QUATRIÈME TABLE RONDE :
ACTEURS DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE, FINANCEMENT, ÉVALUATION

Présidence de Mme Anne-Yvonne Le Dain et de M. Jean-Louis Touraine, députés.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je remercie Anne-Yvonne Le Dain, députée de l'Hérault, et Jean-Louis Touraine, député du Rhône, d'avoir accepté de présider cette quatrième table ronde. Je salue également la présence de Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, compétente en matière d'enseignement supérieur et de recherche, et je cède sans plus attendre la parole à Pierre Tambourin, membre du comité de pilotage des Assises, qui va rapporter sur le thème : « Acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, financement, évaluation ».

Exposé introductif

M. Pierre Tambourin, directeur du génopôle, membre du comité de pilotage des Assises. Il m'a été demandé de présenter en quelques minutes des thèmes particulièrement lourds, qu'il s'agisse de l'ANR, de l'AERES, du dossier des précaires et de quelques autres points sur lesquels j'appuierai mon propos.

D'abord, il a été réaffirmé de manière unanime que l'unité était la brique constitutive de la recherche, à l'exclusion de toute autre structure, même si elle pouvait prendre des formes diverses : unité propre, unité d'accueil, unité mixte de recherche, unité mixte de recherche internationale, unité de service. A côté de cela, il serait question d'installer des groupements de coopération scientifique et de se débarrasser de tout un ensemble de labels, en les privant de surcroît de la personnalité morale lorsque cela est manifestement inutile.

Le deuxième point sur lequel s'est dégagée une certaine unanimité, c'est l'importance du soutien de base, qui pose un problème de financement dont Henri Audier a fort légitimement souligné l'ampleur ce matin.

S'agissant de l'ANR, des propos assez contradictoires ont été tenus. Beaucoup considèrent que l'ANR n'a pas à jouer un rôle stratégique et qu'elle doit se contenter d'être un opérateur stratégique. Cela suppose que les stratégies nationales soient établies ailleurs mais encore faut-il définir cet « ailleurs ». L'ANR a aussi été accusée d'être à l'origine de très nombreux CDD mais chacun doit balayer devant sa porte car ceux qui recrutent, ce sont les établissements et non l'agence.

Plusieurs éléments ont cependant été portés au crédit de l'ANR, avec, notamment, une demande d'augmentation des programmes blancs. Du côté des industriels, il a aussi été souligné que l'agence avait contribué à l'établissement de liens positifs entre la recherche et l'industrie, en particulier pour ce qui concerne les jeunes entreprises innovantes.

En matière de stratégie, chacun s'accorde sur la nécessité de simplifier un système devenu illisible et quasiment incompréhensible de l'extérieur. La complexité n'est pas forcément un handicap mais il faut veiller à la cohérence et à la non redondance des dispositifs. Las, à toutes nos propositions de simplification ont été opposés des arguments tendant à maintenir le statu quo ...

Où la stratégie devrait-elle s'élaborer ? Nous appelons de nos voeux la création d'un Haut-conseil de la science et de la technologie, placé auprès du Président de la République et travaillant en liaison étroite avec l'OPECST. Pour donner plus de cohérence à l'ensemble, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche devrait en outre assurer la cotutelle de tous les établissements d'enseignement supérieur et de recherche.

S'agissant des carrières, beaucoup a été dit ce matin et je ne reviens sur l'analyse de Rémy Mosseri que pour relever quelques contradictions : on ne peut pas dire que le doctorat doit être revalorisé pour que les industriels le prennent en compte, et, en même temps, qu'il faut une qualification pour s'assurer que ce diplôme est bon. Deuxième contradiction, on ne peut pas revendiquer l'autonomie des universités et demander qu'une instance supérieure vérifie la qualité de leur action. On ressent une certaine volonté, sans doute minoritaire mais bien réelle, de maintenir la qualification. Quant à l'habilitation à diriger des recherches (HDR), certains souhaitent la maintenir alors que d'autres la considèrent comme un diplôme inutile, présent dans très peu de pays et posant de ce fait des problèmes particuliers aux chercheurs étrangers qui souhaitent venir travailler chez nous.

J'en viens à la précarité : il s'agit d'un vrai problème, qui monte en puissance puisqu'il concerne 20 000 à 40 000 jeunes. La nature des difficultés est du reste très variable selon les intervenants. Du côté des BIATSS et des ITA
- qu'il ne faut pas oublier -, la question semble assez bien cernée. En gros, la population est connue et ne pose pas de problème pour répondre aux critères fixés dans la loi du 12 mars 2012. Par contre, du côté des chercheurs, le périmètre englobe les doctorants sans financement, les post-doctorants et les post-doctorants qui accomplissent plusieurs CDD successifs dans le même laboratoire tout en étant payés par des établissements différents. Là, on évoque le besoin de 5 000 postes pendant 5 ans, ce qui correspond à un peu plus de 1 milliard d'euros en cumulé. Les Assises ont cependant mis en évidence que si l'on réalisait cet objectif - ce qui paraît souhaitable, au moins en partie -, cela aurait pour effet direct de bloquer le recrutement de la nouvelle génération, au risque de reposer le même problème dans quelques années pour ceux qui seraient venus gonfler la file d'attente. Les difficultés politiques et financières que cela pose ne sont donc pas minces.

Le temps me manque pour aborder le débat science-société - science-entreprise, science-citoyen, expertise... - et je renvoie sur ce point à l'excellent rapport coordonné par Jean-Pierre Bourguignon au titre des Assises régionales d'Ile-de-France.

En matière d'évaluation, un certain nombre de points d'accord ont émergé sur les critères et sur le dossier à produire pour être évalué. Il n'en va pas de même pour les structures et l'on s'est rapidement focalisé sur l'AERES. Des propos très forts ont été tenus, certains souhaitant sa mort immédiate - ou programmée - alors que d'autres saluaient l'apport de cette structure en termes de méthodes d'évaluation, en particulier pour les entités qui n'étaient pas entrées jusque-là dans le champ de l'évaluation. Par contre, le fait de conduire des évaluations qui se succèdent dans le temps à un rythme rapproché et le risque que certaines structures internes de grande qualité ne soient ignorées ont mis en évidence la nécessité d'apporter rapidement de la clarté dans ce dispositif. Il n'y a pas eu consensus sur ce point et je me bornerai donc à évoquer les quelques grands principes qui nous ont réunis.

D'abord, il faut en terminer avec l'évaluation sanction. L'évaluation doit être un moment privilégié de dialogue constructif visant à améliorer les systèmes évalués. À cet égard, la notation fait l'objet de vives critiques. Celui qui n'obtient pas « A » ou « A+ » semble condamné à un sort peu enviable !

Ensuite, l'évaluation doit être indépendante. À ce titre, le processus d'évaluation doit être très professionnalisé. Un cahier des charges sur lequel chacun puisse tomber d'accord doit être mis au point et prendre en compte les critères européens. En tout état de cause, nous ne souhaitons pas que la France soit considérée comme un pays où l'évaluation n'est pas de qualité.

Bien entendu, il ne faut pas dupliquer les évaluations de manière non concertée car chacun sait que trop d'évaluation tue l'évaluation.

