerara Est. Cela démontre l'importance de cette collectivité en matière de recherche pétrolière et l'intérêt d'un domaine maritime étendu.

La refonte du code minier ne devra pas introduire de nouveaux freins. Nous avons l'habitude de dire que lorsqu'on modifie le code de la route, ce n'est pas pour arrêter la circulation, mais pour améliorer la sécurité. Nous attendons la même chose pour le code minier. Nous serons donc très attentifs aux évolutions à venir.

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l'Union française des industries pétrolières

La réforme du code minier a été engagée via un communiqué du Conseil des ministres en septembre 2012. Mme Batho a dit son souhait d'intégrer la charte de l'environnement, de modifier la fiscalité applicable et de prendre en compte les spécificités de l'outre-mer.

Un comité informel de concertation a été confié à Thierry Tuot, conseiller d'État, où siègent les parties intéressées, dans l'esprit du Grenelle. Ce comité est chargé de présenter des propositions. Il s'est réuni onze fois, de début octobre à mi-décembre 2012, chacune de ses réunions ayant été consacrée à un grand thème. Ont été traités, notamment, les fins de travaux, les restitutions des sites miniers en fin d'exploitation, la fiscalité, l'outre-mer. L'outre-mer a fait l'objet de cette dernière réunion et il n'y a pas eu de compte rendu officiel. Le conseiller d'État a ensuite rédigé ses propositions informelles personnelles.

Lors d'un conseil des ministres de février, de nouvelles orientations ont été présentées, notamment un schéma national minier, le renforcement de la surveillance en fin d'exploitation, une refonte de la fiscalité.

Nous abordons maintenant une nouvelle phase de concertation qui tarde à s'amorcer. Une esquisse de projet de loi est en préparation : on parle d'un dépôt en juin pour une adoption à l'automne, mais ce calendrier nous semble ambitieux.

Nous souhaitons que la réforme du code minier favorise le développement des activités de recherche et de production et incite à investir. Nous avons trois préoccupations majeures : cette réforme doit favoriser la participation et l'appropriation des projets par le public, faciliter l'exercice de l'activité et stabiliser la fiscalité pour donner une visibilité aux investisseurs. Il y a quelques années, la simplification du code minier avait été envisagée pour rendre les délais d'instruction compatibles avec la nature et l'importance des investissements nécessaires. Dans le code minier actuel, il existe des dispositions relatives à la ZEE et à l'outre-mer mais elles sont dispersées.

Pour l'outre-mer, les compétences des régions sont reconnues spécifiquement, contrairement à la situation qui prévaut en métropole.

Pour la ZEE et l'outre-mer, trois points sont essentiels : la stabilité du cadre institutionnel, la clarification et l'adaptation des règles d'information et de consultation du public et la visibilité fiscale.

Tout d'abord, le cadre institutionnel. Les compétences régionales doivent être identifiées dans le code minier. Notre préférence va à un code minier général et national, pour assurer la cohérence des différentes autorités et du droit applicable, ce qui n'empêche pas les spécificités régionales. Si certaines collectivités souhaitent un code minier régional pour renforcer leurs pouvoirs dans la définition et l'octroi des titres, sur le plan global, il faut de la cohérence.

J'en arrive aux conditions de réalisation des travaux en ZEE. Depuis décembre 2011, la réglementation nationale a soumis à enquête publique les travaux offshore , ce qui pose problème. Quid du périmètre des enquêtes publiques quand le gisement se situe à 150 km des côtes ? En outre, la durée des enquêtes publiques compromet l'activité économique, compte tenu des investissements à réaliser. Ainsi, tout retard peut coûter un million de dollars par jour.

Dernier point : la fiscalité doit être stable. Fin 2011, un projet de loi de finances rectificatives a supprimé le système de suspension de TVA pour les travaux sur le plateau continental. Or, c'était une des rares incitations fiscales en la matière.

La loi de finances pour 2012 a prévu une redevance spécifique de 12 %, partagée entre la région et l'État, dans des conditions qui seront mises en oeuvre par décret, théoriquement en 2014. On comprend l'idée de partage, mais tout dépend des découvertes qui pourront être faites.

M. Jean-Louis Schilansky

Sur l'ensemble de notre territoire, nous sommes aujourd'hui dans une situation très délicate. Les demandes de permis sont bloquées par le Gouvernement : ainsi, il y a quelques 120 demandes qui ne trouvent pas d'issue. La stabilité du cadre règlementaire est fondamentale. À l'heure actuelle, on se perd dans les dédales administratifs car les interlocuteurs sont multiples. Notre industrie est, je le répète, dans une situation très difficile.

Le cas de la Guyane est exemplaire. Est-il parfait ? Non, mais il est de loin préférable à tout ce qui a été fait auparavant. Dix groupes de travail ont été créés, les parties prenantes se sont investies et l'opérateur est dynamique. Lorsqu'il avait été question de suspendre le permis de Guyane, nous avons été réconfortés de voir des élus soutenir le projet, ce qui prouve que nous avions fait un bon travail d'appropriation. Peut-être faudrait-il s'inspirer de cette expérience pour rédiger le nouveau code minier ?

Le domaine maritime national représente 11 millions de km², ce qui est considérable. Nous sommes, j'y insiste, dans un domaine concurrentiel. Aujourd'hui, des sociétés pétrolières, indépendantes et moyennes, sont extrêmement actives. Voyez ce qui se passe au Mozambique, pour ne citer que ce pays.

Le code minier devra confirmer l'attractivité de notre pays pour ces investissements, en posant des règles acceptables. Si la législation est trop contraignante, il n'y aura plus d'investissements car les opérateurs iront ailleurs. Sans être laxiste, il faudra bien mesurer l'impact réglementaire dans le différentiel de compétitivité.

Nous sommes prêts à participer à la rédaction du code minier. Si le champ de Guyane est au niveau de Jubilé en Angola - ce que nous espérons, sans bien sûr le savoir -, cela devrait représenter 120 000 barils par jour, soit 5 milliards de dollars par an. C'est dire l'importance de l'enjeu.

M. Serge Larcher, président

Merci pour votre présentation.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Vous avez cité des chiffres intéressants que l'exploitant n'a pu nous donner. Y a-t-il une stratégie des industriels par rapport aux outre-mer ? Y a-t-il une filière spécifique ? Avez-vous évalué les impacts sur les territoires ? Que penser de la situation au Brésil et au Vénézuela ? Avez-vous une approche régionale ? Vous avez parlé d'appropriation des projets par le public. Qu'en est-il du régime des concessions ? Le Sénat a présenté une analyse comparative des diverses législations : y a-t-il un modèle qui a votre préférence ? Avez-vous des préconisations en matière fiscale ? Je suis maire de Kourou et je sais quelles furent les erreurs commises avec le centre spatial. Il ne faut pas les renouveler.

M. Jean-Louis Schilansky

Il n'y a pas de stratégie spécifique vers les outre-mer, mais les prix sont très élevés. Le baril de pétrole est à 110 euros. Toutes les sociétés ont redéployé leurs ressources vers l'amont de façon massive afin de trouver de nouvelles ressources.

La technologie a beaucoup progressé pour les forages en eaux profonde et très profonde. Il y a donc un énorme redéploiement vers l'offshore , ce qui explique les recherches en Guyane.

Les groupes pétroliers souhaitent des retombées sur les territoires où ils opèrent, mais ils ont leur propre façon de procéder. Cette industrie est très mondialisée. Le navire au large de la Guyane a été fabriqué en Corée. Il convient de discuter avec chaque opérateur.

L'appropriation est fondamentale. Aujourd'hui, il faut consulter et obtenir l'approbation du public à tous les stades. Ce qui s'est passé en matière de gaz de schiste en France métropolitaine est une catastrophe, alors même que le code minier avait été respecté, ce qui montre qu'il est inadapté. La révolte populaire a entraîné des dispositions bloquant un développement utile à notre pays. Nous devons travailler avec les populations, non seulement pour expliquer les dossiers, mais pour qu'ils soient compris. Le film Gasland qui vient des États-Unis est faux et a eu des répercussions très négatives.

M. Bruno Ageorges

La concertation informelle avec M. Tuot n'est pas entrée dans les détails. Peut-on faire participer les populations, tout au long de la trajectoire des permis avec toutes leurs conséquences, pour parvenir à une vision globale ? Comme il est nécessaire de distinguer exploration et exploitation, il est difficile de définir des trajectoires - fiscales, financières, de retombées - d'emblée. Nous restons attachés aux permis d'exploration, suivis de permis d'exploitation : il faut dissocier les deux titres car ils n'emportent pas les mêmes conséquences juridiques.

Quant au partage de production outre-mer, tout dépend de l'ampleur des projets et des discussions entre les collectivités concernées et les opérateurs.

M. Serge Larcher, président

Merci pour vos présentations très complètes.

Audition de M. Olivier Appert, président de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles, et de M. Honoré Le Leuch, conseiller auprès du président

M. Olivier Appert, président de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN)

Nous sommes un établissement public. Notre métier, c'est l'intervention dans le domaine de l'énergie et de la transition énergétique. Je vous remets un dossier de synthèse de ma présentation.

Je rappelle l'enjeu international de l' offshore : il concerne 25 % des réserves d'hydrocarbures - les volumes augmentent année après année - les réserves de gaz offshore représentent environ 30 % des réserves totales.

Aujourd'hui, l' offshore représente 30 % de la production d'hydrocarbures conventionnels, la plus grande partie de la production vient des gisements situés à plus de 1 000 mètres de profondeur. Les progrès technologiques ont rendu possible l'exploration de gisements de plus en plus profonds. On met, actuellement, en production des gisements à des profondeurs supérieures à 2 500 mètres.

Vous connaissez l'ampleur du domaine maritime français : il pourrait s'agrandir encore si toutes les demandes d'extension du plateau continental déposées auprès de l'ONU étaient acceptées.

Le potentiel pétrolier des ZEE françaises doit s'apprécier par rapport à la proximité des gisements des zones de consommation, d'où l'intérêt du Golfe du Lion, zone encore inexplorée, mais des découvertes ont été faites en Égypte, au Liban, en Israël, à Chypre ; Saint-Pierre-et-Miquelon est une zone attractive, mais la ZEE est extrêmement réduite.

La Nouvelle-Calédonie est totalement inexplorée, mais pourrait être intéressante. Les Îles Éparses présentent aujourd'hui un intérêt particulier, suite à des découvertes importantes de gaz au Mozambique et en Tanzanie. Les Antilles représentent aussi un potentiel.

Les enjeux de l'exploration-production s'expliquent par leur impact sur la facture énergétique, le déficit commercial étant de l'ordre de 70 milliards d'euros, dont les importations d'énergie représentent la quasi-totalité.

Les exportations d'électricité atténuent la facture énergétique, pour un solde exportateur de 2 à 3 milliards d'euros par an seulement, à comparer avec la facture pétrolière de 50 milliards d'euros.

Le développement de l' offshore est une opportunité de création d'emplois pour les entreprises françaises : les investissements totaux s'élèvent dans ce secteur à 200 milliards d'euros dans le monde.

Grâce à une politique continue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la France dispose de leaders mondiaux : CGG, Vallourec, Technip, sociétés créatrices d'emploi. Le chiffre d'affaires total du secteur parapétrolier s'élève à 35 milliards d'euros.

M. Le Leuch, conseiller du président de l'IFPEN

La Guyane française présente des analogies avec la marge équatoriale africaine, au Ghana et en Sierra-Leone. Les premiers résultats des explorations menées sont encourageants. Il faudra néanmoins plusieurs forages d'évaluation avant qu'une décision d'exploitation puisse être prise.

La marge offshore de la Guyane présente également des analogies avec le Surinam et le Guyana. De nouveaux permis d'exploration viennent d'être ouverts début 2013 au Surinam et au Brésil. Dans tous ces pays riverains, l'exploration nécessitera beaucoup plus de forages, pour en estimer le potentiel commercial.

Il y a 90 millions d'années, avant la séparation du Brésil et de l'Afrique, il y avait une continuité entre les marges équatoriales américaine et africaine. En Afrique, les gisements commerciaux ont nécessité une trentaine d'années d'exploration. Tout a changé en 2007, où une impulsion forte a été donnée, notamment au Ghana et en Sierra Leone. Les découvertes en Afrique redonnent de l'intérêt au bassin des Guyanes, dont le dossier qui vous a été remis présente une carte.

Au Surinam, des découvertes ont été faites à terre, il y a longtemps, mais la production reste faible. Ce pays espère des découvertes offshore . Au Guyana, une découverte a été faite par Shell dont le potentiel commercial n'a pas été considéré comme suffisant. Un puits offshore a été abandonné pour des raisons techniques (surpression). Exxon fait actuellement une sismique 3 D en vue de décider de nouveaux forages. Ce bassin est situé entre ceux du Brésil et du Venezuela, très riches.

Les activités pétrolières offrent des opportunités de développement économique. Le nombre d'emplois induits est plus important dans le secteur des services. Le contenu local des activités est relativement faible pendant les phases d'exploration, mais augmente dans la phase de production et d'exploitation commerciale des gisements.

L'aspect formation est particulièrement important, l'IFP School a participé à des activités en Guyane, pour anticiper les besoins.

On ne peut parler d'hydrocarbures offshore sans parler de Macondo. Le risque zéro n'existe pas, même si le dernier état de l'art est utilisé pour éviter les risques.

La plus importante pollution eut lieu au Koweït lors de la guerre du Golfe en 1991. Il y eut auparavant, en 1979, une pollution importante au Mexique. Les accidents les plus nombreux sur les quarante dernières années sont liés au transport par tanker ; tout le monde se souvient de l'Amoco Cadiz. Mais ils diminuent ces dernières années. La catastrophe de Macondo a été un coup de semonce pour le monde pétrolier. Macondo a coûté environ 50 milliards de dollars à BP, compagnie qui est en train de passer du premier rang à la seconde division.

La profession a mis en place des moyens d'intervention rapides. Des équipements peuvent ainsi être mobilisés dans le Golfe de Guinée, dans le Golfe du Mexique, en Mer du Nord : c'est la Marine Well Containment Company , qui remédierait à la pollution en cas d'accident.

Sur la modernisation du code minier, nous avons participé aux travaux du groupe Tuot qui devrait se réunir à nouveau à partir de début avril. Cette réforme est justifiée, car les précédentes adaptations ont été faites à droit constant.

Des pays de l'OCDE ont récemment modernisé leur code minier. Chez nous, il est fort ancien et les dispositions relatives aux hydrocarbures conventionnels ont été progressivement rajoutées.

Les modernisations sont liées aux orientations nouvelles de la politique du secteur.

L'exploration du sous-sol est faite de manière à entraîner des retombées pour l'économie et l'emploi. Il importe d'analyser les difficultés d'application des codes existants et de lever les freins qui brident le développement des activités minières.

Les meilleures pratiques suivies à l'étranger se concentrent sur le respect de l'environnement, l'information du public, une plus grande concurrence, une meilleure surveillance administrative, une modernisation de la fiscalité.

Il importe de définir si l'on veut modifier ou refondre le code. Une solution mixte regroupant les dispositions spécifiques aux hydrocarbures emporte notre faveur.

Quels en sont les enjeux principaux ? Moderniser les procédures d'octroi de permis serait intéressant, en raccourcissant les délais, avec une procédure d'appel d'offres sur des périmètres prédéfinis.

Deuxième objectif : le respect de l'environnement et la responsabilité environnementale ; l'information du public est nécessaire, dans des délais raisonnables, par des procédures appropriées.

Le nouveau code doit accroître la surveillance par l'approbation (et non la simple déclaration) préalable des travaux majeurs.

Il importe aussi d'améliorer la sécurité juridique des titres miniers par plus de transparence et de réactivité dans les procédures administratives, pour réduire les retards dans les prises de décisions qui limitent l'attractivité des permis, donc les investissements et la valorisation du sous-sol.

