TABLE RONDE N° 3 - MIEUX DIAGNOSTIQUER
Intervenants :
- Françoise Laborde, sénatrice de la Haute-Garonne, médiatrice
- Joëlle André-Vert et Muriel Dhenain, chefs de projet à la Haute Autorité de santé
- Catherine Barthélémy, pédopsychiatre, physiologue au centre hospitalier régional universitaire de Tours
- Claude Bursztejn, vice-président de l'Association nationale des Centres Ressources Autisme
- Amaria Baghdadli, coordonnatrice du centre de ressources autisme de la région Languedoc-Roussillon
- M'Hammed Sajidi, président de Vaincre l'autisme
*
Françoise Laborde - Annie David, présidente de la commission des affaires sociales du Sénat, Valérie Létard, auteur d'un rapport remis en 2012 à Roselyne Bachelot, ministre de la santé, sur l'évaluation de l'impact du plan autisme 2008-2010, et moi-même avons décidé d'organiser ce colloque dans une démarche participative ouverte à tous les acteurs concernés. Cette démarche est nécessaire pour initier le dialogue entre l'ensemble des acteurs autour du bilan du plan qui s'achève et de la préparation du plan suivant. Il nous semble urgent d'écouter les familles des personnes autistes et de dresser un bilan des expérimentations françaises et étrangères qui fonctionnent afin de les étendre sur l'ensemble du territoire français. Il est important d'ouvrir la réflexion aux autistes, à leurs familles et aux associations les représentant, ainsi qu'aux acteurs du secteur médical et social ainsi qu'aux responsables des établissements d'accueil. Le diagnostic et la prise en charge précoce, la scolarisation et l'intégration sont les thèmes des tables rondes à venir.
Il est établi que le diagnostic doit être posé le plus tôt possible ; le diagnostic à l'âge adulte soulève des problématiques différentes.
Amaria Baghdadli - J'évoquerai le dépistage des troubles du spectre de l'autisme, en ma qualité de médecin psychiatre pour enfants et adolescents.
En premier lieu, il est important de souligner que la qualité du développement socio-communicatif des enfants est la clé de leur développement global ultérieur. Les bébés coordonnent progressivement des compétences essentielles à la qualité de leurs interactions futures, notamment l'attention conjointe, les jeux sociaux limitatifs et ceux de « faire semblant ». Les enfants qui manifestent des troubles du spectre de l'autisme présentent très tôt des anomalies dans les domaines de l'attention conjointe et du jeu. Toutefois, ces anomalies ne sont pas spécifiques à l'autisme, et peuvent signaler un autre trouble du développement. Il est important de souligner ce point dans le cadre du dépistage. En outre, ces anomalies précoces sont parfois instables et susceptibles de disparaître ou de se transformer au cours du développement. Pour cette raison, en 2005, les groupes de travail ont indiqué qu'il n'était pas recommandé de poser un diagnostic d'autisme avant l'âge de dix-huit mois ou deux ans.
En deuxième lieu, les troubles perçus par les parents sont souvent précoces et génèrent des inquiétudes. Un article publié en 2002 montrait qu'en médiane, l'inquiétude des parents survenait aux alentours des 18 mois de l'enfant. Les préoccupations des parents concernent le langage ou les interactions sociales. Les groupes de travail ont donc proposé en 2005 une liste de signes d'alertes, qui devraient désormais être connus par l'ensemble des professionnels de la petite enfance. Ces signes d'alerte relèvent du domaine du développement socio-communicatif et comportent l'absence ou la rareté de la réponse de l'enfant à son prénom, l'absence de contact visuel ou d'utilisation du pointé, le retard d'acquisition du langage, le manque d'intérêt pour les jeux sociaux ou les jeux de « faire semblant ».
