EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 juin 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de MM. Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux, sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire .

M. Philippe Marini , président . - Nous allons entendre une communication de Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », relative à leur contrôle budgétaire portant sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire. Je rappelle que nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne avaient fait un rapport, au nom de la commission des lois, sur la réforme de la carte judiciaire. A la suite de cette communication, nous poursuivrons cette séquence relative à l'immobilier de l'Etat avec une audition sur la politique de cession immobilière du ministère des affaires étrangères.

M. Philippe Dallier , rapporteur spécial . - Les résultats de ce contrôle budgétaire auraient dû vous avoir été présentés depuis plusieurs mois déjà ; toutefois, nous avons éprouvé des difficultés à nous faire communiquer les éléments demandés aux différentes administrations concernées. Engagée en 2007, la réforme de la carte judiciaire est considérée comme achevée depuis le 1 er janvier 2011. Le temps était enfin venu de procéder au bilan de cette réorganisation d'ampleur des juridictions judiciaires. Aussi, un groupe de travail de la commission des lois du Sénat, emmené par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, a livré ses conclusions dès le mois de juillet 2012, dans un rapport à l'intitulé peu flatteur : « La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée ». Plus récemment, à la demande de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, une mission d'évaluation de la carte judiciaire, présidée par Serge Daël, a été mise en place ; celle-ci a rendu son rapport le 10 février dernier.

Nous inscrivant également dans cette démarche, nous nous sommes intéressés à un aspect de la réforme qui méritait un examen approfondi : le volet immobilier. Celui-ci a, en effet, constitué le principal poste de dépenses de la réforme. Ainsi, nous avons mené une mission de contrôle budgétaire portant sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire.

A ce titre, nous nous sommes inscrits dans une double approche. Tout d'abord, nous avons cherché à déterminer le coût réel du volet immobilier de la réforme. Ce dernier ayant été, au départ, fortement surévalué - une estimation de 900 millions d'euros avait même été avancée ! -, des doutes ont longtemps subsisté quant à son coût final. En outre, nous avons mesuré les économies réalisées en matière immobilière, de manière à disposer d'un bilan financier du volet immobilier de la réforme.

Ensuite, nous avons examiné la réalisation du volet immobilier, soit la mise en oeuvre concrète des opérations liées aux regroupements de juridictions. De cette manière, nous avons pu procéder à une évaluation de la politique immobilière développée par le ministère de la justice dans le cadre de la réforme. Cet exercice nous paraissait essentiel dans la mesure où les implantations judiciaires sont restées hors du champ de la réorganisation de la politique immobilière de l'Etat au niveau déconcentré.

Dès lors, notre but a été de voir dans quelle mesure la gestion du parc immobilier, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, avait répondu aux objectifs de la politique immobilière de l'Etat. A partir des constats réalisés, nous avons tâché d'identifier les améliorations possibles des modalités de gestion du patrimoine immobilier des juridictions.

A cette fin, nous nous sommes attachés à approcher les parties prenantes de la politique immobilière du ministère de la justice. Nous avons donc recueilli les contributions des premiers présidents et procureurs généraux de vingt-deux cours d'appel ; nous avons, par ailleurs, réalisé une visite à la cour d'appel de Versailles, située dans un immeuble à caractère historique mais très peu fonctionnel. Nous avons également interrogé différents acteurs intervenus aux côtés des juridictions dans la conduite des opérations immobilières engagées et consulté des élus locaux s'agissant des palais de justice abandonnés et restitués aux collectivités territoriales.

Je commencerai par vous présenter les principales observations formulées s'agissant du bilan financier du volet immobilier de la réforme. La réorganisation de la carte judiciaire aura entraîné, au total, 439 opérations immobilières dont 112 opérations provisoires. Celles-ci s'étalent sur la période allant de 2008 à 2017, année au cours de laquelle devraient être livrés les derniers travaux - nous verrons si ce délai sera tenu.