La participation du public, l'acceptation des procédures de recours sont également nécessaires.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Merci pour votre exposé.

Pour moderniser la délivrance des permis, êtes-vous en faveur d'un titre unique ? Quels en seraient les avantages et les inconvénients ? Le Brésil, dites-vous, s'inscrit davantage dans une procédure d'appels d'offres : est-elle à généraliser ? Le directeur de Shell nous a confirmé que, dans une première phase, l'impact sur l'emploi et sur l'activité économique est faible : sur 10 millions d'euros, 8 millions d'euros se trouvent hors du territoire concerné, la Guyane. Ne faudrait-il pas contractualiser ces retours sur le territoire, sans pour autant les inscrire dans le code minier ? Lors de l'audition, un sénateur a fait observer que la part des industriels français n'est guère importante. N'y a-t-il pas là une incitation à revoir les procédures de délivrance de permis d'exploration et d'exploitation ? Enfin, la réforme du code minier tire-t-elle les enseignements des accidents intervenus ?

M. Honoré Le Leuch

Un titre minier unique, non. Le schéma actuel prévalant dans la plupart des pays, est celui d'un titre exclusif de recherche, qui conduit à l'octroi d'une concession d'exploitation en cas de découverte aboutissant à un gisement commercial. En ce cas, un plan de développement et d'exploitation est préparé.

Le permis d'exploration couvre plusieurs milliers de kilomètres carrés. Pour Jubilé, la concession d'exploitation fait 110 kilomètres carrés. Cette différence de taille explique pourquoi il y a deux titres miniers et non un titre unique.

Les bonnes pratiques internationales que nous avons étudiées donnent le maximum de flexibilité. Il faut maintenir un système mixte avec des appels d'offres et des demandes spontanées suivies de mises en concurrence, imposées par Bruxelles, qui ne portent pas nécessairement sur des périmètres identiques.

La diversité des ZEE françaises nécessite ces deux systèmes. Les appels d'offres pourraient être utilisés dans certains cas.

Quant aux retombées, tout dépend de la nature de l'exploration, phase où il y a des travaux intermittents. Un forage d'exploration dure de trois à six mois et implique des investissements extrêmement coûteux. Les forages au large de la Guyane coûtent plus de cent millions de dollars. En phase de développement, on passe à une autre échelle, de durée, trois ans, et d'investissements, de plusieurs milliards de dollars.

Il faut préparer le futur par la formation, pour être prêts quand il y aura de la production.

L'exemple de BP le montre, un opérateur pétrolier doit être bien choisi - il faut vérifier ses compétences techniques et financières - afin qu'en cas d'accident, avec ses associés, il soit en mesure de réparer. Ces mesures de réparation sont à la charge des titulaires de permis qui doivent aussi prendre toutes les dispositions pour nettoyer la zone polluée. Ces principes valent partout dans le monde.

En outre, en cas de gisement commercial, existe une obligation, à la fin de l'exploitation, d'enlever toutes les installations et de remettre en état la zone concernée. Cela fait partie des modernisations à inclure dans le code minier.

M. Olivier Appert

Shell fait partie des sociétés qui présentent toutes les garanties. Macondo a exclu de l' offshore profond les compagnies moyennes qui n'auraient pas les moyens financiers d'assumer leurs responsabilités, comme peuvent le faire BP, Total ou d'autres.

Le code minier actuel est très complexe, ce qui conduit à de longs délais qui dissuadent les investisseurs, sans pour autant instituer de garanties suffisantes de respect de l'environnement et d'information du public. C'est l'une des préoccupations de Delphine Batho. Tels sont les enseignements que nous tirons du benchmark international que nous avons réalisé avec Honoré Le Leuch, expert près la Banque Mondiale, qui connaît très bien les codes miniers de nombreux pays.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Selon nos auditions, nous arriverons courant mai à une troisième phase d'exploration. De nouvelles demandes affluent. Quel est le potentiel de cette zone ? Les profondeurs sont importantes. Les investissements sont très lourds. Nous pensons qu'il y aura des retours. Quel en sera le cycle, quelles en seront les retombées macroéconomiques ? Au bout de combien d'années apparaîtront-elles ?

M. Olivier Appert

Dans la profession pétrolière, un forage qui donne du pétrole ou du gaz, c'est la bonanza ; un forage sec, c'est la vie. La première phase a été encourageante, la deuxième un peu décevante, le gisement semblant moins étendu qu'il y paraissait au premier abord. Néanmoins, des points intéressants ont été constatés, qui font l'objet des forages actuels. Le propre du métier pétrolier est d'alterner les succès et les échecs. De nouveaux travaux sont nécessaires avant de prendre la décision d'engager des milliards de dollars d'investissements. La phase d'exploration dure cinq ans, avant la phase de développement. Même s'il n'y a pas de production, c'est au cours de cette phase de développement qu'il faut prévoir des installations sur place, plus intéressantes pour les opérateurs qu'une logistique organisée, comme elle l'est actuellement, sur des bases arrière plus éloignées à partir du Surinam et de Trinidad et Tobago. D'où l'enjeu crucial de la formation locale.

M. Honoré Le Leuch

Aujourd'hui, les retombées socio-économiques sont un objectif nécessaire pour toutes les compagnies pétrolières. Dans une phase de développement, les aspects techniques et d'investissements sont complétés par un plan visant à maximiser ces retombées locales et décliné en programmes d'action revus annuellement. Vous avez créé une commission en ce sens. Je reviens d'un pays où l'explorateur a facilité la mise en place d'un centre destiné à créer des entreprises locales et à leur donner du travail.

M. Olivier Appert

Je reviens sur l'attractivité de la zone des Guyanes. En 2005, elle ne présentait guère d'intérêt. Mais, depuis, le paradigme a changé avec les découvertes faites au Brésil et au Ghana, qui ont donné une actualité nouvelle à cette zone. Cela ne veut pas dire que dans cinq à dix ans il y aura des productions considérables. Il en va de même en Afrique de l'Est, où aucun pétrolier ne serait allé il y a dix ans. Espérons que les découvertes seront couronnées de succès et que les retombées sur l'économie locale de la manne pétrolière seront anticipées.

M. Michel Vergoz

Les moyens de l'IFPEN sont-ils conformes à ses missions ?

M. Olivier Appert

Non. Je vous ai remis une brochure présentant l'IFPEN. Notre raison d'être, à l'origine, c'était les hydrocarbures. Nous l'avons élargie aux nouvelles technologies nécessaires pour assurer la transition énergétique. Nous travaillons en liaison étroite avec les entreprises pour leur fournir, grâce à nos recherches, les technologies et les produits et services dont elles ont besoin. Nous valorisons nos travaux par les filiales que nous créons, ce qui finance la moitié de notre budget et crée des emplois. Ainsi, l'une de nos filiales a embauché 300 personnes sur le site industriel traditionnel d'Alès. Ce modèle a prouvé son efficacité.

Mais notre financement budgétaire a été réduit depuis 10 ans de 45 % en euros constants et je suis inquiet, compte tenu des informations qui me parviennent sur notre dotation budgétaire pour 2013 : on nous annonce une réduction de 8 millions d'euros et une nouvelle baisse pour l'an prochain. Nous devrons, en ce cas, arrêter des programmes et réduire les effectifs.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Ne peut-on imaginer qu'un établissement national soit chargé de la phase d'exploration avant de lancer des appels d'offres pour l'exploitation ? Il est vrai que cela nécessiterait des moyens financiers très importants.

M. Olivier Appert

Ce mécanisme a été mis en place en Norvège, pays pétrolier très mature. Je peux y réfléchir. Mais tout dépend du succès du forage en Guyane. Dois-je rappeler que la mode, il y a encore quatre ou cinq ans, prétendait que le pétrole était fini ? On peut y penser. Nous disposons des compétences liées à notre histoire. Nous avons travaillé dans le domaine des technologies des plateformes offshore . Nous avons des compétences en géosciences que nous mettons à disposition des pouvoirs publics, notamment à travers notre participation au groupe de travail sur la réforme du code minier.

Audition de Mme Marie-Anne Besançon, directeur juridique de Total Exploration & Production, et de M. François Tribot-Laspiere, adjoint au directeur des affaires institutionnelles Total

M. Serge Larcher, président

Nous sommes en train d'examiner la zone économique exclusive. En outre, l'actualité guyanaise nous interpelle.

Nous accueillons aujourd'hui Mme Marie-Anne Besançon, directeur juridique et Accords Exploration-Production de Total, pour entendre ses points de vue.

Mme Marie-Anne Besançon, directeur juridique de Total Exploration & Production

J'ai fait mes études à l'IFP et j'ai démarré ma carrière au ministère de l'Industrie. Je travaille depuis vingt-cinq ans dans le privé.

Pour commencer par des aspects non strictement juridiques, je tiens à rappeler tout d'abord que l'industrie pétrolière rencontre des difficultés spécifiques, liées à la nature géologique de notre activité. Je vous ai apporté deux échantillons de pétrole : vous voyez, ce sont des roches, qui sont difficiles à trouver et à produire.

Les taux d'échec des forages de recherche sont extrêmement importants : sur trois forages, deux sont secs. Les investissements infructueux doivent donc être compensés. Il convient aussi de distinguer trouver et produire. Le taux de récupération pour le pétrole est de l'ordre de 30 % à 35 % par rapport aux réserves estimées et, pour le gaz, il est d'environ 80 % à 90 %. Grâce aux améliorations techniques, ces taux peuvent progresser.

Cette industrie est caractérisée par un cycle long : entre l'attribution du permis de recherche et l'exploitation, il peut s'écouler dix ans.

L'aspect économique est fondamental : même si l'on peut techniquement produire du pétrole, encore faut-il que l'exploitation soit rentable. Si le prix du pétrole baisse, certaines productions ne le sont plus et il faut interrompre la production. Nous avons donc des stocks de réserves non exploités.

Il y a dix ans, en mer du Nord, le coût d'un appareil de forage était de 50 000 dollars par jour. Aujourd'hui, il en coûte dix fois plus !

Les prix de vente doivent également être pris en considération ; or, ils sont très volatiles. En 1998, le baril coûtait 15 dollars et, en 2008, pour le même pétrole, 140 dollars.

Ce marché est fongible, mondial ; ses acteurs sont organisés sous forme de cartel. Ainsi, l'OPEP organise la raréfaction de la ressource pour imposer des prix élevés. La fiscalité pétrolière n'a rien à voir avec la fiscalité de droit commun : les taux sont bien plus élevés.

Toute notre activité d'exploration est financée uniquement sur fonds propres. Aucune banque n'accorde de prêt à une activité qui se solde par deux tiers d'échec. Les dix ans d'investissements nécessaires à l'exploitation d'un puits ne sont donc réalisés qu'avec l'argent de nos actionnaires.

Autre caractéristique extra-juridique de l'activité pétrolière : l'aspect géopolitique. Les ressources pétrolières sont largement répandues dans le monde, mais, en dehors des États-Unis, ce sont les États qui accordent les droits d'exploiter. En outre, le Mexique et le Koweït interdisent d'attribuer des titres d'exploitation à des sociétés étrangères. Depuis une quarantaine d'années, les sociétés publiques étatiques se sont développées. Les grandes sociétés privées ne représentent plus que 15 % de l'exploitation du pétrole. Nous sommes ainsi des nains au côté de sociétés d'État vénézuéliennes, koweitiennes, saoudiennes et iraniennes. Dans bon nombre de pays, la sécurité pose problème et, parfois, des investissements sont réduits à néant pour des raisons sur lesquelles nous n'avons aucune prise.

Une société pétrolière n'investit que si elle a la certitude d'exploiter, si elle a trouvé un gisement, et si la rentabilité est suffisante pour couvrir ses investissements infructueux.

J'en arrive aux deux grands systèmes miniers dans le monde. Le premier est celui de la concession que l'on trouve dans la plupart des pays de l'OCDE et le second est le régime contractuel de partage de production dans les pays dits en développement. Dans les deux cas, hors des États-Unis, c'est l'État qui dispose du droit d'autoriser l'exploration et l'exploitation du sous-sol.

Dans le système de concession minière, l'État concède à une société le droit de valoriser les ressources. Pour les contrats de partage de production, il n'y a pas toujours d'attribution de titres miniers. Dans le premier système, la société est propriétaire du pétrole, dans le second, l'État rémunère la société qui travaille le sous-sol par une quote-part de production.

Fiscalement, on est dans un système de droit commun dans le premier système, où il n'y a ni négociation, ni stabilité fiscale assurée. Dans le deuxième système, la fiscalité est négociée contractuellement : une première tranche est consacrée au remboursement des investissements et une seconde tranche donne lieu à un partage entre l'État et la société. Traditionnellement, il y a une clause de stabilité fiscale, ce qui est très important pour une industrie à cycle long.

Dans le système de la concession, la manne fiscale est différée pour l'État, du fait du report déficitaire. Dans le deuxième système, dès la production du premier baril, l'État bénéficie de sa quote-part du profit oil . C'est pourquoi ce système, inventé par l'Indonésie, a autant de succès dans les pays en développement.

Nous vivons donc avec ces deux systèmes : le second a une fiscalité plus forte, mais il a le gros avantage d'être stable, prévisible, ce que nous apprécions beaucoup.

Il existe un troisième système dont je ne vous ai pas parlé, développé par l'Iran et l'Irak : il s'agit de contrats de services à risques ; la rémunération correspond à un fixe par baril quel que soit le volume produit. La rentabilité est réduite pour les compagnies pétrolières, ce qui explique son faible succès.

De manière générale, il y a toujours deux ou trois phases d'exploration, avant une longue phase de développement, suivie elle-même d'une phase d'exploitation qui peut aussi durer longtemps. Je vous renvoie, pour plus de détails, au tableau qui figure dans le document que je vous ai remis.

Pour nous, il est important de disposer d'un code minier ou de lois spécifiques, pour établir plus de clarté et de prévisibilité, notamment pour ce qui concerne les règles fiscales, mais aussi, pour disposer d'un seul guichet administratif, d'un interlocuteur unique stable dans le temps.

Une compagnie pétrolière ne décidera d'explorer que si elle a la certitude de pouvoir exploiter. Dans ce domaine, toute incertitude a des impacts extrêmement négatifs.

J'en arrive au système minier français. La demande initiale, pour l'attribution d'un titre d'exploration, revient à l'initiative privée. Quand nos géologues estiment que tel ou tel bassin est intéressant, nos juristes demandent à l'État concerné un permis d'exploration. Ce dernier instruit cette demande de titre et informe les divers acteurs intéressés, notamment les collectivités territoriales. Comme dans tous les pays de l'Union européenne, une mise en concurrence est organisée. La demande est publiée. Des demandes concurrentes peuvent alors s'exprimer. Classiquement, le demandeur doit justifier de capacités techniques et financières : l'État ne peut, en effet, se permettre d'attribuer un permis à une société qui, n'ayant pas les moyens d'explorer, gèlerait la zone en question. Le soumissionnaire présente des études environnementales et prend l'engagement financier correspondant aux travaux. Enfin, l'État attribue le titre minier de façon discrétionnaire. Cela est le cas dans la majorité des pays du monde. Une fois attribué, ce titre est exclusif : l'acteur économique n'accepterait pas, en effet, de mener des recherches s'il n'était pas certain d'être seul à les effectuer. La sécurité contractuelle est essentielle. Le titre de recherche est accordé, en général, pour cinq ans, renouvelable une à deux fois.

Depuis la loi du 28 décembre 2012, l'État a mis en place une concertation avec le public après la phase de mise en concurrence européenne et avant de prendre une quelconque décision d'attribution des permis de recherche. Cette modification était nécessaire pour se conformer à la Charte de l'environnement. Pour pouvoir confirmer le titre d'exploitation, l'attribution est désormais soumise à une enquête publique.