Enfin, il a été reconnu qu'était nécessaire une structure nationale procédant elle-même à assez peu d'évaluation mais chargée de veiller au respect du cahier des charges que je viens d'évoquer. Chaque fois que cela est possible, l'évaluation doit être effectuée par les opérateurs classiques, à l'instar du Comité national - qui modifierait cependant ses méthodes pour répondre au cahier des charges -, du CNU ou des autres instances présentes à l'INSERM et dans les autres EPST.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Je me félicite que nous abordions des sujets stratégiques d'avenir, importants pour la vie quotidienne des unités d'enseignement supérieur et de recherche françaises. Et je redis à dessein « enseignement supérieur et recherche ». La place des unités de recherche, fédératives ou unitaires, doit être précisée par rapport aux doctorants, et, de plus en plus, aux niveaux « M2 » voire « M1 ». Chacun sait que les chercheurs sont en quête d'étudiants de qualité pour aller jusqu'au doctorat et même au-delà.

Le financement doit-il être récurrent ou sur projet ? Le financement sur projet a été mis en place depuis de nombreuses années. Il aboutit à la multiplication de CDD de différents statuts. On en arrive à des systèmes étonnants où ce sont les personnels statutaires qui restent responsables des personnes employées sur projet et non ceux qui travaillent directement avec elles. Il faut donc travailler sur l'écart entre ce qui doit être incitatif - ou sur projet - et récurrent, en vue d'apporter des garanties, notamment si l'on poursuit dans la voie d'une contractualisation quinquennale. Si l'on reste dans un système à cinq ans plutôt qu'annuel, il faut bien que chaque acteur écrive son projet pour cinq ans plutôt que de se réengager dans une négociation annuelle comme cela était le cas il y a quinze ou vingt ans.

L'évaluation fait partie de la contractualisation et conditionne les assurances données aux opérateurs. La question de la temporalité est donc essentielle car elle a vocation à donner une lisibilité et une sécurité aux personnes qui contribuent à la création de savoirs et de connaissances, notamment les statutaires - pour lesquels se pose la question importante de la charge d'enseignement. La temporalité est à mettre en relation avec l'origine et la responsabilité de la gestion des fonds. Qui est responsable de quoi, sachant que les scientifiques sont submergés par les charges de gestion, d'élaboration des contrats ou de reporting , que cela soit pour l'ANR, pour l'Union européenne ou pour les nombreuses institutions impliquées dans le pilotage de la recherche ? En outre, les systèmes d'information constituent un véritable casse-tête et se révèlent excessivement chronophages. A l'extrême, cela pourrait donner le sentiment que placer les administratifs à la tête des unités de recherche serait une bonne solution !

Dans ces conditions, je crains et je crois qu'il faut que les scientifiques aient le temps d'absorber les fonctions administratives et de s'en occuper, quitte à se décharger par ailleurs. On ne peut pas réduire les scientifiques à des demandeurs d'argent par rapport aux administratifs. C'est un sujet particulièrement délicat.

En matière d'évaluation, Pierre Tambourin a évoqué la révolution suscitée par la création de l'AERES. Il reste que nombre d'institutions ont conservé leur propre système d'évaluation. Le fait d'utiliser la notation - à laquelle je précise que je ne suis pas favorable à titre personnel - dans les critères de sélection a posteriori par le ministère pour l'attribution des dotations de base et des dotations récurrentes a été piégeux pour tout le monde. Il faut éviter de prendre le thermomètre pour la mesure. Sur le fond, la fin du système de notation « A, B, C, D » m'apparaîtrait plutôt comme une bonne chose.

La question la plus épineuse reste celle de la précarité, avec des masses de financement « précaires » non récurrentes. Il est donc inexorable de raisonner sur cinq ans pour donner des perspectives et de la lisibilité à l'ensemble du système.

M. Jean-Louis Touraine, député. Plusieurs d'entre vous semblaient découvrir le PRES. À présent que c'est chose faite, utilisez-le car c'est un organisme d'interface utile entre le monde scientifique et le monde politique et administratif. Cela peut être utile à chacun pour faire évoluer les choses.

Nous devons tout mettre en oeuvre pour renforcer le pouvoir d'attraction des carrières scientifiques. Les nouvelles générations ne sont pas assez attirées par elles et tout ce qui pourra inverser la tendance sera bénéfique à l'avenir de la recherche.

Il me semble indispensable d'accroître les références et les réflexions de nature internationale pour ce qui concerne l'organisation et la structuration. Je suis frappé de l'écart entre la très grande importance donnée à la coopération internationale entre scientifiques et les très faibles rapprochements qui s'opèrent à l'échelle mondiale en matière d'organisation des structures de recherche et d'enseignement.

Enfin, la recherche ne peut se développer valablement que sur un
a priori de confiance. L'évaluation ne doit donc intervenir qu' a posteriori .

Tels sont les principes de base et les idées générales qu'il me semblait utile de rappeler dans le temps de parole qui m'a été imparti.

Point de vue

M. Patrick Bloche, député, président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Dans leurs grandes fonctions et qualités, comme on dit dans les cérémonies patriotiques, je remercie chaleureusement Jean-Yves Le Déaut et Bruno Sido pour leur excellente initiative d'avoir organisé cette journée. Je n'ai malheureusement pas pu être des vôtres ce matin et j'en suis désolé, même si je conseille à tous de visiter Le Louvre Lens !

Je sais combien tous ceux qui se sont exprimés aujourd'hui partagent la conviction que le moment que nous vivons collectivement est crucial, s'agissant de l'avenir du modèle français d'enseignement supérieur et de recherche. En ma qualité de président de la commission qui, à l'Assemblée nationale, sera saisie au fond des réformes législatives attendues et d'ores et déjà annoncées, je mesure la responsabilité qui est la nôtre à l'issue de la concertation menée dans le cadre des Assises territoriales et nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche.

S'il est sans doute un peu tôt pour tirer les conclusions législatives des Assises, il nous faut à tout le moins, nous, parlementaires, nous montrer à la hauteur de l'enjeu qui se dessine au travers des multiples prises de parole et des contributions qui nourrissent vos travaux, aujourd'hui encore, dans le cadre de cette audition publique. J'en ai du reste pris la mesure au Collège de France, il y a quelques jours.

Le législateur devra être vigilant sur le processus qui s'ouvre à présent pour l'élaboration des mesures de nature législative. D'expérience, chacun sait que la concertation qui va s'engager sur la base des travaux des Assises sera menée par le Gouvernement et je compte sur Mme la ministre pour vous communiquer dès la fin de cette journée un premier calendrier indicatif. Bien entendu, le législateur ne sera saisi que lorsque le Gouvernement aura procédé aux arbitrages entre les choix prioritaires pour l'avenir.

C'est alors que nous devrons veiller à récolter les fruits des Assises territoriales et nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche afin d'éviter ce phénomène trop bien connu - et je tenais à vous alerter collectivement sur ce point - d'évaporation des idées novatrices au fil des « rabotages » successifs intervenant dans l'élaboration des textes législatifs. Je pense notamment au processus de « l'interministériel »... Le message des Assises devra porter tout au long de la réforme, y compris et peut-être surtout au Parlement, lorsque le débat interviendra dans quelques mois. Il ne doit pas s'arrêter aux portes du travail gouvernemental et nous prendrons des engagements en ce sens. Au reste, le cas échéant, nous utiliserons pleinement le droit d'amendement que nous reconnaît la Constitution.

Nous avons suffisamment confiance dans le Gouvernement, que nous soutenons, pour envisager dès à présent la meilleure coopération possible en vue d'aboutir à un texte de loi ambitieux et novateur, comme en témoigne la mission confiée par le Premier ministre à Jean-Yves Le Déaut. Il s'agit d'un heureux présage qui nous conforte dans l'idée que nous serons associés le plus en amont possible. Cette méthode d'écoute et de concertation, dont le Gouvernement a fait sa marque depuis son installation, vaut aussi pour la refondation de l'école ou, entre autres domaines, pour l'acte II de l'exception culturelle française.

