C. DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES
1. Des objectifs 2050 plus hypothétiques
Les objectifs à l'horizon 2050 apparaissent beaucoup plus incertains que ceux de 2020. Le facteur démographique jouera un rôle pour faciliter l'évolution souhaitée, mais néanmoins modeste : alors que la population diminuera de 0,4 % par an entre 2020 et 2050, les consommations d'énergie primaire devraient baisser de 1,6 % par an pour que l'objectif soit respecté.
Dans le bâtiment, les normes applicables aux logements neufs sont sévères, mais le rythme de renouvellement du bâti est inférieur à 1 % par an : il faudrait qu'il passe à 2 % par an du stock des bâtiments existants d'ici 2050. Dans l'industrie, le bas prix des quotas carbone n'incite pas les chefs d'entreprises à faire davantage d'efforts d'efficacité énergétique.
Au final, l'objectif d'une réduction des émissions de CO 2 de 80 % en 2050 apparaît, en l'état actuel des choses, irréaliste, alors même que celui d'une baisse de 40 % en 2020 ne sera vraisemblablement pas atteint.
2. Un recours inévitable aux énergies fossiles
Si, en 2011, la production nucléaire manquante a pu être compensée, en 2022, ce seront 110 TWh supplémentaires de production d'électricité qui manqueront à l'appel. Les énergies renouvelables ne semblant pas en mesure, dans l'immédiat, de combler ce besoin, le gouvernement allemand juge inévitable d'avoir davantage recours à la production thermique.
a) Le charbon et le lignite toujours largement utilisés
Le charbon et le lignite sont des ressources nationales historiques, qui depuis cent cinquante ans ont accompagné le développement industriel du pays. Chaque année, l'Allemagne extrait 70 millions de tonnes du premier et 180 millions de tonnes du second. Les gisements en apparaissent quasi inépuisables, mais l'Allemagne veille à les épargner partiellement en important du charbon, notamment des États-Unis où les cours de ce minerai ont plongé suite à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
Le fait que ces deux filières soient très polluantes vient contrarier les baisses d'émissions de gaz à effet de serre liées au développement des énergies renouvelables, et joue en leur défaveur. De surcroît, l'exploitation à ciel ouvert des mines de lignite a un impact très fort sur les paysages. D'énormes excavatrices déblaient puis remblaient d'importantes quantités de minerai sur de très vastes surfaces, obligeant à condamner, parfois définitivement, prairies et cultures, ainsi qu'à déplacer des populations. Néanmoins, ce combustible à bas prix est utilisé par des centrales produisant de l'électricité en base, et constitue le substitut le plus économique aux centrales nucléaires.
b) Le rôle croissant du gaz
Le gaz bénéficie d'une image relativement bonne dans le public, dans la mesure où la combustion de cette forme d'énergie fossile émet relativement moins de CO 2 que le charbon ou le pétrole. Les centrales à gaz à cycle combiné (CCG) ont un très bon rendement et sont d'un coût investissement peu élevé, ce qui en fait un équipement d'appoint privilégié pour compenser l'intermittence des énergies renouvelables.
L'Allemagne a atteint l'excellence dans les technologies du gaz, Siemens détenant depuis 2012 le record mondial du meilleur rendement avec son plus récent type de CCG (60,75 %), qui accepte des variations rapides de puissance.
Afin d'assurer sa sécurité d'approvisionnement, l'Allemagne mène depuis longtemps une politique d'ouverture vers la Russie, dans une logique de « rapprochement par l'interdépendance ». Cette politique vient de se concrétiser de manière spectaculaire avec l'achèvement du gazoduc North Stream, qui relie l'Allemagne à la Russie à travers la mer Baltique, et qu'elle a largement cofinancé à travers le consortium germano-russe chargé de sa construction et de son exploitation, dont le conseil de surveillance est présidé par l'ancien chancelier Gerhard Schröder.
c) Une rentabilité dégradée pour les centrales thermiques
Ainsi, en dépit du développement continu des énergies renouvelables, le parc des centrales thermiques ne semble pas prêt de se réduire en Allemagne. Au printemps 2012, la fédération des industriels et acteurs du secteur de l'énergie ont rendu publiques des prévisions relatives au renouvellement de ce parc : 17 centrales à charbon et lignite étaient en construction ou en projet, pour une puissance de 18 GW, et 29 centrales à cycle combiné gaz, pour une puissance de 12 GW.
Toutefois, la réalisation effective de la totalité de ces projets pourrait être partiellement remise en cause par la dégradation de la rentabilité des centrales thermiques résultant du caractère intermittent des énergies renouvelables, qui vient les contraindre à fonctionner en semi-base ou en pointe seulement.