Il conviendrait de souligner que l'inquiétude des parents ne provient pas d'un éventuel stress mais de l'observation de particularités qui révèlent la survenue effective d'un problème dans le développement socio-communicatif de leur enfant. Un avis médical est alors requis pour confirmer ou infirmer ces observations. Aux Etats-Unis, les chercheurs suivent des cohortes de nourrissons « à risque » parce qu'ils sont issus de fratries présentant des cas d'autisme ou parce qu'ils possèdent des facteurs de vulnérabilité génétique.
Le syndrome de l'autisme est constitué autour de vingt-quatre mois. Surveiller le développement de la communication à visée sociale permet de repérer un enfant à risque. Le carnet de santé constitue un instrument très utile s'il a été correctement renseigné. Il pourrait permettre de repérer les enfants présentant des troubles autistiques ou des troubles du développement ou de l'apprentissage. Il est par ailleurs nécessaire que les professionnels de santé et de la petite enfance écoutent davantage les parents et sachent reconnaître les signes d'alerte que ceux-ci leur décrivent, qu'ils pourront confirmer par un examen approprié. Il convient en outre d'orienter les enfants vers les professionnels qui connaissent et appliquent les procédures recommandées, et travaillent en partenariat avec les familles.
Le CHAT (Checklist for Autism in Toddlers) est un outil intéressant mais peu sensible. Il est donc recommandé de l'utiliser lorsque des signes d'alerte se manifestent chez un enfant.
Le dépistage permet d'établir un diagnostic global et fonctionnel précoce, capable de proposer un plan d'intervention coordonné et adapté aux besoins d'un enfant en prenant en compte les priorités de sa famille et en l'aidant à choisir le parcours de vie de l'enfant.
Applaudissements
Joëlle André-Vert - En tant que chef de projet ayant coordonné les recommandations de bonnes pratiques publiées en mars 2012, j'interviendrai sur la finalité du diagnostic, qui consiste en une articulation rapide entre la phase diagnostique et la phase de mise en place du projet personnalisé d'intervention pour les enfants présentant des troubles envahissants du développement (TED).
Il est important que l'enfant soit diagnostiqué précocement, car les interventions efficaces sur l'amélioration du langage de la communication ou du quotient intellectuel ont été évaluées chez les enfants de moins de quatre ans. La HAS et l'Anesm ont donc recommandé de mettre en oeuvre avant quatre ans et dans les trois mois suivant le diagnostic un projet personnalisé fondé sur des interventions précoces, globales et coordonnées. Il est également recommandé de mettre en place dès le repérage des interventions concernant spécifiquement la communication et les interactions sociales, avant même d'avoir confirmé un trouble envahissant du développement.
Trois conditions me paraissent importantes tout en présentant une mise en place facile.
En premier lieu, il est nécessaire d'améliorer la visibilité territoriale des équipes multidisciplinaires capables de réaliser un diagnostic. En effet, confier l'ensemble du processus aux CRA constitue une solution inadéquate. Un rapport soutenu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et la mission d'appui en santé mentale souligne que la coordination entre les médecins de premier recours et le secteur psychiatrique pourrait être facilitée par l'amélioration de la visibilité de l'offre territoriale.
Deuxièmement, une autorisation administrative n'est pas nécessaire pour entrer en milieu sanitaire, toutefois, elle est requise pour accéder à d'autres structures. Un rapport de l'Igas en 2011 s'était interrogé sur l'opportunité de lier obligatoirement un suivi par un Sessad à une orientation MDPH. Il est essentiel de réduire les délais de notification des orientations en commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), notamment pour les Sessad, voire de s'interroger sur la nécessité de leur pérennité.
Enfin, une formation de l'ensemble des acteurs est nécessaire afin de mettre en oeuvre des interventions ciblant la communication et les interactions sociales dès le repérage d'un trouble du développement, avant même qu'un diagnostic de TED soit posé. Les acteurs concernés comprennent les gestionnaires qui fournissent les outils d'évaluation et d'aide à la communication alternatifs ou augmentatifs, les médecins, les psychiatres, les orthophonistes, les éducateurs et les professionnels de la petite enfance. Les outils de communication alternatifs doivent être disponibles dans tous les lieux de vie de l'enfant, et non uniquement dans le cabinet de l'orthophoniste.
