LA HONGRIE EN QUELQUES CHIFFRESSuperficie : 93 032 km 2 Population : 9 949 000 habitants Densité : 108 habitants au km 2 PIB (2013) : 98,38 milliards d'euros PIB par habitant en SPA (2013) : 16 800 € 1 ( * ) Taux de croissance (2013) : 0,7 % Solde budgétaire (2013) : - 2,9 % Taux d'endettement (2013) : 80,7 % Taux de chômage (2013) : 9,5 % Principaux clients : Allemagne (28,3 %), Royaume-Uni (6 %), Italie (5,5 %), France (5 %), Autriche (5 %), Slovaquie (4 %), Roumanie (4 %), Pologne (4 %) Principaux fournisseurs : Allemagne (27 %), Russie (7 %), Autriche (6 %), Chine (5 %), Italie (5 %), France (4 %), Pays-Bas (4 %), Pologne (4 %), Japon (2,9 %) |
I. UNE PRATIQUE CONSTITUTIONNELLE ET LÉGISLATIVE CONTESTÉE
A. L'INCERTITUDE CONSTITUTIONNELLE
L'adoption de la Loi fondamentale et de certaines lois cardinales hongroises en 2011 et 2012 ont conduit la Commission européenne et le Conseil de l'Europe à s'interroger sur la compatibilité des normes adoptées avec les standards européens, qu'il s'agisse de la loi sur les médias, du statut du gouverneur de la Banque centrale, des nominations au sein de l`agence de protection des données ou de l'abaissement de l'âge de départ en retraite des juges. L'ouverture de procédures d'infraction devant la Cour de justice de l'Union européenne ou l'adoption de positions fortes de la part de la Commission de Venise ou du Parlement européen ainsi que les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle ont conduit le gouvernement hongrois à réviser ses positions initiales. Ces avancées ont cependant été remises en cause par l'adoption le 11 mars 2013 du Quatrième amendement à la Loi fondamentale.
1. Le Quatrième amendement : une nouvelle remise en question des standards démocratiques
Présenté comme un amendement technique, le texte a surpris par son ampleur : 15 pages, là où la Constitution en comptait initialement 45. De fait, présenter ce texte comme un simple « amendement » a pu paraître exorbitant, alors qu'il aborde un très grand nombre de sujets allant de la situation des sans-abris au rôle de la Cour constitutionnelle en passant par la criminalisation du parti communiste hongrois et des formations qui lui ont succédé.
L'adoption d'un quatrième amendement treize mois après l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale a également suscité un certain nombre d'interrogations quant à la valeur d'un texte réécrit régulièrement par le pouvoir en place.
a) Une volonté d'affaiblir la Cour constitutionnelle
Ce texte affaiblissait en premier lieu le rôle de la Cour constitutionnelle hongroise, qui incarnait depuis quelques mois le seul véritable contrepouvoir institutionnel. C'est en effet la Cour constitutionnelle qui, en décembre 2011, a rendu un arrêt annulant plusieurs dispositions de la loi sur les médias, en particulier celles concernant le contenu des médias et la protection des sources d'information des journalistes. Le juge constitutionnel hongrois avait également invalidé, le 16 juillet 2012, l'abaissement immédiat de l'âge de départ en retraite des juges, procureurs et notaires de 70 à 62 ans. Ce dispositif, assimilable par bien des aspects à une véritable purge des services judiciaires - 1/3 des juges de la Cour suprême étaient ainsi renouvelés et 1 200 juges étaient promus -, a également été jugé contraire au droit communautaire par la Cour de justice de l'Union européenne le 6 novembre 2012. Les juges se sont alors vus offrir la possibilité de demander leur réintégration à leur poste d'origine, d'intégrer un autre poste disponible ou de partir à la retraite moyennant une compensation financière. Cette dernière option a été la plus utilisée. L'âge de départ en retraite a été dans le même temps porté à 65 ans à l'horizon 2022, via un abaissement progressif d'ici là. Compte-tenu de ces éléments, la Commission européenne a clôturé officiellement la procédure qu'elle avait engagée.
