D. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES EN UKRAINE

Une crise politique s'est ouverte en Ukraine après la suspension inattendue, par les autorités ukrainiennes, de la procédure de signature d'un accord d'association avec l'Union européenne. La dégradation récente de la situation, et en particulier l'émergence de violences entre policiers et manifestants, ont conduit l'Assemblée à débattre en urgence d'une proposition de résolution de la commission de suivi à ce sujet.

Aux violentes provocations de manifestants d'extrême droite a en effet répondu un usage excessif et disproportionné de la violence par la police. L'adoption d'un ensemble de lois réduisant la liberté de circuler et de manifester a aussi alerté le Conseil de l'Europe : adoptées dans des circonstances chaotiques qui compromettent leur légitimité par la Rada, le 16 janvier 2014, elles ont été promulguées par le Président Ianoukovitch, le 18 janvier 2014. Leur abrogation a cependant été annoncée la veille du débat.

L'Assemblée a appelé les parties en présence à l'apaisement et au dialogue afin de résoudre la crise, tout en prenant garde à cesser immédiatement toute violation des droits de l'Homme.

M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a rappelé l'origine des faits qui ont conduit l'Ukraine au blocage et s'est inquiété du bon fonctionnement démocratique dans ce pays :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, la décision du président ukrainien, le 21 novembre dernier, de rompre les négociations en vue de signer un accord d'association avec l'Union européenne lors du sommet de Vilnius, la semaine suivante, a provoqué la stupéfaction, jusque, dit-on, dans son entourage. Elle a aussi entraîné, comme aux grandes heures de la « révolution orange » de 2004, des centaines de milliers d'Ukrainiens dans la rue. Depuis lors, ces manifestations ont dégénéré et menacent aujourd'hui la stabilité de l'Ukraine.

Je voudrais revenir aux sources des événements dramatiques dont nous sommes aujourd'hui les témoins.

En premier lieu, il est clairement établi que la rupture des négociations européennes est le résultat de fortes pressions de Moscou : renforcement des contrôles douaniers, blocus des importations, menaces sur les visas et sur l'approvisionnement énergétique, etc. Le bâton n'allant pas sans la carotte, la Russie a pris des engagements auprès de l'Ukraine en vue de surmonter les problèmes économiques de celle-ci, en particulier par la signature d'accords bilatéraux permettant de couvrir des besoins de financement à hauteur de 15 milliards de dollars et par une manipulation du prix du gaz.

On le sait, les objectifs du Kremlin sont de nature géopolitique : le Président Poutine ambitionne de créer une Union eurasienne, dont l'union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan - références démocratiques, s'il en est ! - constitue la première étape. Sans l'Ukraine, cet ensemble serait immanquablement bancal.

Un grand pays tel que l'Ukraine est-il encore véritablement souverain lorsqu'il est conduit à faire des choix cruciaux sous la contrainte d'un État voisin ?

En second lieu, que le président Ianoukovitch ait pu, seul, prendre une telle décision conduit à s'interroger sur la capacité des institutions ukrainiennes à faire prévaloir l'intérêt supérieur du pays.

La situation économique de l'Ukraine est particulièrement dégradée et pâtit d'une corruption endémique, alors que l'économie parallèle constitue une part considérable de la richesse nationale. Pourquoi les dirigeants ukrainiens engageraient-ils des réformes remettant en cause leurs intérêts ? Le statu quo n'est-il pas préférable aux réformes induites par un rapprochement avec l'Union européenne ?

En cherchant à favoriser sa réélection en 2015, le président ukrainien a entraîné son pays dans la spirale de violences que l'on sait. Espérons que les autorités ukrainiennes sauront entendre les appels au dialogue qui viennent de toutes parts et qui constituent la seule chance de sortir de l'impasse dans laquelle elles se sont engagées. »

M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UMP) a souligné l'importance d'un dialogue entre Europe et Russie :

« Deux mois après l'annonce du 21 novembre dans laquelle l'Ukraine refusait finalement de signer l'accord d'association avec l'Union européenne, le mouvement de protestation a été relancé par l'adoption d'une série de lois réduisant la liberté de circuler et de manifester, et il s'est radicalisé. Des manifestants sont décédés.

Membre par deux fois de la mission d'observation électorale, notamment en octobre 2012, j'avais pu suivre le déroulement des élections législatives et j'avais été personnellement le témoin de nombreux éléments positifs, en particulier du respect de la pluralité du scrutin - du moins le jour même de l'élection. Le déroulement des élections n'avait pas donné lieu à de graves irrégularités, les principes de sincérité du scrutin semblant dans une large mesure appliqués le jour dit. Pourtant, j'avais eu le sentiment que les échos de cette élection dans les médias européens de l'ouest déformaient la réalité au prisme de préjugés persistants.

