B. MAROC : UN MODÈLE DYNAMIQUE MAIS DES RISQUES DE DÉSÉQUILIBRES

Pour le Maroc, les années 2000 ont été caractérisées par une accélération de la croissance par rapport à la décennie précédente : 4,8% en moyenne de 2000 à 2009 contre 2,6% dans les années 1990. Ce taux de croissance, le plus élevé de la région, est principalement tiré par la demande intérieure (consommation finale et investissement). Le taux d'investissement a connu une augmentation historique (de 26% en 2000 à 34% en 2010) . Les entrées d'investissements directs étrangers (IDE) ont été multipliées par 5 en 10 ans et représentaient plus de 4% du PIB en 2010. Cette croissance s'est déroulée dans un contexte d'ouverture commerciale forte 60 ( * )

1. Un modèle original et volontariste

L'industrie se modernise. Ainsi depuis le début des années 2000, la filière aéronautique se développe de façon constante et prend une dimension internationale. Depuis l'inauguration de l'usine Renault Tanger en 2012 et l'implantation de nombreux équipementiers, le Maroc fait également partie de la cartographie automobile mondiale (6 000 emplois directs attendus). Le secteur tertiaire, tant le tourisme que l'offshoring (dont les centres d'appels), apporte une contribution capitale à l'économie marocaine, ainsi que les transferts des Marocains vivant à l'étranger. Parmi les grands projets récents, on citera le Morocco Mall, gigantesque centre commercial construit à Casablanca sur 10 ha qui aura coûté 175 millions d'euros aux groupes marocain Aksal et saoudien Al-Jedaie.

Ce développement a été accompagné tout au long de la décennie 2000 par une politique volontariste d'investissements en infrastructures, visant à l'amélioration des conditions de vie de la population (routes rurales, électrification, accès à l'eau), tout comme de grands projets (autoroutes, port de Tanger-Med, tramways urbains et ligne ferroviaires, dont le TGV Tanger-Casablanca ou encore la construction d'une centrale solaire à Ouarzazate, destinée à alimenter l'Europe en électricité.

Relativement épargné par la crise financière, le Maroc reste cependant vulnérable aux conditions économiques européennes, aux prix des matières premières et aux variations des précipitations. L'agriculture occupe une place importante dans l'économie marocaine (15% du PIB et 40% de l'emploi).

N'étant pas producteur d'hydrocarbures et de gaz naturel, le Maroc est très sensible aux variations du cours de ces produits. De même, en tant que producteur important de phosphate, il est sensible à la demande d'engrais. Le secteur des phosphates assure le quart des exportations. L'Office chérifien des phosphates OCP, qui emploie quelque 20 000 personnes, reste l'un des principaux moteurs de l'économie nationale. Il a dû faire face en 2011 à une fronde sociale sérieuse accompagnée d'émeutes dans les villes minières de Khourigba et de Safi. En réponse, l'OCP a accéléré le recrutement de 5 800 travailleurs et prend en charge la formation de 15 000 jeunes.

• En 2012, le taux de croissance a ralenti à 2,7% , en raison de la baisse de la valeur ajoutée agricole (-8,7%, du fait de la sécheresse) et de la crise en Europe qui s'est traduite par une réduction de la demande extérieure adressée au Maroc. Néanmoins hors agriculture, le PIB a progressé de 4,8% 61 ( * ) . La croissance globale a cependant continué à être soutenue par la dépense publique.

• L'inflation a été maîtrisée, passant d'environ 10% au début des années 1990 à 1% dix ans plus tard . Les autorités marocaines conduisent une politique du dirham fort afin de maîtriser l'inflation. La monnaie est indexée sur un panier de devises où prédomine l'euro (à 80%). En 2012, l'inflation qui n'avait pas dépassé 1% les trois années antérieures, a atteint 1,3%. Cette accélération est due au relèvement des tarifs des carburants à la pompe intervenu en milieu d'année. On notera toutefois que la fiabilité de ces chiffres est altérée par l'effet des subventions sur les prix à la consommation des produits de première nécessité.

• Le taux de chômage qui est passé sous la barre des 10% en 2006 a continué à décroître pour atteindre 9% au niveau national, mais il demeure élevé parmi les jeunes urbains (32%) et diplômés (20%). En 2011, les autorités ont répondu aux demandes sociales en relevant les salaires du secteur public et en recourant massivement aux subventions pour maintenir les prix de l'énergie et de certaines denrées alimentaires.

2. Un déficit budgétaire préoccupant

Le déficit budgétaire se creuse et atteint 7,1% du PIB en 2012 malgré la bonne tenue des recettes. Il s'est accru au premier semestre pour atteindre 30,4 Mds de dirhams (23,9 au 30 juin 2012). Une part importante de l'alourdissement des dépenses résulte des subventions au titre de la compensation des produits de base (+12,4%, 6,5% du PIB) et de l'augmentation des rémunérations des fonctionnaires, accordée lors du dialogue social d'avril 2011. Le coût des subventions aux prix des produits de base représente 17% de la dépense publique. L'objectif affiché du gouvernement de ramener le déficit budgétaire à 3% du PIB d'ici à 2016 suppose la mise en oeuvre d'une réforme du système de subvention, ce qui est politiquement très délicat. En outre, on observe l'apparition d'un déficit de la caisse de retraite des fonctionnaires qui rendra sans doute nécessaire une réforme.

Au total, la dette publique atteint 58% du PIB à la fin 2012. Mais la position du Maroc reste raisonnable en termes d'endettement extérieur (26,4% du PIB à fin 2012, y compris la dette garantie des établissements et entreprises publiques).

