CHAPITRE IER : NOTIONS PRINCIPALES RÉGISSANT LA PROBLÉMATIQUE DES BIOCARBURANTS
I. NOTIONS SPÉCIFIQUES AUX BIOCARBURANTS
Agrocarburant
Synonyme de « biocarburant de première génération », le terme agrocarburant souligne l'origine agricole du produit.
Analyse de cycle de vie (ACV) ou écobilan d'un biocarburant.
Procédé qui évalue les impacts environnementaux en identifiant et quantifiant les flux de matières et d'énergies au cours de chaque étape du cycle de vie, depuis l'extraction des matières premières jusqu'à l'élimination finale, en passant par la distribution et le transport.
Étapes du cycle de vie Énergie apportée et gaz rejetés
Source : controverses Sciences-Po, Université-Pierre-et-Marie-Curie, INSEAD.
Apparue dans les années 1990, l'analyse de cycle de vie a fait l'objet en 2006 d'une normalisation internationale, avec les normes ISO 14040, qui doivent garantir la fiabilité et la transparence de l'analyse.
L'ACV permet de passer de la présomption à l'affirmation du caractère écologique des produits. Cet outil reste cependant controversé, notamment parce qu'il traite la dimension environnementale - singulièrement l'effet sur l'affectation des sols - parfois la dimension économique, jamais l'axe social du développement durable.
Changement d'affectation des sols direct (CASD)
Affecter à la production de biocarburants une surface consacrée auparavant à des cultures vivrières soulève une problématique substantielle sur le plan de l'alimentation, mais aussi de l' analyse du cycle de vie , car la quantité de carbone retenue sur un terrain donné varie en fonction du type de culture et de la plante utilisée.
En 2010, l'ADEME a observé : « Devant l'absence de modélisation faisant référence sur ces sujets, il ne semble pas envisageable dans le cadre de cette étude de développer un modèle et proposer des valeurs qui fassent référence. Ainsi, le principe retenu est d'aborder cette question de manière plus modeste à travers une analyse de sensibilité servant à alerter des impacts potentiels que peuvent prendre les biocarburants via ces questions de changements des sols. Ainsi, les résultats présentés dans cette étude n'intègrent pas ces changements, sauf dans les tableaux de mise en perspective ».
Par nature, le sujet concerne exclusivement les carburants de première génération . L'extrême variabilité des émissions dues au changement d'affectation des sols directs selon les types de cultures pourrait conduire à privilégier certains types de biocarburant, mais aucun chiffre ne permet aujourd'hui de se prononcer sur ce point. Sur le plan alimentaire, selon Oxfam International, « de récentes études suggèrent que deux tiers des transactions foncières à grande échelle qui ont eu lieu au cours des dix dernières années ont pour objectif la production d'agrocarburants, grâce à des cultures comme le soja, la canne à sucre, l'huile de palme ou le jatropha. » (« Semences de la faim », 2012).
Changement d'affectation des sols indirect (CASI)
Lorsque la production d'une surface agricole passe de l'alimentation aux biocarburants, d'autres surfaces doivent être allouées à l'alimentation, ce qui impose de remplacer des prairies ou forêts par des cultures alimentaires, entraînant des émissions accrues de CO2 et une dégradation de la biodiversité. Avec des taux européens d'incorporation de biocarburant de plus en plus élevés, les cultures européennes consacrées aux biocarburants occupent de plus en plus de surface, ce qui oblige l'Europe à importer de la nourriture. Autrefois marginal, ce sujet devient sensible.
Le débat est relayé au niveau de l'Union européenne avec la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 et les rapports qui se sont succédé par la suite. On s'interroge encore sur la méthode à utiliser : le Parlement européen souhaite que la Commission européenne élabore une méthode à l'horizon 2016.
Les enjeux sont très importants, car la quantification du CASI peut compromettre l'utilisation des biocarburants. Selon Oxfam International, « les agrocarburants produits à partir de colza ont un bilan gaz à effet de serre (GES) deux fois plus mauvais que celui du diesel qu'ils remplacent et ceux produits à partir de betterave rejettent environ 40 % des émissions de l'essence » si l'on prend en compte les CASI .
Biocarburants liquides ou gazeux
Les biocarburants liquides sont le bioéthanol - mélangé à l'essence en l'État ou après transformation en ETBE - le biogazole ou biodiesel - mélangé au gazole dans la limite de 10 %, sauf pour des flottes captives dont la teneur en biodiesel peut aller jusqu'à 30 % - et le biojet ou biokérosène , destiné aux avions. Ce dernier biocarburant en est encore au stade expérimental.
Le principal biocarburant gazeux est le biométhane , considéré comme gazeux même après sa liquéfaction. Son utilisation à large échelle soulève principalement des difficultés d'infrastructures, à l'instar du gaz de pétrole liquéfié (GPL) et du gaz naturel pour véhicule (GNV). La problématique de l'utilisation du biométhane et de sa fabrication étant extrêmement différente de celle caractérisant le bioéthanol et le biodiesel, le biocarburant gazeux n'entre pas dans l'objet du présent rapport. Lui aussi liquéfié, le biohydrogène reste extrêmement peu utilisé aujourd'hui. Son avenir n'est pas assuré au vu des difficultés inhérentes aux piles à hydrogène, qui produisent de l'électricité.
Biocarburants conventionnels ou avancés
Dans les textes de l'Union européenne, il n'est question ni de première, ni de deuxième, ni de troisième génération de biocarburants (cf. ci-après) mais de « biocarburants conventionnels » et « biocarburants avancés ».
En pratique, l'expression « biocarburant conventionnel » est synonyme de « biocarburants de première génération », les mots « biocarburants avancés » regroupant la deuxième et troisième génération.