Sur tous ces sujets, il ne s'agit ni d'attentisme ni d'indécision de la part de la puissance publique mais de la prise en compte nécessaire des attentes et des bonnes idées de la société civile. Lorsque les choix sont faits, c'est à la lumière de la concertation et tous les acteurs doivent être informés des arbitrages qui s'opèrent.

Que de changement par rapport à ces dernières années ! Les Assises ont permis de prendre la mesure des dégâts de la politique conduite dans la dernière décennie : absence de considération des femmes et des hommes qui sont tellement fiers de leur implication dans l'oeuvre de recherche et d'enseignement, approche purement gestionnaire rivée sur les indicateurs et les critères de performance, décisions unilatérales coupées de la réalité, qu'il s'agisse de la réforme des universités, de l'évolution des modes de financement de la recherche ou de la multiplication des appels à projets liés au grand emprunt... Et je ne parle pas de celles et ceux qui se sont gargarisés du plan Campus sans qu'aucun mètre carré supplémentaire ne soit effectivement réalisé. Mais vous connaissez tout cela mieux que moi puisque vous l'avez vécu !

Je ne m'attarde pas davantage sur ce bilan que les Assises ont très bien dressé. Je préfère me féliciter des convergences qui vont faciliter certaines des réformes à mettre en oeuvre. Ainsi en est-il justement de la réorientation du plan Campus, avec l'abandon des projets de partenariat public-privé lorsqu'ils ne sont pas pertinents, ou bien de la révision des modes de financement de la recherche pour mettre fin au gâchis de temps et de compétences lié aux appels à projets.

D'autres points restent à finaliser et la table ronde qui va démarrer ouvrira encore de nouvelles pistes. La question des moyens sera bien sûr centrale, mais les décisions que nous serons amenés à prendre ne seront comprises que si on leur donne du sens en joignant les actes à la parole.

Il faut appréhender le grand large de manière positive. L'environnement de l'enseignement supérieur et de la recherche est désormais mondialisé. Cette réalité devenue banale, nous ne devons pas l'envisager de manière défensive par rapport à des classements du type de celui de Shanghai ou par rapport à des fantasmes sur la pression migratoire des étudiants étrangers. Cela doit nous pousser à privilégier une démarche scientifique et non « marketing » dans la définition des formations et des priorités de recherche, pour que la France garde son rang et son pouvoir d'attraction.

Je tiens aussi à insister sur la grande attente des élus que nous sommes vis-à-vis du rôle de l'enseignement supérieur et de la recherche dans l'évolution du niveau général de formation des jeunes générations. Les objectifs auxquels nous avons souscrit dans le cadre européen nous imposent de traiter la question de la réussite des étudiants au niveau global. Nous ne réussirons pas à transformer en profondeur les ressorts de la société française si nous ne tenons pas les deux bouts d'une même chaine, celui des étudiants de licence et celui des doctorants.

Soyez convaincus que tout ce qui touche à la précarité nous préoccupe au plus haut point, notamment au sein de la commission que j'ai l'honneur de présider. La massification de l'université a provoqué nombre de modifications structurelles qui ont affecté les bases du système et nous avons aujourd'hui entre les mains les clés pour ouvrir ensemble un avenir conforme aux promesses de la démocratisation de l'enseignement supérieur.

Enfin, je souhaite ardemment que le débat ne se cristallise pas trop sur les questions d'architecture et d'organisation des instances et des établissements. Je n'en méconnais pas la portée. Je sais que la gouvernance des universités et l'évaluation doivent être remises sur le métier. Pour autant, les défis que nous avons à relever dépassent ce que Vincent Berger a très justement appelé le « mikado institutionnel ». Une chose est de constater que l'autonomie des universités n'est pas aboutie ; une autre est de consolider une dynamique en faveur de la réussite globale de notre enseignement supérieur.

Tel est, brièvement résumé, l'état d'esprit dans lequel nous aborderons la phase parlementaire de la réforme, dont nous attendons à présent les grandes lignes avec beaucoup d'impatience. Nous sommes en tout cas convaincus que le chemin que vous avez pris est, sans conteste, le bon.

M. Jean-Yves Le Déaut. Avec Françoise Barré-Sinoussi et Vincent Berger, nous avons voulu mobiliser les parlementaires sur un sujet qui n'était pas toujours considéré comme prioritaire à l'Assemblée nationale et les Assises nous ont beaucoup aidés dans cette démarche.

Je cède sans plus tarder la parole à la salle.

Intervenants

M. Jean-Paul Caverni, PRES Aix-Marseille. L'AERES a été créée pour séparer l'évaluation de la décision et mettre le ministère au coeur du système d'enseignement supérieur et de recherche. Qu'évalue-t-on ? Des unités de recherche, des diplômes, des établissements. L'AERES a-t-elle bien fonctionné ? Nous y reviendrons. Ce matin, j'ai entendu le président de la CPU déclarer qu'il fallait des universités fortes ; soit, mais qui en réclame des faibles ? Tous les opérateurs doivent avoir une égale dignité et travailler dans un esprit de partenariat équilibré. Pierre Tambourin a parlé d'indépendance : pour moi, la structure doit être indépendante des opérateurs. C'est le point à approfondir car je conçois mal une université forte dont l'évaluation des unités dépendrait d'un organisme avec lequel elle est dans une relation de contractualisation. Il faut de la parité dans le partage des responsabilités.

M. Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU. L'AERES n'a pas été créée ex nihilo : l'évaluation existait et elle ne devait pas être si mauvaise puisque la France fait partie des plus grands pays de la recherche. Si l'agence a posé problème, c'est parce qu'elle a cassé un système qui fonctionnait, sans pour autant inventer grand-chose puisqu'elle a repris les comités d'évaluation créés par le CNRS dans le cadre du Comité national. Elle s'est donc bornée à modifier un mode de fonctionnement. La loi portant création de l'AERES prévoit - et cela avait été une bataille de l'obtenir - que l'agence puisse déléguer ses prérogatives aux instances d'évaluation des organismes. Las, l'AERES n'a jamais voulu appliquer cette disposition. Si nous sommes aujourd'hui dans l'impasse, c'est donc bien que l'AERES s'est coupée de la communauté scientifique, bien que l'on puisse considérer comme un point positif qu'elle ait fait entrer de l'évaluation dans des domaines qui ne la pratiquaient pas.

L'AERES répond aussi à une vision libérale de l'évaluation qui s'inspire des processus d'évaluation industriels fondés sur l'assurance qualité. Or chacun s'accorde sur le fait que l'évaluation ne doit pas être uniformisée ni s'appliquer de la même façon à toutes les disciplines ou à tous les systèmes. Nous attendons par conséquent du législateur qu'il rende aux organismes de recherche la mission d'évaluation dont ils ont été privés.

M. Olivier Teytaud, INRIA. Je tiens à m'exprimer sur l'évaluation individuelle, en particulier sur les primes qui ont un impact assez important dans les EPST. Nombre de chercheurs considèrent que l'évaluation individuelle a été mal conçue, dans ses principes comme dans sa mise en oeuvre. Elle crée beaucoup de paperasse et pas mal de démotivation. La rumeur indique que le maintien de la prime d'excellence est souhaité par la nouvelle ministre, alors que les chercheurs proposaient que le système soit modifié pour améliorer le salaire des nouveaux entrants.

