C. UN ÉTAT DE DROIT CONSOLIDÉ

1. De réels progrès en matière de droits de l'Homme

La Slovaquie est aujourd'hui un État de droit dans lequel la puissance publique est soumise au respect des normes juridiques .

Elle a adhéré au Conseil de l'Europe le 30 juin 1993. Dans son dernier rapport 10 ( * ) , la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dite « commission de suivi » 11 ( * ) , relève peu de points relatifs à la Slovaquie. Ainsi, sur les 1 678 arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'Homme en 2012, seuls 23, soit 1,37 %, concernaient la Slovaquie. Sur un total de 128 100 affaires pendantes au 31 décembre 2012, seules 481, soit 0,36 %, étaient relatives à ce pays. Les arrêts les plus marquants portaient sur la compensation disproportionnellement faible dans une affaire de cession obligatoire d'un terrain par une association de propriétaires terriens et sur le risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l'Homme dans une affaire d'expulsion. Par ailleurs, un rapport du Groupe d'États contre la corruption du Conseil de l'Europe (GRECO) de décembre 2012 souligne l'absence de progrès depuis l'évaluation précédente en matière de transparence du financement des partis politiques.

2. Des efforts encore nécessaires

Pour autant, l'État de droit en Slovaquie présente un caractère perfectible en raison des écarts qui subsistent entre le droit et son application concrète . La mise en oeuvre des normes législatives et réglementaires reste inégale.

Des nominations à des postes importants, généralement indépendants, peuvent être des enjeux de pouvoir entre partis politiques qui cherchent à éviter des personnalités qui leur soient hostiles. Ainsi le pays a-t-il été privé de procureur général pendant plus de deux ans. De même, le poste de président de la Cour des comptes demeure vacant depuis des mois, faute d'un accord entre majorité et opposition sur le nom de l'éventuel titulaire, ce qui contraint l'ancien président à assurer l'intérim. Par ailleurs, des affaires de corruption ou d'abus de biens publics impliquant parfois des responsables politiques de haut niveau peuvent ne jamais être élucidées. C'est le cas de l'affaire Gorila relative à des faits de corruption par un grand groupe financier et qui avait donné lieu à des manifestations d'une ampleur inédite pendant la campagne des élections législatives de 2012. Seuls des « seconds couteaux » ont été poursuivis en justice. Les journaux font également régulièrement état de favoritisme dans l'attribution des marchés publics ou de détournement des fonds européens.

Deux domaines concentrent plus particulièrement les critiques sur les lacunes de l'État de droit en Slovaquie : la justice et la situation de la communauté Rom .

a) Le cas particulier de la justice

La séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice sont garanties en Slovaquie.

Le fonctionnement du système judiciaire constitue cependant un obstacle majeur à l'amélioration de l'État de droit.

La Slovaquie est d'ailleurs le pays de l'Union européenne où la population a le moins confiance en sa justice. Lui sont notamment reprochées la cooptation, des pressions professionnelles, des procédures disciplinaires manipulées ou encore une politisation de la Cour constitutionnelle.

La situation slovaque est particulière car elle ne résulte pas d'un manque d'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique, mais d'une indépendance perçue comme excessive par l'opinion publique et qui ferait obstacle à toute volonté réformatrice. Le système judiciaire slovaque est ainsi considéré comme opaque et replié sur lui-même, voire corrompu.

Contrairement à la situation qui prévaut dans de nombreux pays, la corruption est perçue, en Slovaquie, comme touchant davantage le système judiciaire que la sphère politique. Cette perception tient à l'adoption, généralement avant le changement de gouvernement en 2012, de dispositions législatives controversées. Ainsi, le ministre de la justice peut démettre de ses fonctions un président de tribunal sans être obligé de motiver sa décision ni sans qu'aucun organe judiciaire ne soit préalablement consulté. De même, les principes déontologiques applicables aux magistrats ne peuvent servir de fondement à une procédure disciplinaire ni servir de base à l'évaluation professionnelle des juges. Si les magistrats sont tenus de déclarer sur l'honneur leurs activités accessoires et leur patrimoine après leur entrée en fonction, ces déclarations ne sont quasiment jamais vérifiées et sont difficilement consultables.

b) Les minorités et la marginalisation persistante des Roms

La question des minorités est importante en Slovaquie. Sa sensibilité a d'ailleurs des répercussions sur sa politique étrangère, puisqu'elle n'a pas reconnu l'indépendance du Kosovo .

