3. Envisager des mesures plus contraignantes de régulation
« Il faut aujourd'hui envisager d'autres types de mesures, plus contraignantes » , c'est ce que déclarait Reine Prat à la délégation, lassée par des années d'alerte sans conséquence et de mises en demeure restées vaines. L'ensemble de nos interlocuteurs se sont entendus sur ce point, Reine Prat considérant même « qu'il ne faudrait plus nommer que des femmes dans les prochaines années, à la tête des institutions culturelles, si on voulait espérer combler le retard accumulé » .
Sans aller jusqu'à cette extrémité, la délégation considère que, sans obligation de résultat, rien ne se passera.
Aussi souhaitons-nous que, dans toutes les administrations culturelles, l'organigramme soit repensé pour que prévale une représentation équilibrée des femmes. L'objectif d'au moins un tiers (proposé en 2006 par Reine Prat) nous semble juste et raisonnable.
Il est en effet essentiel que des artistes qui viennent présenter un dossier ou discuter d'un projet avec les institutions en charge du service public de la culture ne rencontrent pas que des hommes.
C'est le sens de la neuvième recommandation .
Pour atteindre cet objectif dans les structures labellisées du spectacle vivant, il faut aujourd'hui encourager les candidatures de femmes, lors des appels à candidatures pour les directions des centres dramatiques nationaux (CDN), centres chorégraphiques nationaux (CCN), scènes nationales et théâtres conventionnés ou labellisés.
Pour cela, la délégation souhaite que soit systématisée l'obligation d'établir des « short-lists » paritaires et que les co-candidatures soient encouragées , pour les raisons exposées plus haut.
C'est le sens de la dixième recommandation .
Communes à l'ensemble du secteur culturel, les procédures de sélection sont aujourd'hui soupçonnées d'être biaisées, la préférence pour telle ou telle candidature ou projet étant parfois connue avant même que ne se réunisse le comité de sélection !
Ces « commissions », « jurys » et comités existent dans toutes les disciplines (théâtre, danse, musique, cinéma, beaux-arts, etc.) et les conséquences de leurs décisions sont souvent cruciales pour les artistes.
Pour encourager le renouvellement de ces comités - et espérer susciter un renouvellement des procédures - la délégation souhaite que tous ces jurys soient obligatoirement paritaires .
C'est le sens de la onzième recommandation .
Les professionnelles et professionnels du cinéma ont unanimement soulevé la question du « second » film pour les réalisatrices peu nombreuses - puisqu'elles ne représentent encore aujourd'hui que 25 % des réalisateurs en France - qui arrivent à obtenir un soutien public pour la réalisation de leur premier film. Leurs carrières sont trop souvent, comme le soulignait Jackie Buet, éphémères.
La délégation considère que, s'agissant de soutien public, il paraît normal de conditionner la distribution d'argent public à une représentativité équilibrée des femmes et des hommes parmi les bénéficiaires.
Ainsi, souhaitons-nous qu' au moins un tiers de films de femmes soient retenus parmi les oeuvres sélectionnées par les commissions de soutien du Centre national du Cinéma (CNC) et que les membres de ces commissions portent une attention particulière sur les « seconds films » des jeunes réalisatrices.
Cette obligation ne se veut pas l'application d'une politique aveugle de « quotas », mais une attention particulière portée sur le travail des femmes réalisatrices dans la durée.
C'est en ce sens que sera rédigée la douzième recommandation.
C'est Muriel Couton qui a évoqué la première devant la délégation l'idée de créer un lieu de référence - qui n'existe pas à l'heure actuelle - qui pourrait accueillir des femmes - auteures, metteuses en scène, scénographes, chorégraphes - pour présenter des projets de création.
A l'heure actuelle, des manifestations existent - tel le Festival du film de femmes de Créteil et du Val-de-Marne - ou ont existé - telle l'exposition Elles@centrepompidou qui a présenté au public les oeuvres de plus de 200 artistes femmes du XX ème siècle, de mai 2009 à mai 2010 -. Ces événements servent ou ont servi de « vitrines » aux réalisations des femmes peintres ou réalisatrices.
Les chiffres semblent prouver leur efficacité. Ainsi, comme le rappelait Jackie Buet, cofondatrice du Festival du film de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne, la part des réalisatrices, même si elle n'est que de 20 à 25 % à l'heure actuelle en France, était de 2 % en 1979 quand a été lancée la première édition du festival...
La proposition de Muriel Couton est beaucoup plus ambitieuse puisqu'il s'agirait de créer - ou désigner - un « lieu ressource » pour les programmateurs de toutes les disciplines .
D'une existence limitée dans le temps, il serait ainsi une sorte de « tremplin » pour les femmes qui peinent encore à trouver une réelle visibilité.
Interrogée lors de la table ronde publique précitée à ce sujet, Hortense Archambault, codirectrice du Festival d'Avignon, s'est dite favorable à l'idée d'installer des lieux « dédiés » pour permettre à des femmes artistes de s'installer dans le paysage artistique.
Elle a notamment cité l'exemple de la danse « hip hop », portée par des structures culturelles qui ont permis à des danseuses de « hip hop » d'écrire et de se produire sur de grands plateaux. Aujourd'hui, certaines danseuses de « hip hop » dirigent des centres chorégraphiques nationaux ! C'est la même dynamique positive qu'on attend d'un « incubateur » de création dédié aux femmes.
La délégation n'en sous-estime cependant pas les risques et les obstacles. Certaines artistes femmes, craignant une « ghettoïsation » ou une relégation au rang d'« artiste-femme », y sont très réticentes.
C'est pourquoi la mise en oeuvre d'un tel projet nécessite d'ouvrir une réflexion de fond qui pourrait être confiée, au sein du ministère de la culture et de la communication, au haut fonctionnaire à l'égalité des droits au sein de ce ministère.
La treizième recommandation sera rédigée en ce sens.
Sans contrôle et évaluation, nous le savons bien, ces recommandations risquent de rester vaines.
Après la sensibilisation, la responsabilisation et la régulation, nous souhaitons donc instituer des procédures de contrôle.