N° 405
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 février 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la Slovaquie , un partenaire fiable en Europe ,
Par M. Simon SUTOUR et Mme Colette MÉLOT,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
Slovaquie Données générales
Nom officiel : République slovaque
Données géographiques
Superficie : 49 035 km² (45 % de forêts)
Données démographiques
Population : 5,471 millions d'habitants
Données économiques (2012)
PIB : 72,9 Mds €
Taux de croissance : 2 % (prévision 2013 :
1,1 %)
Principaux clients : Allemagne (20,1 %), Rép.
tchèque (14,2 %), Pologne (7,4 %), Hongrie (7,3 %),
Autriche (7,1 %), France (6,3 %)
Part des principaux secteurs d'activités dans le PIB : - agriculture : 3,9 % - industrie : 35,1 % - services : 61,9 %
Exportations de la France vers la Slovaquie :
1,9 Md € (10
e
fournisseur)
Communauté française en Slovaquie : 950
Français enregistrés (2 000 estimés)
La Slovaquie et l'Union européenne
Contribution au budget de l'UE 2011 :
0,57 Md €
Part des échanges commerciaux de la Slovaquie avec l'UE : - avec l'UE 27 : 79,9 % (75,2 % des importations et 84,6 % des exportations) - avec l'eurozone : 45,2 % (44,1 % des importations et 46,2 % des exportations)
Nombre de députés au Parlement européen : 13
/766
Source : Ministère des affaires étrangères |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Une délégation de la commission des affaires européennes s'est rendue en République slovaque du 24 au 27 novembre 2013, à Koice, qui partage avec Marseille le statut de capitale européenne de la culture 2013, puis à Bratislava, la capitale. Ce pays venait de célébrer le 20 e anniversaire de son indépendance, après la partition de la Tchécoslovaquie en 1993, et de recevoir la visite officielle de François Hollande, la première d'un président de la République française sur son sol depuis la proclamation de l'indépendance.
Ayant pour objet d'étudier la politique européenne de la Slovaquie, ainsi que sa situation politique et économique, ce déplacement a permis à la délégation de constater combien ce pays a accompli en peu de temps des réformes dans de très nombreux domaines et occupe désormais une place importante dans l'Union européenne, à laquelle il a adhéré il y a dix ans. Les autorités et l'opinion publique slovaques peuvent être, à juste titre, fières des progrès réalisés.
Vos rapporteurs remercient l'ensemble de leurs interlocuteurs pour leur excellent accueil et les informations qu'ils leur ont apportées, en particulier ¼ubo Blaha, président de la commission des affaires européennes du Conseil national slovaque, dont l'invitation est à l'origine de ce déplacement. Ils adressent également leurs remerciements à S.E. Didier Lopinot, ambassadeur de France en Slovaquie, et à ses collaborateurs qui ont largement contribué au très bon déroulement de cette mission qui a participé au renforcement du dialogue politique entre nos deux pays, en particulier au niveau parlementaire.
De celle-ci, vos rapporteurs retiennent que la Slovaquie est un pays aujourd'hui stabilisé qui bénéficie d'une situation économique globalement satisfaisante. Le pays jouit d'une véritable crédibilité internationale et a trouvé sa place au sein de l'Union européenne et de la zone euro. Enfin, il entretient avec notre pays des relations traditionnellement bonnes qui ont été récemment relancées par la visite présidentielle. L'ensemble de ces éléments font de la Slovaquie un partenaire fiable en Europe .
I. VINGT ANS APRÈS SON INDÉPENDANCE, LA SLOVAQUIE EST UN PAYS STABILISÉ
La Slovaquie a récemment célébré le 20 e anniversaire de son indépendance . Elle est en effet un État souverain depuis le 1 er janvier 1993 , lorsque les Tchèques et les Slovaques, réunis au sein de la Tchécoslovaquie en vertu des traités de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 et de Trianon du 4 juin 1920, décidèrent de se séparer et de fonder deux États distincts : la République tchèque et la République slovaque.
En vingt ans, la Slovaquie a accompli des progrès considérables qui font d'elle un pays aujourd'hui stabilisé et moderne.