Applaudissements
Muriel Dhenain - La recommandation de bonnes pratiques de la HAS sur le diagnostic et le fonctionnement chez l'adulte a été réalisée dans le cadre de la mesure 11 du deuxième plan autisme. Auparavant, la HAS a établi que la classification internationale des maladies est la classification de référence des troubles du développement.
Le diagnostic de l'autisme et des troubles envahissants du développement chez l'adulte intervient dans trois situations :
• chez une personne en établissement
médico-social ou sanitaire dont l'autisme n'est pas repéré
;
• chez une personne dont l'autisme est connu mais
dont le diagnostic doit être revisité ;
• chez une personne ayant suivi un parcours classique
qui s'interroge ou dont la famille ou des professionnels se posent la question
d'un autisme de haut niveau ou d'un syndrome d'Asperger.
Chez l'adulte, les signes d'appel des TED ne sont pas spécifiques. Devant des difficultés persistantes d'adaptation sociale et de communication, il est important de considérer l'éventualité d'un TED. Les médecins sont ensuite amenés à rechercher la survenue précoce des signes d'appel et à les replacer dans l'histoire de la personne. Ils explorent notamment les éléments de la triade autistique.
Une démarche diagnostique clinique et interdisciplinaire peut être engagée à tout âge de la vie. Elle s'inscrit dans les registres de la triade autistique, du retard mental et des pathologies ou troubles associés. Le diagnostic clinique est précisé par l'utilisation d'outils standardisés et complété par des évaluations du fonctionnement adaptées à la singularité de la personne pour élaborer un projet professionnel. La démarche diagnostique permet d'améliorer l'adaptation de la personne à son environnement, mais aussi de l'environnement à ses besoins spécifiques.
Applaudissements
Catherine Barthélemy -
- Le diagnostic est un acte médical.
Il est indispensable que les médecins soient compétents et qualifiés et qu'ils procèdent à des examens permettant d'apprécier les compétences et les difficultés de l'enfant. Les situations cliniques relatives à l'autisme sont extrêmement diverses, allant d'un autisme léger avec un bon fonctionnement intellectuel à un autisme profond associé à une déficience intellectuelle et à des troubles neurologiques. L'équipe de diagnostic doit donc également explorer le fonctionnement général de l'enfant pour repérer par exemple des fonctionnements intellectuels particuliers qui perturberont l'apprentissage dans des conditions ordinaires ou un trouble neurosensoriel. Il arrive que certains troubles du comportement mis sur le compte de l'autisme soient en réalité liés à une épilepsie. Les troubles de la communication sont parfois associés à des troubles du langage qui nécessitent une rééducation, en particulier de la phonologie et de l'acquisition de la syntaxe.
Toutefois, les qualifications et compétences sont mal distribuées sur le territoire. Je propose que dans le cadre des nouvelles actions, des centres d'expertise interrégionaux soient mis en place, où des explorations de qualité puissent être menées par des personnels médicaux compétents.
- Le diagnostic est la première étape de la procédure d'intervention.
Il est impossible d'imaginer que des enfants soient diagnostiqués sans qu'une procédure leur soit proposée. Le manuel des recommandations de la HAS établit ce qui doit être mis en oeuvre. Un certificat médical permet d'ouvrir les droits de la personne diagnostiquée. Des ordonnances seront également nécessaires. Par exemple, des enfants présentant des troubles visuels nécessiteront des lunettes, et ceux qui manifestent des troubles praxiques pourront bénéficier d'un ordinateur à l'école. Une articulation entre le diagnostic fonctionnel et la prescription est indispensable.
- Toute personne doit bénéficier d'un service de haute qualité sur l'ensemble du territoire français.