Entre 2008 et 2017, le coût total du volet immobilier de la réforme atteindrait 331,9 millions d'euros. Cette estimation intègre aussi bien les dépenses d'investissement, liées aux opérations de construction ou de réaménagement des bâtiments, que celles de fonctionnement, correspondant aux charges découlant des « petits travaux » et des déménagements.

Dès lors, il apparaît que le plafond de dépenses arrêté initialement par le Gouvernement concernant le volet immobilier de la réforme, soit 375 millions d'euros, a été largement respecté. Il faut, à cet égard, souligner que ce plafond portait exclusivement sur les dépenses d'investissement. Les craintes initiales relatives au coût final du volet immobilier se sont donc révélées, à ce jour, non fondées. Mais il est nécessaire de reconnaître que la relative faiblesse de l'exécution, au regard de la programmation originelle, est liée à l'annulation d'importantes opérations immobilières ; il s'agit notamment de l'extension du tribunal de grande instance d'Evreux ou encore des opérations de Coutances et de Dunkerque.

La majorité des locaux abandonnés par les juridictions dans le cadre de la réforme étaient détenus par les collectivités territoriales. Toutefois, la mise en place de la nouvelle carte judiciaire devrait permettre à l'Etat de procéder à la cession de quarante immeubles, dont le produit représenterait près de 11,9 millions d'euros. Par conséquent, le coût net du volet immobilier est estimé à 320 millions d'euros.

La réforme de la carte judiciaire a permis de réduire les coûts de loyers et de gestion de près de 10 millions d'euros par an ; dans le même temps, elle a entraîné de nouvelles charges découlant, notamment, des locations de locaux pérennes. A compter de 2017, les regroupements de juridictions permettront donc de générer 4,3 millions d'euros d'économies par an liées à l'immobilier.

Par conséquent, les dépenses réalisées dans le cadre du volet immobilier seront amorties au terme d'une période de 75 ans. Néanmoins, la réforme n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions. Le principal levier d'économies a résidé, en effet, dans la diminution des charges de personnel qui a été rendu possible par les regroupements de juridictions. La réduction de la masse salariale atteint, ainsi, 23,4 millions d'euros par an. Par suite, si la réforme est prise dans son ensemble, son coût est amorti au bout de treize années, ce qui nous paraît constituer une durée acceptable.

En tout état de cause, ces durées d'amortissement de la réforme - aussi théoriques puissent-elles paraître - permettent de mettre en évidence le poids des charges résultant des prises à bail de locaux pérennes, susceptibles d'alourdir le bilan financier du volet immobilier à long terme. Si ces locations avaient vocation à perdurer, le bénéfice de la moindre exécution du volet immobilier serait perdu en une dizaine d'années, puisqu'à cette échéance, les loyers acquittés conduiraient à un dépassement du plafond de 375 millions d'euros. En effet, si ce plafond ne concernait que les dépenses d'investissement destinées aux opérations immobilières, ce montant demeure une référence puisqu'il avait été initialement présenté au Parlement.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que souscrire à l'objectif du ministère de la justice de substituer des solutions patrimoniales, plus économes, aux locations, et ce dès que possible.

Je vais, maintenant, vous faire part des conclusions de notre travail d'évaluation de la politique immobilière du ministère de la justice. Le ministère de la justice a conservé une politique immobilière autonome. Celle-ci est, en effet, restée en dehors du champ de la réforme de la politique immobilière au niveau déconcentré ; ce choix est généralement justifié par la spécificité du parc immobilier judiciaire. Bien évidemment, un ensemble de bureaux d'une administration centrale n'a rien de comparable avec un palais de justice.

Dans un premier temps, nous nous sommes attachés à évaluer la mise en oeuvre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire à l'aune des objectifs de la politique immobilière de l'Etat. A titre de rappel, ces objectifs avaient été définis par le ministre chargé du budget en 2006. Il s'agit de : diminuer le coût de la fonction immobilière de l'Etat en allouant aux services des surfaces rationalisées et en cédant les surfaces excédentaires ; valoriser le patrimoine immobilier afin de céder les immeubles inadaptés ou devenus inutiles ; offrir aux agents et aux usagers des locaux adaptés aux besoins du service public, prenant en compte l'ensemble des normes applicables ; favoriser l'offre de logements grâce à la mobilisation du foncier public à l'occasion des cessions foncières induites par les évolutions des besoins des acteurs publics.

