II. UN ÉTAT DES LIEUX PRÉOCCUPANT
Il ressort des informations recueillies par vos rapporteurs, notamment au travers des auditions auxquelles ils ont procédé 2 ( * ) , qu'en dépit des importants transferts opérés depuis les années 70 vers les collectivités territoriales par l'État, dans les secteurs routier et ferroviaire, l'État n'a pas effectué sur les infrastructures restant à sa charge les investissements requis pour leur maintien en bon état.
L'élaboration du projet de SNIT témoigne d'une prise de conscience tardive et lacunaire de cet état de fait.
A. LES TRANSFERTS EFFECTUÉS DE L'ETAT VERS LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
1. Le réseau routier3 ( * )
Jusqu'au début des années 70, le réseau routier national comportait environ 80 000 km, dont 40 000 km de voies départementales intégrées au domaine public national en 1930 pour soulager les finances locales.
Sur la base d'un schéma directeur établi par la Direction des routes en collaboration avec la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), la loi du 29 décembre 1971 a prescrit la décentralisation de 53 500 km.
L'action de l'État s'est alors concentrée, parallèlement au développement du réseau autoroutier concédé, sur un réseau de 27 500 km assurant :
- les relations entre Paris, les « métropoles d'équilibre » et les grands centres internationaux ,
- les relations entre les métropoles d'équilibre et les agglomérations de plus de 40 000 habitants, ainsi que les liaisons de ces dernières entre elles ;
- les itinéraires supportant au moins 2 000 véhicules/jour (en 1965) sur plus de 75 km.
Le schéma résultant de l'application de ces critères a été complété pour assurer le maillage du réseau et une couverture équilibrée du territoire.
Jusqu'en 2006, le réseau routier national résultait du réseau ainsi défini en 1971 et des adaptations ultérieures successives marquées essentiellement par :
- l'augmentation du réseau autoroutier concédé ;
- le déclassement des infrastructures anciennes à l'occasion des créations de voies nouvelles hors péage (notamment les traversées d'agglomérations) ;
- des déclassements complémentaires spécifiques pour les départements de la petite couronne parisienne qui n'étaient pas inclus dans la loi de 1971, déclassements réalisés par voie conventionnelle ;
- le déclassement du réseau national corse.
En application de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, le réseau routier national a subi les évolutions suivantes : transfert aux départements de 16 947 km en 2006, de 340 km en 2007 et, depuis 2008, reclassement supplémentaire de 574 km dans la voirie départementale ou communale.
Le réseau routier national comptait, au 1 er janvier 2013, 20 938 km, dont 12 136 km non concédés et 8 802 km concédés.
Ce linéaire du réseau routier national non concédé était, au 1 er janvier 2013, de 11 596 km en territoire métropolitain, et de 540 km en Outre-mer (essentiellement Guyane), soit un total de 12 136 km, dont 6 582 km en 2 fois 2 voies et plus. A ces 12 136 km, il convient d'ajouter, au 1 er janvier 2013, 8 802 km d'autoroutes concédées.
Les évolutions retracées ci-dessous ne concernent que le seul réseau routier national non concédé. Les montants indiqués pour l'entretien de ce réseau ont été corrigés sur la période 2003-2006, de manière à se rapporter à un périmètre de réseau comparable à celui entretenu après les transferts de 2006.
Entretien routier en M€ courants |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Total |
314 |
348 |
295 |
400 |
380 |
468 |
494 |
525 |
440 |
422 |
Ces chiffres comprennent l'ensemble des ressources apportées par les lois de finances initiales et par l'AFITF, mais n'intègrent pas les ressources du plan de relance de 2009, ni les dépenses de mise en sécurité des tunnels réalisées à partir de 2009.
Les investissements englobent tous les co-financeurs, et ont été corrigés pour la période 2003-2006 de manière à se rapporter à un périmètre de réseau comparable à celui entretenu après les transferts de 2006.
Investissements en M€ courants |
1990 |
2000 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Total |
1 788 |
1 312 |
1 569 |
1 559 |
1 252 |
1 275 |
1 335 |
1 084 |
792 |
738 |
En 2013, les montants prévus au titre de l'investissement devraient représenter 771 M€.
2. Le réseau ferré4 ( * )
Depuis le 1 er janvier 2002, les régions se sont vu transférer la compétence d'autorité organisatrice des transports (AOT) collectifs d'intérêt régional 5 ( * ) . À cette date, les conseils régionaux ont hérité d'une organisation qui relevait de la compétence de la SNCF par délégation de l'État.
Ils ont été chargés du financement des services de transports ferroviaires régionaux de voyageurs, désignés par le terme « TER » (Transport Express Régional), qui intègrent également les services routiers effectués en substitution des services ferroviaires.
Les autorités organisatrices régionales sont responsables du contenu du service public de transport régional de voyageurs et, notamment, des dessertes, de la tarification, de la qualité du service et de l'information de l'usager.
