LE MAINTIEN DU PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE POUR LES COTISATIONS SOCIALES
En ce qui concerne l'affiliation au régime de sécurité sociale, le règlement n° 1408/71 de coordination des systèmes de sécurité sociale des États membres, adopté en 1971, puis le règlement n° 883/2004 du 28 avril 2004, prévoient pour les travailleurs détachés le maintien au régime de sécurité sociale de l'État membre d'origine. La jurisprudence de la Cour de justice (arrêts du 3 février 1982 Seco et Dequenne et Giral ) a confirmé cette distinction entre application du principe du pays d'accueil en matière de droit du travail et rattachement au pays d'origine pour la sécurité sociale.
Ce détachement ne doit pas pour autant excéder 24 mois, le travailleur ne pouvant être envoyé en remplacement d'une autre personne elle-même parvenue au terme de son détachement. Le salarié ou son employeur doivent adresser un formulaire A1 aux organismes de sécurité sociale du pays d'accueil afin d'attester du maintien au régime du pays d'envoi.
Afin d'éviter des abus, la décision A2 de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSS) du 12 juin 2009, installée auprès de la Commission européenne, puis le règlement d'application n° 987/2009 du 16 septembre 2009, insistent sur le fait que l'employeur doit exercer normalement son activité sur le territoire de l'État d'envoi. Une telle disposition vise directement les entreprises « boîte aux lettres » ou les bureaux administratifs. Le salarié détaché doit effectivement avoir été, au préalable, affilié au régime de sécurité sociale de l'État d'origine. Il ne saurait en conséquence être recruté puis immédiatement envoyé en détachement. Un délai d'un mois doit, de fait, s'écouler entre le recrutement et le détachement. Un lien organique entre l'employeur et le détaché doit, par ailleurs, être prouvé durant toute la durée du détachement. Un délai de carence de deux mois s'impose entre deux détachements dans une même entreprise. Les non-salariés, également concernés par le règlement de 2004 et le détachement, se voient imposer des conditions semblables.
LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
Le détachement des travailleurs a fait l'objet de nombreux contentieux depuis l'entrée en vigueur de la directive 96/71. Il convient de relever que tous ne sont pas induits par des litiges avec des entreprises, certains étant du fait de la Commission européenne qui estimait les dispositifs de transposition, adoptés par l'Allemagne ou le Luxembourg par exemple, trop protecteurs. En résulte une jurisprudence relativement libérale qui encadre strictement les possibilités de contrôle des États membres au risque de fragiliser l'impératif de protection des salariés.
Le premier arrêt de la Cour de justice visant l'application de la directive 96/71 a été rendu en 1999. L'arrêt Arblade et Leloup concerne la construction par deux sociétés françaises d'un entrepôt de sucre en Belgique. Aux termes de cet arrêt, la Cour estime que des cotisations sociales ne peuvent être exigées des entreprises françaises dès lors que leurs salariés disposent déjà, dans leur pays d'origine, d'une couverture équivalente. Elle estime également qu'en matière de documents sociaux, l'équivalence entre ceux du pays d'accueil et ceux du pays d'établissement doit empêcher un État membre de justifier une dérogation à la libre prestation de service pour des motifs purement administratifs. La procédure d'autorisation préalable mise en place par le Luxembourg a été condamnée pour les mêmes raisons en juin 2008. La Cour a, dans le même arrêt, jugé que la conservation de documents relatifs au travailleur détaché dans l'État membre d'accueil après la fin de son détachement était superflue, compte tenu du système organisé de coopération ou d'échange d'informations entre États membres.
La Cour a néanmoins estimé à plusieurs reprises que l'obligation de conserver certains documents sociaux (contrat de travail, fiches de paies, relevé d'heures, attestations de paiement des salaires) sur le territoire de l'État d'accueil, mais aussi l'obligation de traduire ces documents dans la langue du pays d'accueil, ne pouvaient être considérées comme des obstacles à la libre prestation de service.
Elle estime néanmoins qu'il ne peut être imposé au prestataire de posséder un établissement ou de se doter d'infrastructures sur le territoire de l'État membre d'accueil. L'employeur ne saurait être contraint à s'affilier à un organe ou une association professionnelle sur le territoire de l'État membre d'accueil, ni à être inscrit sur un registre quelconque. Il ne peut se voir imposer de désigner un mandataire ou un représentant sur le territoire de l'État membre d'accueil.
En ce qui concerne le rattachement au régime de sécurité sociale du pays d'envoi, la jurisprudence de la Cour indique que le règlement de coordination n'impose aucun délai pour la délivrance d'une attestation (arrêt Barry Banks du 30 mars 2000). La Cour avait par ailleurs estimé dès 1983 que les États membres disposaient d'un certain pouvoir d'appréciation pour pouvoir déroger aux règles d'affiliation.
A propos du « noyau dur », la Cour a précisé, dans le cadre de l'arrêt Mazzoleni et ISA du 15 mars 2001, les contours de la méthode de comparaison utilisée pour vérifier l'équivalence des législations. Ainsi, l'évaluation du salaire minimal doit prendre en considération les éléments liés au montant de la rémunération, à la durée du travail ainsi qu'à la fiscalité qui s'y rapporte. La Cour estime par ailleurs qu'une entreprise oeuvrant en territoire étranger doit contribuer aux régimes qui pourraient ne pas exister sur son territoire : il en va ainsi de la Caisse des congés intempéries qui existe en France dans le secteur du bâtiment et non chez certains de ses partenaires européens.
Le principe de la libre prestation de services a conduit la Cour, dans l'arrêt Commission c/ Allemagne rendu le 19 juin 2006, à interdire pour un État d'accueil d'imposer une durée minimale d'emploi aux travailleurs détachés. Cet arrêt a été confirmé en juin 2008 dans une procédure visant le Luxembourg. Ce même arrêt limite, en outre, la portée de l'exception d'ordre public contenue dans la directive 96/71. L'ordre public ne saurait être invoqué qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Il ne peut justifier, en tout état de cause, l'obligation de ne détacher uniquement que des travailleurs liés par un contrat écrit à l'entreprise du pays d'établissement. La Cour estime, en effet, que compte tenu de la législation communautaire existante, les travailleurs détachés jouissent de la même protection dans leur pays d'origine. L'indexation des salaires autres que minimaux sur le coût de la vie, qui ne fait pas partie du noyau dur de la directive 96/71, ne saurait non plus être obligatoire car relevant de la préservation de l'ordre public.
La Cour a, entre 2007 et 2008, jugé de la compatibilité de la directive 96/71 avec les conventions collectives. Avec l'arrêt Viking du 11 décembre 2007, la Cour estime que toute action collective destinée à imposer une convention collective à une entreprise étrangère constitue une restriction à la liberté d'établissement. Elle doit donc être proportionnée et se justifier par le fait que les emplois ou conditions de travail soient clairement menacés. Aux termes de l'arrêt Laval du 18 décembre 2007, la Cour estime par ailleurs impossible d'exiger des entreprises de détachement une adhésion à des conventions collectives qui ne sont pas d'application générale. La Cour a précisé son raisonnement sur les conventions collectives via l'arrêt Rüffert du 3 avril 2008. Le juge communautaire a ainsi indiqué qu'il n'était pas possible pour le législateur d'imposer aux soumissionnaires d'un marché public de respecter les dispositions d'une convention collective qui ne serait pas d'application générale.