Il est apparu que la réalisation des opérations immobilières avait permis de respecter tout à la fois les délais imposés par le calendrier du déploiement de la nouvelle carte judiciaire et l'enveloppe budgétaire arrêtée lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme. Ainsi, le pilotage du volet immobilier mis en place a permis une bonne coordination des différentes parties prenantes.

Toutefois, nous avons pu constater qu'aucun objectif chiffré n'avait été déterminé s'agissant de l'optimisation du parc immobilier des juridictions. Pourtant, la politique immobilière de l'Etat accorde une place centrale à l'indicateur de « rendement d'occupation des surfaces », dont la cible finale est fixée à 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail. En effet, un indicateur de cette nature permet de mobiliser les acteurs et de rationaliser la démarche de densification des surfaces.

Pour ces raisons, nous avons recommandé l'établissement d'un référentiel fixant, pour chaque catégorie de locaux judiciaires, des objectifs différenciés d'occupation des surfaces. Il s'agit de concilier la mise en place d'un indicateur de « rendement d'occupation des surfaces » avec les spécificités de l'immobilier judiciaire ; en effet, un bureau simple ne peut pas être considéré de la même manière qu'un bureau utilisé pour la tenue d'audience, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. En outre, nous avons proposé d'instituer un indicateur mesurant la réalisation des objectifs arrêtés en matière d'occupation des surfaces accueillant des locaux judiciaires, intégré à la mesure de la performance de la mission « Justice ».

Je laisse maintenant Albéric de Montgolfier vous emmener sur le terrain...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial . - En effet, de manière plus large, nous avons souhaité examiner la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Aussi nos travaux ont-ils porté une attention particulière à l'ensemble des acteurs en charge de la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Nous avons alors pu constater l'importance des services immobiliers des cours d'appel, qui constituent des leviers majeurs de rationalisation de la gestion du parc et donc d'économies. Néanmoins, nous avons observé que la professionnalisation de la fonction immobilière dans les juridictions était encore perfectible ; toutefois, ce constat n'est pas propre au ministère de la justice mais peut être généralisé à l'ensemble de l'Etat.

A titre d'exemple, il n'existe pas de formation relative à la gestion du patrimoine immobilier à destination des magistrats délégués à l'équipement et toutes les cours d'appel ne bénéficient pas des services des techniciens immobiliers, pourtant responsables de la gestion quotidienne des locaux. Nous avons donc formulé plusieurs recommandations tendant à renforcer la professionnalisation de la gestion immobilière dans les juridictions.

Le déploiement du volet immobilier a également impliqué l'intervention des administrations spécialisées de l'Etat. A cet égard, nous avons notamment pu constater que le co-pilotage des opérations par les départements immobiliers du ministère de la justice et les directions départementales des territoires pouvait constituer une source de difficultés. A cela est venue s'ajouter une baisse sensible de l'assistance apportée par ces dernières, du fait de la réduction des moyens qui leurs sont alloués.

Il nous est donc apparu qu'il était nécessaire d'envisager une évolution des modalités de coopération entre les départements immobiliers et les directions départementales des territoires.

Malgré cela, nous avons pu observer que le volet immobilier de la réforme avait été, dans l'ensemble, mis en oeuvre conformément aux objectifs de la politique immobilière de l'Etat. En effet, les opérations menées ont permis, d'une part, de densifier les surfaces occupées par les juridictions, réduisant celles-ci de 63 278 mètres carrés et, d'autre part, d'améliorer les conditions de travail des personnels et d'accueil du public. Par ailleurs, elles ont pu, dans certains cas, favoriser l'offre de logement. A titre d'exemple, l'ancien tribunal d'instance de Cernay, dans le Haut-Rhin, a été cédé à une association offrant des logements à loyer très social.

