B. LE CAS ÉDIFIANT DE L'AFRIQUE
1. Un continent apparemment bénéficiaire d'entrées de capitaux
Les organisations internationales procèdent à des traitements statistiques qui bien qu'incomplets démontrent et l'existence d'un problème et l'attention prêtée à celui-ci (qu'il serait souhaitable que les statisticiens français partagent mieux).
Que la considération des données officielles qui récapitulent les flux de capitaux entre pays donne une vision erronée de la réalité financière, les travaux de la Banque africaine de développement en association avec Global Financial Integrity -GFI).l'attestent.
Ils tendent à montrer, pour l'Afrique, que, si celle-ci apparaît bénéficiaire d'entrée de capitaux à considérer les statistiques officielles, la situation se retourne complètement quand on les corrige des flux financiers illicites internationaux.
Les données des balances des paiements recensent des entrées de capitaux nettes sur la période 1980-1999 suivis au cours de la décennie 2000 de sorties de capitaux. Pendant les années 80 l'Afrique bénéficie d'entrées de capitaux enregistrés à hauteur de 2,3% du PIB tandis que dans les années 90 ce chiffre s'établit encore à 1 % du PIB. Au-delà, des sorties de capitaux nettes interviennent qui sont expliquées par la volonté de placer les réserves accumulées aux fins de disposer de coussins de sécurité en cas de crise financière. Les sorties de capitaux s'élèvent alors à 3,2 % du PIB. Au total, et pour les seules ressources correspondant aux soldes de la balance des échanges courants (hors transferts financiers), le continent équilibre à peu près sa situation sur la totalité de la période 1980-2009. Il convient de noter que les sorties de capitaux de la dernière décennie apparaissent très concentrées, 80 % d'entre elles provenant des pays d'Afrique du Nord, les principaux pays concernés étant l'Algérie, la Lybie, le Nigéria, le Botswana et l'Égypte.
Une fois intégrés les revenus correspondant à des transferts (publics ou privés comme ceux des migrants), le panorama change et l'Afrique apparaît comme à peu près continûment bénéficiaire nette d'entrées de capitaux moyennant une inflexion dans le temps. Dans les années 80 et 90, l'entrée de capitaux atteint 4,3 % du PIB (27 milliards de dollars par an) et, dans les années 2000, si l'ampleur des entrées chute à 8,7 milliards par an, elles apportent toujours des capitaux nets à l'Afrique.
Ces données confortent l'idée commune selon laquelle en concordance avec les besoins économiques de l'Afrique et avec les opportunités offertes par le « rattrapage », le système financier et économique réalise une allocation satisfaisante du capital aux pays du continent.
Elles tendent à mettre en évidence la contribution des transferts publics au développement des pays les moins avancées et la situation particulière des pays bénéficiant de la rente pétrolière qui, à l'inverse, recyclent celle-ci dans des investissements étrangers, situation certes problématique en ce qu'elle dénote un manque d'opportunités locales résultant d'une probable insuffisante diversification économique , mais à laquelle les esprits sont en quelque sorte habitués depuis au moins les chocs pétroliers des années 70.
2. Un diagnostic qu'il faut renverser quand on tient compte de l'évasion des capitaux
Pourtant, ces données donnent une image faussée de la réalité de l'insertion de l'Afrique dans le système économique et financier mondial. La prise en compte des flux illicites de capitaux changent le tableau : l'Afrique en ressort comme un pourvoyeur net de capitaux au bénéfice du reste du Monde. Entre 1980 et 2009, c'est ainsi 1 400 milliards de dollars qui seraient sortis d'Afrique, soit 4 fois la dette extérieure actuelle du continent et l'équivalent de son PIB actuel.
Les flux illicites de capitaux aboutissent à renverser l'image régionale offerte par les seules statistiques financières officielles. Les pays d'Afrique sub-saharienne, en particulier les pays de l'Afrique de l'Ouest et centrale, sont les plus impliqués dans ces sorties de capitaux et devancent largement les pays d'Afrique du Nord que les données officielles décrivent comme responsables de la quasi-totalité des transferts officiels nets de ressources.
Le Nigéria, l'Afrique du Sud et l'Égypte sont les plus touchés quand on considère les flux en valeur nominale.
Rapportés aux PIB nationaux, certains pays sont littéralement « saignés » par les flux illicites : Djibouti, à hauteur de près de 35 % de son PIB, la République du Congo (25 % de son PIB) tandis que la présence dans cette liste de pays réputés pour être des paradis fiscaux doit être relevée. Ainsi, les flux illicites de capitaux représenteraient 23 % du PIB des Seychelles et 11 % du PIB du Botswana.
Rapportés à l'aide extérieure, les flux illicites de capitaux suivent un facteur compris entre deux et trois fois celle-ci, résultat mentionné lors de l'audition par votre commission du ministre chargé du développement, M Pascal Canfin.
Ces données doivent être prises avec précaution puisqu'elles ne sont pas accompagnées du jeu d'hypothèses qui pourraient permettre de les étayer et dans la mesure où la quantification de flux illicites, par nature occultes pour beaucoup d'entre eux, a toujours quelque chose d'un peu héroïque.
Cependant, d'un point de vue plus qualitatif, outre que la totalité des études disponibles, réalisées pourtant par des chercheurs d'horizon très divers, concordent sur l'existence d'un problème sérieux, il apparaît non douteux que plusieurs caractéristiques de l'Afrique, qu'on retrouve plus ou moins dans l'ensemble du Monde, invitent à accorder du crédit aux enseignements de l'étude et, par conséquent, à promouvoir des solutions.
La forte influence des firmes multinationales dans les économies les plus développées du continent, avec l'infusion qui l'accompagne de pratiques d'optimisation éventuellement très sophistiquées, la médiocrité de la situation institutionnelle de certains États, combinée avec la concentration très grande des revenus et une réelle instabilité politique sont des facteurs de risques que viennent aggraver l'orientation délibérée de certaines juridictions vers le modèle du paradis fiscal. Au demeurant, l'Afrique est encore trop absente des processus mondiaux censés mettre de l'ordre dans les questions connexes de la lutte contre le blanchiment et contre la fraude fiscale. Malgré leurs faiblesses il serait bon que l'Afrique les rejoigne, et, par exemple, compte un plus grand nombre d'adhérents au Forum fiscal de l'OCDE.
Dans ces conditions, les recommandations portant sur les mesures à mettre en oeuvre pour réduire les risques de flux illicites de capitaux doivent être considérées comme particulièrement importantes.