4. L'évolution des modèles économiques
La demande
Une partie des arbitrages effectués par les passagers entre les compagnies aériennes repose sur les prix.
Mais, à terme, on peut observer :
- une plus grande diversification des clientèles tout au moins pour les compagnies européennes :
- l'apparition de nouvelles exigences de la clientèle (confort pour les personnes âgées 7 ( * ) , plus grande fluidité des circuits dans les aéroports et, en particulier, de la chaîne de traitement des bagages).
En outre l'exigence croissante de rester en liaison Internet pendant toute la durée du voyage suppose l'établissement d'un modèle économique pertinent :
l'intégration des antennes - en principe dans la queue des appareils - pose des problèmes d'aérodynamisme et entraîne des coûts supplémentaires (pour l'aviation d'affaires, ces coûts sont estimés à 2,5 % du coût de l'avion).
la généralisation des liaisons haut débit et ce, notamment, au-dessus des océans, ne peut se faire qu'à l'aide d'un réseau satellitaire complet.
La question est donc de savoir si ces frais seront inclus dans le prix du billet ou feront l'objet d'une facturation séparée.
L'offre
Le modèle de croissance des grandes compagnies de pavillon a été, jusqu'ici, adossé à des réseaux d'alliance et à la convergence vers de grandes plateformes redistributrices du trafic long courrier sur des routes moyens et courts courriers.
Ce modèle est doublement menacé :
- sur les liaisons point à point en court et en moyen courrier par les compagnies à « bas coûts » ;
- sur les longs courriers par la puissance montante des compagnies dites du Golfe qui s'efforcent de capter une partie du trafic entre les zones Europe, d'une part, et les zones Pacifique-Océan indien, d'autre part.
Quelle peut être, à terme, l'évolution de cet équilibre ?
a) Les compagnies à « bas coûts »
L'apparition de compagnies à bas coûts a été favorisée, la dérégulation du trafic aussi (à compter de 1978 aux États-Unis, sur la période 1987-1997 dans l'Union européenne). Sur les segments américains et européens, elles représentent environ le quart des effectifs des compagnies.
En termes de trafic, leur taux de progression est spectaculaire.
Ces dernières années, mesurée en sièges par kilomètre offerts sur les lignes moyen courrier intra-Europe, la progression de l'offre des compagnies dites « à bas coûts » a été importante.
SSource : OAG, Air France KLM Datawarehouse
Si l'on écarte les excès 8 ( * ) d'une de ces compagnies, on peut observer les prémisses d'une triple évolution :
• l'effort des grandes compagnies de pavillon pour constituer une offre à « bas coûts » ;
• les tentatives juridiques mises en place ou envisagés pour aboutir à une convergence des coûts.
Aux États-Unis, la loi dite du « chapitre 11 » a permis à certaines grandes compagnies américaines de se mettre en faillite pour se restructurer et réduire les écarts de coûts : la différence de coût unitaire par passager entre une compagnie « major » comme Continental Airlines et les compagnies à bas coûts, mesurée par le bénéfice brut, s'est réduite de 48 % en 2004 à 28 % en 2008.
Une autre voie potentielle de réduction des écarts de coûts serait une rectification de la RSTCA (redevance pour service terminaux de la circulation aérienne) car, en l'état, ces règles de répartition des coûts de navigation font supporter aux compagnies utilisatrices des grands aéroports le surcoût des trafics aériens des compagnies à bas coûts sur les petits aéroports. En 2010, les compagnies à bas coûts ont ainsi contribué à hauteur de 11,5 % des recettes de navigation pour des coûts estimés à 16,4 %.
On observe également une tendance à l'hybridation de certaines compagnies à bas coûts (tarification avec billets flexibles, utilisation des aéroports principaux (c'est-à-dire sans allocation-subvention des chambres de commerce ou des autorités locales comme c'est le cas pour les aéroports locaux décentrés), programme de fidélisation, attention croissante portée à la clientèle d'entreprise - ce qui limite la création de ligne point à point dans des endroits écartés, ...).
b) Le modèle des compagnies du Golfe9 ( * )
Ce modèle repose sur la constitution d'une offre d'intermédiation du trafic entre l'Europe et l'Asie 10 ( * ) : il s'agit de capter une partie du trafic qui est appelé à s'accroître sur ces routes.
Ces éléments constitutifs sont les suivants :
- des plateformes surdimensionnées : Roissy a deux pistes couplées indépendantes, Dubaï en aura prochainement huit. Le trafic passager y est passé de 9 millions de passagers en 1997 à 41 millions en 2009.
- d'importantes flottes de longs courriers gros porteurs (Emirates a commandé ou pris en option 100 Airbus A 380 - chiffre à comparer avec les commandes de 15 unités d'Air France et de Lufthansa). On estime qu'en 2030, Emirates sera la première compagnie mondiale long courrier .
- des régimes fiscaux, sociaux et des taxes aéroportuaires qui introduisent de très importantes distorsions de concurrence (estimées par Air France à 3 milliards d'euros par an).
Dès à présent, cet effort a été couronné de succès puisque ces compagnies ont gagné une part importante du marché sur ce segment entre 2005 et 2010.
Source : DWH Midt, bookings bidirectionnels
Au total, en 5 ans, les compagnies du Golfe ont gagné 5 points de parts de marché sur l'axe Europe-Asie-Afrique-Moyen-Orient dont la majeure partie au détriment de trois grandes compagnies européennes.
Si ce mouvement se poursuivait, il aboutirait en 2016 à la perte de 11 000 emplois en Europe.
Il convient donc d'apporter une attention particulière à l'ouverture des nouveaux droits de trafic. Sur ce point, l'attitude britannique, la plus libérale, a abouti à la perte de plus de 7 points de parts de marché sur l'axe précité, alors que l'attitude allemande beaucoup plus restrictive a permis de limiter les pertes de parts de marché Lufthansa à 2,2 points.
Mais, en filigrane, le problème se complique d'un conflit latent entre les intérêts de l'avionneur européen Airbus, à qui il pourrait être demandé de lier l'achat d'A 380 à l'ouverture des droits de trafic, et ceux des 3 grandes compagnies européennes de pavillon 11 ( * ) .
C'est dans le contexte d'une réticence de plus en plus grande des États possédant des « compagnies de pavillon » que les « compagnies du Golfe » ont récemment infléchi leur stratégie ; d'une part en incorporant les réseaux d'alliance constitués par les « compagnies de pavillon » et, d'autre part en développant des prises de participation (par exemple, Aer Lingus et Air Berlin).
* 7 En dix ans, la demande de transport aérien pour les personnes âgées a crû de 40 %.
* 8 Emploi de personnel avec contrat de travail de droit irlandais mais résidant sur le sol français (condamné par la justice française), méconnaissance du droit européen en matière de subvention (une plainte est actuellement instruite à ce titre par la Commission européenne).
* 9 Le modèle s'applique au trafic entre l'Asie et l'Europe ou l'Océan indien et l'Europe, mais des modèles similaires émergent sur la zone Asie-Pacifique-Amérique du Nord.
* 10 Mais également sur les zones touristiques de l'Océan indien (Ile Maurice).
* 11 Même si certains estiment que l'achat d'A 380 est un point de passage obligé pour les compagnies du Golfe, compte tenu de leur modèle économique.