Le pays compte une importante minorité hongroise d'environ 550 000 personnes , soit 10 % de la population, essentiellement concentrée dans le sud du pays. Elle est représentée par deux partis politiques, le SMK, qui réclame l'autonomie pour les zones majoritairement peuplées par des Hongrois, et le Most-Hid, plus récent et plus modéré, favorable au rapprochement entre les Slovaques et les Hongrois. Le premier, n'ayant pas franchi le seuil des 5 % aux élections de 2012, n'est plus représenté au Conseil national, contrairement au second, qui dispose de 13 sièges.

Néanmoins, la question des minorités en Slovaquie est dominée par celle des Roms, dont l'intégration constitue probablement l'un des principaux défis à relever pour le pays . La communauté rom, en effet, y demeure très marginalisée .

Les Roms forment la deuxième minorité la plus importante de Slovaquie 12 ( * ) . Le dernier recensement officiel, en 2011, dénombrait 107 000 citoyens slovaques de « nationalité » rom, la Slovaquie ayant conservé la distinction, datant du régime communiste, entre la citoyenneté, c'est-à-dire l'appartenance à l'État, et la nationalité. Mais beaucoup de Roms ne se déclarent pas en tant que tels. La minorité rom, très majoritairement sédentaire en Slovaquie, est estimée entre 400 000 à 500 000 personnes , soit 7,5 % à 10 % de la population slovaque, dont au moins 300 000 vivent dans une grande pauvreté. La plupart d'entre eux sont concentrés dans l'est du pays. Les Roms connaissent une démographie très dynamique, soit, en 2010, un taux de natalité de 2,5, voire 3, pour un taux de natalité moyen de 1,45. Aussi les Roms devraient-ils représenter au moins 16 % de la population active en 2030.

L'intégration des Roms n'occupe pas une place élevée dans l'agenda politique slovaque et ce sujet n'a quasiment pas été abordé au cours des dernières campagnes électorales, en raison des nombreux préjugés sur cette communauté (paresse, caractère asocial, assistanat, etc.). Tant le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe que la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) de la même Organisation ont souligné, pour le premier, la ségrégation scolaire des enfants rom, et, pour la seconde, la situation préoccupante des Roms dans divers domaines tels que le logement, l'emploi ou la santé, ainsi que la montée des discours de haine envers cette communauté.

Une dizaine de documents stratégiques ont été élaborés, en général sous l'impulsion de l'Union européenne, mais leurs résultats n'ont guère été probants. Il en est de même pour les sommes importantes allouées aux projets en faveur des Roms (300 millions d'euros sur la période 2014-2020). L'impression qui domine est que l'Union européenne finance les programmes en faveur des Roms, mis en oeuvre par les ONG, dans une relative indifférence des autorités slovaques . Il est vrai que l'opinion publique slovaque demeure hostile aux Roms - il existe 14 murs anti-Roms dans le pays.

Le gouvernement a annoncé une vaste réforme, qui devait être opérationnelle à la fin 2012, mais qui a été reportée à plusieurs reprises, suscitant de vives critiques des ONG qui déplorent l'absence de volonté politique. Le poste de vice-Premier ministre pour les minorités a été supprimé et la compétence répartie entre plusieurs ministères. Le gouvernement a néanmoins désigné un plénipotentiaire pour la communauté rom, Peter Pollak, lui-même issu de cette communauté, et par ailleurs député d'opposition (parti OL'aNO). Il s'agit du premier élu rom au parlement slovaque depuis l'indépendance.