S'agissant des critères d'attribution, j'observe que si l'on doit trouver des chercheurs qui ne sont pas excellents, on les trouvera plus du côté des primés que des non primés puisque le fait d'être primé implique de s'être focalisé sur l'obtention de cette prime d'excellence.

Enfin, les chercheurs dans leur ensemble sont très preneurs d'évaluation et ouverts à toutes les remarques sur leurs travaux, sans que cela soit lié à l'obtention d'une quelconque prime, fût-elle d'excellence.

M. Alain Menant, rapporteur territorial Haute-Normandie, ancien directeur à l'AERES. Pourquoi l'AERES n'a-t-elle pas utilisé la possibilité qui lui était offerte par la loi de déléguer l'évaluation des unités de recherche aux organismes ? L'agence a été créée en 2007, dans un contexte - qui s'est encore affirmé depuis - de recentrage de l'enseignement supérieur et de la recherche autour de l'Université. Pour être resté pendant quatre ans à la direction de l'AERES, je puis témoigner que cette faculté de déléguer l'évaluation aux organismes était bien réelle. Cependant, si nous en avions usé, cela aurait freiné cette évolution, que ni la gauche ni la droite ne contestent, de recentrage de l'enseignement supérieur et de la recherche autour des universités. Nous nous sommes inspirés des modèles existants comme les comités de visite et cette évaluation indépendante des opérateurs de recherche a été menée au service de tous. Nous avons forcément commis des erreurs, mais je reste convaincu qu'il faut continuer dans cette voie, en s'appuyant sans doute plus fortement sur les établissements et sur les universités mais sans revenir en arrière.

M. Rémy Mosseri, membre du comité de pilotage. S'agissant de l'évaluation, la question qui est le plus souvent remontée était de savoir s'il fallait ou non maintenir l'AERES. Plutôt que de s'enfermer dans ce débat, nous avons préféré déconstruire le dispositif d'évaluation et reposer ses fondations. Dans sa période triomphante, l'ancienne AERES était probablement la seule à ne pas entendre les critiques du milieu scientifique, en particulier sur son caractère chronophage et bureaucratique. Une certaine défiance a pu s'installer du fait de la distance mise entre le nouveau processus et les instances d'évaluation dans lesquelles les chercheurs avaient confiance depuis longtemps.

Que faut-il évaluer ? Le nouveau système a créé une disjonction très dommageable entre l'évaluation des unités et celle des personnels. Le vrai hiatus est le suivant : faut-il une évaluation à des fins de pilotage et de dévolution des moyens ou bien une évaluation visant en priorité l'amélioration de l'activité des personnes évaluées et de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Cela pose la question de la notation, laquelle peut servir mais produit aussi des effets délétères extrêmes. Item par item de l'évaluation, nous nous sommes efforcés de voir où celle-ci pourrait se faire le mieux possible et cela conduit à s'interroger sur la place d'une agence nationale. Parmi les pistes évoquées par Pierre Tambourin, j'ai noté la proposition d'une agence dont le premier rôle ne serait pas d'évaluer mais de fournir une méthodologie aux structures directes d'évaluation, tout en veillant à ce que s'appliquent les meilleures pratiques validées à l'échelle internationale.

Mme Valérie Vilmont, Confédération des jeunes chercheurs. Je suis une chercheure étrangère d'origine mauricienne et je tiens à témoigner de mon indignation. Cette année, je suis allée en préfecture pour faire une demande de renouvellement de ma carte de séjour avec la mention « scientifique » et la chef de bureau compétente m'a affirmé que ce type de carte ne pouvait être renouvelé que quatre fois. Ayant été malade, j'ai dû m'inscrire cinq fois en thèse, ce qui ne me permet plus, aux yeux de l'administration, d'entrer dans aucune case. On a balayé les dix ans d'études et tout ce que j'ai pu accomplir ici, alors même que mon excellence m'avait permis d'obtenir la bourse du ministère. Je demande par conséquent aux parlementaires ce qui va être mis en place pour corriger ce manque de communication entre les universités et les personnes qui accueillent les étudiants étrangers dans les préfectures. Les conditions d'accueil sont inadmissibles et je me trouve contrainte de faire une demande de régularisation sans même avoir fini mon doctorat. Il est aberrant d'en arriver là pour un chercheur étranger qui a fait toutes ses études en France.

Mme Carole Chapin, Confédération des jeunes chercheurs. En ce qui concerne l'évaluation, il me semble souhaitable d'utiliser les outils qui existent déjà, notamment en matière de ressources humaines au niveau européen. Ont été en effet mis au point une charte et un code de recrutement des chercheurs, lesquels permettent d'obtenir un label d'excellence qui s'inscrit dans une véritable stratégie de ressources humaines. S'inspirer des bonnes pratiques qui ont cours ailleurs permettrait de répondre à l'exigence d'amélioration de la situation des personnels, tout en participant à la réflexion générale sur l'évaluation.

M. Jean-Louis Fournel, professeur à l'Université Paris VIII, membre de l'association SLU « Sauvons l'université ». S'agissant de l'AERES, qu'il me soit permis de dire de manière un peu provocatrice que l'on ne tire pas sur une ambulance ! Cependant, la plupart des collègues ne sont pas d'accord avec les modes de fonctionnement de l'agence. Pour la notation, nous avons à faire à des gens qui sont nommés dans des processus de cooptation dont l'opacité le dispute à la non transparence et qui fonctionnent sans critères précis, sur la base de quotas. L'idée d'une agence chargée de fournir une méthode et des critères me semble donc de salubrité publique.

Comme cela a été dit, l'ANR fabrique de la bureaucratie. Cette
re-bureaucratisation est particulièrement chronophage, avec la constitution de structures dont la seule nécessité nous semble être, à certains moments au moins, de perpétuer dans leur être. Nous avons fabriqué un corps d'évaluateurs dont c'est la mission principale et qui, à terme, ne sauront plus faire que cela.

J'observe enfin que l'argent dévolu à l'ANR n'est pas mis ailleurs, de même que celui du crédit impôt-recherche - qui ne figure malheureusement pas au programme de cette table ronde.

Les meilleures intentions du monde n'aboutiront à rien si nous n'avons pas une vision globale. Il convient notamment de ne pas laisser perdurer la distinction entre l'université de premier cycle et l'université masters doctorats à partir du bloc -3/+3. Cela pose la question de la nature de l'université et du moment où elle démarre vraiment.

M. Michel Pierre, SNTRS-CGT. La résorption de la précarité est une question centrale pour l'avenir du système de recherche français. Les différents rapporteurs des Assises ont mis en évidence l'existence d'un lien très clair entre la montée du mode de financement par contrats et la précarité, chaque contrat étant assorti de CDD. Si l'on veut vraiment s'attaquer à la précarité, le Parlement va devoir faire un choix entre le financement par contrat et le mode récurrent.

Ce n'est pas une question d'argent mais un problème essentiellement politique. Pour en avoir discuté avec Mme la ministre, on voit bien la difficulté pour les gouvernements successifs d'accepter l'idée de titulariser les titulaires de doctorat. Mme Fioraso nous l'a encore refusé il y a une semaine.

Persister dans cette voie serait extrêmement grave pour la recherche car l'on voit fleurir des idées comme le contrat de mission, que le MEDEF appelle plus clairement le contrat de chantier ! Ce n'est pas un CDI mais un CDD à durée variable, ce qui permet de pérenniser la précarité à long terme. Comme la plupart des organisations syndicales, la CGT refuse cette évolution qui serait très préjudiciable au statut de fonctionnaire.