La Cour constitutionnelle hongroise avait, par ailleurs, annulé le 26 février 2013 plusieurs points de la loi sur les Églises entrée en vigueur le 1 er janvier 2012. Aux termes de ce texte, l'octroi du statut d'Église et donc des financements publics concomitants relève du Parlement. Le juge constitutionnel a estimé que la procédure n'était pas équitable, la loi n'obligeant pas les parlementaires à justifier leurs décisions. Le texte ne prévoyait pas, en outre, de voie de recours pour les communautés qui se voient refuser le statut d'Église. 17 communautés religieuses n'ont pu bénéficier de ce statut depuis l'entrée en vigueur de la loi.
La Cour a également invalidé un certain nombre de dispositions législatives récentes comme la limitation de la publicité politique aux seuls médias publics ou encore les mesures contre les sans-abris. La Cour constitutionnelle s'était, en outre, montrée réservée sur une définition légale de la famille, fondée exclusivement sur le mariage et sur la relation entre parents et enfants, qu'elle jugeait trop restrictive.
Le juge constitutionnel avait de surcroît remis en cause la réforme électorale souhaitée par le gouvernement. Elle avait ainsi invalidé une disposition encadrant l'inscription sur les listes électorales.
Pour couronner le tout, le 28 décembre 2012, la Cour a censuré une large partie des dispositions transitoires censées accompagner le changement constitutionnel. Ces dispositions transitoires reprenaient une large partie des dispositions contestables des lois organiques. Invitée par le commissaire hongrois aux droits fondamentaux à vérifier la compatibilité de ces dispositions transitoires avec la Constitution, la Cour a estimé que le Parlement avait outrepassé son pouvoir législatif en adoptant des dispositions qualifiées de transitoires alors qu'elles avaient pourtant vocation à durer. Plus des deux tiers des dispositions concernées présentaient aux yeux de la Cour un caractère permanent et général.
Les autorités hongroises ont présenté le Quatrième amendement comme un renforcement des pouvoirs du juge constitutionnel, en mettant en avant deux points. Le premier concerne sa saisine, désormais ouverte au président de la Cour suprême et au Procureur général. Il est cependant possible de douter de l'usage qui en sera fait par ces personnalités nommées par le pouvoir en place. Le deuxième argument tenait à la possibilité reconnue à la Cour d'exercer un contrôle formel sur les futurs amendements apportés à la Loi fondamentale. Cette possibilité n'est pourtant pas véritablement nouvelle, puisque la Cour l'exerçait déjà de façon coutumière.
Cette augmentation en trompe l'oeil des pouvoirs de la Cour ne peut occulter une disposition préoccupante, qui interdit au juge constitutionnel de se référer à une jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale, soit le 1 er janvier 2012. Il s'agit bien là d'un réel affaiblissement de cette juridiction, qui modifie l'équilibre des pouvoirs et n'est pas sans conséquence sur l'adéquation de la Hongrie aux valeurs fondamentales de l'Union européenne. La jurisprudence de la Cour est souvent qualifiée de « Constitution invisible ». Elle a permis de définir un certain nombre de valeurs communes, pas forcément inscrites au sein de la Loi fondamentale. L'interdiction de la peine de mort a ainsi pour seule base juridique en Hongrie une décision de la Cour constitutionnelle datant de 1991. La Cour va devoir établir un nouveau corpus jurisprudentiel, alors que sa composition est de plus en plus dictée par des impératifs politiques.
L'encadrement des pouvoirs de la Cour constitutionnelle se situe en effet dans une tendance déjà préoccupante. Aux termes de la nouvelle Constitution, ses 15 membres - contre 11 auparavant - et son président sont élus à la majorité des deux tiers par le Parlement pour un mandat de 12 ans. L'article 37.4 de la Constitution limite, en outre, le contrôle de la Cour sur les lois touchant au budget de l'État tant que la dette publique dépasse 50 % du PIB, ce qui est le cas actuellement.
b) L'expression constitutionnelle du « double discours » à l'égard de l'Union européenne ?