Il faut bien distinguer le titre minier des autorisations de travaux. Le titre minier est un droit patrimonial, alors qu'une autorisation de travaux est le titre opérationnel. L'obtention d'un titre minier est donc nécessaire, mais pas suffisant, car il faut une autorisation de la puissance publique pour réaliser les travaux physiques sur le terrain. Notre activité est extrêmement surveillée et réglementée. Depuis le 1 er juin 2012, les autorisations de forage de plus de 100 mètres de profondeur sont soumises à une enquête publique.

L'État intervient donc à divers niveaux, notamment pour la délivrance des titres et pour les travaux. En cas d'infraction, il peut retirer les titres donnés, de plus, il assure en permanence la police les mines. De même, lorsqu'il y a inertie ou absence d'exploration, l'État peut retirer les titres accordés.

J'en arrive aux aspects fiscaux de l'activité pétrolière en France, sur lesquels je vous ai remis une note. La fiscalité y est de deux natures : la fiscalité de droit commun, qui est une fiscalité centrale, c'est-à-dire l'impôt sur les sociétés, la TVA, mais aussi les impôts locaux que vous connaissez bien. S'y ajoute de surcroît une fiscalité pétrolière, au bénéfice de l'État ou des collectivités territoriales. Une redevance de 12 % revient ainsi à l'État sur la production. À partir de 2014, pour les zones offshore , cette redevance sera partagée par moitié entre les collectivités et l'État. Peuvent également exister des sur-prélèvements, l'État surtaxant les produits, quand il considère que la rentabilité est trop importante. Enfin, la redevance départementale et communale des mines (RDCM) est fixée par les collectivités locales.

Un point sur les différents types de paiements : il peut exister un premier paiement avant même le premier forage, mais il varie beaucoup en fonction des pays. Quand il y a beaucoup de ressources, ces primes de signature peuvent être conséquentes, par exemple, en Angola. De tels paiements sont inenvisageables dans des pays où l'on trouve peu de pétrole, ils décourageraient les investisseurs.

Les royalties sur la production sont une fiscalité certaine pour les États, et les investisseurs prennent évidemment en compte ces coûts dans leurs calculs de rentabilité. Les redevances superficiaires ou préfoncières sont souvent versées durant la phase d'exploration. Cette taxe a pour effet d'inciter l'opérateur à travailler le plus rapidement possible sur la zone pour éviter de la geler trop longtemps.

Dernier type de taxation qui s'est développé depuis trente ans : celle des surprofits déterminée par les lois de finances. N'intervenant que pour les concessions, ces prélèvements dégradent la rentabilité d'un projet et donc l'attractivité du pays. Les yoyos fiscaux n'incitent pas à l'investissement.

J'en arrive au partage de la fiscalité pétrolière entre l'État et les collectivités territoriales. La plupart du temps, cette fiscalité revient à l'État, ce qui est source de frictions, voire de tensions avec les collectivités : voyez ce qui se passe au Nigeria.

Un équilibre doit être trouvé : il nous semble qu'un certain retour local est nécessaire, car les collectivités locales financent toutes les infrastructures indispensables à l'exploitation. Les dépenses régaliennes de l'État doivent, bien sûr, être financées. De plus, l'activité pétrolière peut générer des hausses de revenus massives, ce qui peut déstabiliser les collectivités qui en bénéficient et encore plus quand la manne tarit brutalement.

La France, assez pauvre en hydrocarbures, est un pays neuf à cet égard, et elle doit rester attractive pour les investisseurs.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Merci pour cet exposé très complet.

M. Michel Vergoz

Je suis content de me retrouver assis à la même table qu'un « nain » de votre taille !

Mme Marie-Anne Besançon

Nous faisons effectivement partie du « club des nains » et nous sommes la cinquième compagnie intégrée internationale derrière Exxon, Shell, Chevron et BP...

M. Michel Vergoz

Eh bien, je suis heureux de me retrouver parmi ces grands « nains » ! Quel est le regard d'une grande compagnie comme Total sur les stocks mondiaux ? La France pourrait-elle passer de la pauvreté à la richesse ?

Mme Marie-Anne Besançon

Votre question revient à traiter de l' offshore . Certes, le domaine maritime français est important, mais nos géologues ne sont pas très optimistes en la matière. Seule exception, la Guyane, où nous avons un permis en coopération avec d'autres sociétés. Cette zone se trouve dans le prolongement de celle du Brésil où de grandes découvertes ont été faites.

La géologie n'est pas une science exacte et nous devons réactualiser régulièrement nos connaissances. Je suis cependant désolée de vous dire que la France a peu de chances de devenir le Brésil de demain...

M. Michel Vergoz

Quid du Golfe du Lion et du canal du Mozambique ?

Mme Marie-Anne Besançon

Le canal du Mozambique est prometteur, mais je ne suis pas géologue.

M. François Tribot-Laspiere, adjoint au directeur des affaires institutionnelles de Total

Il y a en effet, en Afrique de l'Est, de nouvelles zones intéressantes. Nous sommes présents en Ouganda et au Kenya, où nous explorons des thématiques géologiques nouvelles à l'opposé de la zone de l'Afrique occidentale où nous sommes traditionnellement implantés. Les investissements, mais aussi les espoirs sont importants.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Pour les forages positifs, les taux de rentabilité sont élevés. Ne peut-on imaginer une nouvelle gouvernance à l'échelle de l'Europe en créant un organisme étatique dédié à l'exploration ? Vous avez dit apprécier le contrat de partage parce qu'il apporte une grande prévisibilité, mais les conclusions de M. Tuot ne paraissent pas aller dans ce sens ; il semble préférer le régime de la concession. Que faire pour inverser cette tendance ? Une loi pétrolière est nécessaire, dites-vous, mais nous allons vers une réécriture du code minier.

Mme Marie-Anne Besançon

C'est la même chose.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

Je n'en suis pas sûr. Ainsi, le Brésil a légiféré de façon très précise en matière pétrolière. Sur la fiscalité, comment se situe la France par rapport aux autres pays ? Restons-nous attractifs ? Enfin, vous n'avez rien dit de la responsabilité des industriels en cas d'accidents...

M. Michel Vergoz

Comment rendre la France plus attractive, à supposer qu'elle ne le soit pas suffisamment ?

Mme Marie-Anne Besançon

Nous n'avons pas eu connaissance des propositions de M. Tuot. Total n'a pas été directement associé à ses travaux. L'organisme professionnel a, en revanche, été consulté. Le code minier actuel nous permet de travailler. M. Tuot a semblé vouloir remettre en cause l'automaticité du droit d'exploitation, une fois le gisement trouvé, ce qui était inenvisageable.

Par la fiscalité, la France ponctionne à peu près 40 % de la valeur ajoutée de notre production, ce qui nous situe dans une moyenne basse. Par exemple, le Royaume-Uni est à 50 %, mais il s'agit d'un grand pays pétrolier, ce qui n'est pas notre cas. Si la pression fiscale augmentait chez nous, elle découragerait les investissements. En Indonésie, la fiscalité a tellement augmenté que les investissements ont disparu. La fiscalité détermine les investissements d'aujourd'hui et les productions de demain. La fiscalité française n'étant pas confiscatoire, nous continuons à investir.

Une mutualisation des phases de recherche au niveau national ou européen impliquerait que l'on fasse payer par les contribuables la recherche plutôt que par des capitaux privés. À l'heure actuelle, c'est plutôt la deuxième solution qui a la faveur de tous les pays du monde. Nous pouvons vivre avec les contrats de partage de production, du fait de la prévisibilité fiscale. De plus, ces pays s'attachent à ne pas tuer la poule aux oeufs d'or.

Quant à la différence que vous faites entre loi pétrolière et code minier, nous estimons que les deux sont très proches. La France a une longue tradition, son code minier a plus de 200 ans, il concerne les hydrocarbures, mais aussi les mines, le charbon, les granulats, les carrières. Il s'agit donc d'un code qui assemble toutes les dispositions relatives aux diverses strates du sous-sol. Au Brésil, la loi pétrolière règle les modalités d'attribution et la fiscalité : là aussi, l'ensemble est cohérent.

Une autorisation de travaux ne se revend pas, contrairement aux titres miniers. Un préfet ne peut pas empêcher un acteur économique de travailler sur une zone déterminée si toutes les conditions sont remplies. Le titre minier est un droit de propriété, pas l'autorisation de travaux.

Vous m'avez interrogée sur les dommages environnementaux et sur la responsabilité des industriels. Ceux-ci doivent respecter la législation, notamment en ce qui concerne le droit du travail et de l'environnement. L'industrie pétrolière n'est pas différente des autres industries et, lorsqu'elle crée un dommage à un tiers, ce dernier a droit à une indemnisation. Une fois l'exploitation terminée, nous devons reboucher le forage mais, comme nous travaillons dans des zones extrêmement profondes, nous n'avons pas de problème d'effondrement de galeries.

M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur

La France reste-t-elle un pays attractif ?

Mme Marie-Anne Besançon

Fiscalement, oui ; géologiquement, c'est un pays où nous souhaiterions travailler davantage.

(Mardi 4 février 2014)

Audition de M. Michel Aymeric, Secrétaire général de la mer

M. Serge Larcher , président

Monsieur le Secrétaire général de la mer, mes chers collègues, nous voilà aujourd'hui réunis pour procéder à une série d'auditions conclusives sur notre sujet d'étude relatif aux ZEE ultramarines et aux enjeux qu'elles représentent.

Je vous rappelle que nos trois rapporteurs sur cette étude sont M. Jean-Étienne Antoinette, sénateur de la Guyane, M. Joël Guerriau, sénateur de Loire-Atlantique, et M. Richard Tuheiava, sénateur de la Polynésie française.

Les derniers mois ont été riches en rebondissements sur les questions maritimes liées aux outre-mer, qu'il s'agisse du Livre blanc sur la défense, du récent travail du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur l'extension du plateau continental ou encore du Comité interministériel de la mer et des Assises de l'économie maritime des 3 et 4 décembre au cours desquelles le Premier ministre a annoncé la « remise à plat du droit relatif à l'espace maritime ».

Cette actualité, dont il nous faut intégrer la substance dans notre rapport, nous a conduits à organiser les auditions d'aujourd'hui et en premier lieu celle de M. Michel Aymeric, Secrétaire général de la mer, que nous avions entendu au début de nos travaux, avant la publication du Livre blanc.

Monsieur le Secrétaire général de la mer, nous souhaiterions que vous fassiez le point sur les moyens qui seront en définitive disponibles pour garantir la souveraineté française sur les vastes ZEE ultramarines et, plus précisément, sur les moyens et les actions concrètes envisagées pour la mise en oeuvre des orientations stratégiques tracées au mois de décembre par le Premier ministre. Nous souhaitons nous assurer que ces annonces ne se limiteront pas, une fois encore, au discours. Le temps est venu de ne pas seulement « glorifier » les potentiels des outre-mer mais d'en concevoir la valorisation concrète !

Notre secrétariat vous a fait parvenir une trame destinée à servir de fil conducteur à votre propos et à nos échanges ; ce document vient de vous être remis, mes chers collègues.

Monsieur le Secrétaire général de la mer, je vous cède la parole.

M. Michel Aymeric, Secrétaire général de la mer

Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je vous propose, dans un premier temps, de vous resituer le contexte de l'action du CIMER et de la politique maritime.

En Europe, se met progressivement en place une politique maritime intégrée (PMI), avec la volonté de ne plus se borner à mettre en oeuvre des politiques sectorielles, par exemple une politique de la pêche, une politique du milieu naturel, une politique des transports, de la protection du littoral, mais de faire en sorte que ces politiques soient appréhendées dans une vision globale. M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux transports et à l'économie maritime, a indiqué à plusieurs reprises que la France s'inscrit tout à fait dans le cadre de cette politique intégrée.

Cette politique maritime intégrée est mise en oeuvre à travers plusieurs volets. On parlera d'énergie marine renouvelable, de protection de la pêche, des ressources halieutiques, de la recherche dans les grands fonds marins, de délimitation maritime et de souveraineté. C'est là que le rôle du secrétariat général de la mer, placé directement auprès du Premier ministre, est important, car il est chargé de coordonner l'ensemble de ces politiques maritimes, et notamment les sujets régaliens que je vais évoquer.

Le CIMER du 2 décembre 2013, puis le Premier ministre dès le lendemain lors des Assises de l'économie maritime et du littoral, ont insisté sur l'action indispensable de l'État, non seulement pour faire appliquer les lois, mais surtout pour favoriser le développement économique. La sécurisation des espaces, que ce soit sur le plan juridique - avoir des délimitations bien fondées -, sur le plan de la souveraineté - avoir des frégates, des vedettes ou des patrouilleurs là où cela est nécessaire -, doit être au service du développement économique, de la métropole comme des outre-mer. Je rappelle que 97 % des onze millions de km 2 de notre ZEE se situent outre-mer.

Le CIMER du 2 décembre a pris un certain nombre d'orientations, certaines dans la continuité du précédent qui s'était tenu en juin 2011 à Guérande, et d'autres, nouvelles.

Je précise que le Premier ministre nous a fait part de son intention d'organiser à l'avenir un CIMER au moins tous les deux ans, permettant ainsi de mieux faire avancer les dossiers.

La trame que vous m'avez proposée me suggère d'évoquer les espaces maritimes.

Plusieurs sujets sont inclus dans cette notion. Il y a d'abord un sujet général de définition. La convention de Montego Bay de 1982, ratifiée par la France en 1996, prévoit un certain nombre d'espaces. Or, en droit positif français, ces espaces sont définis dans des textes épars. Nous souhaiterions que l'ensemble des dispositions soient regroupées dans un même texte qui serait une loi sur les espaces maritimes. Le principe en a été acté lors du CIMER. Compte tenu de l'encombrement de l'ordre du jour législatif, il a été décidé de profiter du dépôt du projet de loi sur la biodiversité pour inclure dans celui-ci un article d'habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances sur les espaces maritimes. Le texte qui en résultera définira précisément la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et le plateau continental.

Le second sujet porte sur la délimitation qui a pour objectif de connaître précisément les espaces de chaque pays. C'est un sujet à la fois juridique, diplomatique et physique.

Il faut d'abord définir les lignes de base pour en déduire les différentes zones (mer territoriale, zone contiguë, ZEE). Dans le cas d'une mer ouverte, le travail est relativement aisé. Par contre, si nous prenons le cas de la métropole ou de certains outre-mer, la limite des 200 milles marins peut devenir source de controverses. À titre d'exemples, je vous citerai les débats entre la France et la Grande-Bretagne, l'Italie ou l'Espagne concernant ces délimitations dans le golfe de Gascogne ou le golfe du Lion. Il faut se livrer à un travail diplomatique mais aussi à un travail physique de recherche, notamment dans le cadre de l'extension du plateau continental.

Une fois ces étapes franchies, un premier décret définissant les lignes de base doit être pris et notifié aux Nations-Unies. Il est alors opposable aux pays tiers. Ensuite, il faut de nouveaux décrets pour définir les autres limites. Je vous ferai parvenir un tableau détaillant précisément, par zone, l'état d'avancement des différentes procédures.

Lors d'une récente réunion en présence de tous les ministères concernés, nous avons procédé à un recensement. Force est de constater que beaucoup de travail reste à faire. Nous nous sommes aperçus que parfois des cartes avaient été notifiées sans que les lignes de base aient été préalablement définies.

Pour la métropole, les délimitations physiques sont établies mais les décrets ne sont pas publiés. Pour la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les décrets sont sortis et les lignes de base définies et notifiées. Pour la Guyane, les lignes de base sont connues mais n'ont pas été notifiées. Nous avons beaucoup de retard pour toute la zone du sud de l'Océan indien (La Réunion, les Îles Éparses de Tromelin, Europa,...), alors même que c'est une zone où il y a des enjeux importants et des conflits de souveraineté. Pour les Îles Kerguelen, Saint-Paul, Amsterdam, c'est en cours. Nous sommes à jour pour la Nouvelle-Calédonie. Pour Wallis-et-Futuna, les lignes de base sont définies mais le décret n'a pas été notifié. Contrairement à Clipperton, tout est réglé pour la Polynésie. Je vous ferai parvenir un tableau détaillé de l'avancement des procédures.