La diminution du coût de la fonction immobilière est, quant à elle, moins évidente. Si les regroupements de juridictions devraient permettre des économies de loyers et de gestion à hauteur de 4,3 millions par an à compter de 2017, le volet immobilier a représenté un coût net de 320 millions d'euros. Mais, comme cela a été indiqué, la réforme de la carte judiciaire n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions.

Quoi qu'il en soit, le principal enjeu est de consolider l'acquis. Le déploiement du volet immobilier de la réforme étant en grande partie achevé, il convient désormais de s'assurer de la mise en oeuvre d'une gestion efficiente des nouvelles implantations immobilières des juridictions. Néanmoins, la réalisation de cet objectif pourrait se heurter à une gestion du parc immobilier du ministère de la justice qui présente, dans les faits, d'importantes insuffisances.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons pu constater que la programmation des travaux d'entretien du parc immobilier présentait des lacunes. Comme nous l'a indiqué un magistrat délégué à l'équipement, la politique d'entretien de l'immobilier judiciaire relève de la « gestion de crise et d'urgence, sans les outils adaptés ». La majeure partie des travaux d'entretien sont réalisés parce qu'ils sont devenus absolument nécessaires. Les opérations engagées à titre préventif demeurent l'exception, alors qu'elles permettraient de réduire les coûts. Ainsi, le remplacement de chaudières à faible rendement, qui serait rapidement amorti du fait des économies dégagées, n'est que rarement réalisé du fait de l'absence de crédits prévus à cet effet.

Par conséquent, nous avons recommandé de définir, pour chaque cour d'appel, un plan pluriannuel des opérations d'entretien d'immobilier, afin de permettre une programmation des dépenses d'entretien des bâtiments.

Comme cela a été indiqué, nous nous sommes rendus dans les locaux de la cour d'appel de Versailles, qui sont situés dans les anciennes écuries de la Reine ; nous avons pu constater la forte dégradation des façades sur lesquelles des filets ont été installés afin d'éviter les chutes de pierres. Les fenêtres de la cour d'appel de Versailles ont dû être récemment remplacées pour un montant total de 1,4 million d'euros. Pourtant, de tels travaux auraient pu être évités si les fenêtres avaient fait l'objet d'un entretien régulier.

Il faut souligner que ces défauts de programmation participent, de manière plus large, de l'indécision qui entoure souvent la politique immobilière du ministère de la justice. Or, cette indécision est coûteuse et peut nuire au bon fonctionnement des juridictions. La gestion du projet « Richaud » constitue un exemple intéressant. A la fin des années 1990, le ministère de la justice a décidé de localiser la cour d'appel, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Versailles dans les locaux de l'ancien hôpital Richaud. Le terrain a été acquis en 1998 pour 4,5 millions d'euros. 9,2 millions d'euros ont été dépensés au titre des études menées dans le cadre de l'opération. A cela sont venues s'ajouter les charges de gardiennage, dont le montant atteignait 400 000 euros par an. Seulement, le projet « Richaud » n'a jamais pu aboutir et le site a été revendu en 2009 pour 8 millions d'euros, donc à perte. Cet exemple illustre bien les errements de la politique immobilière du ministère de la justice.

Par ailleurs, l'incapacité du ministère de la justice à trouver des locaux d'archivage pour le tribunal d'instance de Chartres nuit au bon fonctionnement de la juridiction. Les archives sont aujourd'hui disséminées sur plusieurs sites - y compris dans des locaux mis à disposition par le conseil général d'Eure-et-Loir -, certains d'entre eux sont inaccessibles pour des raisons de sécurité et les bureaux de magistrats et de greffiers tendent à devenir des lieux d'archivage de substitution.

En outre, nous avons pu observer que les coûts d'entretien des constructions nouvelles étaient insuffisamment anticipés, ce qui peut conduire à la réalisation de choix irrationnels, certes audacieux d'un point de vue architectural mais onéreux à long terme. Nous en voulons pour preuve les ensembles immobiliers intégrant des structures en verre. Dans le cas du tribunal de grande instance de Nanterre, le seul entretien de ces structures représente un coût annuel de 70 000 euros. Ces constructions en verre requièrent des opérations de maintenance particulièrement complexes, ne serait-ce que pour assurer leur nettoyage. Par ailleurs, elles font l'objet de dégradations récurrentes qui impliquent l'exécution répétée de réparations.