Le législateur a considéré que la censure du 28 décembre 2012 sur les dispositions transitoires était motivée par des considérations formelles. À ses yeux, le juge avait simplement estimé que les dispositions transitoires ne l'étaient pas et n'avait pas spécialement visé la constitutionnalité des dispositions en tant que telles. Cette analyse ne résiste pourtant pas à l'examen de la jurisprudence récente de la Cour sur la teneur des mesures contestées. Ces dispositions avaient d'ailleurs été largement critiquées par la Commission européenne et le Conseil de l'Europe. Toujours est-il que le Quatrième amendement a réintroduit l'ensemble des dispositions transitoires en les inscrivant dans la Constitution. Il constitutionnalisait ainsi des principes pourtant considérés par le juge comme contraires à la Loi fondamentale quelques semaines plus tôt : il en va ainsi des mesures limitant la publicité politique aux seuls médias publics, des dispositions censurées de la loi sur les Églises ou celles interdisant les sans-abris au sein de certains lieux publics. Ces dispositions avaient dès lors une valeur constitutionnelle et ne pouvaient donc plus être contestées devant la Cour constitutionnelle.
Cette constitutionnalisation excessive était déjà au coeur des réserves exprimées par les organes européens lorsqu'ils avaient examiné début 2012 la Loi fondamentale et les lois cardinales qui l'accompagnent. Si la Constitution prescrit une politique, quel choix démocratique reste-t-il aux électeurs ? Le Quatrième amendement renforce cette tendance puisqu'il oblige le président de la République à signer les changements constitutionnels, en lui laissant seulement un droit de veto pour les questions formelles.
Le double discours à l'égard de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe prend, en outre, un nouveau tour avec le Quatrième amendement.
Après des échanges avec la Commission de la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite Commission de Venise, les autorités hongroises avaient ainsi accepté d'amender leur réforme du système judiciaire local, en encadrant notamment les pouvoirs disproportionnés du président de l'Office national des magistrats. Or, le Quatrième amendement introduit dans la Constitution certaines des dispositions contestées. La possibilité pour le président de l'Office de dépayser, de façon discrétionnaire, une affaire est ainsi désormais inscrite dans la Constitution alors que l'encadrement du pouvoir d'administration du président de l'Office par un collège de magistrats, souhaité par la Commission de Venise, relève de la loi ordinaire et pourra donc être facilement modifié. Le président de l'Office est élu par le Parlement. Il s'agit à l'heure actuelle de Mme Tünde Hendo, épouse de József Szájer, député européen Fidesz et rédacteur de la Constitution.
De même, les lois sur les médias adoptées en 2010 avaient été sensiblement révisées sous la double pression de la Cour constitutionnelle et des instances européennes : des négociations jugées positives par le Secrétaire général du Conseil de l'Europe sont d'ailleurs encore en cours. Or, le quatrième amendement constitutionnalisait une disposition ambigüe limitant l'usage de la liberté d'expression dès lors qu'elle serait supposée violer la dignité de la nation hongroise, concept dont la portée reste à préciser. Une disposition semblable - qui avait alors seulement une valeur législative - avait déjà été censurée par la Cour constitutionnelle hongroise en 1992 et 2004. Le Quatrième amendement limitait par ailleurs aux seules périodes électorales l'accès libre et égal aux médias.
Le cas de la loi sur les « contrats étudiants » est également emblématique de ce double discours à l'égard des instances européennes. Les autorités souhaitent que les étudiants hongrois qui ont été subventionnés par l'État pour leurs études travaillent en retour en Hongrie pour une durée égale au double de leur temps de formation : six ans pour une licence de trois ans par exemple. Face aux réserves de la Commission européenne qui estimait le dispositif contradictoire avec le droit communautaire et envisageait de lancer une procédure contentieuse, Budapest s'est engagé à apporter des éléments de réponse. Il a pourtant dans le même temps constitutionnalisé le principe même de la loi au travers du quatrième amendement.
