N° 627

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire ,

Par MM. Albéric de MONTGOLFIER et Philippe DALLIER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

Mesdames, Messieurs,

Engagée en 2007, la réforme de la carte judiciaire est considérée comme achevée depuis le 1 er janvier 2011. Le temps était enfin venu de procéder au bilan de cette réorganisation d'ampleur des juridictions judiciaires. Aussi un groupe de travail de la commission des lois du Sénat, emmené par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, a-t-il livré ses conclusions dès le mois de juillet 2012, dans un rapport intitulé « La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée » 1 ( * ) . Plus récemment, à la demande de Christiane Taubira, ministre de la justice, une mission d'évaluation de la carte judiciaire, présidée par Serge Daël, a été mise en place ; cette dernière a rendu son rapport le 10 février 2013 2 ( * ) .

S'inscrivant également dans cette démarche, vos rapporteurs spéciaux se sont intéressés à un aspect de la réforme qui méritait, en tant que tel, un examen approfondi : le volet immobilier. En effet, celui-ci a constitué, de loin, le principal poste de dépenses de la réforme. Ainsi, en application des dispositions de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), ils ont choisi de mener une mission de contrôle portant sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire .

À ce titre, vos rapporteurs spéciaux se sont inscrits dans une double approche. Ils ont, en premier lieu, cherché à déterminer le coût réel du volet immobilier de la réforme ; en effet, ce dernier ayant été, au départ, substantiellement surévalué, des doutes ont longtemps subsisté quant à son coût final. En outre, les économies réalisées en matière immobilière ont également été mesurées, et ce de manière à disposer d'un bilan financier du volet immobilier de la réforme .

En second lieu, vos rapporteurs spéciaux ont examiné la réalisation du volet immobilier, soit la mise en oeuvre concrète des opérations liées aux regroupements de juridictions. De cette manière, ils ont pu procéder à une évaluation de la politique immobilière développée par le ministère de la justice dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire .

En effet, les implantations judiciaires sont restées hors du champ de la réorganisation de la politique immobilière de l'État au niveau déconcentré. Selon une définition communément admise, « l'évaluation d'une politique publique [...] a pour objet d'apprécier [...] l'efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en oeuvre » 3 ( * ) . Dès lors, leur but a été de voir dans quelle mesure, dans le cadre de la réforme, la gestion du parc immobilier avait répondu aux objectifs de la politique immobilière de l'État.

L'évaluation a pour finalité fondamentale « d'améliorer les politiques » 4 ( * ) . La réforme de la carte judiciaire étant désormais terminée, vos rapporteurs spéciaux ont donc tâché, à partir de la mise en oeuvre de son volet immobilier, d'identifier les améliorations possibles des modalités de gestion du patrimoine immobilier des juridictions.

À cette fin, ils se sont attachés à approcher les parties prenantes de la politique immobilière du ministère de la justice au niveau déconcentré, recueillant les contributions des premiers présidents et procureurs généraux de vingt-deux cours d'appel concernées par la réforme de la carte judiciaire et interrogeant différents acteurs intervenus aux côtés des juridictions dans la conduite des opérations immobilières engagées. De même, les élus locaux ont été consultés s'agissant des palais de justice abandonnés et restitués aux collectivités territoriales. Le souci de vos rapporteurs spéciaux a été de mener cette évaluation au plus près du terrain.

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Dans le présent rapport, vos rapporteurs spéciaux ont tout d'abord souhaité établir un bilan financier du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire , et ce afin de déterminer le coût réel de ce dernier. Ils ont, ensuite, procédé à une évaluation de la politique immobilière développée par le ministère de la justice prenant pour fondement la mise en oeuvre de la réforme.

Le bilan financier du volet immobilier de la réforme

La réorganisation de la carte judiciaire aura entraîné, au total, 439 opérations immobilières dont 112 opérations provisoires . Celles-ci s'étalent sur la période allant de 2008 à 2017, année au cours de laquelle devraient être livrés les derniers travaux.

Entre 2008 et 2017, le coût total du volet immobilier de la réforme atteindrait 331,9 millions d'euros . Cette estimation intègre aussi bien les dépenses d'investissement, inhérentes aux opérations de construction ou de réaménagement, que celles de fonctionnement, correspondant aux charges découlant des « petits travaux » et des déménagements.

Dès lors, il apparaît que le plafond des dépenses arrêté par le Gouvernement s'agissant du volet immobilier lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme en 2008, soit 375 millions d'euros, a été respecté .

La majorité des locaux abandonnés par les juridictions dans le cadre de la réforme étaient détenus par les collectivités territoriales. Toutefois, la mise en place de la nouvelle carte judiciaire devrait permettre à l'État de procéder à la cession de 40 immeubles, dont le produit représenterait près de 11,9 millions d'euros . Par conséquent, le coût net du volet immobilier est estimé à 320 millions d'euros .

À compter de 2017, la réforme de la carte judiciaire permettra de dégager 4,3 millions d'euros d'économies par an liées à l'immobilier . Aussi les dépenses consacrées au volet immobilier seront-elles amorties au terme d'une période de 75 ans. Il faut, néanmoins, souligner que la réforme n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions. Le principal levier d'économies a résidé, en effet, dans la diminution des charges de personnel qui a été rendue possible par les regroupements de juridictions ; la réduction de la masse salariale atteint, ainsi, 23,4 millions d'euros par an. Par suite, si la réforme est prise dans son ensemble, son coût est amorti au bout de 13 années.

La durée d'amortissement du volet immobilier permet de mettre en évidence le poids des coûts liés aux locations pérennes , dont le montant annuel atteint 3,4 millions d'euros , susceptibles d'alourdir le bilan financier du volet immobilier à long terme ; par conséquent, vos rapporteurs spéciaux souscrivent à l'objectif du ministère de la justice de substituer des solutions patrimoniales, plus économes, aux locations , et ce dès que possible.