D'après les informations dont nous disposons, on noterait une évolution positive de l'opinion publique en Ukraine ; on sent que celle-ci s'intéresse de plus en plus à la politique, et le mouvement actuel en témoigne. Les exactions, les atteintes aux droits de l'Homme ne sont pas acceptables pour un pays qui a vocation à rejoindre la grande famille européenne et qui, de surcroît, est membre de notre Assemblée.

Je voudrais, mes chers collègues, attirer votre attention sur le fait que la situation en Ukraine est indirectement la conséquence d'une absence de collaboration entre la Russie et l'Union européenne. Il y a une incompréhension complète entre les deux : la Russie n'a pas aujourd'hui de politique digne de ce nom à l'égard de l'Union européenne, et l'Union européenne n'a pas de politique digne de ce nom à l'égard de la Russie. Il existe une politique française, une politique allemande, une politique italienne, une politique anglaise, mais il n'existe pas de réflexion stratégique entre l'Union européenne et la Russie visant à établir une coopération entre ces deux grands ensembles, qui sont pourtant interdépendants.

Il se tient tous les six mois - comme hier à Bruxelles - des rencontres entre l'Union européenne et la Russie, mais celles-ci patinent. Le communiqué du Président de la Commission européenne, M. Barroso, clôturant la réunion, qui appelle à un esprit coopératif entre l'Union et la Russie, semble un voeu pieux.

Il importerait que ces deux ensembles, qui sont historiquement appelés à vivre ensemble, puissent avoir une attitude plus positive. Que chacun évite de mettre de l'huile sur le feu et fasse pression pour que l'Ukraine, grand pays de l'histoire européenne actuellement sur le chemin de la démocratie, puisse régler les problèmes qu'il rencontre actuellement . »

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française, a plus particulièrement insisté sur le rôle de l'Europe dans la résolution de la crise ukrainienne :

« Mesdames les rapporteures, je me suis rendu en Ukraine en décembre en qualité de président de la commission ad hoc d'observation des élections. Malgré un contexte difficile, nous avons pu rencontrer toutes les parties en présence et mener à bien notre mission.

Force est de constater, un mois plus tard, que la situation est devenue dramatique. Nous devons condamner avec force la répression disproportionnée menée par les forces de l'ordre. L'assassinat du jeune militant M. Verbitsky, rappelant l'affaire Gongadzé, le passage à tabac de l'ancien ministre M. Loutsenko et de la journaliste Mme Tchornovil ne peuvent que susciter indignation et révolte. Ces actes sont intolérables de la part d'un pays membre du Conseil de l'Europe !

Pour autant, la radicalisation d'une minorité ultranationaliste des manifestants, prônant la violence et multipliant les provocations n'est pas admissible.

Hier, au Parlement ukrainien, M. Kravtchouk, premier Président de l'Ukraine indépendante, a appelé ses collègues à prendre leurs responsabilités et à rechercher un règlement politique. Cet appel doit être entendu.

L'abrogation des lois liberticides, la démission d'un gouvernement honni par les opposants doivent être considérés comme autant de signes en faveur d'une résolution de la crise. Hier soir, une loi d'amnistie a été adoptée. Je regrette que les conditions n'aient pu être réunies pour un vote plus consensuel au Parlement. Mais tous ces éléments sont autant de pas sur la voie du dialogue et nous devons nous en réjouir.

Cependant, les manifestants ukrainiens nous rappellent chaque jour que l'Europe symbolise l'espoir de la démocratie, de la liberté et d'un avenir meilleur. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.

J'ai suivi avec attention le sommet UE-Russie qui vient de se dérouler et les déclarations des uns et des autres. Je ne pense pas qu'au nom de l'imbrication des économies des deux pays, la Russie ait un droit de regard particulier sur ce qui se passe à Kiev.

Si les Ukrainiens le souhaitent, une médiation européenne sera bien sûr possible. C'est aux Ukrainiens de le décider et à personne d'autre.

Je voudrais dire à nos collègues ukrainiens que l'État de droit que réclament les manifestants de l'Euromaidan n'est pas une manipulation de l'Occident, c'est une aspiration légitime de votre peuple. Votre jeunesse n'a pas besoin de mentor américain ou européen pour se mobiliser, les réseaux sociaux et son envie de liberté suffisent !

La commission de suivi de notre Assemblée mais aussi la Commission de Venise sont autant d'organes qui sont là pour vous aider à avancer vers la démocratie.

En 2001, un colloque était organisé à l'Assemblée nationale française sur l'Ukraine, le retour à l'Europe d'une nation oubliée. Cette formule est plus que jamais d'actualité et nous pouvons assurer le peuple ukrainien que l'Europe ne l'oubliera pas ! »

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