Le Quatrième amendement anticipait de façon générale un affrontement à venir avec les organisations européennes puisqu'il prévoit la mise en place de taxes spéciales pour financer d'éventuelles amendes de la Cour de justice européenne.
2. Le Cinquième amendement : correction ou effet d'annonce ?
a) Un Quatrième amendement unanimement critiqué
Les débats précédant l'adoption puis le vote du Quatrième amendement ont déclenché une réaction immédiate des principales institutions européennes. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe et le président de la Commission européenne, après avoir émis des réserves sur ce texte séparément les 6 et 8 mars 2013, ont ainsi adopté une déclaration conjointe le 11 mars prenant acte de l'adoption du Quatrième amendement et rappelant les préoccupations que suscitait cette modification de la Loi fondamentale au regard du principe de l'État de droit, du droit de l'Union européenne et des normes du Conseil européen 2 ( * ) . Le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme s'était associé à ces réserves le 15 mars 3 ( * ) .
Dans une lettre adressée au Premier ministre hongrois le 12 avril 2013, le président de la Commission étaye ses réserves en ciblant trois dispositions :
• La réintroduction des dispositions transitoires pourtant annulées par la Cour constitutionnelle ;
• La création de la taxe visant à faire supporter au contribuable le paiement d'amendes ou de sanctions arrêtées par la Cour de justice de l'Union européenne ;
• Les pouvoirs octroyés au Président de l'Office national des juges 4 ( * ) .
La Commission a également émis des doutes sur la limitation de la publicité politique aux seuls médias publics, réputée restreindre la liberté d'expression.
La Commission pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite Commission de Venise, sollicitée sur le Quatrième amendement, a, quant à elle, estimé le 14 juin 2013 que ces modifications constituaient une menace pour la justice constitutionnelle en Hongrie. La révision de la Constitution est, selon elle, le résultat d'une vision instrumentale de la Constitution par la majorité au pouvoir, au terme de laquelle la distinction entre le processus de décision fondé sur la Loi fondamentale et la politique ordinaire est abolie 5 ( * ) .
L'annonce, le 8 juin 2013, par le gouvernement hongrois d'un nouveau texte revenant sur la constitutionnalisation de la taxe pour le financement des amendes internationales et sur les pouvoirs octroyés au président de l'Office a cependant conduit la Commission européenne à modérer ses critiques.
b) Une prise en compte partielle des objections européennes
Le Cinquième amendement à la Loi fondamentale hongroise a ainsi été adopté par le Parlement le 16 septembre 2013. Il poursuit deux objectifs : répondre aux objections du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne sur le Quatrième amendement et permettre la fusion entre la Banque centrale hongroise et l'Autorité de supervision financière, la Pszaf. La fusion de la Banque centrale hongroise et de l'agence de supervision financière est ainsi effective depuis le 1 er octobre 2013. La Banque centrale est également désormais responsable de la protection des consommateurs.
La modification constitutionnelle supprime la possibilité pour le président de l'Office judiciaire national de dépayser un dossier. Le gouvernement se voit, par ailleurs, privé de la possibilité de créer une taxe ad hoc destinée à financer d'éventuelles amendes délivrées par une cour de justice internationale. L'interdiction pour les partis politiques de faire campagne dans les médias commerciaux est, elle aussi, levée. Médias publics et privés devront désormais assurer cette campagne à titre gratuit. La révision constitutionnelle revient également sur le statut des communautés religieuses, désormais autorisées à se former librement, sans autorisation du parlement. Un tribunal sera chargé de déterminer si la communauté peut accéder au statut d'Église et donc disposer des avantages fiscaux concomitants.