A. UNE VIE POLITIQUE APAISÉE
Historiquement, la Slovaquie indépendante avait laissé des souvenirs sombres. Les Slovaques, qui ont longtemps vécu dans l'ombre des Tchèques, profitèrent du chaos engendré par les accords de Munich en 1938 pour proclamer l'indépendance du pays l'année suivante, sous la pression d'Hitler. Le nouvel État slovaque est dirigé par Monseigneur Tiso qui instaure un régime de parti unique, promulgue une législation antisémite et devient un allié de l'Allemagne nazie.
Ces six années de l'histoire slovaque expliquent en partie les doutes, sinon les inquiétudes, sur la viabilité d'une Slovaquie détachée de la République tchèque.
1. Des débuts difficiles
Les premières années de la Slovaquie indépendante furent difficiles à tel point que Madeleine Albright, alors secrétaire d'État de Bill Clinton, la qualifia de « trou noir de l'Europe » en 1997.
En effet, sous la direction de Vladimir Meciar, le pays s'engagea dans une voie nationaliste et autoritaire, qui l'isola du reste de l'Europe. Ce n'est d'ailleurs qu'en 2004 que la Slovaquie fut admise dans l'OTAN, alors que la République tchèque y avait adhéré cinq ans plus tôt.
Plus récemment, l'instabilité politique chronique provoqua la chute du gouvernement d'Iveta Radicova, au pouvoir depuis juillet 2010 et composé de quatre partis de droite et du centre-droit (KDH 1 ( * ) , SDKU-DS 2 ( * ) , SaS 3 ( * ) et Most-Hid 4 ( * ) ) aux vues divergentes sur l'Europe. Le parti SaS refusa de ratifier l'avenant au Fonds européen de stabilité financière (FESF) en octobre 2011 et entraîna ainsi l'éclatement de la coalition. Le SMER-SD (Direction - Sociale Démocratie), principal parti d'opposition à l'époque, apporta les voix manquantes à cette ratification, en échange de l'organisation d'élections législatives anticipées.
Cette époque, pas si ancienne, semble pourtant révolue.
2. Une direction politique aujourd'hui stable
a) Une majorité assurée
Depuis les élections du 10 mars 2012 5 ( * ) , remportées par le SMER-SD, le gouvernement est dirigé par Robert Fico , qui avait mené une campagne résolument pro-européenne. Celui-ci avait déjà exercé ces fonctions entre 2006 et 2010, mais dans le cadre d'une coalition réunissant son parti et le parti nationaliste SNS.
Le chef du gouvernement est très attaché à apparaître comme un dirigeant crédible et fiable à la fois sur le plan intérieur - le retour à la stabilité était l'une de ses promesses électorales - et vis-à-vis de ses partenaires extérieurs, européens en particulier, d'autant plus que son premier gouvernement avait suscité une certaine méfiance en Europe du fait de la composition de sa coalition.
Dans le système institutionnel slovaque, la réalité du pouvoir exécutif est détenue par le Premier ministre, le président de la République, pourtant élu pour un mandat de cinq ans au suffrage universel, ayant une fonction essentiellement de représentation, du moins dans la pratique actuelle. Le mandat du président Ivan Gasparovic, l'un des principaux rédacteurs de la Constitution et ancien proche de Vladimir Meciar avant de rompre avec lui, élu en juin 2004 et réélu en avril 2009, vient à échéance en 2014.
Le rôle prépondérant du Premier ministre dans la détermination et la conduite de la politique du pays est accentué par l' existence , pour la première fois depuis l'indépendance de la Slovaquie, d'une majorité absolue au Conseil national , le parlement slovaque monocaméral, alors que six gouvernements de coalition, souvent hétéroclites, s'étaient succédé depuis 1993. Aussi la stabilité de sa majorité paraît-elle assurée jusqu'aux élections législatives de 2016.
Composition du Conseil national slovaque
( élections législatives du 10 mars 2012 )
Robert Fico dispose d'une forte légitimité à la tête du SMER-SD et apparaît comme plus serein dans l'exercice de ses responsabilités que lors de son précédent mandat. Il est également davantage porté à communiquer sur ses réformes et cherche à rassurer. Il a ainsi nommé plusieurs ministres « apolitiques », dont le vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères et européennes, Miroslav Lajcak, mais aussi les ministres de l'économie, de la justice et de la santé.