Il convient d'organiser les ressources, et de former les personnes ressources, notamment dans le secteur médical. Je propose que l'autisme fasse partie du programme de l'examen national classant afin que les futurs médecins aient tous connaissance de ce sujet dans leur cursus médical.
Applaudissements
Claude Bursztejn - Je suis vice-président de l'Association nationale des Centres Ressources Autisme, pédopsychiatre et hospitalo-universitaire, et je m'efforce de contribuer à l'amélioration du diagnostic et de la prise en charge de l'autisme.
Des avancées ont été constatées ; l'âge moyen du diagnostic s'est notamment abaissé. Toutefois, les moyennes masquent des disparités importantes. La situation en France est caractérisée par des inégalités entre les territoires, impliquant des délais, des listes d'attente, et l'engorgement de certains CRA, et des inégalités dans l'accès aux plateaux techniques.
Il convient donc de poursuivre la progression dans la précocité du diagnostic et de renforcer son accessibilité à tous les âges.
La formation est essentielle, ainsi que la sensibilisation et la mobilisation de l'ensemble des acteurs de terrain, notamment des professionnels de la petite enfance. Ce travail, amorcé dans de nombreuses régions, doit se généraliser en favorisant la construction de réseaux permettant de répondre efficacement aux premières inquiétudes exprimées par les parents.
Des recommandations avaient été publiées en 2005 à l'initiative de la fédération française de psychiatrie, cependant, elles ont été insuffisamment diffusées. Je déplore le manque de continuité dans l'action publique à ce sujet, et je recommande d'actualiser et de reprendre la diffusion de ces recommandations.
Les recommandations de la HAS préconisent qu'une équipe soit dédiée au diagnostic chez l'adulte dans chaque région. Toutes les régions ne sont pas à égalité dans ce domaine, aussi, il est nécessaire d'accomplir des efforts supplémentaires et de dégager des moyens additionnels. L'accès rapide au diagnostic requiert également un minimum d'une équipe par territoire disposant des moyens et formations nécessaires, ce qui n'est pas encore totalement réalisé.
Je tiens cependant à signaler plusieurs initiatives intéressantes de mise en place de réseaux coordonnés pour le diagnostic, qui associent des centres d'actions médico-sociales précoces, des services de pédopsychiatrie, des neuropédiatres et des professionnels libéraux. Toutefois, il est impératif que l'ensemble de ces institutions et professionnels soit formé aux modalités de diagnostic conformes aux recommandations, et que des conventions règlent leurs relations. Ces réseaux facilitent l'accès au diagnostic.
Des pistes d'amélioration et des expériences existent donc, qu'il convient d'évaluer et généraliser. Les ARS seront les acteurs essentiels de ces améliorations, mais je constate des disparités régionales en ce qui concerne leur force d'impulsion d'une politique cohérente.
M'Hammed Sajidi - Je remercie les sénatrices pour l'organisation de ce colloque. Je remercie également Joëlle André-Vert et Muriel Dhénain pour leur travail qui nous permet de ne plus avoir à présenter et justifier l'autisme. Notre rôle consiste désormais à exiger que leurs préconisations soient appliquées.
Les familles ne veulent plus que l'autisme soit traité dans les centres d'action médico-sociaux (Cams) et les hôpitaux de jour, qui constituent une torture psychologique pour les parents (applaudissements) . Il est désormais impératif de mener une politique de santé publique de prévention. Les connaissances actuelles sont reconnues par les autorités françaises et nous permettent d'envisager directement des innovations, sans plus discuter. Les moyens financiers attribués par le Gouvernement au troisième plan autisme doivent être distribués aux unités de diagnostic. Je demande des centres experts diagnostics avec des unités d'intervention pour les enfants en bas âge. Il est nécessaire de labelliser les unités et de sortir du système classique. En effet, les CRA, situées au sein d'hôpitaux psychiatriques, ne peuvent intervenir rapidement (applaudissements).