Conçu comme un message d'apaisement à l'égard des Européens, le Cinquième amendement ne limite pas totalement la possibilité pour le gouvernement de réintroduire certaines des dispositions contestées par la loi ordinaire ou au sein des lois cardinales.
La loi de stabilité financière en cours d'adoption devrait ainsi prévoir la taxe sur les amendes internationales. Le principe du dépaysement des procès est, quant à lui, maintenu au sein de la loi sur la structure et l'administration de la justice, qui est elle-même une loi cardinale. Elle ne pourra donc être révisée qu'avec l'appui d'une majorité représentant les deux tiers du parlement. Le dépaysement reste toujours à la discrétion du président de l'Office national des magistrats. Restait une interrogation sur la structure même de l'Office national des magistrats, qui reste composé d'une seule personne chargée de gérer l'ensemble du secteur. Le Cinquième amendement prévoit que le Conseil national de la magistrature, qui dispose de déclinaisons locales, accompagne la prise de décision du président de l'Office.
Par ailleurs, il convient de s'interroger sur la rédaction retenue en ce qui concerne les campagnes politiques au sein des médias. La gratuité imposée devrait ne pas inciter les médias privés à réserver une place aux formations politiques. L'accès aux médias publics reste, dans le même temps, difficile pour l'opposition.
En ce qui concerne l'interdiction faite, aux termes du Quatrième amendement, à la Cour constitutionnelle de se référer à sa jurisprudence passée, la Cour a elle-même estimé dans un arrêt rendu public le 12 juin 2013 qu'elle pouvait toujours le faire et les citer sous certaines conditions. L'arrêt du 12 juin visait les lois cardinales sur l'organisation des tribunaux qui, selon la Cour, n'auraient pas dû être adoptées à la majorité des deux tiers et ne seraient pas de niveau constitutionnel. Le Cinquième amendement a, par ailleurs, rallongé le délai imposé à la Cour constitutionnelle pour rendre sa décision à la suite de la requête d'un juge : elle disposera désormais de 90 jours contre 30 initialement.
Le Cinquième amendement témoigne d'une volonté réelle du gouvernement de faire cas de certaines objections formulées par la Commission européenne ou le Conseil de l'Europe. Elle doit, à ce titre, être saluée. Il n'en demeure pas moins que la pratique du pouvoir peut laisser penser qu'un certain nombre de ces mesures contestées pourront être réintroduites d'une autre manière dans le corpus législatif hongrois. La procédure législative elle-même favorise l'adoption rapide de mesures contestables sans véritable débat, puisque l'examen du texte n'excède jamais 48 heures. Les propositions de loi ne donnent pas lieu par ailleurs à un examen en commission. Un certain nombre de projets gouvernementaux ont ainsi été « repris »par des parlementaires pour accélérer la procédure : c'est notamment le cas de la réforme de la distribution de tabac. 822 lois ont ainsi pu être adoptées en quatre ans. Les licenciements massifs opérés dans la fonction publique garantissent quant à eux au gouvernement un personnel conciliant. Il convient de relever que ces évictions ont été neutres financièrement puisque les primes de licenciement ont été taxées à 98 % par l'État.
3. Quel poids pour les contrepouvoirs ?
a) La presse
Adoptée en 2010, la loi sur les médias a débouché sur la création du Conseil des médias. Composé de 9 membres et présidé par un proche du Fidesz , il est chargé d'attribuer et de renouveler les fréquences. Il peut également fixer des amendes visant les contenus des programmes. Klubradio , radio hostile au gouvernement, a constitué le premier cas emblématique traité par le Conseil des médias. Le refus du renouvellement de la fréquence de cette radio a débouché sur plusieurs décisions de justice invalidant la position de l'Autorité de régulation. Au terme d'un long marathon judiciaire, le Conseil des médias a finalement octroyé une licence permanente à Klubradio le 14 mars 2013. Cette décision illustre le retrait relatif de l'Autorité des médias suite à la révision de la loi la concernant. Celle-ci a d'ailleurs été jugée satisfaisante par le Conseil de l'Europe. Le Conseil des médias insiste désormais sur le fait que l'Autorité des médias ne peut s'autosaisir sur la teneur des articles parus dans la presse et qu'elle ne peut demander une correction qu'en cas de faute avérée.