Cela n'a pas empêché cependant l'agence financière Moody's d'abaisser la perspective de la note souveraine du Maroc, de « stable » à « négative » en raison notamment de l'augmentation du déficit public du pays.

3. Risque de déséquilibre des comptes extérieurs

Le déficit commercial est structurel . Le Maroc a échangé 51 mds d'euros de biens en 2012, soit une augmentation de 6% en valeur par rapport à 2011. Les importations (34,4 mds d'euros) ont augmenté de 6,7% et les exportations (16,5 mds d'euros) de 4,7%. En conséquence, le déficit commercial s'est aggravé de 8,6% par rapport à 2011 et le taux de couverture a reculé à 48%. La facture énergétique a été la principale cause de l'aggravation du déficit commercial. La performance à l'exportation du secteur automobile dont la part dans le total des exportations marocaines est passée de 0,5% en 2011 à 3,9% en 2012 mérite d'être soulignée et se poursuit au premier semestre 2013.

La balance courante restée excédentaire grâce à la hausse continue des transferts des Marocains non-résidents et aux recettes touristiques depuis 2000 affiche un solde négatif depuis 2008. Les revenus du tourisme
(-1,6%) 62 ( * ) qui représentent environ 7% du PIB et les transferts financiers des Marocains non-résidents (- 4%) 63 ( * ) ont reculé par rapport à 2011. Au total le déficit de la balance courante a atteint 8,6% du PIB et les réserves de change, en recul de 16,7%, représentaient 4 mois d'importations fin 2012.

4. Une économie fortement soutenue par les investisseurs et les bailleurs étrangers

Le besoin de financement (8,4% en 2012) de l'économie marocaine s'est donc dégradé depuis 2010 (4,4% du PIB). Ce besoin aurait été plus faible si la capacité du Maroc à exporter et à accueillir des investisseurs étrangers 64 ( * ) avait été plus importante, ce qui passe par une amélioration de l'environnement des affaires et une mise à niveau des marchés financiers.

Le royaume est le premier engagement de la BAfD, de l'AFD et un partenaire important de la BEI et de la Banque mondiale. Il est par ailleurs devenu un pays d'intervention de la BERD.

En 2012, il a bénéficié d'un refinancement sur le marché financier international en obtenant de très bonnes conditions pour un montant global de 1,5 milliard de dollars 65 ( * ) et en octobre dernier, d'une importante promesse de dons bilatéraux de la part de quatre monarchies du Golfe (Arabie Saoudite, Qatar, Émirats Arabes Unis et Koweït) pour un montant de 5 Mds USD sur 5 ans (2012-2016). Les bailleurs multilatéraux et bilatéraux restent donc plus que jamais au chevet du Maroc, considéré comme un bon risque, reportant sur ce pays les montants qu'ils n'ont pu engager dans les pays en crise de la région. A titre d'exemple, les engagements de la Banque européenne d'investissement (BEI) dans la région du sud de la Méditerranée ont atteint 1,7 milliard d'euros en 2012 dont plus de la moitié a profité au Maroc.

Sous réserve de fournir dès 2013 des gages sur les réformes urgentes qui permettront d'assainir graduellement le situation économique (réforme de la TVA, fiscalisation des produits des grandes exploitations agricole, compensation et retraites), les bailleurs internationaux aideront le Maroc à attendre le retour de la croissance au niveau mondial et particulièrement en Europe, premier partenaire du pays.


* 60 Réduction des droits de douane, signature d'accords de libre-échange (p.ex. avec l'UE en 1996 ou les Etats-Unis en 2006), accords sur la protection des investissements, mise en place de plans sectoriels afin de développer l'offre exportable du pays.

* 61 Bien qu'en léger ralentissement, la croissance des secteurs non agricoles a néanmoins continué à soutenir l'activité économique, au rythme de 4,8% (5,3% en 2011). Le secteur secondaire a ainsi cru de 3,2% grâce aux activités énergétiques, au BTP et à la construction automobile, compensant les faibles performances des activités du phosphate et des industries électriques et électroniques. Les activités tertiaires ont connu une croissance de 5,7%, grâce aux secteurs des télécommunications, des services aux entreprises et ceux fournis par les administrations publiques.

* 62 Le tourisme est sensible à la crise économique internationale mais aussi à la situation politique et sécuritaire en 2011 dans le contexte des révolutions arabes et après l'attentat de Marrakech, le nombre de nuitées enregistrées dans des établissements classés a chuté de 6%.

* 63 Les transferts des Marocains non-résidents apportent environ 1/3 des devises du royaume.

* 64 Toutefois, en matière d'IDE la situation est en voie d'amélioration sensible. En 2012, le Maroc a drainé 2,84 milliards de dollars d'investissements directs étrangers et retrouve son niveau d'avant la crise mondiale (1,3 mds en 2010). Il est le second pays d'Afrique le plus attractif pour les investisseurs selon l'étude «African Countries of the Future 2013/2014», qui reprend les résultats constatés par la CNUCED

* 65 Le FMI avait préalablement appuyé le Maroc en lui accordant une « ligne de précaution et de crédit » (LPL) d'un montant de 6,2 Mds USD, qui vient d'être confirmée pour une seconde année en ce début d'année 2013, ligne accordée aux pays dont les fondamentaux sont jugés solides. Cette facilité n'a pas donné lieu à décaissement en raison de l'amélioration en 2012 de la situation économique

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