II. LA DÉFENSE COMMUNE EUROPÉENNE : UNE IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ, AUJOURD'HUI HORS DE PORTÉE
A. LA DONNE A CHANGÉ
1. La crise économique et budgétaire
83. La crise économique et financière a conduit toutes les nations européennes, y compris le Royaume-Uni et la France, à l'exception notable de la Pologne, à effectuer des coupes importantes dans leurs budgets de défense . La part des dépenses de défense dans le PIB des pays européens est passée en moyenne de 1,9 % en 2001 à 1,25 % en 2012. Aujourd'hui, un seul pays européen (le Royaume-Uni) atteint l'objectif de 2 % du PIB consacré à la défense (hors pensions), cinq pays seulement (dont la France avec 1,54 %) consacrent entre 2 et 1,5 % du PIB à la défense, tandis que sept pays européens consacrent entre 1,5 et 1 % du PIB (dont l'Allemagne avec 1,1 %) et quatorze pays membres consacrent moins de 1 % de leur PIB à la défense.
84. Certes, cette diminution des dépenses militaires préexistait à la crise économique. Mais elle a été amplifiée par celle-ci. Elle s'est traduite par des réductions volontaires ou subies de capacités militaires , ainsi qu'une réduction importante du format des armées. Alors que la part des dépenses d'équipement dans les budgets de la défense reste supérieure à 30 % en France, cette part est tombée à 21 % en Allemagne, 11 % en Italie et à 8 % en Espagne. L'écart est encore plus grand en ce qui concerne l'effort en matière de recherche et de développement dans le domaine de la défense.
85. Ainsi, entre maints exemples , le Royaume-Uni a renoncé à maintenir ses moyens aériens de patrouille maritime ; les Pays-Bas ont purement et simplement renoncé à l'arme blindée et ont envoyé leurs équipages de chars se former au sein de l'armée allemande. En janvier dernier, le chef d'état-major des armées suédois, le général Sverker Göranson, a déclaré qu'en cas d'attaque d'une ampleur limitée sur son territoire, la Suède ne pourrait se défendre qu'une seule semaine avant de s'effondrer et que, dans l'éventualité d'une attaque menée simultanément sur deux fronts, le pays ne pourrait pas résister, même quelques jours.
2. L'augmentation tendancielle du coût des équipements militaires
86. Face à la réduction des dépenses d'équipement militaire, force est de constater l'augmentation tendancielle du coût des équipements en raison des progrès technologiques, plaçant de ce fait les défenses européennes face à un redoutable effet de ciseaux .
87. Le programme de l'avion de combat JSF ( Joint Strike Fighter ) est de ce point de vue le plus emblématique. D'après les sources ouvertes américaines, ce programme a coûté jusqu'à présent 400 milliards de dollars pour une cible prévue de 2 457 appareils. Si on prend en compte le coût total de possession sur une durée de trente ans, le coût avoisine 1 000 milliards de dollars. En comparaison le programme de défense antimissile balistique américain n'est estimé par la Missile Defense Agency « que » à 158 milliards de 1985 à ce jour. Le chasseur furtif F 22 Raptor fabriqué par Lockheed Martin a coûté 51 milliards de dollars, pour 187 appareils de série. Quant au bombardier furtif B2 fabriqué par Northrop, il aurait coûté 45 milliards de dollars à terminaison en 1998, pour 21 exemplaires, soit un coût unitaire faramineux qui était de 2,2 milliards de dollars aux conditions économiques de 1998. Souvenons-nous que le budget du programme spatial américain Apollo qui a permis d'envoyer l'homme sur la lune n'était que de 125 milliards de dollars en valeur actuelle.
88. Aucun pays européen, seul, n'est capable de mettre autant d'argent dans des programmes militaires de ce type , à supposer que cela soit souhaitable. Les programmes les plus ambitieux sont l'Eurofighter avec 175 milliards de dollars pour 472 appareils (hors export) et, loin derrière, l'A400M avec 27,3 milliards de dollars pour 173 appareils. Faute d'avoir su unir leurs forces, les Européens ont raté le tournant des drones MALE, qu'ils soient de surveillance ou de combat, en partie celui des drones tactiques, et ne se raccrochent qu'avec beaucoup de retard aux drones de combat de type UCAV. De la même façon, leur participation à la défense antimissile de territoire de l'OTAN, pourtant décidée en commun lors du sommet de Lisbonne en 2010 se fait en ordre dispersé. L'Europe militaire spatiale ne dispose d'aucune capacité autonome d'alerte avancée depuis la désorbitation du démonstrateur français « Spirale » et peine à unir ses forces dans les autres segments : observation et télécommunications.