Cette inflexion institutionnelle ne saurait pour autant dissimuler les difficultés que peut encore rencontrer la presse dans le pays.
Le gouvernement a, ainsi, procédé à de profonds changements au sein des médias publics. Le nombre de journalistes de l'agence de presse MTI a été divisé par quatre, passant de 200 à 50. Les dépêches de cette agence sont par ailleurs devenues gratuites, fragilisant le travail des agences indépendantes. Les médias privés (journaux, radios et, dans une moindre mesure, chaînes de télévision) sont, quant à eux, concentrés dans les mains d'oligarques proches du pouvoir. Ils constituent aujourd'hui une caisse de résonnance pour les campagnes de communication menées par le gouvernement. Ces mêmes oligarques sont également les propriétaires des agences de communication utilisées par le gouvernement. 75 % de l'affichage publicitaire en Hongrie seraient ainsi gérés par la société de László Simicska, membre du Fidesz . Le gouvernement a d'ailleurs consacré, en 2012, 700 millions d'euros à la promotion de son activité. Cependant, à la veille du scrutin législatif d'avril 2014, les tarifs en matière d'affichage public demeurent opaques.
Le Conseil des médias s'estime, de son côté, incompétent pour évaluer l'impact des concentrations dans le secteur audiovisuel. Selon certains observateurs, il semble néanmoins clair que toute loi dans ce domaine ne pourrait condamner cette collusion de fait entre intérêts politiques et intérêts financiers.
Un projet de loi instaurant une taxe sur la publicité pourrait permettre de renforcer la pression du gouvernement sur les chaînes de télévision privées. Notamment en ce qui concerne TV2, à vendre depuis plusieurs mois. Certains observateurs relèvent que cette taxe pourrait constituer un moyen de faire baisser le prix de vente de la chaîne afin de la faire passer entre les mains d'investisseurs proches du pouvoir. Les recettes attendues de cette taxe sont estimées à 18,3 millions d'euros.
Une réforme du Code pénal est par ailleurs intervenue le 5 novembre dernier, prévoyant une peine d'emprisonnement d'un an pour les réalisateurs de vidéos falsifiées et une peine de deux ans pour les diffuseurs. Cette loi fait suite à la manipulation d'une vidéo à des fins politiques. L'élection municipale partielle organisée à Baja le 22 septembre 2013 a été invalidée suite à des allégations de fraude visant le candidat du Fidesz dans un des bureaux de vote. Des vidéos postées sur internet sont venues étayer ces soupçons. Le nouveau scrutin, organisé le 13 octobre, a donné lieu à la publication d'un nouveau document sur le site de HVG , l'hebdomadaire économique le plus lu dans le pays. Cette vidéo montre des militants du Fidesz rémunérant des membres de la communauté rom pour aller voter. Ce document s'est avéré in fine être un faux, réalisé par un membre du MSZP, un des principaux partis d'opposition.
Dans ce contexte, l'indépendance de la presse demeure sujette à caution. Les médias publics, comme l'agence de presse hongroise, sont, depuis 2010, de véritables outils de communication au service du gouvernement alors que les médias privés se concentrent sur le divertissement. Reste, malgré ces difficultés, une presse d'opposition relativement vivante qui cherche de nouveaux moyens de communiquer via Internet. La question de son financement, également prégnante en France, passe par la promotion de modèles économiques alternatifs, à l'image du site d'information Atlatszo , financé par ses lecteurs. In fine , la plus grande menace qui pèse sur elle ne tient pas tant aux sanctions que peut prendre l'Autorité des médias que sur le risque de céder à une forme d'autocensure en vue de garantir certains de ses financements, dans une période marquée par une diminution des recettes publicitaires de 30 % en 2012. Cette baisse est liée pour partie au contexte économique, mais aussi à l'attitude de certaines sociétés qui ne souhaitent pas apparaitre dans des journaux d'opposition alors qu'elles concourent pour des marchés publics.
b) Les contre-pouvoirs institutionnels
La procédure de nomination concernant la composition des principaux contre-pouvoirs étant de nature politique, il est à craindre, comme le relèvent un certain nombre d'organisations non gouvernementales, que l'indépendance de ceux-ci soit totalement remise en cause.