Nous demandons que ceux qui sont éligibles à la loi puissent être titularisés, notamment les docteurs, et que le recrutement se fasse au plus près de la thèse de manière à ne pas reconstituer des viviers de non titulaires. Enfin, on ne liquidera pas la précarité si le Gouvernement ne conduit pas un plan de développement de l'emploi scientifique décliné sur plusieurs années.

M. Gilles Dowek, INRIA. Beaucoup se demandent s'il faut supprimer ou maintenir les agences d'évaluation, ne garder que l'une ou l'autre, etc. Je suggère de prendre un peu de recul en se posant la question centrale de ce qu'on évalue. Il y a deux réponses possibles : soit on évalue la recherche effectuée - par exemple dans les quatre dernières années -, soit on évalue l'intention de recherche dans les quatre ans qui viennent, comme cela se pratique avec l'ANR. De mon point de vue, l'évaluation des intentions n'a aucune valeur. Il me semble important de garder en tête que la seule chose que l'on peut valablement évaluer, quel que soit le mode d'organisation retenu, ce sont des faits.

Mme Laure Villate, coordination nationale des précaires de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je précise que notre coordination ne représente pas que les chercheurs, car il y a aussi des ITA précaires, et pas seulement les jeunes puisqu'il y a malheureusement aussi des précaires plus âgés. La précarité est souvent qualifiée à juste titre de problème majeur dans l'enseignement supérieur et dans la recherche et elle est enfin présente aujourd'hui dans les débats. Depuis le début de notre mouvement et récemment encore aux Assises, nous sommes surpris de constater que la situation reste cependant sous-évaluée. Il est par contre admis qu'elle pose des problèmes dramatiques et que les solutions ne sont pas simples. Cette compassion nous touche beaucoup mais vous comprendrez bien que nous avons surtout besoin de solutions concrètes. Il nous est répété à l'envi que les précaires paient les pots cassés de la gestion des générations précédentes et que l'on ne peut pas trop les aider car cela pourrait nuire à la génération suivante... C'est pourquoi nous sommes souvent désignés sous la jolie expression de « bourrelets », ce qui est parfaitement inadmissible. Nous nous considérons plutôt comme une génération sacrifiée et il est temps que chacun prenne ses responsabilités.

Nous demandons par conséquent la création de 5 000 postes par an sur cinq ans car nous savons que l'argent est là et qu'il s'agit avant tout d'une question de priorités. Nous demandons aussi l'application de la loi Sauvadet pour tous les agents qui y sont éligibles, sans bien sûr que les postes ainsi ouverts ne soient prélevés ailleurs. Nous demandons une augmentation du financement des doctorants en SHS. Enfin, des mesures d'urgence doivent être prises pour stopper immédiatement le « dégraissage » massif des CDD qui a lieu quotidiennement dans les laboratoires, au profit d'une reconduction des contrats de tous les agents qui possèdent un financement.

M. Jacques Drouet, SNPTES-UNSA. L'emploi scientifique est en danger et cela entraine des pertes de compétences et de savoirs faire absolument dramatiques. Cette situation résulte de plusieurs facteurs. D'abord, le taux d'encadrement en personnels ingénieurs et techniciens est trop faible. Ensuite, nous sommes confrontés à des départs en retraite massifs de personnels porteurs de compétences pointues et spécifiques. Quant au recours à l'emploi précaire, il a augmenté dans des proportions inacceptables, à la fois pour compenser le déficit en personnel d'encadrement technique et pour s'inscrire dans la logique des contrats ANR. Enfin, comme l'ont souligné Serge Haroche et Jean-Louis Touraine, l'emploi scientifique souffre aussi d'une image négative et d'un défaut d'attractivité.

Nous proposons d'améliorer le taux d'encadrement des personnels techniques pour l'amener au niveau des standards internationaux, ce qui nécessite un plan de recrutement ambitieux et novateur. Parallèlement, il convient de renforcer une formation continue de haut niveau associant universités et EPST. La formation continue diplômante avec accès au doctorat doit également être favorisée, via notamment une meilleure VAE. Les statuts doivent être revisités pour rendre les carrières plus attrayantes et les passerelles entre universités et organismes de recherche facilitées. Enfin, il est important de susciter l'intérêt des lycéens et étudiants pour les carrières scientifiques en renforçant l'information de ces publics grâce à l'implication directe des personnels de la recherche.

M. Romain Gallet, coordination nationale des précaires de l'enseignement supérieur et de la recherche. En biologie, la loi Sauvadet n'a permis de « CDIser » qu'une soixantaine de personnes sur un total de 50 000, puisque c'est bien de 50 000 précaires qu'il s'agit et nous tenons à votre disposition tous les chiffres nécessaires pour en attester. Si l'efficacité de cette loi a été pour le moins limitée, ses conséquences ont été désastreuses dans la mesure où elle crée plus de précarité qu'elle n'en résorbe. Non contents de ne pas avoir « CDIsé » leurs personnels précaires, les EPST tels que l'INRA ou le CNRS ont sur-réagi en diffusant une circulaire limitant leur contrat à trois ans, ce qui représente un temps beaucoup trop court pour être titularisé, même si l'on prône aujourd'hui la titularisation au plus près de la thèse. S'allongeant chaque année, l'âge moyen de recrutement au CNRS est aujourd'hui de 34 ans.

Le choix d'une durée de trois ans semble en outre assez arbitraire car si les EPST voulaient se protéger de la « CDIsation », ils nous bloqueraient à 5 ans et 11 mois plutôt qu'à 3 ans. Nous demandons par conséquent officiellement aux EPST de justifier cette politique de blocage des contrats. Le paradoxe est d'aller vers des carrières de plus en plus longues alors que les contrats sont limités à trois ans. Il est donc impossible de résoudre cette équation. Serge Haroche a rappelé ce matin qu'il fallait laisser du temps à la recherche. Laissez-nous le temps de développer nos carrières et de constituer le dossier nécessaire pour être titularisés.

La situation actuelle est intenable et constitue un véritable gâchis pour l'ensemble du monde de la recherche. C'est toute une génération que l'on est en train de sacrifier. C'est pourquoi nous demandons que les circulaires soient retirées et que les contrats financés soient reconduits.

M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises. Je tiens à réagir aux propos qui ont été tenus sur la loi du 12 mars 2012. Ce qui manque, c'est son financement et ce qui a été obtenu récemment par le Gouvernement, soit la possibilité de financer la grande majorité des personnels éligibles au dispositif sur quatre ans, constitue une véritable avancée. Le processus de titularisation ou de « CDIsation » se joue sur quatre ans et il est donc trop tôt pour en dresser le bilan. La ministre a obtenu la possibilité de titulariser 2 000 personnes par an sur quatre ans et cela correspond à un très bon résultat. Je ne puis par conséquent laisser dire que la loi du 12 mars n'est pas mise en oeuvre et qu'elle restera sans résultats. Par ailleurs, demander plusieurs années pour se constituer un dossier complet entre en contradiction avec la revendication du recrutement au plus près de la thèse. Le sujet est compliqué et je trouve qu'il n'est pas résolu par ces observations.

Mme Marie-Bernadette Albert, Sud recherche EPST. Pour résoudre la précarité qui s'est accumulée au cours des années, il convient d'accomplir un gros effort en termes de postes, sinon l'on n'y arrivera pas. Je m'inscris en faux contre ce qui a été dit : sans postes supplémentaires, la loi Sauvadet n'est pas applicable et l'on va sacrifier soit les titularisations soit le remplacement des départs. Chacun sait qu'il manque aussi de la masse salariale pour recruter, dans les organismes comme dans les universités. Il y a aujourd'hui des emplois fictifs non financés dans les organismes et dans les universités, ce qui est proprement scandaleux. Au-delà, il faut créer des emplois pour ne pas reconstituer la précarité que nous connaissons aujourd'hui sur le long terme.