L'exemple du tribunal de grande instance de Nanterre nous apporte un éclairage nouveau sur le futur palais de justice de Paris, dont la livraison est prévue pour 2017. En effet, le projet retenu consiste en une tour étagée de 156 mètres de hauteur, abritant une surface de 61 500 mètres carrés, dotée d'une façade en verre. Aussi, le choix d'une structure en verre ne doit pas être sans lien avec le coût de l'opération. A cet égard, nous souhaitons rappeler que le projet d'installation du tribunal de grande instance de Paris dans la zone d'aménagement concertée (ZAC) des Batignolles avait fait l'objet d'un examen approfondi par notre collègue Roland du Luart dans un rapport d'information fait au nom de notre commission en 2009.

Au regard de ces exemples, nous avons recommandé d'établir, préalablement à la sélection de tout projet de construction nouvelle, une évaluation précise des dépenses prévisionnelles d'entretien.

Enfin, s'agissant des modalités de gestion du parc immobilier du ministère de la justice, nous avons regretté le manque de réflexion sur le recours à de nouveaux leviers d'économies, notamment en ce qui concerne la mutualisation des achats et l'externalisation de certaines prestations d'entretien des locaux. L'expérience nous a montré qu'il était possible d'externaliser efficacement la gestion de biens immobiliers ; à titre d'exemple, vingt-et-un conseils généraux ont confié à la Société nationale immobilière (SNI) la gestion des parcs immobiliers accueillant la gendarmerie nationale.

Pour terminer, nous avons estimé que le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire devait nécessairement aborder la question des locaux restitués aux collectivités territoriales.

Lors du déploiement de la nouvelle carte judiciaire, 223 immeubles ont été rétrocédés aux collectivités. Ces dernières ne semblent pas avoir bénéficié d'une assistance spécifique des services de l'Etat à la suite de la remise des implantations abandonnées, ce que certains élus locaux interrogés ont regretté.

A cet égard, il faut souligner les difficultés qui peuvent être rencontrées lors de la reconversion, et notamment de la vente, de ces biens spécifiques que sont les locaux judiciaires. Ces difficultés sont liées à l'agencement des immeubles, voire à leur éventuel classement ou inscription au titre des monuments historiques.

C'est la raison pour laquelle nombre d'anciennes implantations judiciaires ont été transformées en maisons de la justice et du droit. Cependant, certains palais de justice ont pu faire l'objet de reconversions plus originales. Ainsi, le tribunal d'instance d'Avallon, dans l'Yonne, a été racheté en 2011 par des brocanteurs qui ont transformé le bâtiment en lieu d'exposition et en habitation.

Bien qu'elle ne s'inscrive pas dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, la reconversion de l'ancien palais de justice de Nantes a constitué un cas intéressant. En effet, le conseil général de Loire-Atlantique a consenti un bail de longue durée à une société privée afin d'y installer un hôtel quatre étoiles de 136 chambres et intégrant un espace culturel. Le projet nantais paraît avoir constitué une source d'inspiration puisque le conseil général d'Indre-et-Loire semble vouloir également reconvertir l'ancien tribunal d'instance de Loches en hôtel trois étoiles.

Certaines collectivités territoriales nous ont aussi indiqué envisager de transformer les locaux judiciaires abandonnés en lieux à vocation touristique ou culturelle, comme des salles d'exposition, ou encore des salles de ventes.

Pour conclure, nos travaux ont permis de montrer que la réforme de la carte judiciaire présentait un bilan immobilier globalement positif, mais aussi que la politique immobilière du ministère de la justice et, de manière plus générale, de l'Etat restait encore à bâtir. Les travaux auxquels j'ai pu participer au titre tant du Conseil immobilier de l'Etat, auquel j'appartiens, que de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » m'ont conduit à constater que l'Etat peinait à connaître son parc domanial, à l'entretenir et à anticiper les dépenses y afférent. Des leviers d'économies existent encore et devront être actionnés au plus vite, alors que la gestion économe des deniers est aujourd'hui, plus que jamais, essentielle.