Pendant plusieurs décennies, le transport ferroviaire de proximité a été considéré insuffisamment compétitif face à l'automobile. Les investissements ferroviaires se sont alors largement focalisés sur la grande vitesse, engendrant une dégradation continue du réseau classique 6 ( * ) .
En France, comme dans d'autres pays européens, le déclin du transport ferroviaire non urbain a ainsi été significatif en termes de fréquentation.
Avec la décentralisation, les régions se sont vu transférer des réseaux qui nécessitaient une remise à niveau de grande ampleur tant du point de vue des voies que des gares et du matériel roulant . Cette décentralisation a permis un rebond d'activité à partir de 1997.
Sous l'impulsion politique et financière des nouvelles AOT, le Transport Express Régional a connu une importante progression. Les gares, autant que le matériel roulant, ont été modernisées.
L'accroissement de l'offre de service a également été associé à des grilles tarifaires nouvelles plus adaptées aux contextes locaux, avec des tarifs sociaux et une adaptation des abonnements.
Les bénéfices pour les usagers ont été importants tant du point de vue de la quantité que de la qualité de service et des offres tarifaires. Le développement massif de l'offre de service s'est traduit par une forte hausse de la fréquentation . De 2002 à 2007, le trafic TER a crû de 27 % en moyenne au niveau national.
La compensation des charges transférées aux régions s'est faite dans les conditions fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), sous réserve des dispositions spécifiques prévues à l'article L. 1614-8-1.
Ce transfert de compétences a été accompagné par des compensations financières. Ainsi, les dotations globales de décentralisation (DGD) incorporées en 2004 à 95 % dans les dotations globales de fonctionnement (DGF) ont été composées de trois volets :
1. Une contribution pour l'exploitation des services transférés ;
2. Une dotation complémentaire pour le renouvellement du matériel ;
3. Une dotation correspondant à la compensation pour tarifs sociaux nationaux.
L'État a calculé le montant de sa dotation en prenant en charge le déficit réel des comptes TER en 2000 (attestés par un cabinet indépendant) et du périmètre d'activités de 2002. Il a également contribué au renouvellement du matériel roulant à hauteur de 230 M€.
De leur côté, les AOT ont particulièrement investi dans le renouvellement d'un parc de matériel roulant désuet . Au total, dans neuf régions, le matériel ferroviaire roulant a été renouvelé ou rénové à plus de 80 % depuis 1993, et dans dix régions entre 50 et 80 %. En 2007, le matériel roulant TER était composé de 734 locomotives, 2 796 caisses autotractées et 3 791 voitures tractées. Elles ont également financé le réaménagement et la rénovation des gares et haltes ferroviaires (2 540 gares et haltes TER en 2007) dans un souci d'améliorer les conditions d'intermodalité .
L'intervention de Réseau Ferré de France (RFF) étant fortement contrainte par le poids de la dette héritée de la SNCF, l'État a directement contribué à l'effort de modernisation du service ferroviaire à travers les Contrats de Plan État/Région (CPER) . Au-delà de leurs attributions, certaines régions ont également, investi dans la régénération du réseau ferré, et ont pris à leur charge les compensations tarifaires associées à des tarifications régionales innovantes mieux adaptées aux contextes locaux.
En 2008, le montant de la compensation versée annuellement aux régions par l'État était de l'ordre de 1,9 Md€. Les régions, quant à elles, ont consacré en 2007 environ 2,7 Mds € aux transports régionaux.
Il s'agit du troisième poste de dépenses de fonctionnement et d'investissement des régions, derrière les lycées (4,6 Mds €) et la formation professionnelle (3 Mds €). La charge financière au titre des TER a fortement augmenté entre 2002 et 2007, et représentait, en moyenne, un quart des budgets régionaux.
Ainsi, les régions ont fortement investi pour améliorer tant la qualité que la quantité des services . L'état du système de transport ferroviaire de proximité étant relativement vétuste au moment où il a été transféré, l'investissement était impératif.
De plus, l'accroissement de l'offre de service s'est traduit par une forte augmentation des dépenses de fonctionnement .
Les régions considèrent que les règles de compensation de l'État ne leur ont pas été favorables : elles doivent en effet supporter, en plus des nouvelles dépenses de fonctionnement, les péages et les compensations tarifaires supplémentaires.
Comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes publié le 25 novembre 2009 7 ( * ) , l'accroissement de trafic ne s'est pas traduit par une réduction des coûts par kilomètre de la part de l'exploitant unique, la SNCF.
Aussi l'amélioration de la transparence et de la fiabilité des comptes du TER avec un niveau de détail suffisamment fin sont-ils indispensables pour que les régions puissent être en mesure d'exercer leur rôle d'autorité organisatrice de transport régional.
* 2 Voir annexe 2.
* 3 Source : ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie.
* 4 Source : Groupement des autorités responsables de transport, 2008.
* 5 Article 124 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain.
* 6 Rivier R. & Putallaz Y. (2005), audit sur l'état du réseau ferré national français, rapport de l'École polytechnique de Lausanne.
* 7 « TER, un bilan mitigé, et des évolutions à poursuivre ».