Le financement sur projet doit être supprimé car il n'y a aucune raison que les CDD soient soumis à un turn-over excessif. Nous avons besoin de leurs compétences au-delà de la durée de tel ou tel projet et, dans la mesure où ils font le même travail, ils doivent accéder au même statut que les titulaires. Toute forme de discrimination envers les plus jeunes est inadmissible et l'idée de limiter à 30 % le nombre de CDD au titre de l'ANR est pour nous inacceptable. Cela revient à dire que l'on pourrait se satisfaire d'avoir en permanence 30 % de précaires dans la recherche. Il faut en terminer avec le paiement à l'acte et renoncer à l'artifice du financement sur projet. Tous les crédits - CIR, ANR... - doivent repasser dans le budget des organismes et des établissements d'enseignement supérieur pour pouvoir financer des emplois de titulaires.

M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA. Bien que cela n'ait été qu'effleuré, les Assises doivent être l'occasion de repenser les statuts des personnels. S'agissant des BIATSS, nous sommes confrontés à des choix qui ne peuvent plus être différés. Veut-on de grandes filières interministérielles dans lesquelles nos métiers spécifiques - documentation, administration, ingénierie, technicité - soient noyés dans une masse indifférenciée ? A l'inverse, nous proposons une filière unique enseignement supérieur et recherche, sur le modèle du statut ITA des EPST. Cela permettrait de passer de 25 corps à 4 dans l'enseignement supérieur. Quant à la gestion des ressources humaines, elle doit rester du ressort des établissements.

Toutes ces propositions ont déjà été émises, dans le cadre du colloque de la CPU de 2003 ou du rapport Schwartz de 2007. Il est temps d'organiser cette unicité de statut et la proposition n° 97 du Comité de pilotage doit passer du questionnement à l'affirmation.

M. Henri Audier, SNCS-FSU. Il y a dans le très bon rapport de Vincent Berger un magnifique tour de passe-passe qui consiste à assimiler le financement sur projet à l'ANR. Au vrai, on a besoin de financements sur projet et on n'a pas besoin d'ANR. Le financement sur projet a ses lettres de noblesse. Il a permis de créer des disciplines entières dans les années 1960. Les programmes interdisciplinaires de recherche du CNRS et le Fonds national de recherche technologique ont fait coopérer des laboratoires publics et des laboratoires privés. Il importe de savoir pourquoi l'on crée des financements sur projet. On n'a pas besoin de projets blancs. Les bons projets, les projets originaux sortent de bonnes équipes, bien évaluées. Sinon, on tombe dans l'effet de mode et l'on s'expose à des dérives. Déposez un projet risqué et vous êtes sûr d'être refusé ! Se posent aussi toutes les questions liées aux enjeux sociétaux - santé, urbanisme, etc. En ces matières, la représentation nationale doit décider, puis il appartient aux scientifiques de se donner les voies et moyens d'atteindre les objectifs fixés. Il faut un certain nombre de programmes, puis les organismes et les universités sont capables de les gérer ensemble sans que l'on ait besoin d'ANR. On a par contre besoin d'un instrument de dialogue entre le politique et le scientifique. Enfin, nombre de programmes industriels associent des firmes privées et des laboratoires.

J'insiste sur le fait que le Comité national n'est pas une instance du CNRS mais une instance ministérielle où il y a autant de chercheurs que d'enseignants-chercheurs.

Il n'y a pas identité entre financement sur projet et CDD. À preuve, entre 1997 et 2002, la gauche avait interdit de recruter des CDD sur les contrats publics. C'est donc après que la précarité a commencé de se développer.

Mme Heidi Charvin, SNESUP-FSU. Mon intervention portera sur la recherche en SHS. Nombre de responsables politiques et de chercheurs estiment que la recherche en SHS n'apporte rien sur le plan économique, dans la mesure où l'on ne produit pas de brevets ou d'éléments quantifiables. S'agissant des recherches sur la maladie d'Alzheimer portant sur les aspects psychologiques et comportementaux, nous oeuvrons cependant à retarder l'entrée à l'hôpital ; or un an d'hospitalisation pour une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer coûte 55 000 euros et à l'échelle de 880 000 patients, ce sont 4,5 milliards d'économisés en santé publique et privée. Je pourrais parler aussi du tourisme, du cinéma, de la littérature, qui produisent également, au plan économique et social, des ressources non négligeables pour notre pays.

À l'origine, l'ANR ne consacrait que 2 % de son budget aux SHS ; aujourd'hui, cela n'a que très peu évolué puisque l'on a inséré dans les projets blancs les nanotechnologies et d'autres domaines de recherche en vue de gonfler artificiellement l'enveloppe. Nous nous battons par conséquent pour des financements pérennes, importants tant pour les SHS que pour la recherche fondamentale. Les 4,7 milliards du CIR vont à la recherche appliquée, de même qu'une bonne part des crédits ANR. Aujourd'hui encore, il n'est question que de reverser 73 millions vers les financements pérennes, ce qui est largement insuffisant.

M. Jean-Luc Antonucci, FERC Sup CGT. Si l'on en croit tout ce qui s'est dit au cours de la journée, il semble bien qu'il faille que le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur soit placé au coeur du dispositif qui va être construit. Au-delà des Assises, il faudra donc que le ministère accepte d'engager des négociations directes avec les organisations syndicales pour faire le bilan des conséquences de la loi LRU et de l'accession aux responsabilités des personnels, titulaires et précaires. Du fait de l'élargissement des compétences attendues, la gestion de la masse salariale est une question centrale. Cela représente aujourd'hui la seule marge de manoeuvre des universités pour rester maîtresses de leur politique financière. Le mot d'ordre unique de réduction de la masse salariale vise à réaliser des économies d'échelle, à travers les politiques de regroupement tous azimuts. On parle de fusion, d'universités fédérales et confédérales ou même de communautés d'universités. Même si la loi LRU, avec l'éclatement du système, fait que le mouvement est diffus et difficilement perceptible, c'est bien un plan social d'ampleur nationale qui est aujourd'hui à l'oeuvre. Cela entraine des situations de travail pathogènes dont les syndicats sont les témoins dans nos établissements. Bien que l'on en parle peu, le malaise et la souffrance au travail tendent à s'accentuer et l'on a même eu à déplorer tout récemment un suicide, à Rennes. C'est pourquoi nous interpellons la représentation nationale. Derrière toutes les restructurations que vous allez imaginer et mettre en oeuvre, n'oubliez pas que ce sont des femmes et des hommes qui sont concernés et que tout doit être fait pour qu'ils ne soient pas broyés par le système.

M. Joan Cortinas Munoz, Coordination nationale des précaires de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je me permets de rebondir sur les propos de M. Berger car ils me donnent à penser que nous n'avons pas assez précisé nos revendications. Pour nous, la loi Sauvadet existe et elle doit être appliquée. Parallèlement, nous demandons la création de 5 000 postes de titulaires toutes catégories confondues pendant 5 ans, ainsi qu'une augmentation des financements pour les doctorats en SHS. C'est une question de choix politique plutôt que de moyens puisque l'on a financé jusqu'à 6 000 CDD par an alors que nous demandons la création de 5 000 postes, ce qui coûterait 250 à 300 millions d'euros par an. Parmi toutes les ressources potentielles, n'oublions pas non plus les 5 milliards du CIR.