Je voudrais illustrer les difficultés en prenant l'exemple du canal du Mozambique, entre Madagascar et la côte du sud-est de l'Afrique. C'est une zone où vont s'effectuer de nombreuses recherches gazières et pétrolières, qui est également une zone de pêche. Lorsque l'on surprend un bateau, soit en position de pêche, soit en position de recherche sismique, il nous faut être certain d'être dans une zone française. L'an passé, un procès-verbal a été dressé lors du contrôle d'un chalutier dans les mers australes. Le bateau a été dérouté vers La Réunion. Depuis, les armateurs nous disent que nous étions hors ZEE française. Ce cas concret vous montre la nécessité d'avoir des limites bien définies.

Vous me demandez ce que recouvrent précisément les mesures annoncées, relatives au régime d'autorisation préalable des activités menées dans la ZEE. La réglementation applicable aux activités entreprises dans la ZEE est quasi inexistante. Le Gouvernement a la volonté de créer un régime d'autorisation, par exemple dans le cas de pose de pipe-line, de câbles, de création de plates-formes pour les énergies renouvelables, qui sera inclus dans le projet d'ordonnances.

Cette volonté de régulation a également pour but de mieux organiser la recherche scientifique marine et de s'assurer que les données collectées sont bien transmises à l'État ou à ses opérateurs, notamment le Service hydrographique et de la marine (SHOM), l'IFREMER ou Météo-France.

Le Gouvernement a préparé un projet de décret relatif à la recherche scientifique marine mais il y a un chaînage avec une disposition prévue dans la loi « biodiversité ». Une fois la loi « biodiversité » promulguée et l'ordonnance prise, le décret pourra être publié.

Votre question suivante porte sur le programme national de recherche et d'accès aux ressources minérales des fonds marins. Nous constatons l'empressement, l'appétit, de certains pays pour avancer dans la recherche des fonds marins. Des pays comme la Chine, l'Australie, le Royaume-Uni et l'Allemagne en Europe, ou le Brésil, ont des programmes de recherche dans les grands fonds. Vous connaissez l'argumentation traditionnelle : « les ressources à terre sont de plus en plus rares, leur exploitation de plus en plus difficile, il faut se tourner vers les fonds marins ». Toutefois, il faut être prudent. C'est techniquement compliqué et coûteux. Il faut que le prix des ressources devienne très élevé pour que la recherche sous-marine soit rentable. Il faut également ne pas avoir une vision égoïste et aveugle par rapport à l'environnement. Ces recherches devront se faire dans le respect des procédures et du milieu.

Nous devons garder présente à l'esprit l'existence d'un double régime juridique. Lorsque nous sommes dans la ZEE française, nous sommes libres de mener des recherches. Lorsque nous sommes dans la zone internationale, il faut saisir l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui siège en Jamaïque à Kingston.

La semaine dernière, avec tous les ministères concernés, nous avons mis en place une taskforce qui se réunira tous les six mois et s'occupera des fonds marins.

Nous sommes sur trois théâtres d'opération : Wallis-et-Futuna correspond au projet le plus avancé ; Clarion-Clipperton en mer internationale (nodules polymétalliques) pour lequel nous avons obtenu un permis en 2011, valable jusqu'en 2016 et éventuellement prolongeable ; et plus récemment au milieu de l'Atlantique, sur la ride médio-atlantique, nous avons obtenu un permis pour lequel il nous appartient de lancer une campagne de recherche afin de valider celui-ci. Demain, je rencontrerai M. Francis Vallat, le président du Cluster maritime français (CMF) et les représentants de plusieurs entreprises pour évoquer Wallis-et-Futuna. C'est l'IFREMER qui va signer une convention pour le compte de l'État avec l'AIFM. Nous travaillons à l'horizon 2020, 2025, voire 2040. L'évolution du prix des matières premières jouera un rôle important. C'est compliqué techniquement, mais l'intérêt pour la France est triple : disposant de la deuxième ZEE du monde, nous aurons des réserves chez nous ; nous avons des entreprises très pointues capables d'exploiter pour elles-mêmes ou pour d'autres ; ces entreprises peuvent exporter leur savoir-faire.

Monsieur le président, vous m'avez posé la question de l'extension du plateau continental. La convention de Montego Bay prévoit que, sous certaines conditions, il peut être étendu - de mémoire - de 150 nautiques supplémentaires à partir du droit de la ZEE s'il y a une continuité du fond géologique, sous réserve de l'accord d'un organisme onusien. Cette procédure peut prendre des années car une demande peut être contestée par un pays voisin qui établit un contre-dossier. Il faut alors un arbitrage. Nous vous enverrons la liste des projets d'extension du plateau continental.

Notre actualité, le Président de la République l'a rappelée, c'est Saint-Pierre-et-Miquelon. La France fera une demande d'extension. Le Canada a fait la même demande. Il y aura donc un sujet diplomatique entre nos deux pays.

Par ailleurs, l'extension de la ZEE française représenterait 1 500 000 km 2 supplémentaires. Il faut savoir qu'en faire...

Vous m'interrogez sur la sécurisation et la souveraineté des espaces maritimes. En France, la situation est compliquée car plusieurs administrations sont chargées de la police en mer. La France se caractérise par une mosaïque administrative : la gendarmerie, la police, les affaires maritimes, les douanes, la marine nationale. Toutes ces administrations concourent à des degrés divers à l'action de l'État en mer. À défaut d'autorité garde-côtes, une fonction garde-côtes a été créée en 2009 pour faire travailler ensemble ces divers services. Compte tenu de la tradition française, nous n'avons pas entrepris de les fusionner dans une seule administration. Nous avons mis en place une mutualisation des moyens, défini des pratiques similaires, créé un logo commun, le tout avec un exécutif commun qui est le comité directeur de la fonction garde-côte que je préside. Ce comité se réunit plusieurs fois par an avec le chef d'État-major de la marine, la directrice générale des affaires maritimes, et la directrice générale des douanes.

En tant que président du comité directeur, je n'ai pas de pouvoir budgétaire. Chaque administration est maîtresse de ses moyens - c'est l'esprit de la LOLF -, a ses propres objectifs et ses propres contraintes. Nous constatons qu'en période de contrainte budgétaire, nous avons plutôt du mal à renouveler les moyens et à les moderniser. Par ailleurs, le Livre blanc ne concerne que les moyens de la défense nationale ; il ne concerne pas ceux des Douanes.

Face à cela, nous avons des besoins immenses pour assurer notre souveraineté et l'application du droit dans notre ZEE. Toutefois, nous essayons d'avancer. Nous avons préparé le format global de la fonction garde-côtes qui est un genre de schéma directeur des moyens et fait en sorte que les capacités dont nous avons besoin soient présentes. Vous dire qu'à un instant « T », on y arrive toujours serait inexact. Mais les P400 vont être remplacés ; en Guyane, où l'on a d'énormes problèmes de contrôle des pêches, il y aura une barge remonte-filets supplémentaire ; dans l'Océan indien, le dispositif conventionnel du patrouilleur des affaires maritimes Osiris, exploité selon un partenariat public-privé, vient d'être renouvelé pour trois ans.

Le CIMER a décidé d'acquérir trois B2M qui sont des bâtiments multi-missions robustes, disposant d'une plate-forme pour l'accueil des hélicoptères, susceptibles d'assurer le contrôle des pêches, le secours aux populations et la logistique. L'un est destiné à la Polynésie, l'autre à la Nouvelle-Calédonie, le troisième aux Antilles. Une tranche conditionnelle d'un bâtiment supplémentaire est prévue.

Il est possible de réaliser des efforts de productivité. Il y a aussi des moyens aériens, notamment ceux de la Douane qui est en train de les renouveler dans leur quasi-totalité. Il est par ailleurs possible de faire appel à la sécurité civile, l'armée de terre ou de l'air dans le cadre de la mutualisation.

Nous disposons d'une vaste ZEE, la deuxième du monde. Elle crée des droits, des atouts, mais aussi des vulnérabilités. Nous devons être présents face à des États de plus en plus actifs. Au large de l'Afrique, dans la zone du canal du Mozambique, la Chine et l'Inde sont de plus en plus présentes.

Volontairement, je n'ai pas abordé le problème de la piraterie qui n'est pas le sujet de notre réunion.

M. Serge Larcher , président

Monsieur le Secrétaire général de la mer, nous vous remercions pour cet exposé très complet.

Mme Catherine Tasca

Vous nous avez dit que sur tel ou tel territoire le dossier de délimitation était bouclé et notifié. En quoi consiste cette notification ?

M. Michel Aymeric

La notification, déposée à l'ONU, a pour effet de rendre la délimitation opposable. Si quelqu'un est surpris à faire de la pêche clandestine au large de Crozet, la délimitation notifiée, et donc opposable, nous permet d'intervenir.

Mme Catherine Tasca

Les contestations sont-elles nombreuses ?

M. Michel Aymeric

Elles ne sont pas rares. Les cas où l'on prend un bateau en flagrant délit ne sont pas extrêmement nombreux. C'est aussi le jeu du « pas vu, pas pris ». Il y a de la pêche illégale qui n'est pas repérée.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Votre intervention, synthétique, nous a éclairés sur un certain nombre de points. La ZEE française représente 11 000 000 millions de km 2 . Sur quelles bases ce chiffre a-t-il été déterminé ?

Nous avons reçu, dans le cadre de la commission des affaires étrangères et de la défense, le chef de l'État-major de la marine qui considère que, pour être efficace en termes de sécurisation et de protection, le contrôle supposerait l'utilisation de la totalité des moyens militaires français. Si vous confirmez cette analyse, sur quelles zones faut-il focaliser les moyens ?

La myriade d'intervenants comporte le risque d'une présence excessive ou insuffisante selon les zones. Une politique intégrée est nécessaire pour optimiser nos faibles ressources, financières et humaines.

M. Michel Aymeric

Il faut distinguer le travail de délimitation physique - les cartes marines existent - du travail juridique en amont de la procédure qui n'a pas été fait ou doit être précisé.

En ce qui concerne les moyens, il y a le souhaitable et le possible. Nous essayons de faire en sorte que ce qui est souhaitable soit possible. S'il a des défauts, le système français offre les avantages de la mutualisation. La même frégate peut se livrer au contrôle des pêches, participer à la lutte contre la pollution, mener des actions guerrières ou porter secours à un chalutier ou aux populations.

La redondance des moyens doit être relativisée car la coordination est organisée. En métropole, nous avons des préfets maritimes. Chacun d'entre eux est responsable d'une zone précise : celui de Cherbourg couvre une zone qui s'étend de la frontière belge au Mont-Saint-Michel ; celui de Brest couvre une zone du Mont-Saint-Michel à la frontière espagnole ; celui de Toulon contrôle de la frontière espagnole à la frontière italienne. Il y a un patron de tout l'opérationnel par zone. En outre-mer, le préfet est également « préfet, délégué du Gouvernement pour l'action en mer ». Il coordonne l'ensemble des moyens nautiques et aériens. L'ensemble est coordonné au niveau central par le Secrétaire général de la mer.

M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur

J'ai deux questions. L'une est dans le prolongement de la question de mon collègue : pourriez-vous nous préciser sur quelles bases vous décidez de mettre l'accent sur telle ou telle zone ? Quelles sont vos priorités : l'Atlantique, le Pacifique ?

Un rapport constatait en 2006 que les territoires d'outre-mer étaient peu tournés vers la mer alors que nous avons des taux de chômage relativement élevés. Les choses ont-elles évolué depuis ce rapport ? Quelles sont les politiques qui permettraient à nos territoires de profiter de leurs atouts ?

M. Michel Aymeric

Nous travaillons à partir des rapports des préfets et des préfets maritimes. Tous les deux ans, se tient une conférence maritime régionale. À cette occasion, nous examinons les sujets sur lesquels nous devons porter plus particulièrement notre attention. Pour la Guyane, la priorité est l'organisation de la filière pêche et la lutte contre la pêche clandestine. Le deuxième sujet important concerne les recherches pétrolières. Le troisième sujet concerne la réforme du port. Pour Mayotte, notre principal sujet de préoccupation concerne l'immigration clandestine. Il nous faut analyser, zone par zone, les besoins spécifiques.

En ce qui concerne l'emploi, vous avez raison, les populations sont souvent d'origine rurale, agricole, même si cela est moins vrai en Polynésie. À La Réunion ou en Guyane la population n'est pas systématiquement tournée vers la mer. Il faut donc faire de la formation, développer l'aquaculture. Il faut structurer la filière pêche, qu'elle soit artisanale ou de plaisance. Il y a un projet de port de plaisance écologique à la Martinique. Il y a également des projets de valorisation à La Réunion. Chaque collectivité, chaque département, par le biais des conférences maritimes régionales et des Assises de la mer et du littoral, peut regarder quelles sont ses forces et ses faiblesses, voir où porter ses efforts. Effectivement, il y a un gisement d'emplois, de développement économique qu'il faut développer. En Martinique, il y a une école maritime où l'on apprend la pêche. À La Réunion, il faut développer la pêche dans les mers australes, l'aquaculture et, éventuellement, à l'avenir, la recherche pétrolière ou dans les grands fonds.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

Ma première question porte sur l'évaluation de la ressource et notamment en termes de financement de la recherche. Y-a-t-il du nouveau depuis le précédent CIMER ?

Ma deuxième question est en relation avec le rapport du Sénat de juillet 2012 sur la maritimisation des espaces maritimes. La dimension politique du lien entre la métropole et les outre-mer y était évoquée. Deux des trois collectivités d'outre-mer dans le Pacifique disposent de ministères locaux chargés de la mer et des ressources maritimes. Il y a des superpositions de politiques maritimes et des risques de contradictions. Comment cela s'articule-t-il avec votre dispositif ?

J'ai participé à la conférence maritime régionale de 2010 et, depuis, je n'ai pas eu de nouvelles. C'est un sujet d'autant plus sensible lorsque les territoires, comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, figurent sur la liste des territoires non autonomes des Nations-Unies.

M. Michel Aymeric

Les nouveautés du dernier CIMER s'insèrent dans le projet de loi sur les espaces maritimes, les mesures d'autorisation et de régulation des ZEE dont il faudra vérifier qu'elles s'appliquent dans les collectivités d'outre-mer, les projets de décret sur la recherche scientifique marine. Tout ceci constitue un bloc de préparation et de sécurisation juridique des espaces.

Les crédits alloués à la recherche sont ouverts au cas par cas, programme par programme. Quelques millions d'euros seront versés à l'IFREMER dans le cadre de la convention sur la ride médio-Atlantique. Demain, comme je vous l'ai indiqué précédemment, je rencontrerai le secteur privé pour Wallis. Chaque plan de financement est un peu compliqué à boucler. Cependant, le rapport de Mme Anne Lauvergeon sur les grands projets d'innovation fait figurer la recherche dans les grands fonds au nombre des dix premières priorités.

Je n'ai pas été saisi et je n'ai pas mandat pour m'exprimer sur le sujet de la souveraineté des pays par rapport à l'État. C'est une question qui doit être traitée au niveau politique. Cette question se posera également pour les grands fonds.

M. Robert Laufoaulu

Je remercie le ministère de la mer et le Secrétaire général de la mer pour l'organisation des Assises de la mer. Wallis-et-Futuna a pu se démarquer de la Nouvelle-Calédonie et faire remonter ses propres préoccupations et analyses. Il a été tenu compte de notre travail, de nos réflexions. Cette considération pour le travail de notre collectivité est une avancée assez importante pour nous.