À la mi-décembre 2013, Robert Fico, après une période d'hésitation, a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle prévue les 15 et 29 mars 2014, mettant en avant la paix sociale et la stabilité politique que son expérience de l'exercice des responsabilités contribuerait à garantir et la dimension européenne et internationale de sa candidature.
Son ascendant sur la politique slovaque pourrait conduire, en cas de victoire, à une évolution de l'exercice des pouvoirs présidentiels, en tout cas de la pratique du Président Gasparovic. Le président de la République tient de la Constitution des prérogatives non négligeables, en particulier celles de saisir la Cour constitutionnelle, de renvoyer une loi au Parlement ou de procéder à un certain nombre de nominations. Un chef de l'État doté d'une personnalité forte et élu au suffrage universel pourrait chercher à utiliser ses compétences pour peser davantage sur les orientations de la politique nationale.
b) Une opposition divisée
Le SMER-SD occupe d'autant plus l'espace politique à gauche que la droite reste profondément divisée entre différentes formations aux options parfois diamétralement opposées, en particulier sur des thèmes de société et l'Europe. Plusieurs dirigeants historiques de la droite slovaque ont annoncé leur retrait de la vie politique, dont Vladimir Meciar et Iveta Radicova.
Six partis de droite sont représentés au Parlement : trois partis de centre-droit (KDH, le plus important, Most-Hid et SDKU-DS), un parti ultra-libéral et eurosceptique (SaS), un parti populiste dit « des gens ordinaires et des personnalités indépendantes » (OL'aNO) et un parti formé de dissidents du KDH et du SaS (Nova Dohoda), qui ne compte toutefois pas assez de membres pour disposer d'un groupe parlementaire. Le parti de Vladimir Meciar n'est pas parvenu à entrer au Parlement, pas plus que la droite nationaliste, pour la première fois depuis l'indépendance.
Ces différentes formations souffrent d'une image marquée par des affaires de corruption et aussi de leurs divisions. Pour la première fois depuis les élections législatives de 2012, elles ont néanmoins réussi à s'unir pour déposer une motion de censure, rejetée fin septembre 2013, dénonçant le projet gouvernemental de contrôle de la fixation du prix du gaz 6 ( * ) .
Les partis de droite traditionnels sont concurrencés par des formations récentes mélangeant généralement discours populistes et forte présence médiatique.
Pour l'instant, aucun dirigeant capable de rassembler son camp n'est parvenu à émerger à droite. D'ailleurs, les partis de droite n'ont pas été en mesure, jusqu'à présent, de se mettre d'accord sur un candidat commun capable d'affronter Robert Fico à l'élection présidentielle.
3. La montée de l'extrême droite populiste ?
Les élections régionales de novembre 2013 ont vu la victoire inattendue du candidat d'extrême droite à la présidence de la région de Banska Bystrica , qui a suscité, en Slovaquie et au-delà en Europe, des débats inquiets sur la percée de discours populistes.
Rappelons qu'au début des années 1990, la Slovaquie avait conservé du régime communiste des structures administratives extrêmement centralisées. L'affirmation de l'échelon régional s'est faite en deux temps : en 1996, les services de l'État ont été déconcentrés au niveau de huit régions 7 ( * ) puis, en 2001, ces dernières ont été érigées en collectivités territoriales autonomes dotées de compétences importantes (enseignement secondaire, routes, hôpitaux, établissements pour personnes âgées, théâtres, musées, etc.). Ainsi l'échelon régional slovaque consiste-t-il, comme en France, en deux types de structures différentes, mais à périmètre identique : des circonscriptions administratives de l'État et des collectivités territoriales. La Slovaquie est aujourd'hui un État décentralisé.
Le premier tour des élections régionales a eu lieu le 9 novembre 2013 et le second le 23 novembre, avec un double scrutin : élection des présidents de région au scrutin uninominal majoritaire à deux tours et élection des 408 conseillers régionaux. Avant les élections, sept des huit régions étaient présidées par le SMER-SD, la région de Bratislava, la plus prospère 8 ( * ) , étant un bastion de la droite.
