D. LA RESSOURCE PATRIMONIALE : UNE INCONNUE DANS LE BILAN DES UNIVERSITÉS

Le service France Domaine a estimé, en novembre 2012, le patrimoine universitaire appartenant à l'État à près de 20 milliards d'euros pour 5,95 hectares de foncier non bâti et 18,6 millions de m² bâtis qui se répartissent en 15,2 millions de m² appartenant à l'État, 450 000 m² appartenant aux établissements en propre et 2,95 millions de m² appartenant à d'autres propriétaires, au premier rang desquels on compte les collectivités territoriales 66 ( * ) .

1. Un processus d'expérimentation de la dévolution patrimoniale interrompu

L'article 32 de la loi LRU dispose que « l'État peut transférer aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel qui en font la demande la pleine propriété des biens mobiliers et immobiliers appartenant à l'État qui leur sont affectés ou mis à disposition. Ce transfert s'effectue à titre gratuit. Il s'accompagne, le cas échéant d'une convention visant à la mise en sécurité du patrimoine après expertise contradictoire. Il ne donne lieu ni à un versement de salaires ou honoraires au profit de l'État ni à aucune indemnité ou perception de droits ou de taxes au profit de l'État ».

Ce transfert, qui fait partie des « compétences particulières » prévues par la loi, n'intervient qu'après l'acquisition et la maîtrise des RCE en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines. Ces RCE sont acquises au plus tard dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la loi, contrairement à la dévolution patrimoniale dont la loi LRU n'a fixé aucun calendrier de mise en oeuvre .

La portée limitée à ce jour de la dévolution patrimoniale tient d'abord à la prudence de la loi elle-même qui ne prévoit aucun périmètre cible (le transfert se fait sur demande des universités si des conditions précises et exigeantes sont remplies), ni un calendrier de mise en oeuvre comme pour l'accession aux RCE.

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a néanmoins mis en place une procédure d'expérimentation du transfert. Le 28 novembre 2009, un groupe d'expérimentation composé de neuf universités candidates à la dévolution a été constitué (Clermont-I, Poitiers, Toulouse-I, Corte, Avignon, Paris-II, Paris-VI, Cergy-Pontoise et Marne-la-Vallée). Durant 18 mois, les universités devaient franchir les étapes suivantes :

- élaboration d'une stratégie immobilière formalisée par un schéma directeur, en cohérence avec le projet pédagogique et scientifique de l'établissement ;

- pilotage de la politique et de la gestion immobilière avec une équipe en charge de l'immobilier et des outils adaptés de gestion, connaissance parfaite du patrimoine (inventorié par ailleurs dans le schéma pluriannuel de stratégie immobilière - SPSI -) et de la valeur du patrimoine à transférer ;

- la mise à niveau de la comptabilité patrimoniale et notamment une prévision pluriannuelle des dépenses de gros entretien renouvellement (GER) sur 25 ans.

En novembre 2011, le MESR a retenu trois universités très avancées dans le processus et fortes d'un schéma directeur adopté : Clermont I, Poitiers et Toulouse I. Trois étapes restantes ont été franchies au cours de 2011 et 2012 : évaluation de la dotation financière annuelle récurrente versée aux établissements au titre du GER en plus de la dotation initiale pour travaux de mise en sécurité, contractualisation avec l'État sous forme d'une convention de dévolution et signature des actes notariés (encore en cours pour l'université de Poitiers).

À la fin 2012, la décision d'arrêt de la dévolution durant trois ans pour tirer un bilan de l'expérimentation de la dévolution des trois premières universités a suspendu le processus pour les autres établissements candidats.

Une autre raison de ce faible nombre de bénéficiaires de la dévolution patrimoniale est à rechercher dans l' insuffisante structuration de la gestion du patrimoine immobilier par des universités qui n'en avaient pas la pleine responsabilité : l'organisation de cette fonction immobilière ne s'est précisée que sur la base de l'acquisition des compétences élargies et la réalisation d'un long travail d'inventaire et de mise en place de systèmes d'information et de gestion adaptés.