Les conférences maritimes de Nouvelle-Calédonie ne s'intéressent pas beaucoup aux préoccupations de Wallis-et-Futuna. J'en ai parlé ce matin encore à M. Frédéric Cuvillier. Il faudrait trouver une solution qui permette de mieux les prendre en compte.

Pensant que nous étions les seuls à avoir des problèmes de délimitation des zones économiques, j'envisageais de poser une question à ce sujet. Le tableau que vous nous avez présenté montre que de nombreuses zones restent à définir et à notifier. Sur les cinq États qui entourent Wallis-et-Futuna, il y en a deux avec lesquels nous n'avons pas encore défini de limites propres. Quelles sont les raisons de ce retard ?

Concernant l'extension du plateau continental, nous sommes en retard dans les démarches vis-à-vis des Nations unies. Les difficultés diplomatiques pour les négociations concernant l'hexagone sont-elles les mêmes que dans le Pacifique, par exemple pour Wallis avec les Îles Tokelau ou Tuvalu ?

M. Michel Aymeric

Sur Wallis-et-Futuna, le décret portant ligne de base vient d'être publié. C'est le décret n° 2013-1176 du 17 décembre 2013. Il est en cours de notification. La première partie du travail est faite.

C'est le ministère des affaires étrangères qui est compétent lorsque des difficultés diplomatiques surgissent en matière de délimitation des ZEE.

Sur le plateau continental, je vous confirme que la demande de Wallis-et-Futuna est en instance devant la Commission des limites du plateau continental (CLPC). Mais il y a un énorme retard. Le dernier dossier définitivement traité a été déposé le 4 mai 2009. Tous les dépôts postérieurs à cette date n'ont pas été traités. Pour un dossier déposé aujourd'hui, il faut attendre au moins cinq ou six ans, et encore s'il n'y a pas de difficultés...

M. Charles Revet

Je vous prie d'excuser mon retard, en raison de l'audition M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, par la commission à laquelle j'appartiens.

La France dispose, presque à l'équivalent des États-Unis et pour l'essentiel en outre-mer, de la zone économique exclusive la plus importante du monde. A-t-on les moyens d'assurer sa sécurité et de préserver nos intérêts ?

Je suis un élu de Seine-Maritime. Il y a cinquante ans, de nombreux chalutiers partaient vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans le passé, n'a-t-on pas été trop laxistes avec le Canada lors des négociations sur le partage des zones ?

Par ailleurs, l'aquaculture est un secteur d'avenir, et particulièrement pour l'outre-mer. Or, on a fait de plus en plus de classements de sites. Cela ne risque-t-il pas d'entraîner des retards dans l'implantation des zones aquacoles ?

M. Michel Aymeric

Nous disposons d'un format global des moyens d'action de l'État en mer. Nous avons quelques difficultés de financement mais un programme de renouvellement des moyens est en cours qui permettra notamment l'acquisition de trois B2M. Nous favorisons la mutualisation des moyens et l'optimisation de leur utilisation.

Les limites de la ZEE au niveau de Saint-Pierre-et-Miquelon sont fixées. La demande actuelle porte sur l'extension du plateau continental, sachant qu'il semble qu'il y ait du pétrole dans ces zones. Cette demande doit être faite au niveau de la CLPC. Le Président de la République a confirmé à votre collègue Karine Claireaux et à la députée Annick Girardin qu'une demande serait faite en 2014. Le Canada a également déposé une demande. Nous savons que lorsque deux demandeurs ne sont pas d'accord, la procédure peut être longue.

En ce qui concerne l'aquaculture, cette question n'étant pas de mon ressort, je vous invite à prendre contact avec le ministère de l'agriculture.

M. Serge Larcher , président

Mes chers collègues, il ne nous reste plus qu'à remercier monsieur le Secrétaire général de la mer pour son excellente contribution. Peut-être serons-nous amenés à nous revoir. L'outre-mer est un vaste domaine, complexe, et nous voyons à travers la problématique des ZEE que l'enjeu est extraordinaire et les outre-mer un atout pour notre pays. C'est la raison qui nous a amenés à conduire cette étude.

Audition de M. Gérard Grignon, Président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental

M. Serge Larcher , président

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et auteur d'un excellent rapport publié en octobre 2013 sur l'extension du plateau continental. Monsieur le président, vous êtes originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon et, précisément, nous évoquions avec le Secrétaire général de la mer les perspectives d'extension du plateau continental de ce territoire et les risques de contestation par le Canada.

M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental

La Délégation à l'outre-mer du Sénat travaille actuellement sur le thème des zones économiques exclusives (ZEE), sujet majeur car, vous le savez, le chiffre d'affaires des activités maritimes s'élève à 1 500 milliards d'euros, ce qui en fait le deuxième secteur économique mondial après l'agroalimentaire. Or, la mer c'est l'outre-mer ! C'est en effet par ses territoires ultramarins que la France occupe le deuxième espace maritime au monde. On a pris l'habitude de reprocher à l'outre-mer d'être complètement dépendant de l'hexagone, alors qu'il peut apporter beaucoup, notamment grâce sa ZEE prolongée par les extensions de son plateau continental prévues par l'article 76 de la convention de Montego Bay.

Le rapport et l'avis du CESE traitent exclusivement de l'espace constitué par le sol et le sous-sol marin au-delà des 200 milles de la ZEE, et dont la colonne d'eau surjacente est située dans la Zone, espace maritime géré par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) au bénéfice de la communauté internationale. Ce plateau continental étendu peut aller jusqu'à 350 milles des côtes.

Grâce aux territoires ultramarins, présents sur quatre océans, la France a la possibilité d'acquérir des droits souverains sur les ressources du sol et du sous-sol marins de près de deux millions de km 2 supplémentaires, soit quatre fois la superficie du territoire national, outre-mer compris, venant s'ajouter aux 11 millions de km 2 de la ZEE.

La convention de Montego Bay de 1982, qualifiée de véritable constitution des océans ratifiée par 165 États - dont l'Union européenne - dispose en effet en son article 76 que les pays côtiers peuvent étendre leur juridiction sur le plateau continental plus loin que les 200 milles lorsque le rebord externe de leur marge continentale s'étend au-delà. Les demandes d'extension sont étudiées par la commission des limites du plateau continental (CLPC), instance scientifique composée de 21 spécialistes de géophysique, d'hydrographie et de géologie, élus par les États parties à la convention. Il revient à l'État côtier d'apporter les preuves scientifiques justifiant des limites extérieures de son plateau continental étendu. La CLPC est opérationnelle depuis 2000 ; les dossiers qu'elle examine ne sont pas politiques mais uniquement scientifiques. Les pays côtiers disposaient de dix ans après la date de ratification de la convention de Montego Bay pour déposer leur demande d'extension.

L'Australie, qui possède la troisième superficie maritime au monde, a déjà déposé toutes ses demandes et obtenu de la CLPC des recommandations favorables à une augmentation de son plateau continental de 2 500 000 km². Les estimations du Service hydrographique et de la marine (SHOM) et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) portent à 2 millions de km 2 supplémentaires les extensions possibles pour la France dans le cadre de l'article 76 de la convention dont 97 % grâce aux territoires ultramarins. L'extension du plateau continental de l'hexagone se limite en effet au golfe de Gascogne, soit 80 000 km² que nous avons obtenus lors du dépôt d'un dossier commun avec le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande, mais qui ne sont pas encore répartis.

Les enjeux de l'extension du plateau continental au-delà des 200 milles marins sont importants puisqu'ils portent sur :

- l'affirmation de la juridiction française sur l'espace du plateau continental et de ses droits souverains sur ses ressources naturelles ;

- la connaissance et la préservation de ses ressources et de l'environnement marin dans le cadre d'un développement durable ;

- la mise en valeur de l'espace du plateau continental étendu et des ressources qu'il renferme au bénéfice des collectivités ultramarines et des populations ;

- et sur le renforcement du rôle géostratégique de notre pays et de l'Union européenne dans le monde.

La France a ratifié la convention de Montego Bay en 1996 ; elle avait donc jusqu'en 2006 pour déposer tous ses dossiers, cette échéance ayant été reportée à mai 2009 par la CLPC. Pour ce faire, notre pays a mis en place le programme dit d'extension raisonnée du plateau continental (EXTRAPLAC).

Quel est le bilan du programme dix ans après son lancement ? Cinq demandes (relatives au Golfe de Gascogne, à la Guyane, à la Nouvelle-Calédonie pour une partie seulement, aux Antilles, et à Kerguelen) ont été déposées et ont fait l'objet de recommandations de la CLPC. Quatre demandes (concernant l'Archipel de Crozet, La Réunion, les îles Saint-Paul et Amsterdam ainsi que Wallis-et-Futuna) sont en attente d'examen devant la commission, celle de Wallis-et-Futuna n'ayant été déposée qu'en décembre 2012. Les demandes portant sur Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie sont à déposer à la suite des informations préliminaires adressées à la CLPC en mai 2009. Une information préliminaire sur Clipperton a été déposée puis retirée deux jours après et le dossier de Terre Adélie fait l'objet de réserves de droits de dépôt pour l'avenir. Enfin, six dossiers n'ont pas été déposés : ils concernent Saint-Barthélemy, Saint-Martin, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India, Europa et Mayotte.

Au final, la souveraineté sur les ressources naturelles de 600 000 km² supplémentaires environ a été à ce jour obtenue. Les auditions que nous avons menées nous ont conduits à dresser un bilan mitigé d'EXTRAPLAC. Le CESE estime ainsi que le budget du programme était insuffisant pour atteindre les objectifs fixés par les Comités interministériels à la mer (CIMER) successifs, ces derniers ne s'étant pas réunis une seule fois entre 2003 et 2009, période de l'exécution du programme...

L'objectif initial était de déposer l'ensemble des dossiers avant le 13 mai 2009, de disposer d'une connaissance des ressources (hydrocarbures, sulfures hydrothermaux, encroûtements cobaltifères, terres rares etc.) du sol et du sous-sol marins du plateau continental étendu, de coordonner les actions des différents ministères concernés et de publier les limites extérieures du plateau continental étendu dans le cadre des recommandations de la CLPC. Or, aucune de ces limites n'a été publiée à ce jour. À quoi bon obtenir des droits souverains sur 600 000 km 2 supplémentaires ou sur 2 millions de km 2 demain si nous n'en faisons rien ?

Pour atteindre les objectifs fixés par les différents CIMER et permettre à la France de mettre en oeuvre une véritable politique maritime, le CESE préconise, d'une part, de finaliser le programme EXTRAPLAC et, d'autre part, d'adopter une attitude exemplaire de la France face à ce nouvel espace maritime.

La finalisation du programme EXTRAPLAC suppose :

- que son financement soit assuré. L'enveloppe globale d'une vingtaine de millions d'euros engagée par la France nous est apparue faible comparée aux 100 millions d'euros engagés par le Canada et aux 40 millions d'euros du Danemark ;

- de déposer auprès de la CLPC les demandes relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon et à la Polynésie Française, cette dernière représentant la moitié de l'extension de plateau continental susceptible d'être demandée. Je ne reviendrai pas sur Clipperton où la souveraineté française et contestée par le Mexique, ni sur la contestation des îles Matthew et Hunter par le Vanuatu qui a conduit à déposer le dossier relatif à la Nouvelle-Calédonie en deux parties ;

- de publier, au fur et à mesure et dans les meilleurs délais, les limites sur la base de recommandations émises par la CLPC afin de les rendre opposables aux pays tiers. Cela permet par exemple de sécuriser les compagnies pétrolières au large de la Guyane, région pour laquelle nous avons obtenu une recommandation de la CLPC en 2009 et où rien n'a encore été publié... La publication des limites n'a pas été budgétée alors que pour la plupart des régions elle nécessite la conclusion ou la finalisation d'accords de délimitation avec les pays voisins ;

- de conforter les moyens budgétaires et humains de la CLPC - sujet évoqué lors du CIMER de 2013. Notre délégation estime inconcevable qu'un pays doive attendre quinze ou vingt ans avant de voir son dossier examiné, comme ce sera le cas des dernières demandes déposées par la France. N'avoir pas été en mesure de déposer nos dossiers avant mai 2009 a fait prendre à la France un retard considérable pour les dossiers qui ont fait l'objet de demandes préliminaires. Par exemple, si le dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon était déposé, il ne serait pas étudié avant 2030 compte tenu du rythme de travail de la CLPC. Quant au dossier polynésien, je doute qu'il soit déposé en 2014 comme cela était prévu car aucune étude n'est faite pour prolonger celles menées aux Marquises ; il ne le sera peut-être qu'en 2015. Or, le Canada qui vient de déposer son dossier est déjà en soixante-dixième position sur la liste des demandes adressées à la commission et cette dernière n'examine actuellement - me semble-t-il - que les dossiers du dix-huitième au vingt-et-unième pays demandeurs... Le dossier canadien ne sera donc pas traité avant 2026.

Au-delà de la finalisation du programme EXTRAPLAC, le CESE a formulé des préconisations relatives à la politique maritime de la France qui intéressent aussi la gestion de la zone économique exclusive.

Nous recommandons d'engager un programme national, pluridisciplinaire et ambitieux portant sur la connaissance, l'identification et la quantification des ressources du sol et du sous-sol du plateau continental étendu. En effet presque rien n'a été fait sauf aux Marquises très récemment, à Wallis-et-Futuna et dans le cadre du programme EXTRAPLAC auquel, du fait du manque de moyens, se sont associés des organismes comme TECHNIP ou l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles. Il n'y a pas eu de programme national d'identification des ressources du plateau continental étendu ni, a fortiori , de la zone économique exclusive.

Enfin, nous recommandons également de mettre en place, en lien avec le « programme mer », un programme de recherche scientifique marine avec pour objectif la connaissance des écosystèmes et des milieux marins car, en touchant au milieu marin, en particulier en eaux profondes, on risque d'occasionner des perturbations considérables. Il faut concilier connaissance des ressources et connaissance des écosystèmes et des habitats marins. Ces programmes ambitieux coûtent de l'argent et nous considérons que l'Union européenne et le secteur privé doivent y être associés.

Si la connaissance de la vie en milieu marin est un préalable incontournable aux activités d'exploration et d'exploitation des ressources, le devoir de notre pays est aussi d'être exemplaire dans l'encadrement juridique de ces dernières. C'est d'autant plus indispensable que notre code minier - dont la réforme est un véritable serpent de mer - est désuet ; il doit être adapté à la situation spécifique des espaces maritimes. Je rappelle qu'en 1993, mesdames et messieurs les parlementaires avez voté la fin de la fiscalité sur l'exploitation des hydrocarbures offshore . On a purement et simplement supprimé la ligne du code minier établissant cette fiscalité. Aussi, en qualité de député de Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité qui a la maîtrise de sa fiscalité, j'ai, lors de l'examen de la loi de finances pour 1997, fait adopter un amendement instituant une redevance sur les exploitations d'hydrocarbures au large des côtes dont le taux et l'assiette étaient fixés par le conseil général (par le conseil territorial aujourd'hui). Cette disposition est le seul cas d'espèce dans la République française, sous réserve de l'amendement voté à l'initiative de votre collègue M. Georges Patient, sénateur de la Guyane, prévoyant une redevance d'un maximum de 12 % sur la production d'hydrocarbures offshore . Mais quel en sera exactement le taux ? Qu'entend-on par production ? Cet amendement est-il toujours valable dans le cadre de la réforme du code minier proposé par M. Thierry Tuot ?

Ayant eu des entretiens avec différents responsables locaux, nous avons aussi constaté que, la plupart du temps, les élus des territoires ultramarins ont été tenus à l'écart du programme EXTRAPLAC. À Wallis-et-Futuna, ils n'avaient même pas été prévenus de la venue du bateau de l'IFREMER pourtant chargé de recherches d'une importance toute particulière. Lorsqu'ils ont voulu en savoir plus et visiter ce bateau, les services de l'État leur auraient même fait quelques difficultés. Nous recommandons donc que les exécutifs des différentes collectivités ultramarines soient étroitement et constamment impliqués dans les décisions et opérations qui touchent à la politique de la mer et que les acteurs de la société civile y soient associés.