Malgré le rejet de certains parents, la psychiatrie a cependant un rôle à jouer dans le cadre de l'autisme, ainsi que d'autres disciplines comme la neurologie ou la génétique. J'évoque ici la psychiatrie innovante, fondée sur des preuves, à qui il incombe de mener un long travail de réflexion sur elle-même.
Il est anormal que la recherche française ne soit pas reconnue dans son propre pays alors que les chercheurs français font partie des meilleurs au monde. Les résultats obtenus dans le domaine de l'autisme ne sont pas pris en compte au sein-même des formations universitaires.
L'objectif principal consiste à préserver la santé des enfants, ce qui implique de réaliser des actions de prévention, de travailler avec les associations de parents, malgré les difficultés de terrain. L'autisme est une maladie émergente qui concerne le monde entier, et je m'expliquerai du terme « maladie » que j'emploie. Le problème de la France consiste à traiter cette maladie, toutefois des polémiques naissent des désaccords entre les parents. Ces désaccords entre les associations, entre les professionnels et entre les médecins doivent cesser, car la lutte contre cette grave maladie requiert l'union de tous.
Les moyens financiers ne représentent pas le principal obstacle. En effet, tant que les besoins spécifiques de l'autisme n'auront pas été reconnus, et que le Gouvernement n'aura pas constaté le « scandale français », les systèmes défaillants seront renforcés. Il est désormais indispensable d'écouter les personnes compétentes afin de progresser, grâce à l'innovation.
Applaudissements
Françoise Laborde - Je souhaite que nous approfondissions le sujet de l'inégalité territoriale. Je salue par ailleurs la consensualité de cette tribune autour du manuel des bonnes pratiques et de l'hommage rendu aux deux personnes de la HAS qui en sont à l'origine.
Je souhaite que M. Sajidi explicite son choix du terme « maladie » et non « handicap » pour qualifier l'autisme, et je donnerai ensuite l'occasion à M. Bursztejn de défendre les CRA.
M'Hammed Sajidi - Je n'ai pas attaqué les CRA. L'objectif d'une association de défense consiste à faire évoluer les choses, particulièrement en matière de droits. J'accuse les CRA de répondre trop lentement aux besoins. Je condamne une politique qui ne recherche pas la compétence et ne fournit pas l'information adéquate.
Par ailleurs, il est impossible de séparer la maladie du handicap. Parler de handicap ferme les opportunités d'évolution et d'innovation, car un handicap est un état définitif et représente une limitation sociale. Par exemple, une personne ayant mal aux reins peut être reconnue comme handicapée, car cette souffrance constitue une vulnérabilité. Il convient de ne pas confondre ce qui donne accès aux droits sociaux et un syndrome multifactoriel, dont seuls 10 % des causalités sont connues. Afin de comprendre les origines de l'autisme, qui frappe 67 millions de personnes dans le monde, il est impératif de développer la recherche pour trouver des traitements. Comment venir en aide aux personnes autistes si nous ne savons pas de quoi elles souffrent ? A ce titre, le dépistage et le diagnostic précoces sont aujourd'hui fondés sur les connaissances, même minimes, dont nous disposons. La reconnaissance de l'autisme en tant que maladie est nécessaire si nous voulons que des traitements soient découverts.
Claude Bursztejn - Je partage la conception de M. Sajidi concernant la maladie et le handicap. Ces concepts ne sont pas opposés mais représentent deux aspects parallèles de certains états pathologiques. Une maladie peut être relativement handicapante, ce qui provoque des réponses de la société. Dans cette perspective, l'OMS développe deux classifications parallèles des maladies et des handicaps.