M. Guillaume Robert, Coordination nationale des précaires de l'enseignement supérieur et de la recherche. Comme cela a été dit précédemment, nous en sommes arrivés à une situation ubuesque où, après trois ans de contrat, les agents des laboratoires ne peuvent avoir ni CDD, ni CDI, ni poste de titulaire compte tenu du nombre très restreint de postes ouverts au concours - trois dans ma spécialité au niveau national. La non reconduction de nos contrats survient alors même que l'argent est disponible et que les directeurs de laboratoire sont pleinement satisfaits de nos travaux. Serge Haroche parlait ce matin de confiance : nos chefs d'unité ont confiance en nous, pourquoi n'en est-il pas de même de la part des autres acteurs ? Quel est le message qui nous est envoyé, à nous, chercheurs, ITA et étudiants de laboratoires, au travers de politiques d'établissement qui ignorent nos problèmes ? Après dix ans de bons et loyaux services, la seule solution qui nous est souvent proposée est de nous mettre au chômage. L'État doit se montrer exemplaire au travers de ses EPST. On ne peut pas fustiger les entreprises en leur reprochant de licencier massivement alors que l'État lui-même est prêt à livrer à leur sort 50 000 précaires dans les établissements. C'est une catastrophe et un gâchis, tant pour les personnels hautement qualifiés de plus de 35 ans que pour les étudiants que nous encadrons. Il est évident qu'il faut favoriser la réussite des étudiants mais cela consiste-t-il à les envoyer dans l'impasse ? Pour nous, la réussite passe aussi par l'accès à l'emploi.

M. Jean Orloff, vice-président de la CP-CNU. Mon intervention porte sur l'évaluation récurrente des enseignants-chercheurs, au sujet de laquelle nous avons organisé une large concertation au sein des 52 sections qui composent le CNU. 1 300 représentants des 48 000 enseignants chercheurs y ont activement participé et le CNU s'est prononcé contre l'évaluation individuelle, systématique et récurrente. Cette prise de position n'est pas due à une quelconque incapacité du CNU de mener une telle évaluation ni à un refus des enseignants-chercheurs de s'y soumettre. Au reste, les évaluations à finalité bien définie ne nous posent pas problème. Ce qui est rejeté, c'est l'évaluation pour l'évaluation, dans une logique de contrôle des personnes, et, peut-être, de la masse salariale, en lien avec le décret statut de 2009. Je mets en garde contre la méfiance qui subsiste chez les enseignants-chercheurs vis-à-vis de l'évaluation sans finalité.

Vincent Berger a parlé de sincérité dans son introduction. Si les finalités de l'évaluation récurrente sont de soutenir et d'aider les personnels, ces évaluations doivent être à l'initiative des enseignants-chercheurs car nous refusons toute forme d'évaluation sanction.

L'évaluation pourrait par exemple avoir lieu à l'occasion d'une demande de congé sabbatique. Actuellement, les enseignants-chercheurs peuvent prendre une année sabbatique en moyenne tous les 400 ans, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas abusif !

M. Jean-Yves Le Déaut. Sans rouvrir le débat, je vous fais observer que nombre d'enseignants-chercheurs ont regretté que l'évaluation ne se fasse que sur la recherche. Vous êtes enseignant-chercheur et, finalement, toute votre carrière est évaluée sur votre activité de recherche. Depuis le premier rapport sur le sujet que j'ai fait avec Pierre Cohen, tous ont demandé que l'on puisse évaluer la totalité des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche. Alors que les étudiants le souhaitent, ainsi qu'un certain nombre d'organisations, comment peut-on dire que l'on n'évalue pas l'enseignement tout en demandant que cette activité soit prise en compte dans l'évaluation globale du scientifique ? On ne peut pas dire ce que vous dîtes et demander en même temps l'évaluation de toutes les missions de la recherche.

Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d'Ile-de-France, vice-présidente de l'Association des régions de France (ARF). Je reviens sur la simplification : nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut plus de financements récurrents et que les financements sur projet doivent être clarifiés et simplifiés. Cela ne signifie pas qu'il faille aller vers un guichet unique - même si le terme n'était pas tabou en 2004 - mais plutôt vers une coordination des guichets. L'épuisement du milieu de la recherche tient aux faits que le financement intervient sur projet et que les projets déposés obéissent à des contraintes administratives à chaque fois extrêmement lourdes et à chaque fois différentes. Qu'il s'agisse de ceux de l'ANR ou de ceux des régions - qui veillent, je l'indique au passage, à la préservation de la qualité de l'emploi scientifique et à la maîtrise de la précarité -, les guichets doivent être articulés. Il faut aussi prendre en compte le guichet européen. Alors que nous traversons une période relativement « contrainte » pour les deniers publics, la ministre a rappelé que nous restions dans une sous-capacité d'aller chercher des financements européens. Il est urgent de s'organiser collectivement pour essayer d'être plus efficaces quant aux financements européens.

Je reviens d'un mot sur l'évaluation. Les régions financent la recherche par des appels d'offres et il faut leur demander d'être elles aussi exemplaires en termes d'évaluation. Elles doivent mettre en place un conseil scientifique régional, les procédures doivent être transparentes et il faut installer des instances de concertation avec le milieu de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il ne faut plus confondre les fonctions comme on le fait actuellement.

M. Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS, directeur à l'INSERM. J'insiste sur un mot : la cohérence. Nous avons aujourd'hui le pire des systèmes bureaucratiques avec un mille-feuille bien à la française de tous les systèmes, sans même les avantages d'un système néo-libéral dans lequel on se contenterait de recenser les publications et de répartir les crédits en fonction.

Il est inexact, monsieur Touraine, de dire que les métiers de la recherche ne sont pas attrayants. S'ils ne l'étaient pas, nous n'aurions pas de 20 000 à 50 000 précaires ! En outre, nos laboratoires attirent beaucoup de chercheurs étrangers, doctorants et post-doctorants. Nous publions dans les meilleures revues internationales, notre recherche est de haut niveau et notre pouvoir d'attraction est intact.

Et puis, pas de déni de réalité. Il est des lieux où l'AERES pouvait avoir son utilité parce que l'évaluation y était mal faite. Dans d'autres, comme dans certains instituts prestigieux, l'AERES n'est vouée qu'à jouer un rôle d'accréditation et de validation. Il faut respecter les différents secteurs de la recherche : la biologie ne fonctionne pas comme les mathématiques ni les SHS comme la biomédecine. Les différents niveaux de l'évaluation des différents acteurs doivent aussi être respectés. L'ensemble doit être appréhendé comme un système cohérent et non comme l'empilement du pire de chaque bribe de systèmes empruntés ailleurs.

M. Jean-Louis Touraine. Un mot pour lever toute confusion. Lorsque je parle de défaut d'attractivité des carrières scientifiques, je m'appuie sur des chiffres. La proportion des lycéens de haut niveau qui se destinent aux filières scientifiques diminue depuis plusieurs années et l'organisation même des carrières scientifiques est devenue moins attrayante. Cela ne signifie pas pour autant que ces carrières soient délaissées et vous avez eu raison de rappeler qu'un trop grand nombre de personnes se retrouvaient dans des situations de précarité.

M. Marc Neveu, SNESUP. Ce matin, les premiers mots de M. Haroche ont été « temps long » et « confiance ». Et ce sont en effet les éléments qui militent pour les soutiens de base comme sources de financement principales de l'activité de recherche, les financements sur projet ne pouvant venir qu'en complément dans le cadre d'une stratégie nationale de recherche élaborée démocratiquement avec la communauté scientifique.