M. Edmond Hervé . - Je souhaiterais savoir si les rapporteurs spéciaux ont pu échanger avec les usagers des juridictions, à savoir les magistrats, les avocats, etc. La sous-budgétisation chronique du ministère de la justice rend plus urgente la redéfinition des modalités de gestion du parc immobilier. En effet, force est de constater l'éclatement des autorités en charge des questions immobilières, et ce tant au niveau national que régional. Ceci semble appeler une centralisation accrue de la gestion du patrimoine immobilier, sous l'égide du secrétariat général du ministère de la justice. Aussi la fonction de ce dernier devrait-elle être redéfinie. Il faut également noter que le manque de professionnalisation de la fonction immobilière n'est pas propre au ministère de la justice, elle se retrouve dans les autres administrations de l'Etat, comme les universités. Ce n'est pas parce que l'on est un grand magistrat ou encore un brillant professeur des universités que l'on est un bon gestionnaire... Enfin, j'observe avec satisfaction que les constats formulés par les rapporteurs spéciaux permettent de relativiser les critiques formulées à l'égard de la gestion des collectivités territoriales.

M. Philippe Marini , président . - A titre d'anecdote, je vous indique qu'à Compiègne, une juridiction commerciale « élargie » - issue de la fusion des tribunaux de commerce de Compiègne et de Senlis - et le conseil de prud'hommes ont pu être installés dans les anciens locaux de la Banque de France, et ce notamment grâce à l'intervention de la communauté d'agglomération.

M. Yannick Botrel . - Les rapporteurs spéciaux ont indiqué que le volet immobilier serait amorti à l'issue d'une période de 75 ans. Ce délai paraît d'autant plus long que de nouveaux travaux devront certainement être entrepris sur les bâtiments avant que celui-ci ne prenne fin. Si les réductions de la masse salariale sont prises en compte, la période d'amortissement est ramenée à treize années ; ceci révèle peut-être le souci particulier du gouvernement de l'époque de réduire les dépenses de personnel.

Je pense que d'autres éléments auraient pu être pris en compte dans le cadre du contrôle budgétaire. En effet, prenant l'exemple du département des Côtes d'Armor, j'ai pu constater que des travaux avaient pu être réalisés à perte - du fait, notamment, de l'annulation d'opérations immobilières, etc. -, ce qui a indubitablement représenté un coût pour le contribuable. En outre, la réforme de la carte judiciaire pose la question de l'accessibilité de l'institution judiciaire par les justiciables, à laquelle l'éloignement des juridictions peut nuire.

M. Gérard Miquel . - Les observations formulées par les rapporteurs spéciaux montrent qu'il reste beaucoup de travail pour améliorer la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat. Les magistrats ne sont pas formés à la gestion immobilière ; dès lors, pourquoi ne pas faire appel aux services déconcentrés de l'Etat compétents en la matière ? Par exemple, s'agissant de la rénovation des locaux de la juridiction de Cahors, le contrôle des opérations était réalisé par des équipes venant régulièrement de Paris. Pourtant, la direction départementale des territoires aurait pu assurer la conduite des travaux. Aussi les cloisonnements entre ministères et une centralisation excessive me semblent-ils préjudiciables. Si le patrimoine immobilier des collectivités territoriales était géré de la sorte, les critiques ne se feraient pas attendre.

M. Pierre Jarlier . - Je pense également que la gestion immobilière du ministère de la justice, centralisée et sectorisée, n'est pas efficace. Quel que soit le ministère concerné, les problématiques immobilières se ressemblent. Dans ces conditions, une gestion transversale des opérations immobilières, par des services spécialisés, serait préférable ; au niveau déconcentré, les directions départementales des territoires pourraient prendre en charge la conduite des opérations.

