B. LA DÉLÉGATION SOUHAITE LA DÉFINITION D'UNE DÉMARCHE À PLUSIEURS VOIX CONDUITE AUTOUR DE 4 AXES : SENSIBILISER, RESPONSABILISER, RÉGULER ET CONTRÔLER
Pour la délégation, imposer des quotas dans les nominations et tendre à la parité dans la composition des jurys, commissions publiques et autres instances de sélection ou dans les administrations culturelles, même si c'est nécessaire, ne peut constituer en soi un projet politique qui permette aux femmes de sortir de la spirale de « dévalorisation/discrimination/déqualification » qui prévaut aujourd'hui dans le secteur culturel.
Une démarche plus globale s'impose, qui repose sur la coresponsabilité de l'ensemble des acteurs, privés et publics, associés dans des actions concrètes de promotion et de mise en valeur des projets portés par les femmes, tant en tant qu'artistes qu'en tant que gestionnaires des entreprises culturelles.
1. Renforcer la prise de conscience et la sensibilisation à ces questions en associant l'ensemble des acteurs publics et privés à l'élaboration de l'état des lieux des inégalités
La délégation ne peut, certes, que se féliciter que le ministère de la culture et de la communication ait publié, le 1 er mars 2013, un premier état des lieux sous le titre « Observatoire de l'égalité hommes-femmes dans la culture et la communication » , mais comme l'a rappelé Nicole Pot 43 ( * ) , ce premier bilan doit être détaillé et enrichi.
La délégation estime que les sources d'information sur le sujet doivent être démultipliées.
Certains organismes privés, chargés d'une mission de service public, tels la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) ou le Centre national du Cinéma (CNC), disposent de données chiffrées précises sur le genre des artistes produits et diffusés, que le ministère pourrait utilement exploiter.
Interrogée à ce sujet, Muriel Couton 44 ( * ) , directrice de la promotion et des actions culturelles de la SACD, confirmait que « des structures privées, comme la nôtre, doivent collaborer avec le ministère de la culture et de la communication et, en particulier, avec la personne chargée au ministère de l'observation » .
Par ailleurs, à l'heure où 80 % du financement des institutions culturelles vient des collectivités territoriales, la délégation considère qu'il est essentiel de les associer à la collecte et à la mise en visibilité d'informations concernant la place des femmes dans les établissements qu'elles financent ou cofinancent, d'une part parce qu'elles seules disposent de certaines données en la matière et, d'autre part, parce que cela permettra de leur faire prendre conscience de la situation.
Ainsi, un correspondant à l'égalité devrait être désigné dans chaque service culturel des collectivités territoriales, chargé de collecter et faire remonter ces données.
En démultipliant les sources d'information et en associant l'ensemble des acteurs publics et privés au dévoilement des inégalités, l'Observatoire prendrait - enfin - tout son sens.
C'est l'objectif de notre première recommandation .
Parallèlement à la publication des chiffres de l'Observatoire, la délégation considère que des publications plus ponctuelles, mais plus médiatisées, doivent servir d'« alerte » vis-à-vis de la profession et de l'opinion publique, comme celle publiée par la SACD en 2012-2013, qui avait fourni une photographie à l'instant « T » de la place des femmes dans les saisons culturelles 2013 des principaux théâtres.
Considérant que le procédé de « félicitation-stigmatisation » est une méthode efficace dans un milieu particulièrement sensible au diktat de la réputation, la délégation souhaite que :
la brochure « Où sont les femmes ? » soit reconduite annuellement par la SACD pour les institutions du théâtre ;
qu'elle soit élargie à l'examen de la place de la femme dans les autres secteurs culturels. Ainsi, sa production pourrait-elle être confiée au CNC pour le cinéma, à la Réunion des musées nationaux (RMN) pour les musées, à la Commission pour l'image des femmes dans les médias pour les principaux médias.
C'est le sens de notre seconde recommandation : systématiser et élargir la brochure « Où sont les femmes ? » à l'ensemble des secteurs culturels .