Les trois premières opérations pilotes de dévolution sont censées permettre de fiabiliser les modalités de transfert. Les recommandations 2011 du comité de suivi de la LRU étaient de « conduire la dévolution du patrimoine de façon progressive et modulée au vu d'un bilan d'étape » (recommandation n° 9). L'expérience de trois universités constituera une première base ; il est souhaitable que la pause dans le processus ne démobilise pas certaines équipes ayant engagé des efforts importants en matière de renforcement de la fonction de gestion immobilière.

2. Une insuffisante connaissance des caractéristiques, de la valeur et des coûts de maintenance de l'immobilier universitaire

La connaissance du parc immobilier pour les universités est désormais une obligation. Par une circulaire du Premier ministre en date du 28 février 2007, le gouvernement a décidé de « poser les bases d'une stratégie de gestion immobilière des organismes contrôlés par l'État et exerçant une mission de service public ». Cette demande passe par le recensement précis des biens immobiliers des opérateurs qui avait été lancé dès 2006 par des travaux de fiabilisation et d'évaluation du parc immobilier des opérateurs de l'État. Le ministre chargé du domaine a rappelé, par une circulaire du 26 décembre 2008, l'obligation de recensement du parc immobilier avant le 31 mars 2009 et adressé une circulaire spécifique aux opérateurs et organismes divers de l'État exerçant leurs missions en matière d'enseignement supérieur. Ces travaux de recensement sont complétés par la rédaction d'un schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI) qui comporte un volet de diagnostic du parc et des orientations stratégiques à cinq ans 67 ( * ) .

Tous ces travaux ont obligé les universités à recenser leur patrimoine (biens domaniaux, biens propres, biens loués ou occupés à titre gratuit) soit en utilisant leurs ressources internes (directions immobilières quand elles existent), soit en recourant à des prestataires extérieurs, soit en utilisant les deux méthodes. Dans le cadre de son plan stratégique « Élan 2020 », le groupe de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a accompagné et cofinancé les universités pour la réalisation de 52 schémas directeurs immobiliers et d'aménagement (SDIA) entre 2008 et 2011.

De nombreuses universités ont sollicité les services de prestataires extérieurs afin de réaliser leurs divers diagnostics immobiliers , notamment en matière d'accessibilité pour les personnes porteuses de handicap, de performance énergétique, de schéma de mise en sécurité et de stratégie de développement immobilier. Le recours à des cabinets d'études a pu générer des coûts significatifs pour des établissements dont les services de pilotage immobilier étaient encore insuffisamment développés.

L'université d'Angers constitue un exemple encourageant de gestion rigoureuse et responsable de la fonction immobilière, dans un contexte budgétaire pourtant très défavorable. Elle s'est dotée d'un logiciel de gestion patrimoniale « VIZELIA » qui lui a permis de cartographier l'ensemble de ses surfaces et qui a vocation à être interfacé avec son logiciel de gestion de l'utilisation des salles « CELCAT » afin d'optimiser l'usage de son patrimoine et sa valorisation interne et externe (location, mise à disposition, hébergement...), en lien avec sa direction du pilotage et de l'évaluation. L'université s'est efforcée, depuis 2012, de réduire la location d'espaces à l'extérieur, générant ainsi des économies de l'ordre de 200 000 euros en année pleine. Néanmoins, compte tenu des limites d'une politique de maintenance préventive par le biais de contrats de gestion externalisés, le passage aux RCE n'a pas permis de soutenir une véritable politique d'investissement pour l'entretien et le suivi du patrimoine immobilier. L'université d'Angers ne dépense ainsi qu'à peine quatre euros par m² par an, contre 15 à 18 euros en moyenne pour l'ensemble des universités françaises 68 ( * ) .

Selon le bilan dressé par France Domaine au 13 décembre 2012, seules trois universités (Pau, Corse et Polynésie française) n'ont pas remis leur SPSI.