3. Les freins au développement des énergies renouvelables
L'essor des énergies renouvelables est donc l'une des clefs du succès du pari audacieux que constitue le tournant énergétique allemand, avec un objectif de 80 % du mix électrique en 2050 contre 20 % en 2011, et une étape intermédiaire à 35 % en 2020. Or, en dépit d'un grand dynamisme qui a fait sans conteste de l'Allemagne le premier pays européen producteur d'énergies renouvelables, et le plus diversifié, le développement de celles-ci rencontre aujourd'hui certains freins.
a) Des filières inégalement mûres
Les différentes filières de production d'énergies renouvelables ne sont pas toutes parvenues au même degré de maturité en Allemagne. Comme en France, les capacités de production hydraulique apparaissent déjà très largement saturées par les installations existantes. Mais, alors que l'hydroélectricité constitue l'essentiel des énergies renouvelables en France, elle n'en représente qu'un peu moins de 15 % en Allemagne.
COMPOSITION DES ÉNERGIES RENOUVELABLES CONSOMMÉES EN 2012
Source : Bundesministerium für Umwelt (BMU) - Development of renewable energy sources in Germany in 2012 - Février 2013.
Bien qu'elle ne bénéficie pas de régimes de vents particulièrement favorables (1600 heures en 2011, contre plus de 2000 heures en moyenne en France), l'Allemagne a été parmi les premiers pays à développer l'éolien terrestre, et à atteindre rapidement une capacité installée importante. Toutefois, celle-ci n'a progressé que très modérément ces dernières années, pour atteindre 29 GW en 2011, car les meilleurs sites sont déjà équipés et le système électrique à de plus en plus de mal à absorber cette énergie intermittente. L'objectif, pour l'éolien terrestre, est de porter la capacité installée de à 36 GW en 2020.
A moyen terme, l'Allemagne compte sur un déploiement massif de l'éolien en mer, avec un objectif de 10 GW en 2020, soit 2 000 turbines géantes de 5 MW chacune, qui devraient produire 30 TWh. Or, cet objectif apparaît insuffisant : il faudrait au moins 25 GW de capacités éoliennes installées en mer pour atteindre en 2020 la proportion visée de 35 % de production électrique à partir de renouvelables. Mais, dans l'immédiat, cette technologie doit encore prouver qu'elle peut tenir ses promesses : pour l'instant, la capacité installée se limite mi-2013 à 245 MW, les coûts restent élevés et les progrès technologiques pour en améliorer les performances ne sont pas identifiés.
Portés par des tarifs d'achat très élevés, d'environ 450 euros par MWh jusqu'en 2009, le solaire photovoltaïque a connu une très forte expansion, la capacité installée passant de 5 à 25 GW en moins de cinq ans. Mais les conditions d'ensoleillement peu favorables en Allemagne (moins de 1000 h de fonctionnement par an en moyenne) affectent la productivité des cellules, et le surcoût de cette énergie a poussé le gouvernement à baisser drastiquement, et de manière non programmée, son tarif en mars 2012. Surtout, le marché de production des panneaux a été capté par les fabricants chinois, provoquant depuis 2011 la faillite de nombreux pionniers allemands du secteur.
Enfin, l'Allemagne mise beaucoup sur le biogaz pour la production d'électricité en cogénération. Mais cette technologie soulève la question des conflits d'usage des terres, dont 10 % de la surface sont déjà affectés aux biocarburants. Or, la concurrence avec les cultures vivrières est une réalité : le pays a dû importer des céréales en 2011 pour la première fois depuis vingt-cinq ans.
b) Un réseau électrique à étendre et à renforcer
Le développement des énergies renouvelables nécessite l'extension et le renforcement du réseau électrique. En effet, schématiquement, la fermeture des centrales nucléaires au Sud du pays devra être compensée par les parcs éoliens de la mer du Nord via de nouvelles lignes à très haute tension, dont il est prévu de construire 4 500 kilomètres avant 2020.
c) Une intermittence difficile à gérer
Par ailleurs, l'intermittence caractéristique de l'éolien et du solaire se révèle difficile à gérer. Le maintien d'une capacité importante de centrales à gaz apparaît donc nécessaire pour absorber des variations rapides de puissance. Mais cette stratégie se heurte à une baisse de la rentabilité de ce parc conventionnel, due au fait que la production d'énergies renouvelables, qui est prioritaire, vient réduire le nombre des heures de fonctionnement sur lesquelles il peut être amorti.
Pour garantir la sécurité d'approvisionnement, le gouvernement a dû soumettre la fermeture des centrales thermiques à autorisation, et améliorer la rémunération de celles maintenues en service.
L'une des clefs du succès de la transition énergétique allemande sera donc le développement de capacités de stockage de l'électricité à grande échelle. L'Allemagne a passé des accords avec la Suisse, l'Autriche et bientôt la Norvège pour l'exploitation conjointe de leurs stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), la seule technologie de stockage aujourd'hui applicable à des excédents massifs d'électricité. A plus longue échéance, elle a lancé un programme de recherche pour explorer tous azimuts les technologies de stockage : air comprimé, volant d'inertie, super-condensateurs, batteries de tous types et hydrogène. L'hydrogène suscite beaucoup d'espoirs. Ce gaz peut servir de carburant dans un moteur thermique ordinaire, être retransformé en électricité par une pile à combustible, être injecté directement en faible proportion dans un réseau de gaz naturel, ou être combiné au CO 2 pour produire du méthane.