B. UNE IMPASSE CONCEPTUELLE

1. Une panne d'initiatives en matière industrielle

37. La constitution d'une base industrielle et technologique de défense européenne était l'objectif principal du « paquet défense » de 2009. Celui-ci visait à accroître la mise en concurrence, par l'ouverture des marchés publics de défense, et donc à favoriser une restructuration des industries de défense par une action sur la demande.

38. Certes, la dernière loi de transposition vient à peine d'être adoptée, mais force est de constater que, pour l'instant, la situation n'a guère progressé. Alors qu'ils dépensent collectivement encore beaucoup pour leur défense, les pays européens dépensent mal. Les redondances sont légion, aussi bien en matière de programmes industriels que de capacités industrielles. Il y a dix-sept programmes de véhicules blindés en Europe - sept programmes de frégates. Du point de vue des constructeurs, il y a encore dix-sept chantiers navals militaires, contre deux seulement aux Etats-Unis. Les marchés de défense restent fragmentés, générant des surcoûts et des gaspillages de temps et d'énergie. Les maigres crédits de R & D sont consacrés à faire des recherches similaires.

39. Enfin et peut être surtout, du côté de l'offre, aucune entreprise de défense européenne n'est véritablement intégrée. Nos industries souffrent donc d'un sous-dimensionnement structurel qui affecte leur compétitivité par rapport à leurs concurrentes sur le marché international. De ce point de vue, le renoncement au projet de fusion BAE-EADS est éminemment regrettable. Si l'on mesure l'intégration industrielle sur une échelle de un à quatre, une seule entreprise (EADS) atteint le niveau 2, et une seule le niveau 3 (MBDA).

De la coopération industrielle à la dépendance mutuelle

Les quatre niveaux d'intégration industrielle

Les notions de « consolidation » ou de « restructuration » de la BITD-E méritent d'être précisées, tant il y a de différence entre de simples coopérations industrielles autour de programmes communs et la dépendance mutuelle qui permet de réaliser de substantielles économies en partageant les coûts non récurrents. Aucune entreprise de défense européenne n'a, pour le moment, franchi le stade ultime de l'intégration industrielle. C'est ce qui les différencie de leurs concurrentes américaines pour lesquelles ce mouvement de consolidation, gage de compétitivité, est tout à fait naturel et a été fortement encouragé par les pouvoirs publics américains à la fin des années 1990 (épisode resté célèbre sous le nom de « dernier souper »).

Niveau 1 - La coopération

La coopération est le premier niveau de réalisation d'un programme commun. Son objet est clairement identifié. On peut citer de multiples exemples : les avions Jaguar et Transall, les missiles Milan et Hot, les frégates Horizon etc. Ces rapprochements sont toutefois limités à la création de structures juridiques transnationales souples. Chaque entreprise fabrique une partie de l'objet final et demeure responsable de la production. Les gains de productivité sont limités et le degré de confiance entre sociétés reste réduit. Chacune conserve ses intérêts et sa stratégie propre qui peut parfois entrer en conflit avec les autres et rendre la coopération difficile.

Niveau 2 - La consolidation

Cette fois on rapproche des sociétés au sein d'un nouveau groupe et l'on consolide les résultats financiers de chaque entité nationale qui restent opérationnellement responsables de leur compte de résultat. Dans les années 1990, en réponse aux regroupements industriels américains, les Etats européens ont voulu favoriser une recomposition industrielle. Dans la foulée de la signature de la Letter of Intent (LOI) signée en 1998 par six Etats européens et visant à mettre en place un environnement favorable à ces restructurations sont nés plusieurs groupes dont EADS, THALES ou encore MBDA. On ne centralise que les fonctions non industrielles, (ressources humaines, affaires financières, stratégie...). La production industrielle, la recherche et la relation client restent sous contrôle national et l'entreprise présente autant de visages que de pays.

Niveau 3 - L'intégration partielle

Une réelle intégration consiste, au sein d'un groupe multinational, à donner à un responsable opérationnel unique la maitrise des équipes et des résultats d'ensemble. Les résultats sont orientés par programme et non plus par filiale nationale, permettant ainsi de réaliser des arbitrages plus conformes à l'intérêt de la société. Au premier niveau de direction de l'entreprise les membres ne sont plus les responsables des entités nationales mais les directeurs des grandes fonctions de l'entreprise, indépendamment de leurs nationalités. MBDA est, dans l'industrie de la défense, le seul exemple d'entreprise européenne intégrée.

Niveau 4 - L'intégration totale

Dans la dernière phase de l'intégration, l'objectif consiste à organiser de manière équilibrée des dépendances mutuelles. Cela repose sur l'idée que faute de partager une capacité, nous risquons de la perdre, faute d'organiser nos dépendances, nous risquons de les subir. Le secteur missiles avec le projet One MBDA offre le premier cas concret d'organisation d'une interdépendance assumée entre deux Etats : le Royaume Uni et la France. Il s'agit de proposer une première étape de rationalisation industrielle avec mise en place de « centres d'excellence » communs aux deux pays.

40. Il n'y a plus eu de lancement de grands programmes d'équipement militaire européens depuis l'A400M en 2003, alors même qu'il faudrait que les Etats européens se regroupent pour pouvoir développer en commun des capacités critiques qu'aucun d'entre eux n'a les moyens de mener seul ou, à tout le moins, partager et mutualiser leur usage. C'est le cas, en particulier, des drones, des UCAV (drones de combat), de l'aviation de combat future, de l'espace militaire et de la défense antimissile balistique.

41. Il y a bien des projets communs pour lesquels les nations européennes ont chargé l'AED de mener les phases préparatoires. Mais, à ce jour, un seul a abouti : il s'agit du programme MMCM de drones pour la guerre des mines. Ce programme a été transféré à l'OCCAr en 2011 qui en assure désormais la gestion. Les autres projets n'ont pas donné pas lieu à des suites, faute d'investissement des nations. L'agence gère un seul grand projet en ce moment : le ravitaillement en vol, mais, là aussi, les nations n'investissent pas à hauteur du besoin. Les seuls grands programmes structurants pour l'industrie européenne, en cours ou à venir, sont américains : l'avion de combat JSF ( Joint Strike Fighter) ou la défense antimissile balistique dans le cadre de l'EPAA ( European Phased Adaptative Aproach ).

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