De la même façon, il conviendra de prendre les dispositions permettant à nos territoires ultramarins d'accéder à des ressources nouvelles et à la création des activités économiques susceptibles de compenser leurs handicaps structurels. En tant que de besoin, des dispositions législatives et réglementaires relatives aux compétences des collectivités ultramarines devront être adaptées en ce sens et effectivement appliquées.

Les travaux que vous menez sont complémentaires des nôtres. Il faut que tout cela débouche sur une sensibilisation réelle des grands élus et des responsables nationaux quant à la nécessité de mener une politique digne du pays qui dispose du deuxième espace maritime du monde.

Considérant la nécessité d'une approche écosystémique, concertée et collaborative des questions maritimes, leur forte dimension interministérielle et l'éclatement des crédits budgétaires qui leur sont consacrés, nous préconisons que la politique de la mer soit pilotée par un haut-commissaire ayant rang de ministre placé sous l'autorité directe du Premier ministre et s'appuyant sur une administration étoffée dirigée par le secrétaire général à la mer.

Voici résumé l'essentiel du rapport du CESE dont vous avez tous été destinataires.

M. Serge Larcher , président

Merci pour cette présentation. Vous établissez un lien entre la suppression en 1993 de la ligne consacrée à la fiscalité de l'exploitation de pétrole offshore et le rapport de M. Thierry Tuot sur la réforme du code minier. Or, ce type de dispositions ne relèvent-elles pas de la loi de finances plutôt que du code minier ?

M. Gérard Grignon

Mon amendement de 1997 relatif à Saint-Pierre-et-Miquelon a été adopté en loi de finances et s'est traduit par une modification du code minier. De même, pour 1993, reprenez les débats parlementaires : c'est bien lors de l'examen de la loi de finances que la ligne du code minier sur la fiscalité des exploitations d'hydrocarbures a été supprimée par un amendement déposé à l'Assemblée nationale par M. Philippe Auberger, rapporteur général du budget.

M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur

Le rapport sur la réforme du code minier préconise une répartition de la fiscalité à raison de 70 % pour les collectivités et 30 % pour l'État.

Quant au rapport du CESE, il propose des transferts de compétences. Or, la loi d'orientation pour l'outre-mer avait déjà prévu - par exemple pour la Guyane - que les permis soient délivrés par le conseil régional, mais les décrets d'application n'ont pas été pris. Par quels moyens législatifs ou réglementaires pensez-vous que des avancées pourront être faites sur ces sujets ?

M. Gérard Grignon

Cette question sort un peu de notre travail. Il faut distinguer les territoires comme la Nouvelle-Calédonie qui est à même de délivrer les permis et qui élabore son propre code minier - il en est un peu de même en Polynésie - et les collectivités pour lesquelles la compétence de délivrance des permis a été transférée sans que les décrets soient pris. C'est par exemple le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais au-delà de la compétence juridique, il faut disposer de la capacité effective d'attribuer les permis, ce qui nécessite de disposer des personnels administratifs et juridiques adaptés en nombre et en compétences. À Saint-Pierre-et-Miquelon, une société pétrolière a demandé un permis il y a quatre ou cinq ans et aucune décision n'a encore pu être prise. Il n'est tout de même pas normal que l'on paralyse la vie économique d'un pays parce qu'un décret n'est pas pris ou faute de concertation entre l'État et la collectivité ! Le dossier est entre les mains des ministères de l'industrie et de l'écologie. Certes on a pu dire qu'il n'y avait pas de pétrole à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais on sait aujourd'hui qu'il y en a. Comme en Guyane toutefois, il ne suffit pas d'un seul forage pour le localiser.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

Nous savons que le CESE a la possibilité d'émettre des avis relativement libres. Vos travaux nous confirment que, bien que la France dispose de la seconde superficie maritime mondiale, sa politique maritime n'est - pour reprendre les termes de votre rapport - « pas suffisamment ambitieuse ». C'est paradoxal...

M. Gérard Grignon

Absolument.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

De plus, la situation est assez disparate en termes de gouvernance de l'outre-mer puisque l'on opère un traitement au cas par cas. Pour certains territoires, il y a même un relâchement du lien ; par les compétences transférées, on demande par exemple à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie de mener leurs propres politiques maritimes locales.

Quel regard portez-vous sur la gouvernance actuelle des ZEE ? Au-delà des préconisations de l'avis, avez-vous un sentiment plus tranché sur la question ?

M. Gérard Grignon

Oui, nous avons un regard un peu plus tranché. Comme vous le savez, le CESE est la troisième assemblée constitutionnelle française rendant des avis sur saisine du Gouvernement et, désormais, du Parlement. Nous ne sommes toutefois pas si libres car autour de la table, toutes les tendances de la société française sont représentées : entreprises, associations ou syndicats, du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) à la CGT. Et puis, les membres du CESE sont très présents. Ce rapport a été voté à l'unanimité, ce qui assez rare. Il y avait 180 conseillers, les 180 l'ont voté et, avant d'arriver en séance plénière, il a été adopté en délégation de l'outre-mer par des membres appartenant à des familles de pensées très différentes. Si ce rapport et l'avis ont fait consensus, ils sont néanmoins objectifs. Le but n'est pas de faire plaisir ; nous faisons un constat de la politique française.

Nous ne sommes pas beaucoup aidés dans notre tâche mais cela dépend aussi du rapporteur et de ceux qui l'entourent. Par exemple, lorsque le Canada a déposé le 6 décembre 2013, exactement comme écrit dans notre rapport adopté en délégation au mois d'avril, une demande d'extension chevauchant totalement le plateau continental étendu que la France doit revendiquer, j'ai écrit au ministre de l'outre-mer pour l'interroger sur l'attitude du gouvernement français. Il m'a rappelé les engagements du Président de la République à déposer le dossier français, pris devant les deux parlementaires de l'archipel à l'Élysée et par un communiqué. Puis, c'est M. Jean-Marc Ayrault qui m'a répondu en me disant que le dossier serait déposé. On les tenaille ; c'est une question de suivi. De même, j'ai interrogé le ministre des outre-mer sur le degré d'avancement du dossier polynésien dont le dépôt était prévu pour début 2014. Cela supposait d'étudier huit zones intéressantes et, à notre connaissance, l'IFREMER n'a pas encore eu l'instruction pour finaliser le dossier de telle façon qu'il soit déposé dans les délais. Nous suivons aussi au plus près ce qui se passe pour Clipperton. C'est notre travail...

Le rapport Lauvergeon sur l'innovation intitulé « Un principe et sept ambitions » préconise d'investir dans la connaissance des ressources du sol et du sous-sol marins car, outre du pétrole et du gaz, on y trouve des sulfures hydrothermaux ou des terres rares. Or, il n'y a pas de développement industriel possible à long terme sans sécurisation de nos approvisionnements en terres rares, matières qui entrent notamment dans la composition des smartphones, des écrans plats ou des circuits intégrés. Dans des secteurs comme la chimie, la pharmacie, l'automobile ou l'aéronautique, les emplois liés à l'utilisation de ces ressources étaient au nombre de 700 000 en 2010 et représentaient 23 % de la valeur ajoutée industrielle française. En 2030, ce chiffre devrait être de 33 % de la valeur industrielle française. Les amas cobaltifères de Polynésie et les sulfures hydrothermaux autour de Clipperton - identifiés grâce aux études faites de l'îlot dans la zone internationale - sont des réservoirs de terres rares. On le sait, mais que fait-on ? Un autre rapport du commissariat général à la stratégie et à la prospective indique qu'en 2010 la Chine a réduit ses exportations de terres rares de 50 % et qu'en 2012, elle a représenté 80 % de leur production mondiale. Notre rôle est de tenailler le gouvernement jusqu'à obtenir une véritable politique maritime. Nous avons tout pour cela mais nous ne prenons pas les bonnes décisions. On se contente de faire des annonces. C'est vrai du CIMER de 2013 qui répète imparfaitement ce qui avait déjà été annoncé par le CIMER 2009, reprenant lui-même le CIMER 2003. Ce n'est pas le tout d'avoir des atouts, ce n'est pas le tout de faire des annonces politiques ; il faut mettre des moyens en face ! Nous tentons d'attirer l'attention là-dessus. Nous le faisons modestement mais c'est la pierre que nous tentons d'apporter.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Quels moyens humains et financiers faudrait-il déployer pour mettre en oeuvre la politique ambitieuse que vous appelez de vos voeux ? Parmi vos quatre ordres de préconisations, vous n'évoquez pas les moyens de sécurisation de l'espace maritime nouveau alors qu'il semble qu'ils sont déjà insuffisants à l'intérieur des 200 milles marins.

M. Gérard Grignon

La présence de l'État en mer est bien entendu fondamentale. Il a été décidé dernièrement de faire construire par les chantiers Piriou deux ou trois bateaux offrant la possibilité d'y accrocher éventuellement de petits canons pour suppléer les bâtiments actuellement utilisés pour la surveillance de notre espace maritime. Le vieillissement des bateaux actuels est source d'inquiétudes exprimées récemment par l'amiral Rogel. Pendant que nous faisons l'annonce de ces deux bateaux, qui n'est qu'une reprise de la loi de programmation militaire 2009-2014 - non exécutée sans doute faute de moyens - le Canada a signé le 19 octobre 2011 un contrat de 25 milliards de dollars avec un chantier à Halifax pour la construction de 21 navires de combat représentant 11 500 emplois directs et indirects sur trente ans. Voilà ce qu'est une politique maritime ! S'agissant de la présence de l'État en mer, vous trouverez nombre de déclarations allant de l'ancien secrétaire général de la mer au discours du Havre de M. Nicolas Sarkozy etc. Ma seule réponse, c'est qu'il faut mettre les moyens. Où les trouver ? C'est une autre paire de manches au vu des difficultés actuelles. Mais au moins peut-on programmer les choses et commencer à les réaliser.

L'exemple du Canada n'est pas le seul. La présence en mer du Canada résulte d'une véritable décision tandis que nous, nous ne faisons que rattraper, très modestement, la loi de programmation militaire avec la commande de trois bateaux, petits, dont le chef d'état-major de la marine dit qu'ils seront nettement insuffisants et qu'ils ne seront pas opérationnels avant la période 2016-2024. Pardonnez-moi, je suis un peu critique mais je pense qu'il faut l'être. Nous sommes aussi là pour ça.

M. Serge Larcher , président

Le manque d'intérêt de l'État pour la régularisation de toutes les extensions ne vient-il pas de l'absence de maîtrise de l'exploitation des ressources en eaux profondes ?

M. Gérard Grignon

Il y a bien sûr le poids des environnementalistes mais la France dispose d'organismes comme l'IFREMER ou Technip, société de fabrication de construction d'engins spécialisés dans l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins qui est reconnue mondialement pour sa compétence et sa technicité. Nous avons les moyens techniques et scientifiques. Reste à disposer des moyens politiques, mais c'est une autre affaire.

M. Serge Larcher , président

Je ne parlais même pas de problèmes d'argent mais simplement du fait que l'humanité ne maîtrise pas les technologies nécessaires à l'exploitation du minerai en eau très profonde. D'après les personnes que nous avions entendues, les difficultés existent même pour l'extraction de pétrole une fois passées certaines profondeurs.

M. Gérard Grignon

Connaissance des ressources et connaissance des écosystèmes et du milieu marin vont de pair. Le fait de disposer du deuxième espace maritime au monde et de pouvoir étendre sa souveraineté sur 2 millions de km² supplémentaires confère des devoirs à notre pays. C'est la raison pour laquelle j'en appelle à la volonté politique et à la mobilisation de moyens considérables, exigeant au minimum l'engagement de l'Union européenne et du secteur privé. L'État ne peut pas tout faire seul, surtout dans le contexte actuel.

M. Serge Larcher , président

Certes mais aucun pays, pas même les États-Unis, n'est parvenu à opérer en eau très profonde, ne serait-ce que pour des problèmes physiques de pression. D'où la nécessité de continuer les recherches et de cartographier les fonds marins pour savoir où se trouvent les ressources et en quelles quantités.

M. Gérard Grignon

J'attire votre attention sur l'expérience actuellement menée par Technip avec Nautilus. De même, je vous signale que la Chine a regroupé, à une centaine de kilomètres de Pékin, tous les moyens humains, techniques et scientifiques oeuvrant dans le domaine de l'exploration et de l'exploitation des ressources en eau profonde. Ils ont mis au point un sous-marin qui est pratiquement descendu au même niveau que le Nautilus. Ils avancent vite... Si nous ne nous en préoccupons pas, c'est la Chine, le Japon, la Corée, les États-Unis ou le Canada qui prendront la tête du mouvement car l'exploration des océans en eau profonde a commencé. Ne perdons pas de vue que 84 % des terres rares et 90 % des hydrocarbures sont situés sur le sol et dans le sous-sol marins.

M. Serge Larcher , président

Bien sûr, tout a un prix et lorsque l'homme aura épuisé les ressources qu'il s'est contenté de ramasser à fleur de sol, il faudra aller les chercher plus loin. Nous avons beaucoup regardé vers l'espace, ce qui nous a détournés de la conquête des océans. Aujourd'hui on se rend compte que c'est là que réside notre avenir. C'est la raison pour laquelle notre délégation a souhaité travailler sur ces questions qui mettent en lumière les atouts considérables dont dispose la Nation grâce à l'outre-mer. Le manque d'empressement à agir tient probablement aux limites financières et aux défis technologiques auxquels nous sommes encore confrontés. Mais en tous cas, une chose est sûre : il faut mener dès aujourd'hui les recherches destinées à trouver les procédés qui nous permettront d'exploiter les richesses que renferment le plancher et le sous-sol des océans.

M. Gérard Grignon

Oui, cela participe d'une politique maritime.

M. Charles Revet

Pour quelles raisons doit-on attendre 2030 pour obtenir les autorisations d'extension du plateau continental ? Quel type de commission décide ? Comment est-elle composée ?

J'avais participé à une conférence internationale pour le droit de la mer dans les années 80 où j'avais découvert l'existence des nodules polymétalliques. J'avais gardé en mémoire que l'on n'avait pas le droit de les exploiter. Est-ce toujours le cas ?

M. Gérard Grignon

L'exploitation des nodules est juridiquement possible bien que des questions techniques demeurent. Ils sont situés à une profondeur de 4 000 mètres, mais des autorisations d'exploiter peuvent être délivrées. Il s'agit en général de régions situées au-delà du plateau continental étendu, dans la Zone, administrée par l'AIFM. C'est donc cette dernière qui délivre les permis. À cette fin, elle a déjà rédigé une réglementation, une forme de code minier traitant de l'exploration et l'exploitation des nodules polymétalliques et des sulfures hydrothermaux, et elle a pratiquement terminé la réglementation relative aux amas cobaltifères. L'AIFM incite fortement les pays côtiers membres de la convention de Montego Bay à s'inspirer de son code minier lorsqu'ils rédigent ou modifient les leurs. Sur ce point, j'estime qu'un code minier national doit tenir compte de la situation spécifique du plateau continental étendu. Le plateau continental étendu - c'est-à-dire le sol et le sous-sol marin - est situé en haute mer (hors de la ZEE nationale) soumise au principe de la liberté de navigation ou de la pêche. Or, si vous accordez des permis d'exploration et d'exploitation sur le plateau continental étendu vous prenez le risques d'occasionner des nuisances dans les eaux internationales. Le code minier qui s'appliquera au plateau continental étendu doit prendre en compte ce paramètre ; il ne devrait pas se contenter de reproduite les règles applicables dans la ZEE.