Quant à leurs besoins de rénovation, reconstruction et mise aux normes, les universités présentent leurs analyses dans le cadre du contrat quinquennal qui lie l'établissement à l'État, lors des demandes budgétaires annuelles ou dans le cadre d'opérations telles que l'opération Campus.

S'agissant des évaluations des biens (valeur vénale du marché), elles sont réalisées par le service France Domaine. Les nouvelles possibilités ouvertes aux universités et aux PRES par la loi du 13 décembre 2010 69 ( * ) dans l'exercice de droits réels sur leur patrimoine n'ont toutefois produit que des résultats très limités en termes de ressources supplémentaires.

L'attribution aux PRES, non véritablement outillés en matière de gestion patrimoniale, de la responsabilité de conduire les projets de l'opération Campus, sans perspective claire quant à celle d'assurer ultérieurement la gestion, a pu faire naître des tensions avec les équipes immobilières, en cours de développement, des établissements. Des regroupements étaient certes souhaités mais peu se sont au final réalisés. Cette situation n'a certainement pas été de nature à faciliter le transfert patrimonial dont la loi a ouvert la possibilité.

LES DIFFICULTÉS DE MISE EN OEUVRE DE L'OPÉRATION CAMPUS

Les projets de l'opération Campus ne sont pas conduits, sauf exception en cas notamment de fusion, par des établissements seuls mais par des groupements dans le cadre d'une politique de développement de la coopération scientifique entre établissements. Or, l'union est un combat. Cette exigence, tout à fait légitime et respectable, crée la première et principale difficulté liée à la mise en place de processus de concertation et de coordination sous le pilotage voulu des PRES, qu'il a fallu doter d'équipes d'ingénierie de projet pour ce faire. La réussite est inégale et dépend fortement des personnalités locales, y compris dans les rangs des administrations rectorale et préfectorale.

La complexité des montages, qui exigent souvent beaucoup de temps, est une autre source de difficultés.

À cet égard, le choix initial systématique du contrat de partenariat n'a pas été de nature à faciliter les choses, cette procédure étant assez complexe à mettre en oeuvre et exigeant, contrairement aux idées reçues, une maîtrise d'ouvrage forte et organisée, capable de savoir ce qu'elle veut et de négocier, qualité qui n'est pas la première des maîtres d'ouvrage universitaires. Elle a par ailleurs l'inconvénient de privilégier les grands groupes, seuls à même de répondre aux appels d'offres.

Cette procédure présente toutefois des avantages par ailleurs, liés à la possibilité de mener de front plusieurs opérations plutôt que séquentiellement et d'intégrer la maintenance, point faible traditionnel de la gestion immobilière des universités.

Faire le choix de cette procédure dans le seul but avoué ou non d'échapper aux contraintes de la commande publique n'est jamais de bonne politique.

La maîtrise d'ouvrage traditionnelle - qui est, rappelons-le en principe la règle, le partenariat public-privé étant l'exception - a l'avantage paradoxal de se révéler plus souple malgré ses rigidités maintes fois dénoncées.

La nouvelle procédure de marchés de réalisation et d'exploitation ou de maintenance (article 73 du code des marchés publics), encore peu employée, devrait permettre d'intégrer la maintenance dans son champ.

La procédure dite « innovante », qui est une forme particulière de partenariat public-privé (« public-public » disent ses promoteurs, mais la société de réalisation créée dans ce cadre, même si elle n'a pour actionnaires que des personnes publiques, est bien une société de droit privé agissant dans le cadre du droit privé pour échapper aux règles du droit public). La formule, tout aussi complexe, sinon plus, que le contrat de partenariat, nécessite l'octroi de droits réels sur le domaine public lui-même (au lieu de les limiter comme il est normalement de règle aux investissements réalisés par l'occupant du domaine) et, en l'état des choses, ne permet pas l'accès au marché financier, les seuls financements venant de la CDC. La répartition des responsabilités en matière de maintenance entre ladite société et les établissements ne sera pas plus simple que dans le cadre du contrat de partenariat.