À l'issue du premier tour, le SMER-SD a obtenu trois présidences (Zilina, Trencin et Presov) et 27 conseillers régionaux supplémentaires. La droite est restée divisée, mais est assurée de conserver la présidence de la région capitale. Deux « surprises » ont marqué le premier tour : le candidat d'un parti d'extrême droite a devancé celui de la droite dans la région de Banska Bystrica et le candidat du parti magyarophone proche du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, le SMK, a devancé celui de la droite dans la région de Trnava. Le taux de participation a été particulièrement faible (20,1 %). Le nombre des conseillers régionaux indépendants a sensiblement augmenté (de 55 à 73).
Au second tour, le SMER-SD a conservé trois présidences de région (Koice, Nitra et Trnava), la droite continuant donc à ne présider qu'une seule région. En revanche, il a perdu celle de la région de Banska Bystrica au profit du candidat d'extrême-droite, Marian Kotleba, connu pour ses propos anti-Roms et négationnistes et ses opinions pro-Tiso et europhobes, même si la campagne électorale l'avait conduit à des propos plus modérés. Cette élection a provoqué un choc parmi la classe politique et les médias. Elle était d'autant plus inattendue que ce candidat est passé de 21,3 % des voix au premier tour à 55,5 % au second, alors que son adversaire du SMER-SD avait failli être élu au premier tour. La très faible participation, soit 24 % dans la région de Banska Bystrica et 17 % au niveau national, a contribué à la victoire du candidat d'extrême droite. Parmi les facteurs explicatifs, les analystes ont avancé plusieurs hypothèses : la démobilisation de l'électorat, la mauvaise campagne du candidat du SMER-SD, l'absence de consigne de vote du candidat de droite à l'issue du premier tour, le vote protestataire, les difficultés économiques et sociales de la région, etc.
Alors que les autorités évoquaient régulièrement la montée de l'extrémisme politique, cette menace restait jusqu'alors essentiellement virtuelle. L'élection régionale de Banska Bystrica donne une réalité à ce discours.
Pour autant, la portée de cet événement est à relativiser . En effet, le nouveau président de la région est dépourvu à la fois de programme et de majorité, son parti politique n'ayant réussi à faire élire aucun conseiller régional. Ses pouvoirs et sa capacité d'action devraient donc être limités face à une majorité de conseillers régionaux appartenant au SMER-SD. Néanmoins, le fonctionnement de la région rendra nécessaire un modus vivendi entre l'assemblée régionale et son président, celui-ci pouvant s'ériger en victime de ses opposants en cas de blocage persistant.
Il n'en demeure pas moins qu'en Slovaquie, comme dans d'autres États membres, les inquiétudes sont réelles sur les résultats des élections européennes de mai 2014 dans un contexte marqué à la fois par l'euroscepticisme et par un faible taux de participation (19,6 % lors des élections européennes de 2009), comme l'a relevé devant vos rapporteurs ¼ubo Blaha, président de la commission des affaires européennes du Conseil national. Ces craintes sont partagées par les représentants des think tanks .
* 1 Mouvement chrétien-démocrate (centre-droit).
* 2 Union démocratique et chrétienne - Parti démocrate (conservateur et libéral).
* 3 Liberté et solidarité (ultralibéral et eurosceptique).
* 4 Ce parti, dont le nom signifie « pont », respectivement en slovaque et en hongrois, est favorable au dialogue slovaquo-magyar.
* 5 Les députés slovaques sont élus pour quatre ans au scrutin proportionnel à liste nationale à un tour, avec un seuil de 5 % des suffrages exprimés.
* 6 En septembre 2013, le gouvernement a annoncé qu'il entendait prendre le contrôle à 100 % de la maison mère de l'opérateur gazier SPP pour pouvoir contrôler la fixation des prix du gaz aux particuliers.
* 7 Ces huit régions sont les suivantes : Bratislava, Nitra, Trnava, Trencin, Zilina, Banska Bystrica, Koice et Presov.
* 8 La région de Bratislava n'est plus éligible aux fonds européens.