À la lumière de la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle, il convient d'être un peu plus nuancé. La Cour s'est ainsi montrée très réservée sur l'action législative du gouvernement depuis son arrivée au pouvoir, et cela en dépit de la modification des règles encadrant sa composition. Le Quatrième amendement censé, l'empêcher de recourir à la jurisprudence qu'elle a définie avant 2012, n'est absolument pas respecté par la Cour, comme en témoigne l'arrêt du 12 juin 2013.
Le rôle de la Cour suprême doit également être souligné, puisqu'elle a, le 17 décembre 2013, refusé subtilement d'appuyer le gouvernement dans sa politique à l'égard des banques. Le manque d'indépendance des tribunaux redouté à l'aune de la réforme judiciaire introduite par le gouvernement ne s'est, par ailleurs, pas toujours traduit dans les faits, comme en témoignent les décisions favorables à Klubradio rendues par la Cour d'appel de Budapest.
Le rôle du Président de la République ne doit pas non plus être occulté. M. János Áder, ancien député du Fidesz élu à la tête de l'État le 2 mai 2012, a déjà refusé de promulguer une dizaine de lois, dont deux textes particulièrement importants. Le premier concernait la réforme de la procédure électorale, qui obligeait les électeurs à s'enregistrer sur les listes électorales avant chaque scrutin. Le Code électoral prévoit simplement que les Hongrois en âge de voter n'ont qu'à se présenter le jour du vote munis des documents nécessaires. Leur identité est alors vérifiée à partir d'un registre national. Le projet fut in fine invalidé par la Cour constitutionnelle le 4 janvier 2013, suite à sa saisine par le Président de la République. Celui-ci a également refusé de signer et renvoyé au parlement, le 9 mai 2013, une loi sur l'accès aux informations publiques. Le texte limitait l'accès aux informations concernant les dépenses publiques à deux institutions - la Cour des comptes (ASZ) et le Bureau de contrôle gouvernemental (KEHI) - afin de combattre les " abus de demandes de données ". L'opposition a vu dans cette proposition une atteinte à la liberté de la presse. Le chef de l'État a également estimé que la loi ne devrait pas mener à la restriction des données d'intérêt public. Le nouvel examen du texte par le parlement a cependant conduit au maintien du dispositif, qui peut apparaitre contraire à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en la matière, comme en témoigne un arrêt du 16 juillet 2013.
De fait, en dépit des réserves régulières du Président de la République, les contre-pouvoirs institutionnels semblent limités à la sphère judiciaire. L'absence de bicamérisme est ici clairement préjudiciable. Une seconde chambre aurait notamment pu tempérer certains excès en allongeant la procédure législative, et donc le temps du débat.
* 1 Exprimé en standard de pouvoir d'achat, c'est à dire corrigé des effets de change et de prix.
* 2 Statement from the President of the European Commission and the Secretary General of the Council of Europe on the vote by the Hungarian Parliament of the Fourth amendment to the Hungarian Fundamental Law
* 3 Hongrie : inquiétude de l'ONU après l'adoption d'un amendement à la Constitution
* 4 La Commission européenne exprime une nouvelle fois ses préoccupations au sujet du Quatrième amendement de la Loi fondamentale hongroise / Commission Européenne - IP/13/327
* 5 CDL-AD(2013)012-e Opinion on the Fourth Amendment to the Fundamental Law of Hungary Adopted by the Venice Commission at its 95th Plenary Session, Venice, 14-15 June 2013