Source : M. Roland Peylet, conseiller d'État, président de la mission d'évaluation des partenariats public-privé des projets immobiliers de l'opération Campus

Dans son rapport consacré au passage aux RCE de sept universités parisiennes en février 2012, la Cour des comptes souligne qu'aucune des universités contrôlées, à l'exception notable de l'université Paris IV, « ne dispose d'un inventaire physique permettant de garantir la réalité et l'exhaustivité des biens repris à l'actif du bilan ». En conséquence, elles ne disposent pas des outils leur permettant de valoriser leur patrimoine immobilier dans leur bilan, encore moins d'en assumer la dévolution. Elles ne sont pas également en mesure de procéder à un pilotage prospectif de leur fonction immobilière et d'établir des calendriers sincères de mise en oeuvre de leurs projets immobiliers.

3. Les incertitudes sur le financement de l'immobilier universitaire

Selon le Conseil immobilier de l'État (CIE), conformément à l'esprit de la loi LRU, la dévolution apparaissait comme un outil de gestion patrimonial intéressant dès lors qu'il responsabilisait l'établissement en le rendant propriétaire et en lui conférant un intérêt direct à bien gérer son parc. La possibilité de céder les biens inutiles et d'encaisser la totalité des produits de cession aurait notamment pu constituer un levier majeur dans le cas de certains établissements disposant d'un vaste parc immobilier. La possibilité de disposer ainsi de ressources propres non soumises aux aléas budgétaires annuels favorise la programmation et la rationalisation des travaux.

Le cadre idéal de la dévolution aurait supposé de transférer à l'université une dotation de mise en sécurité des bâtiments et une dotation de dévolution récurrente, lui permettant ainsi de connaître plusieurs années à l'avance les moyens financiers dont elle disposerait de la part de l'État et serait donc en mesure de planifier ses projets à moyen et long terme.

Toutefois, la dévolution entraîne l'inscription au bilan des opérateurs des biens transférés et de leur amortissement. Les universités ne peuvent donc soutenir financièrement cette responsabilité que si la dotation aux amortissements est actualisée chaque année .

La priorité donnée à l'éducation par le Gouvernement se traduit par un effort budgétaire important en 2013 (+ 2 %, soit 250 millions d'euros supplémentaires pour le programme 150 de la MIRES) dans le contexte contraint des finances publiques. Pour répondre aux besoins immobiliers des universités, le maintien de cet effort budgétaire est nécessaire : le CIE estime qu'il s'agit d'un investissement d'avenir qui devrait à terme réduire la dépense nette de l'État et contribuer à la valorisation du patrimoine concerné.

Pour l'heure, le bilan du financement des travaux immobiliers des universités par les CPER est mitigé. La Cour des comptes avait déjà relevé le mauvais fonctionnement des financements dans le cadre des CPER pour la période 2000-2006.

Quant aux CPER 2007-2013, il est apparu que l'évolution du patrimoine de l'enseignement supérieur et de la recherche est principalement pilotée dans le cadre de ces contrats. Les décisions immobilières sont des processus lents qui requièrent au moins un an de négociation pour associer ministère, recteurs, régions, présidents d'universités et directeurs d'écoles.

Le suivi des CPER est largement délégué au niveau des rectorats. La cinquième génération de CPER qui couvre la période 2007-2013 fait l'objet d'un gel. Le taux d'exécution des crédits fin 2012 est de 71 % des engagements initiaux et est prévu fin 2013 à 73 %. Cela signifie que des opérations prévues ne seront pas réalisées.


* 66 COTTEREAU, Gilles, « Activités immobilières et coopération interuniversitaire - L'autonomie patrimoniale sous l'aiguillon des pôles », in Actualité juridique - Droit administratif (AJDA), 2011, p. 499.

* 67 Circulaire du ministre chargé du domaine du 16 septembre 2009.

* 68 Source : Fondation iFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques).

* 69 Loi n° 2010-1536 du 13 décembre 2010 relative aux activités immobilières des établissements d'enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération et aux conditions de recrutement et d'emploi du personnel enseignant et universitaire.

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