L'évaluation de la politique immobilière du ministère de la justice

Le ministère de la justice a conservé une politique immobilière autonome , qui est généralement justifiée par la spécificité du parc immobilier judiciaire.

Dans un premier temps, vos rapporteurs spéciaux se sont attachés à évaluer la mise en oeuvre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire à l'aune des objectifs de la politique immobilière de l'État .

Il est apparu que la réalisation des opérations immobilières avait permis de respecter tout à la fois les délais imposés par le calendrier du déploiement de la nouvelle carte judiciaire et l'enveloppe budgétaire arrêtée lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme. À cette fin, l'établissement d'un pilotage du volet immobilier a permis une bonne coordination des différentes parties prenantes.

Toutefois, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater qu' aucun objectif chiffré n'avait été déterminé s'agissant de l'optimisation du parc immobilier des juridictions . Pourtant, la politique immobilière de l'État accorde une place centrale à l'indicateur de « rendement d'occupation des surfaces », dont la cible finale est fixée à 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail ; en effet, un indicateur de cette nature permet de mobiliser les acteurs et de rationaliser la démarche de densification des surfaces .

Les travaux de vos rapporteurs spéciaux ont porté une attention particulière aux acteurs en charge de la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Il a notamment été mis en évidence l'importance des services immobiliers des cours d'appel, qui constituent des leviers majeurs de rationalisation de la gestion du parc et donc d'économies. Cependant, il a pu être constaté que la professionnalisation de la fonction immobilière dans les juridictions restait perfectible .

Le déploiement du volet immobilier a également impliqué l'intervention des administrations spécialisées de l'État. À cet égard, il est apparu que le co-pilotage des opérations par les départements immobiliers du ministère de la justice et les directions départementales des territoires (DDT) pouvait constituer une source de difficultés , d'autant qu'une baisse sensible de l'assistance apportée par ces dernières , du fait de la réduction des moyens qui leur sont alloués, était observée. Dès lors, il semble nécessaire d'envisager une évolution des modalités de coopération entre les départements immobiliers et les directions départementales des territoires.

En tout état de cause, vos rapporteurs spéciaux remarquent que le volet immobilier de la réforme a, globalement, été mis en oeuvre conformément aux objectifs de la politique immobilière de l'État. Les opérations menées ont permis de densifier les surfaces occupées par les juridictions , réduisant celles-ci de 63 278 mètres carrés, d' améliorer les conditions de travail des personnels et d'accueil du public et même, dans certains cas, de favoriser l'offre de logements . La diminution du coût de la fonction immobilière est, quant à elle, moins évidente. Si les regroupements de juridictions devraient permettre des économies de loyers et de gestion à hauteur de 4,3 millions d'euros par an à compter de 2017, le volet immobilier a représenté un coût net de 320 millions d'euros. Mais, comme cela a été indiqué, la réforme de la carte judiciaire n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions.

Aussi le principal enjeu est-il désormais de consolider l'acquis et de s'assurer de la mise en oeuvre d'une gestion efficiente des nouvelles implantations immobilières. À ce titre, le bon accomplissement du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire ne doit pas conduire à occulter les insuffisances constatées par vos rapporteurs spéciaux pour ce qui est de la politique immobilière menée au sein des juridictions.

En effet, la programmation des travaux d'entretien du parc immobilier présente d'importantes lacunes , provoquant des surcoûts conséquents et pouvant nuire au bon fonctionnement des juridictions. De même, les coûts d'entretien des constructions nouvelles sont insuffisamment anticipés , ce qui peut conduire à la réalisation de choix architecturaux audacieux mais onéreux sur le long terme.

En outre, vos rapporteurs spéciaux regrettent le manque de réflexion sur le recours à de nouveaux leviers d'économies en matière de gestion immobilière des juridictions, notamment en ce qui concerne la mutualisation des achats et l' externalisation de certaines prestations d'entretien des locaux .

Le patrimoine immobilier restitué aux collectivités territoriales

Enfin, le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire doit nécessairement aborder la question des locaux restitués aux collectivités territoriales .

Lors du déploiement de la nouvelle carte judiciaire, 223 immeubles ont été rétrocédés aux collectivités . Ces dernières ne semblent pas avoir bénéficié d'une assistance spécifique des services de l'État à la suite de la remise des implantations abandonnées, ce que certains élus locaux interrogés ont regretté.

À cet égard, il faut mentionner les difficultés qui peuvent être rencontrées lors de la reconversion, et notamment de la vente, de ces biens spécifiques que sont les locaux judiciaires (du fait de leur agencement, voire de leur éventuel classement ou inscription au titre des monuments historiques).

C'est la raison pour laquelle nombre d'anciennes implantations judiciaires ont été transformées en maisons de la justice et du droit. Cependant, certains palais de justice ont pu faire l'objet de reconversions plus originales et accueillent désormais des locaux commerciaux, des hôtels ou encore des espaces culturels.


* 1 Rapport d'information n° 662 (2011-2012) sur la réforme de la carte judicaire fait au nom de la commission des lois du Sénat par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne.

* 2 Rapport à la ministre de la justice de la mission d'évaluation de la carte judiciaire, composée de Serge Daël, président de la mission, Michael Janas et Marie-Reine Bakry, 10 février 2013.

* 3 Cf. article 1 er (abrogé) du décret n° 98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l'évaluation des politiques publiques.

* 4 Cf. guide méthodologique de l'évaluation des politiques publiques partenariales, élaboré par l'inspection générale de l'administration (IGA), l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), décembre 2012.

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