Le débat en cours porte sur le plafond admissible de biocarburants conventionnels ajoutés à l'essence et au gazole pris en compte dans le cadre de l'objectif de 10 % d'énergies renouvelables utilisées dans les transports à l'horizon 2020, mais aussi sur l'éventuelle introduction de sous-objectifs spécifiques à l'adjonction de biocarburants avancés en 2020, avec ou sans comptage multiple de ces biocarburants.
Biocarburants de première, deuxième ou troisième génération
Bien que le vocabulaire ne soit pas véritablement fixé, la plupart des auteurs classent les biocarburants en trois générations :
- la première génération concerne les biocarburants obtenus à partir de cultures agricoles - principalement la betterave, le maïs ou le blé pour le bioéthanol, ainsi que le colza, le soja et l'huile de palme pour le biodiesel (dénomination chimique exacte : ester méthylique d'acide gras, parfois dénommé ester méthylique d'huile végétale, en raison de sa provenance) ;
- la deuxième génération regroupe les biocarburants que l'on peut déjà obtenir dans des usines expérimentales mais à des prix de revient encore excessifs. Les filières correspondantes utilisent de la lignocellulose - provenant pour l'essentiel du bois - ou certains déchets gras, provenant de poissonnerie ou même de déchets ménagers.
Il existe deux principales méthodes de production des biocarburants de seconde génération : la voie thermochimique et la voie biochimique.
La voie thermochimique transforme la biomasse en gaz -principalement de l'hydrogène et du monoxyde de carbone, obtenus à 1 000°C et une pression égale à 4 fois la pression atmosphérique - puis obtient du carburant grâce à une réaction chimique dont le résultat varie en fonction du catalyseur mis en oeuvre : à base de fer, il produit du bioéthanol ; à base de cobalt, il permet d'obtenir du biodiesel. Contrairement aux biocarburants de première génération, ceux obtenus par voie thermochimique sont des hydrocarbures synthétiques. La technique mise en oeuvre est connue depuis longtemps, puisqu'elle fut inventée en 1932 par MM. Fischer et Tropsch, mais son prix de revient prohibitif jusqu'à une époque récente a cantonné son usage aux situations où l'approvisionnement pétrolier était très inférieur aux besoins : Allemagne et pays occupés pendant la Seconde Guerre Mondiale ou Afrique du Sud soumise aux sanctions motivées par l 'apartheid .
La voie biochimique permet de transformer la biomasse en sucre par des enzymes. Ce sucre est ensuite transformé en bioéthanol par fermentation.
- la troisième génération , pour l'instant cantonnée en pratique dans les laboratoires de recherche, regroupe des biocarburants obtenus à partir de micro-organismes, notamment de microalgues pouvant accumuler des acides gras transformés en biodiesel. Certaines espèces de microalgues peuvent contenir des sucres, donc être fermentées en bioéthanol ; d'autres peuvent donner du biométhane ; il est également possible d'obtenir du biohydrogène.
Processus d'obtention des biocarburants de première génération
Source : IFP
Biocarburants de deuxième génération issus de lignocellulose et carbone
Biodiesel B2, B5, B7, B30
B2, B5, B7 : carburants destinés aux véhicules à moteur diesel, composés respectivement à 2 %, 5 % ou 7 % de biodiesel et à 98 %, 95 % ou 93 % de gazole dérivé du pétrole.
B 30 : carburant destinés aux véhicules à moteur diesel, composé à 30 % de biodiesel et à 70 % de gazole dérivé du pétrole. Exigeant une adaptation modérée du moteur d'origine, ce carburant est actuellement réservé aux flottes captives bénéficiant de moyens propres de distribution.
L'Union européenne se singularise par l'utilisation très largement dominante de biogazole, dont l'Allemagne est le premier producteur au monde (45 % environ), la France venant en seconde position avec 14 %. Globalement, le biodiesel représente 0,25 % de la consommation de pétrole pour les transports au plan mondial.
Bioéthanol E5, E10, E85 et ETBE
E5 et E10 : carburants destinés aux véhicules à essence, comportant 5 % ou 10 % de bioéthanol et, respectivement, 95 % ou 90 % d'essence dérivée du pétrole. Au niveau mondial, le bioéthanol assure la quasi-totalité de la consommation de biocarburants, principalement pour le continent américain. Globalement, le bioéthanol représente 2,25 % de la consommation de pétrole pour le transport. Ces carburants sont distribués sans signe distinctif, mais l'intégration de bioéthanol à concurrence de 10 % suppose qu'au moins une partie de celui-ci ait été au préalable transformé en ETBE.
ETBE (ethyltertiobutyléther) : biocarburant issu du bioéthanol. Mélangé avec du bioéthanol n'ayant pas subi cette dernière étape chimique, il permet une meilleure incorporation de celui-ci à l'essence, ce qui facilite le passage de 5 % à 10 % de bioéthanol.
Consommation de bioéthanol et de biodiesel au plan mondial
Consommation de biocarburants au sein de l'Union européenne
Source : Oxfam International
Coproduits alimentaires des biocarburants
La distillation qui permet d'obtenir de l'éthanol produit en même temps des drèches ; le bioéthanol issu de betteraves produit des pulpes , tandis que le biodiesel obtenu à partir d'huile végétale génère des tourteaux. Drèches, pulpes et tourteaux sont utilisés pour l'élevage, remplaçant des tourteaux de soja importés.
Ces coproduits imposent de répartir la part de gaz à effet de serre entre les biocarburants et leurs coproduits, ce qui vient compliquer encore la quantification environnementale associée aux biocarburants : la réduction des importations de soja doit logiquement se traduire par une modification du bilan carbone associé à cette culture. Tout dépend alors des choix opérés par les exploitants concernés...