Isabelle This Saint-Jean se déclare en accord avec l'idée de crédits de base, la question étant de savoir quelle proportion des fonds dévolus à l'ANR revenait vers la Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES). S'il s'agit seulement des 73 millions inscrits dans le PLF pour cette année, c'est bien évidemment insuffisant et le curseur doit aller beaucoup plus loin puisque les crédits de base doivent constituer la source de financement principale. Ce ne sont donc pas 10 % des crédits affectés à l'ANR qui doivent passer à la MIRES mais leur quasi-totalité.

Je ne reviens pas sur le débat entre « programmes blancs » ou pas. Il faut des financements récurrents suffisants pour qu'il y ait recherche fondamentale. À l'ANR, nombre de financements étaient accordés sur des projets qui existaient déjà et avaient fait leurs preuves, l'innovation risquant de passer à la trappe.

Pour ce qui concerne l'évaluation a posteriori , il est bien évident que l'activité de l'AERES ne nous satisfait pas. La communauté scientifique fait confiance aux instances légitimes que sont le Comité national et le CNU, car celles-ci sont majoritairement composées d'élus totalement indépendants des pouvoirs locaux - qu'il s'agisse des universités ou des organismes - et du gouvernement. Nous demandons par conséquent que l'évaluation soit menée par une structure issue du Comité national et du CNU.

M. Philippe Gambette, maître de conférences à l'Université Paris Est Marne-la-Vallée. Mon intervention porte sur l'accueil des chercheurs étrangers non européens non permanents dans nos laboratoires, lequel doit être selon moi amélioré par la voie législative. Ces chercheurs apportent manifestement beaucoup : leur ouverture, leur curiosité, les compétences acquises dans leur pays, leurs réseaux scientifiques, enfin, mais seulement s'ils ont été satisfaits de leur accueil en France. L'objectif n'est pas forcément d'accueillir beaucoup de jeunes chercheurs étrangers mais de leur offrir de bonnes conditions de travail. La procédure « scientifique chercheur » mise en place en France en 1998 et en Europe depuis 2005 présente aujourd'hui encore des biais d'attractivité. S'il consulte les sites Internet des ambassades ou des préfectures, un jeune chercheur souhaitant faire une thèse en France ne trouve aucune information sur cette carte de séjour. En outre, s'il vient en France, il doit la faire renouveler annuellement, même s'il dispose d'un contrat de trois ans. Enfin, le dernier jour de son contrat de travail coïncide avec le dernier jour de validité de sa carte de séjour. Il se voit donc prié de quitter la France à ce moment-là alors que, avec d'autres cartes de séjour, il est possible de rester en France pour chercher son emploi suivant. Au surplus, les cotisations qu'il a acquittées pendant trois ans ne lui ouvrent aucun droit à l'allocation au retour à l'emploi. Il convient donc de réformer le code de l'entrée et du séjour des étrangers et le code du travail pour améliorer cette situation.

Une doctorante. Au risque de passer pour le mouton noir, je tiens à porter témoignage de la situation d'une doctorante en train d'achever son doctorat. Même si je souhaite de tout mon coeur travailler dans la recherche fondamentale publique, je ne puis que constater que les postes disponibles ne suffiront pas pour absorber tous les doctorants qui vont être diplômés et je trouve très dommage que la recherche privée n'ait pas été associée aux Assises car elle offre aussi des débouchés. Il faut renforcer les liens entre les universités et les entreprises, tant pour résorber la précarité que pour doter la France d'une recherche encore plus performante.

M. Pierre Tapie, président de la conférence des grandes écoles. Dans cet atelier, nous avons parlé longuement de statut, de précarité, d'organisation et d'évaluation. Je voudrais aborder très rapidement la question macro. S'agissant des grandes écoles, nous avons le sentiment que la France décroche. Entre 2000 et 2010, la France n'a consacré que 2,2 % de son PIB à l'effort de recherche, cependant que la Finlande passait de 3,3 % à 3,9 %, la Corée de 2,4 % à 4 % - et elle annonce qu'elle va passer à 7 % ! - et les États-Unis de 2 % à environ 3 %. Notre investissement par étudiant nous place au 15 ème rang des pays de l'OCDE et, comme le rappelait ce matin Serge Haroche, le salaire mensuel net d'embauche d'un maitre-assistant à l'université ou celui d'un CR2 est équivalent à celui du titulaire d'un CAP dans un secteur en tension, soit 1 700 euros. La question est donc simple : où seront, dans trente ans, les médailles Fields et les prix Nobel ?

Beaucoup d'étudiants brillants quittent le territoire et c'est la raison pour laquelle la Conférence des grandes écoles considère que la France peut investir un point de plus de son PIB en dix ans, en investissant chaque année un pour mille supplémentaire de son PIB. Un pour mille, cela signifie qu'une famille disposant de 4 000 euros mensuels accepte de détourner 4 euros de son pouvoir d'achat. Le financement du 1 % de PIB supplémentaire pourrait être réparti entre l'État, les entreprises, les étudiants étrangers et les diplômés français. Nous avons fait des propositions très précises à ce sujet et je dis un peu solennellement à la représentation nationale que si l'on ne se saisit pas de ces questions, la recherche et l'enseignement supérieur français ne seront pas demain ce qu'ils sont aujourd'hui.

M. Georges Gouriten, membre du conseil d'administration de l'Institut Mines Télécom. Le débat sur l'évaluation est peut-être mal posé et je considère qu'il serait plus constructif de parler d'accompagnement du changement dans nombre d'établissements d'enseignement supérieur et de recherche français. Comme le disait l'orateur précédent, beaucoup de profils brillants quittent le pays, et ce n'est pas seulement une question de salaire. Entrent aussi en ligne de compte l'ambiance et l'atmosphère de travail.

S'agissant de l'évaluation du contenu de la recherche, il existe des outils très précis comme le système de publications internationales, censé valider la qualité des travaux. Dès lors, est-il besoin de recréer un nouveau dispositif ? L'évaluation répond à de vrais besoins organisationnels et en termes de gestion. Il faut aider les établissements à s'adapter aux nouvelles pratiques de gestion et aux évolutions de capacités. Les étudiants sont-ils satisfaits de leur formation ? Les enseignants-chercheurs ont-ils de bonnes conditions de travail ? Telles sont les questions concrètes qu'il faut se poser en vue d'accompagner les structures dans leur démarche d'amélioration.

M. Patrick Monfort, SNCS-FSU. Je rebondis sur ce qui a été dit à propos de l'investissement dans la recherche en proportion du PIB. Si le processus parlementaire qui va s'engager ne conduit pas à une loi de programmation, nous irons dans le mur quelles que soient les réformes envisagées. La précarité met en cause toute la problématique de l'emploi scientifique. Nous allons perdre de l'emploi scientifique car, pour résorber la précarité, on ne prévoit pas d'augmenter le nombre d'emplois mais de diminuer les CDD, ce que, du reste, tout le monde souhaite. Et il ne suffit pas de transférer les fonds de l'ANR pour garantir des financements récurrents. Ce qui est essentiel, c'est d'augmenter le budget global de la recherche. Nous ne demandons pas la suppression de la recherche sur projet car elle a son utilité mais il ne faut pas qu'elle prenne le pas sur les financements à partir de fonds récurrents. Une loi de programmation doit accompagner la réforme qui vient. À défaut, nous n'aurons aucun moyen de l'appliquer.

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