Quant aux dossiers d'extension du plateau continental, ils sont examinés par la Commission des limites du plateau continental (CLPC), instance dépendant de l'ONU qui se réunit deux fois par an. Lorsque la CLPC a été créée, on pensait qu'une trentaine de pays allaient demander l'extension de leur plateau continental. Or, comme je vous l'ai dit : le Canada est en soixante-dixième position sur la liste d'attente et j'estime que des demandes pourraient être adressées par une centaine d'États environ. Compte tenu du rythme de réunion et du nombre de membres de la CLPC, ils ne peuvent pas aller plus vite. Les dossiers reçus sont des dossiers scientifiques très détaillés pesant parfois plusieurs centaines de kilos, notamment des relevés sismiques ou bathymétriques, etc. Il faut analyser toutes les données. Il est difficile d'aller plus vite avec les moyens actuels.

Audition de M. Thierry Tuot, Conseiller d'État, Président du groupe de travail sur la réforme du code minier

M. Serge Larcher , président

Nous accueillons maintenant pour notre dernière audition M. Thierry Tuot, conseiller d'État, qui a présidé le groupe de travail préparatoire à la réforme du code minier.

M. Thierry Tuot, conseiller d'État, président du groupe de travail sur la réforme du code minier

La plupart des questions qui vous intéressent et qui concernent l'outre-mer n'ont pas été traitées par le groupe de travail et il reste un vide qu'il appartiendra à la représentation nationale de combler. Le gouvernement précédent a procédé à une recodification d'un code datant de 1810 et dont la cohérence avait été affectée par les stratifications successives. Le Conseil d'État a souligné sa non-conformité à la Charte de l'environnement et la nécessité d'une actualisation pour y intégrer le principe de la consultation du public.

Un groupe de travail dont la présidence m'a été confiée a alors été mis en place, sa mission ayant une portée technique mais aussi politique du fait de ses implications environnementales et sociales, l'acceptabilité du développement et de ses conséquences constituant une donnée centrale. Ce groupe de travail a réuni des parlementaires, notamment d'outre-mer, des élus locaux, des représentants des industriels, grandes fédérations minières et MEDEF, des représentants des syndicats de salariés et des associations environnementales. Un travail mené pendant trois mois à l'automne 2012 a permis de dégager des principes conduisant à une refonte du code minier excédant largement un simple toilettage technique. Sur cette base, le Gouvernement a arrêté des orientations conformes à nos préconisations et, de février 2013 à janvier 2014, date de la dernière réunion, nous avons écrit un nouveau code pour régir la recherche, la découverte, l'exploitation, le contrôle et la fermeture d'une exploitation, ou encore les principes fiscaux applicables. Nous avons laissé ouvert le dernier livre concernant l'outre-mer auquel la dernière réunion préparatoire de décembre 2012, tenue sous l'égide du ministre des outre-mer et réunissant des parlementaires de ces territoires, avait été consacrée. Le projet de code comprend un tronc commun de principes qui peuvent ensuite être déclinés par milieu, terrestre ou marin, continental ou insulaire, par matière telle que granulat, pétrole ou géothermie, ou encore par usage tel que stockage ou extraction. Concernant l'outre-mer, nous avons constaté l'applicabilité des principes ainsi dégagés tout en observant que les adaptations nécessaires comportaient une forte dimension politique en lien avec la solidarité nationale, soulevant des questions relatives à l'endossement de la responsabilité en cas de sinistre et au partage des richesses entre État et collectivité en cas de découverte de gisements exploitables. Nous avons considéré que ces questions ne ressortissaient pas à la compétence d'un simple groupe de travail. Notre recommandation a donc été de ne pas remettre en cause les aménagements déjà en vigueur tels que les compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, et de renvoyer à la décision de la représentation nationale les arbitrages à opérer sur les questions de responsabilité, de partage des richesses et de maîtrise du développement. À titre personnel, je considère que le volet ultramarin du code doit permettre la mise en place d'un modèle de développement autocentré.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Quel est selon vous le principal enjeu de ce code minier ?

M. Thierry Tuot

L'avenir économique et stratégique de notre pays se joue autour des richesses de notre sous-sol et, notamment, des ressources minérales et terres rares nécessaires au développement des nouvelles technologies, comme l'imagerie médicale. Des gisements dont l'exploitation ne serait pas rentable aujourd'hui peuvent éviter la pénurie demain. Ces richesses peuvent devenir vitales pour des pans entiers de nos économies. Il convient de noter que, contrairement à la Chine, nous n'avons jamais mené de recherches de terres rares. Nous ne disposons d'aucune évaluation fiable pour les potentiels ultramarins, le dernier inventaire concernant la seule métropole. En outre, toute évaluation des ressources est très coûteuse et le BRGM lui-même ne dispose pas des moyens d'analyser les carottages qu'il a pu effectuer. Une telle démarche, du fait notamment de son coût, suppose une véritable adhésion de la société ; or, la crise récente des gaz de schiste a plutôt révélé une défiance des populations. L'enjeu des procédures proposées par le nouveau code minier est de restaurer la confiance, de rendre possible l'exploitation des ressources nécessaires dans des conditions environnementales et sociales acceptables par l'émergence d'un consensus. Cela suppose une participation effective des populations à tous les stades de la procédure, une totale transparence passant par une information précoce des élus locaux, des mécanismes de co-décision et de suivi ainsi que l'affirmation préalable de la solidarité nationale en cas de sinistre. Cet équilibre doit faire l'objet d'ajustements outre-mer en fonction des contextes locaux et des choix de société ; cela passe par l'organisation de conférences régionales permettant de définir les conditions sociales et environnementales de l'acceptabilité de l'exploitation des richesses.

M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur

Votre analyse est séduisante pour les parlementaires d'outre-mer que nous sommes ; toutefois, se pose la question du calendrier de rédaction du livre 8 consacré aux outre-mer car aucun processus n'est engagé à ce jour et les procédures d'autorisation en Guyane sont suspendues. Le recours aux ordonnances pour ce volet ultramarin privera la représentation nationale d'un débat de portée nationale, la question par exemple de l'exploitation offshore d'hydrocarbures et de l'indépendance énergétique ne concernant pas le seul échelon local. L'enjeu est patrimonial et stratégique pour les territoires ultramarins, mais aussi pour la France. Au-delà des principes de répartition de la manne fiscale, sur la base de 70 % pour les collectivités et de 30 % pour l'État, quelques principes de gouvernance auraient pu être définis car les aspirations à la déconcentration du processus décisionnel paraissent partagées sur l'ensemble du territoire national.

M. Thierry Tuot

Sur les enjeux économiques, l'importance du code minier pour la métropole ne doit pas être sous-estimée ; il y a par exemple une forte dépendance aux stockages souterrains de gaz, spécificité française, qui sont régis par ce code. La transition énergétique et le recours aux granulats pour la construction constituent également un enjeu actuel majeur.

Concernant le calendrier d'examen du code, il est de la compétence du Gouvernement qui semble s'orienter vers une loi d'habilitation où figureraient tous les principes novateurs préconisés par le groupe de travail, permettant ainsi un débat parlementaire de fond sans pour autant procéder à l'examen technique de chacun des 450 articles. Les projets d'ordonnance seraient portés à la connaissance de la représentation nationale en vue de ce débat.

M. Charles Revet

L'exploitation des potentiels de ressources pose la question de leur connaissance concrète, de leur évaluation, nécessaire à la prise de décision par l'autorité politique eu égard à la sensibilité des populations à ces questions à l'heure actuelle.

M. Thierry Tuot

Le projet de code instaure précisément des principes structurants pour permettre le déroulement serein du processus de décision. Outre-mer, certaines situations paraissent aujourd'hui figées ; il appartient aux autorités politiques locales de définir des projets de développement auxquels s'adosserait le consensus. Dans certaines collectivités comme la Polynésie ou la Calédonie, des codes miniers locaux existent déjà.

M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur

Le 21 février prochain auront lieu à Kourou des états généraux de l'orpaillage avec la mise en place d'un opérateur public. L'absence de code minier constituera nécessairement une gêne.

M. Thierry Tuot

En cas de création d'un opérateur national guyanais monopolistique dont la gouvernance reviendrait à la collectivité, il conviendrait de lui transférer les pouvoirs d'autorisation détenus par l'État.

Il revient aux collectivités ultramarines de déterminer en premier lieu quelles richesses elles entendent exploiter avant de définir les conditions de leur exploitation en termes de débouchés économiques, de développement d'infrastructures, d'enjeux de politique régionale ou encore de sécurité. Les procédures administratives et l'adaptation du code minier doivent se caler sur les objectifs politiques et la stratégie de développement, et non l'inverse. La question de la fiscalité minière par exemple fera nécessairement l'objet d'un traitement différent de celui qui sera en vigueur dans l'hexagone où cette question sera réglée au niveau des intercommunalités.


* 1 Soit 370,4 kilomètres (1 mille marin étant égal à 1,852 mètre).

* 2 Dans le cas particulier où les États ont obtenu l'extension maximale de leur « plateau continental ».

* 3 Cf. annexe 1.

* 4 Et devant celle de l'Australie.

* 5 9,731 milliards selon l'étude biannuelle de l'Institut national d'études démographiques (INED) publiée le 2 octobre 2013.

* 6 Bien que l'essentiel des ZEE soient situées au-delà des eaux territoriales (12 milles des côtes) et de leur zone contiguë (24 milles), les États y exercent des droits souverains en matière d'exploitation et de gestion des ressources ainsi que d'organisation et de protection du milieu.

* 7 Rapport « Un principe et sept ambitions » de la commission Innovation 2030 présidée par Mme Anne Lauvergeon, remis au président de la République le 18 avril 2013.

* 8 Par le Premier ministre, le mardi 3 décembre lors des 9 e Assises de l'économie maritime et du littoral.

* 9 Cf. annexe 3.

* 10 Que ce soit dans le domaine énergétique et minier ou celui de l'exploitation des algues.

* 11 64 806 en 2012.

* 12 France-sur-mer, un Empire oublié, Philippe Folliot et Xavier Louy, Éditions du Rocher, 2009.

* 13 Ibid, p. 16.

* 14 Cf. annexe 3.

* 15 Bien qu'aucune ZEE stricto sensu ne soit revendiquée autour de la Terre Adélie, le territoire étant régi par le Traité de 1959 sur l'Antarctique.

* 16 Selon la politique dite du « pivot » initiée par le Président Obama.

* 17 Comme en témoigne son rôle d'arbitre lors des événements aux Comores en 2003 et en 2008, et à Madagascar depuis 2009 .

* 18 Notamment s'agissant de sa ZEE autour des Îles Éparses en raison de la présence potentielle de ressources pétrolières et gazières.

* 19 Dans leur rapport d'information Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans n° 674 (2011-2012) fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat et déposé le 17 juillet 2012.

* 20 Dont Mayotte, depuis le 1 er janvier 2014.

* 21 Cf. annexe 4.

* 22 Les RUP de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Saint-Martin et le PTOM de Saint-Barthélemy.

* 23 500 000 habitants répartis entre dix PTOM contre plus d'un million pour les collectivités françaises de la région.

* 24 Dans l'océan Indien, l'archipel britannique des Chagos est peuplé de 4 000 habitants et se limite pour l'essentiel à la base militaire sur Diego Garcia loué aux États-Unis jusqu'en 2016 ; l'archipel est en outre revendiqué par Maurice et les Seychelles. Quant aux îles Pitcairn, dernier territoire britannique du Pacifique, elles ne comptent qu'une cinquantaine d'habitants !

* 25 Ibid. Rapport d'information « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans ».

* 26 La ZEE qui entoure un territoire européen est ainsi ouverte de droit à la pêche à l'ensemble des européens alors que le droit d'exploration et d'exploitation des autres ressources ne relève que de cet État dans le cadre défini par la convention de Montego Bay.

* 27 http://ec.europa.eu/dgs/jrc/index.cfm?id=1410&obj_id=18230&dt_code=NWS&lang=en&ori=MOR.

* 28 Principalement utilisé pour fabriquer les aimants des génératrices éoliennes et des moteurs des véhicules hybrides et électriques et dont l'Europe devrait représenter 25 % des besoins mondiaux d'ici 2020-2030.

* 29 Article de la revue scientifique britannique Nature Géoscience du 4 juillet 2011 publié par l'équipe japonaise du professeur Yasuhiro Kato, de l'université de Tokyo et des chercheurs de l'agence japonaise des Sciences et des technologies marines et terrestres.

* 30 Rapport n° 616 du 27 juin 2012 de M. Serge Larcher sur la proposition de résolution européenne de MM. Maurice Antiste, Charles Revet et Serge Larcher visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

* 31 Interdiction des aides à la production de navires, de construction de dispositifs de concentration de poissons (DCP) ancrés collectifs et de subventions d'aides au fonctionnement.

* 32 La situation de la pêche dans les RUP est très différente de celle sur les côtes européennes. Par exemple seule une espèce ultramarine, la crevette guyanaise, relève des quotas instaurés par la PCP.

* 33 En mars 2012 il a ainsi déclaré que « dans le cadre des relations bilatérales qu'elle entretient avec des États tiers dans le domaine de la pêche et qui prévoient une contrepartie financière, l'Union doit (...) prendre en considération les intérêts des régions ultrapériphériques de l'Union situées dans le voisinage des États côtiers ».

* 34 Rapport op. cit. p. 26.

* 35 Depuis la loi organique n° 2013-1027 du 15 novembre 2013.

* 36 Dans le cas où cette extension possible jusqu'à 350 milles a été acceptée par une institution internationale dépendant de l'ONU : la commission du plateau continental. À la différence de ce qui prévaut pour la ZEE, les droits reconnus sur le plateau continental au-delà des 200 milles ne portent que sur le sous-sol et non sur les eaux sur jacentes.

* 37 Loin d'être entrés en phase industrielle, les instruments et les méthodes de découverte des fonds marins sont en effet largement encore expérimentaux ou à inventer.

* 38 Il a fallu attendre l'accord de 1994 relatif à l'application de la partie XI (dispositions fonds marins de la convention) pour que les attributions de l'autorité soient précisément définies.

* 39 À l'exception de la deuxième autorisation accordée à la France, dont le contrat est encore en attente de signature.

* 40 Un tel texte étant en préparation par la Chine, Nauru et Tonga.

* 41 Étude de législation comparée n° 234 - mars 2013 - Les ressources minérales marines profondes : nodules polymétalliques, encroûtements et sulfures hydrothermaux.

* 42 Même si un État comme le Guyana lui en a fait explicitement la demande.

* 43 Rapport d'information n°3880 sur la gestion durable des matières premières minérales rendu par MM. Christophe Bouillon et Michel Havard au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.

* 44 Comme en témoigne notamment le Grenelle de l'environnement ou l'insertion de la Charte de l'environnement dans le Préambule de la Constitution.

* 45 Cf. le rapport de l' US National Wildlife Federation d'avril 2013.

* 46 L'extension du plateau continental au-delà des 200 milles marins, une chance pour la France (avis n° 2013-22) du 24 octobre 2013.

* 47 Les ressources minérales en eaux profondes - Étude prospective à l'horizon 2020, MM. Yves Fouquet et Denis Lacroix, août 2012.

* 48 Demande conjointe de la France, de Tuvalu et de la Nouvelle-Zélande pour le compte de Tokelau.

* 49 Audition du 15 novembre 2012.

* 50 Livre bleu : Stratégie nationale pour la mer et les océans , Décembre 2009, p. 25.

* 51 Jadis, les deux continents ne faisaient qu'un et la structure géologique des deux sites est très comparable.

* 52 Décision n° 353589 du 17 juillet 2013 : le Conseil d'État a invalidé un décret du 2 juin 2006 qui soumettait à simple déclaration les forages destinés à la recherche de gisements d'hydrocarbures. Il a considéré que ces travaux présentaient des risques majeurs pour l'environnement, la santé publique ou la sécurité des travailleurs.