Ce dernier entend suivre la consommation des fonds européens alloués à l'intégration des Roms, parfois détournés de leur finalité. Il a également beaucoup travaillé avec le gouvernement sur un projet visant à l'élaboration d'une nouvelle législation couvrant plusieurs secteurs.

Les grandes lignes du projet de législation en faveur de l'intégration

des Roms en Slovaquie

Secteur éducatif 13 ( * )

- Accent porté sur l'éducation, en particulier sur l'éducation pré-scolaire, rendue obligatoire. La construction de jardins d'enfants, quasi-inexistants aujourd'hui en Slovaquie, serait financée grâce aux fonds européens

- Extension de la durée de scolarisation obligatoire, de 10 à 12 ans, notamment pour faciliter l'orientation des enfants vers l'enseignement professionnel et leur insertion sur le marché du travail

- Fin du placement systématique des enfants rom dans les écoles spéciales, en principe réservées aux enfants souffrant d'un handicap mental 14 ( * )

Aide sociale

- Modification du système des allocations sociales, considéré comme insuffisamment motivant, en créant un lien entre scolarisation et obtention des allocations

Logement

- Facilitation de l'accès à la propriété des terrains sur lesquels sont installées de nombreuses communautés rom, et qui sont le plus souvent dépourvus d'infrastructures d'assainissement ou de transport du fait du caractère généralement illégal de l'occupation de ces terrains

- Encouragement des communautés rom à participer elles-mêmes à la construction de leurs logements

- Financement des infrastructures sur fonds européens

Accès au travail

- Accès progressif au travail selon des procédures adaptées pour l'accès à un marché du travail intermédiaire au sein d'entreprises spécifiques offrant un salaire inférieur au salaire minimum, mais supérieur aux prestations sociales

Le Conseil national a récemment adopté les premières mesures de ce programme, entrées en vigueur le 1 er janvier 2014. Il s'agit néanmoins de son volet « répressif » qui tend à durcir les conditions d'attribution de certaines allocations sociales qui, de fait, concernent en premier lieu les Roms. Deux lois ont été votées : la première instaure un lien entre l'obtention de l'allocation sociale de base et la réalisation par le bénéficiaire de travaux d'intérêt général (32 heures par mois) et ouvre à l'administration la possibilité de prélever une partie de l'allocation pour payer une amende qui aurait été infligée au bénéficiaire ayant commis un délit, tandis que la seconde loi conditionne le versement des allocations familiales à la présence de l'enfant à l'école ainsi qu'à son comportement.

Ces mesures ont été critiquées par les ONG qui travaillent en direction des Roms, qui se sont aussi interrogées sur leur constitutionnalité.

En revanche, aucune échéance n'a été fixée pour les autres aspects, plus « positifs », du programme.

Dans chacun de ces deux cas, le système judiciaire et l'intégration des Roms, la volonté de réforme du gouvernement apparaît limitée et empreinte d'un certain fatalisme. Ainsi le Premier ministre aurait-il déclaré que la Slovaquie n'aurait pas un État de droit standard tant que son niveau de vie ne serait pas proche de celui des pays d'Europe occidentale.

Pour autant, vos rapporteurs considèrent que l' appartenance de la Slovaquie à l'Union européenne constitue, de toute évidence, la meilleure incitation à progresser .


* 10 Rapport intitulé L'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée (juin 2012 - septembre 2013) , établi par M. Andres Herkel (Estonie - PPE/DC) ; document n° 13304 du 16 septembre 2013.

* 11 À l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la Slovaquie a fait l'objet d'une procédure de suivi jusque la fin 1999 et d'un dialogue post-suivi jusque la fin 2005.

* 12 La Slovaquie compte également 24 000 Ruthènes et 6 000 Allemands dits « des Carpates », qui sont bien assimilés. Rudolf Schuster, issu de cette dernière communauté, a été président de la République slovaque de 1999 à 2004.

* 13 Moins de 5 % des Roms finissent leurs études secondaires.

* 14 En janvier 2012, une décision de justice a condamné une école primaire pour ségrégation scolaire organisée visant des enfants rom.

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