La sensibilisation à la question, pour être efficace et produire une réaction, doit d'abord être orientée vers les jeunes générations. Aussi la délégation souhaite-t-elle que soient généralisés dans tous les conservatoires, toutes les écoles d'art et les écoles de journalisme, des modules d'enseignement permettant aux élèves de :
s'initier à une critique littéraire leur permettant de détecter les stéréotypes sexués dans les textes, les oeuvres et les images produits ;
disposer d'éléments de sociologie sur leur futur milieu professionnel (part des hommes et des femmes aux postes à responsabilité) ;
les alerter sur les pratiques de harcèlement sexuel et sur leur spécificité dans l'enseignement artistique.
C'est le sens de la troisième recommandation .
Parallèlement, toutes les écoles de formation artistique ont un devoir de mémoire vis-à-vis des oeuvres des auteures et réalisatrices oubliées.
En effet, à titre d'exemple et comme nous le signalait Jackie Buet 45 ( * ) , sur les 200 films du répertoire inscrits dans les enseignements de la FEMIS, la plus grande école de cinéma de France, seuls 20 films ont été réalisés par une femme !
Aussi a-t-elle proposé à la délégation un « Répertoire contre l'oubli » de films réalisés par des femmes, dont nous publions en annexe la proposition faite par Jackie Buet.
La délégation souhaite que soit institutionnalisé ce devoir de mémoire dans toutes les écoles de formation à l'expression artistique et que cette obligation soit inscrite par le ministère de la Culture dans les conventions qui le lient à ces écoles de formation.
Ainsi, les étudiants en art auraient-ils accès à un répertoire des films de réalisatrices oubliées à la FEMIS, un répertoire des pièces d'auteures oubliées dans les écoles de la formation d'interprètes, un répertoire des grandes oeuvres journalistiques dans les écoles de journalisme, un répertoire des oeuvres des grandes plasticiennes dans les écoles d'art...
C'est le sens de notre quatrième recommandation .
Nous l'avons dit, la banalisation des actes de harcèlement sexuel dans les écoles d'art n'est pas acceptable. La passer sous silence serait de notre part coupable. Aussi, nous souhaitons que cesse l'omerta sur ces pratiques qui peuvent être considérées comme « tolérées » et que soit lancée, en conséquence, une réflexion nationale associant l'ensemble des professionnels du secteur - directeurs des écoles, enseignants et représentants des étudiants - qui permette de faire remonter les cas individuels et incite les étudiants à sortir de leur silence.
Il nous semble que cette réflexion doit être organisée et coordonnée par le corps d'inspection du ministère de la culture et de la communication, dont dépendent les écoles d'art.
Elle doit déboucher sur la rédaction d'une charte déontologique sur le sujet, qui serait distribuée à tous les étudiants dès leur inscription.
La cinquième recommandation sera rédigée en ce sens .
Comme le rappelait Brigitte Grésy devant la délégation, pour produire des effets, la vigilance sur les stéréotypes doit émaner des sphères les plus hautes de la profession. Il revient d'abord aux directeurs de théâtres, aux responsables éditoriaux des principaux journaux, aux directeurs d'antenne et aux producteurs de cinéma d'éveiller les esprits de leurs équipes, mais aussi des artistes qu'ils accompagnent.
C'est pourquoi la délégation souhaite que soit inscrite dans tous les cahiers des charges - des structures conventionnées et des grandes chaînes de télévision publique - l'obligation de vigilance sur les contenus .
Ainsi, une personne dans l'organigramme pourrait-elle être désignée pour assurer une veille sur les stéréotypes sexués véhiculés dans les productions soutenues par l'établissement.
C'est l'objet de notre sixième recommandation (inscrire une obligation de vigilance dans les cahiers des charges des structures et des établissements labellisés ou subventionnés).
* 43 Lors de son audition précitée.
* 44 Lors de son audition précitée.
* 45 Jackie Buet, cofondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val-de-Marne, responsable des programmes et des activités de diffusion à l'année, auteur et coordinatrice générale de l'ouvrage, membre du projet IRIS, Centre de Ressources Multimédia sur la création audiovisuelle des femmes, auditionnée le 30 mai 2013 par la délégation.