Pour le juge, le Gouvernement a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que ces travaux pouvaient être encadrés par le régime simplifié de la déclaration.

Il demande donc que ce décret soit modifié ou abrogé dans les 6 mois :

- si le décret est abrogé, tous les travaux de recherche y compris la sismique seront soumis au régime de l''autorisation ;

- s'il est modifié, la sismique pourrait très bien être considérée comme ne portant pas atteinte à l'environnement et donc rester soumise au régime de la déclaration.

Il faut noter que la soumission des travaux au régime de l'autorisation impose la réalisation d'une étude d'impact, d'une enquête publique, d'un passage en CODERST (conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques).

* 53 Déposée le 8 août 2012.

* 54 Lors de cette même audition de janvier 2013, M. Roméo évaluait par exemple entre 700 et 1 000 le nombre d'emplois directs, indirects ou induits créés par l'activité de Shell en Guyane.

* 55 Avec, pour ce département, une mise en place progressive entre 2001 et 2008 qui a contribué à améliorer substantiellement le pouvoir d'achat des habitants.

* 56 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

* 57 L'objectif pour l'hexagone étant fixé à 22 %.

* 58 Avis n° 1395 sur le projet de loi de finances pour 2014, de M. Serge Letchimy au nom de la Commission des affaires économiques, p. 20.

* 59 Appelées énergies « de base ».

* 60 Délégué général à l'outre-mer du 25 novembre 2009 au 31 janvier 2013, auditionné par la délégation le 13 novembre 2012.

* 61 Unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO, Floating production storage and offloading ).

* 62 Sea-water air conditioning .

* 63 À Tetiaroa et Bora-Bora

* 64 Une station de transfert d'énergie par pompage (STEP) est une installation hydroélectrique composée de deux bassins séparés par un important dénivelé et reliés par un ensemble turbine-pompe.

* 65 La remontée des eaux froides.

* 66 Food and agriculture organisation - FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture).

* 67 Rapport 2012 de la FAO sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture.

* 68 Espèces se déplaçant à proximité de la surface des eaux, généralement en haute mer.

* 69 La Guyane bénéficie d'une production biologique forte en raison d'importants apports du fleuve Amazone.

* 70 Tandis que les eaux de Saint-Pierre-et-Miquelon sont traditionnellement riches en morues, celles des TAAF recèlent de la légine australe.

* 71 Contrairement aux espèces pélagiques, les espèces démersales vivent près de la côte ou des fonds.

* 72 Au sein des espèces démersales, les espèces benthiques sont celles qui vivent dans les fonds en permanence.

* 73 Dans la mesure où ils réalisent des marées courtes, souvent d'une journée.

* 74 Rapport n° 616 du 27 juin 2012 de M. Serge Larcher sur la proposition de résolution européenne de MM. Maurice Antiste, Charles Revet et Serge Larcher op. cit.

* 75 D'après la FAO, ces modes de prises représentent 20 % de la pêche mondiale.

* 76 Par le système géo-maritime Sygma VMS Régional d'échanges d'informations qui concernera dans un premier temps les Comores, Madagascar, Les Seychelles, Maurice et La Réunion.

* 77 Op. cit p. 24.

* 78 Protéine dont l'intérêt est avéré, et dont la production se fait à partir d'un organisme dont le matériel génétique a été modifié de manière à obtenir cette protéine. En introduisant un gène externe, l'organisme produit la protéine, qui doit ensuite être purifiée avant utilisation.

* 79 Un aliment nutraceutique est un produit isolé ou purifié à partir d'aliments, il est habituellement vendu sous formes galéniques comme des capsules.

* 80 La bioremédiation consiste en la dépollution de milieux atteints grâce à l'utilisation d'organismes vivants.

* 81 Auditionné le 15 janvier 2013.

* 82 Notion extrêmement large qui regroupe les organismes unicellulaires.

* 83 Les biocarburants de troisième génération se distinguent de la deuxième génération par le type de biomasse utilisée. Cette dernière est issue des algues : microalgues et également macroalgues en condition autotrophe (capacité à synthétiser de la matière organique à partir de matière minérale). Il faut noter qu'il n'y a pas encore de consensus sur la définition de la troisième génération. Certains, en plus des microalgues, y incluent l'ensemble des microorganismes et y classent les biocarburants où la biomasse utilisée ne provient pas de surfaces terrestres.

* 84 Ce procédé de lutte contre la corrosion consomme près de la moitié du zinc mondial.

* 85 Lié au zinc.

* 86 Part par million. Un taux de 10 000 ppm signifie donc une concentration en métal de 1%.

* 87 Areva, initialement présente, s'est désengagée du projet.

* 88 Les ressources minérales marines profondes Étude prospective à l'horizon 2030, MM. Yves Fouquet et Denis Lacroix, Éditions Quae, 2012.

* 89 Ce dernier est l'héritier du Conseil général des mines, institution créée il y a plus de deux cents ans pour conseiller le Gouvernement sur la gestion du sous-sol. Le Conseil donne ainsi un avis sur l'institution des titres miniers, sur les textes règlementaires ou encore au cours de l'élaboration des projets de loi portant notamment sur le code minier. Ce code, qui date de 1956, est désuet et en cours de réforme.

* 90 La croissance bleue : des possibilités de croissance durable dans les secteurs marin et maritime (Communication du 13 septembre 2012).

* 91 Autre que les sables et les graviers dont l'extraction est ancienne.

* 92 Pour près de trois mois, jusqu'au 16 juin.

* 93 http://ec.europa.eu/eusurvey/runner/seabed_mining

* 94 Source : Centre d'études sur la valorisation des algues.

* 95 Colles et gels utilisés dans la cosmétique ou la pharmacie.

* 96 Les produits à base d'algues dans le domaine des biomatériaux et des bioénergies sont encore pour l'essentiel en phase d'expérimentation.

* 97 Dans des unités flottantes de production, de stockage et de déchargement très proches de celles utilisées par les plateformes pétrolières offshore .

* 98 Comme c'est par exemple le cas pour la production de biocarburants à partir d'algues marines.

* 99 Cf. audition de M. Sylvain de Mullenheim, directeur des affaires juridiques et chef de cabinet du président-directeur général de DCNS, du 30 mai 2012.

* 100 Groupe d'éléments de la classification périodique, ils sont au nombre de 17 : le scandium, l'yttrium et le lanthane, et les 14 lanthanides : le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium, le samarium, l'europium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, l'holmium, l'erbium, le thulium, l'ytterbium et le lutétium.

* 101 En 2006, General Motors a ainsi été amené à délocaliser des États-Unis vers la Chine son centre de recherche et développement sur les micro-aimants nécessaires aux véhicules hybrides ou électriques.

* 102 Il pourrait s'agir de scandium, utilisé dans un alliage avec l'aluminium pour souder les ailes des avions.

* 103 La géologie diversifiée de la Guyane rappelle celle du Ghana et de la Côte d'Ivoire. On y trouve du zinc et du cuivre. Et parmi les sous-produits du cuivre, il est possible de découvrir du sélénium et du tellure, indispensables pour fabriquer des panneaux photovoltaïques à haute performance. Dans le zinc, il est aussi possible de trouver de l'indium, utile à la fabrication des écrans vidéo et du germanium, qui entre dans la composition de jumelles permettant de voir de nuit.

* 104 Qui contiendraient en particulier des lanthanides, du yttrium et du scandium.

* 105 Découverte des chercheurs de l'Université de Tokyo.

* 106 C'est ainsi que le centre spatial européen de Kourou accueille aujourd'hui outre Ariane, des lanceurs russes de type Soyouz et italiens de type Vega.

* 107 Les difficultés avec le gouvernement de Papouasie Nouvelle-Guinée dont la société Nautilius a fait part le 14 février 2014 ne semblent pas de nature à remettre en cause le projet, la recherche d'une solution amiable étant privilégiée pour la résolution d'un différend portant sur la contribution financière de l'État, actionnaire à hauteur de 30 % de la société chargée de l'opération.

* 108 En annexe 3 du rapport.

* 109 Pour les ZEE (article 74) comme pour l'extension du plateau continental (article 76), le texte se contente de prévoir que les limites sont fixées « par voie d'accord conformément au droit international (...) afin d'aboutir à une solution équitable ».

* 110 La convention de 1958 sur le plateau continental (remplacée entre temps par la convention de Montego Bay) prévoyait par exemple que sa délimitation devait se faire en application du principe d'équidistance « à défaut d'accord et à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation ».

* 111 L'absence de limitations claires de la ZEE n'est pas de nature à conforter les demandes françaises d'extension du plateau continental qui se définissent précisément par rapport à ladite zone.

* 112 Dont 13 concernant l'outre-mer.

* 113 Cf. annexe 3.

* 114 Dans la mythologie grecque, les filles du roi Danaos furent condamnées, aux Enfers, à remplir sans fin un tonneau sans fond.

* 115 Par exemple par les accords FRANZ passés avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

* 116 Livre blanc de la Défense et de la sécurité nationale de 2013, op. cit, p. 110.

* 117 Depuis le Traité de Paris de 1763, la France ne peut installer plus de 60 militaires sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, lequel doit, de surcroît, être « dépourvu de fortifications ».

* 118 Avis de M. Gilbert Le Bris, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2014 (rapport n°1395 - tome V).

* 119 Plus de 1 000 tonnes et de 70 mètres environ contre 1 385 tonnes et 80 mètres pour les actuels BATRAL.

* 120 Livre blanc de la Défense et de la sécurité nationale de 2013, op. cit, p. 110.

* 121 M. Bernard Dujardin, « Les Espaces maritimes français », La Revue maritime, n° 477, Décembre 2006, p. 3.

* 122 Emmanuel Desclèves, « L'économie bleue au coeur de la mondialisation », Esprit, n° 2013-6 (Juin 2013), p. 49.

* 123 Ceux-ci sont en effet les plus nombreux autour de Clipperton. La zone est trop lointaine pour les pêcheurs de l'hexagone. Quant aux polynésiens des Marquises, ils s'y aventurent peu, bénéficiant déjà d'une ressource halieutique particulièrement abondante.

* 124 212 645 habitants en 2012 selon l'INSEE.

* 125 Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à l'île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants ; Texte n° 299 (2011-2012) de M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, déposé au Sénat le 25 janvier 2012, Étude d'impact, p. 3.

* 126 Question écrite n° 29 097 au Ministère des Affaires étrangères de M. Gilbert Le Bris, député, posée le 11 juin 2013. Réponse émise le 27 août 2013 (JO, p. 8984).

* 127 Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre, étude d'impact, op. cit, p. 2. On soulignera toutefois que le 9 septembre 2013, la frégate de surveillance « Nivôse » des FAZSOI a procédé au contrôle d'un navire de recherche scientifique singapourien, en action de prospection pétrolière par réflexion sismique dans la ZEE d'Europa (source : Le Journal de l'Île de La Réunion, 24 septembre 2013).

* 128 Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre, étude d'impact, op. cit, p. 7.

* 129 Décret n°60-555 du 1 er avril 1960.

* 130 Le 21 mars, le président malgache en visite à Paris n'évoquait d'ailleurs plus que son souhait de négocier avec la France un accord de cogestion de ces îles.

* 131 Depuis que trois thoniers de Polynésie française se sont rendus sur zone courant janvier 2006, actant la mise en exploitation de la zone.

* 132 Depuis la loi n ° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.

* 133 Rendu par le roi d'Italie Victor Emmanuel III.

* 134 D'où l'intérêt pour la France des initiatives et projets précités.

* 135 Autrefois connue sous le nom d'île Fern ou île Fearn.

* 136 Cf. audition du 15 novembre 2012.

* 137 Proposition de loi organique relative à l'actualisation de certaines dispositions du statut d'autonomie de la Polynésie française en matière de développement durable et endogène, et à l'actualisation de certaines dispositions du code minier national n° 473 (2011-2012).

* 138 Ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

* 139 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat du 4 décembre 2012.

* 140 Directive n°2011/92 du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement.

* 141 Cf. en annexe 6, le tableau comparatif des décisions réitérées entre les différents CIMER.

* 142 Lors de son audition du 4 février 2014.

* 143 Cf. en annexe 7.

* 144 Ces deux territoires qui jouissent, par leurs statuts, de vastes compétences propres et d'une autonomie très poussée, se caractérisent aussi par leur inscription sur la « liste des territoires sous tutelle et des territoires non autonomes » de l'Organisation des Nations unies.

* 145 Le pôle Tahiti Fa'ahotu intervient dans quatre domaines : l'exploitation des ressources naturelles marines, la biodiversité, biomolécules et biotechnologies, les énergies renouvelables, et la préservation durable des milieux et l'exploitation des ressources naturelles terrestres. Quant à Qualitropic, il abrite des projets dans les secteurs des biotechnologies, de la production agricole et halieutique, de l'alimentation - santé-bien-être ainsi que de l'environnement et du développement durable.

* 146 Cette démarche ayant été appuyée par le dépôt le même jour à l'Assemblée nationale de la proposition de résolution n° 1727 appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon.

* 147 Marc Mered « La France, leader mondial des terres rares ? C'est possible en s'inspirant du Groenland ! », in La Tribune, 13 mai 2013.

* 148 L'article se fondait sur les recherches de l'université de Tokyo concernant la Polynésie française et sur la découverte du dépôt terrestre de Kvanefjeld (Sud-Groenland) réalisée par les Danois en 2008.

* 149 Au titre des douanes.

* 150 L'Institut de recherche pour le développement.

* 151 Institut national de la recherche agronomique.

* 152 Agence française de développement.

* 153 Par exemple, le CIMER s'est réuni cinq fois depuis 2000, soit en l'espace de 13 ans.

* 154 Discours de M. Frédéric Cuvillier aux assistes de l'économie maritime et du littoral.

* 155 Seules cinq réunions depuis 2000.

* 156 Cf. annexe 7.

* 157 Soit 1, 281 milliard d'euros.

* 158 Rapport « Un principe et sept ambitions » remis au Président de la République le 18 avril 2013.

* 159 Par exemple, la compréhension du fonctionnement des écosystèmes volcaniques sous-marins ou du cycle des métaux.

* 160 La croissance bleue : des possibilités de croissance durable dans les secteurs marin et maritime COM(2012) 494 final.

* 161 Outre l'encadrement des techniques d'exploration et d'`exploitation, l'une des questions les plus sensibles est sans doute la façon dont seront délimitées les zones (parcs marins, aires maritimes protégées..) dont certaines activités seront exclues.

* 162 Tout comme la mise en place, proposée par la Délégation, des comités territoriaux des ZEE.

* 163 Annoncé par le Premier ministre le 13 décembre 2013.

* 164 M. François Cuillandre, maire de Brest et président de Brest Métropole océane évaluait, en décembre dernier, cette part à plus de 60 %.

* 165 http://pole-mer.fr

* 166 Ministères, acteurs de la recherche et du financement.

* 167 Posé depuis le XVII e siècle.

* 168 Si la plupart d'entre eux se contente d'une bande côtière de 200 milles de pêche exclusive, le Brésil revendique 600 milles, arguant du déplacement des bancs de poissons au gré de courants marins passant au large de ses côtes.

* 169 Elle autorise que la fixation de la ligne de base inclue notamment les îles proches de la côte et les indentations importantes de la côte.

* 170 Aujourd'hui, les limites de la mer territoriale étant fixées à 24 milles des lignes de base, la zone contiguë est un espace maritime qui s'étend jusqu'à 24 milles des côtes. L'État côtier a le pouvoir d'y exercer des droits de poursuite et d'arrestation dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants, le trafic d'immigrants illégaux et la fraude fiscale et douanière.

* 171 Elle est donc superposée à la zone contiguë.

* 172 À l'exception de la colonne d'eau et donc notamment de la ressource halieutique.

* 173 Comme il en a été décidé lors de la réunion de la délégation du mardi 30 octobre 2012.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page