Enfin, je considère qu'il est indispensable de développer une approche de coût global s'agissant du choix des opérations immobilières, tenant compte tout à la fois des investissements et des coûts futurs de fonctionnement. Une telle approche constituerait un levier d'économies.

M. Claude Belot . - Je tiens à rappeler que les palais de justice sont, dans leur majeure partie, détenus par les collectivités territoriales, et plus particulièrement par les départements. Toutefois, depuis les années 1980, la gestion des implantations immobilières des juridictions appartenant aux collectivités est assurée par le ministère de la justice lui-même, ce qui peut conduire à d'importants dysfonctionnements. Je souhaite prendre l'exemple du tribunal d'instance de Jonzac. L'immeuble affecté à ce dernier est désormais surdimensionné au regard de son activité ; cela conduit à de nombreux gaspillages : la salle d'audience est chauffée à l'aide de radiateurs électriques, etc. Il a donc été décidé de procéder au réaménagement de ces locaux. Toutefois, l'extrême centralisation du processus décisionnel et la faiblesse des moyens alloués aux services déconcentrés du ministère de la justice en charge de l'immobilier freinent considérablement l'avancée du projet. Par ailleurs, alors que cette opération était estimée à 450 000 euros par les services municipaux et départementaux, l'évaluation retenue par le ministère de la justice dépasse un million d'euros ! J'ai été frappé par le manque d'efficacité des services de la Chancellerie s'agissant de l'entretien des bâtiments judiciaires.

M. Albéric de Montgolfier . - Nous avons, en effet, souhaité entrer en contact avec les usagers des locaux judiciaires. A cet effet, nous avons envoyé un questionnaire aux premiers présidents et aux procureurs généraux des cours d'appel. Nous n'avons toutefois pas rencontré de représentants des avocats. Mais nous avons tous l'occasion de rencontrer régulièrement des usagers du service public de la justice dans nos départements.

S'agissant de la gestion du parc immobilier judiciaire, je pense qu'il faut avant tout favoriser les mutualisations, et ce d'autant plus que les moyens des cours d'appel en la matière sont très variables.

M. Philippe Dallier . - La durée d'amortissement du coût du volet immobilier, soit 75 ans, est particulièrement impressionnante. Mais il ne faut pas s'arrêter à cela ; la finalité première de la réforme de la carte judiciaire n'était nullement de réduire les dépenses immobilières des juridictions. S'il est tenu compte de la réduction des charges de personnel, cette durée est ramenée à treize années, ce qui est acceptable.

S'agissant des gâchis relevés lors des opérations immobilières menées dans les Côtes d'Armor, elles révèlent avant tout un manque de planification à long terme. En tout état de cause, ces gâchis sont analysés dans le cadre du rapport d'information qui sera publié.

Nous n'avons pas traité de la question de l'accessibilité de l'institution judiciaire par les justiciables dans la mesure où nos travaux s'inscrivaient dans le cadre d'un rapport budgétaire.

M. Albéric de Montgolfier . - L'intervention de magistrats dans la gestion du parc immobilier judiciaire semble justifiée par les spécificités des locaux des juridictions.

Les directions départementales des territoires paraissent constituer le bon échelon pour mutualiser les compétences en matière immobilière ; cependant, nous avons pu constater un net recul de l'assistance apportée par ces dernières aux juridictions. Par ailleurs, nous avons relevé des difficultés de coordination entre les directions départementales des territoires et les services du ministère de la justice.

M. Philippe Dallier . - Nous avons insisté sur la nécessité de renforcer les mutualisations s'agissant de la gestion du patrimoine immobilier du ministère de la justice. Une meilleure programmation de l'entretien du parc immobilier permettrait de dégager d'importantes économies. Encore faudrait-il que des moyens soient prévus pour procéder aux travaux d'entretien...

M. Pierre Jarlier . - Ce sont des fausses économies !

M. Albéric de Montgolfier . - De manière générale, la politique immobilière de l'Etat reste à bâtir. Une meilleure programmation des dépenses d'entretien est, en effet, indispensable.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte de leur communication à MM. Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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