En revanche, je ne partage pas son avis sur d'autres points. Certes, je reconnais l'hétérogénéité des situations. Cependant, certains Cams se sont équipés et se sont éventuellement regroupés avec d'autres professionnels pour assurer des diagnostics dans de bonnes conditions. En outre, l'appropriation par les équipes des méthodes de diagnostic reconnues internationalement est conjointe à la création du concept des CRA par le professeur Charles Aussilloux.
Deux options de développement du stade ultérieur se présentent à nous : créer des structures complétement nouvelles ou former et regrouper les professionnels de terrain compétents.
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Intervention de la salle - Je suis généticien hospitalier ainsi qu'au CNRS. Je voudrais souligner l'importance de la consultation génétique. En effet, nous sommes capables de mettre en évidence une anomalie génétique qui explique la pathologie dans 10 à 20 % des cas. Les parents peuvent apprécier de connaître la cause de la pathologie. En outre, il est possible de confirmer l'existence d'un risque de récurrence de cette pathologie dans la famille.
Par ailleurs, des essais cliniques sont réalisés à l'étranger sur des médicaments ciblés sur des anomalies génétiques. Si ces anomalies sont identifiées précocement, nous serons capables dans les années à venir d'accroître les chances de guérison quasi-totale en administrant précocement un traitement.
En 2005, nous avons été à l'origine d'un brevet pour un médicament qui aurait pu être utilisé dans le traitement de l'autisme. Les tutelles de recherche n'ont pas agi à temps et ce brevet est désormais tombé dans le domaine public, ce qui nous empêche de motiver l'industrie pharmaceutique pour développer une molécule.
Notons cependant qu'en moins de dix ans, nous sommes passés de la méconnaissance totale de la génétique de l'autisme à des pistes thérapeutiques.
Françoise Laborde - Nous avons noté votre problématique et la présidente de la commission des affaires sociales la transmettra.
Intervention de la salle - Tant que l'autisme sera associé à la maladie et à une tare, nous ferons le fonds de commerce de médicaments. Certains cherchent à vendre de l'espoir aux parents quant à la guérison de leur enfant. L'autisme est une richesse, pas une tare.
Françoise Laborde - La maladie n'est pas une tare. Vous avez exprimé votre colère, et je vous remercie de céder la parole à d'autres personnes.
Intervention de la salle - Mon enfant est en cours de diagnostic depuis un an, et a suivi une psychanalyse au CMP. Les parents n'ont aucune crédibilité face aux professionnels. Les psychologues me culpabilisent en rejetant sur mon divorce et mes problèmes de santé l'origine des troubles de mon fils. J'ai fini par rencontrer une pédopsychiatre compétente, mais les consultations sont coûteuses, or j'ai dû arrêter de travailler. Un bilan cognitif coûte 350 euros, qui ne sont pas pris en charge. Je suis contrainte de trouver des financements auprès de mes proches. Le diagnostic de mon fils n'est toujours pas posé, il n'est donc toujours pas pris en charge.
Ma pédiatre n'a jamais pris au sérieux les observations dont je lui faisais part sur les problèmes alimentaires de mon fils, ou son refus de s'habiller. L'enseignante de maternelle de mon fils considère que l'autisme est actuellement « à la mode » et me conseille de me méfier du diagnostic.
Je me sens seule dans mon combat, personne ne m'écoute. Il m'est difficile de m'entendre dire que je ne suis pas assez stricte avec mon enfant lorsque je signale les problèmes que je rencontre. Je voudrais que les mères qui signalent des problèmes avec leurs enfants soient écoutées et aidées.
Applaudissements
Françoise Laborde - Vous avez clairement exprimé la problématique à laquelle les parents sont confrontés lorsqu'ils appellent au secours mais ne sont pas entendus.
Intervention de la salle - Je considère que le CHAT est un outil très important qui n'a pas été suffisamment mentionné. Du temps serait gagné si les professionnels maîtrisaient le CHAT et l'appliquaient en tant que pré-diagnostic lorsqu'un parent évoque des troubles du développement. Une prise en charge réduite pourrait alors démarrer, en attendant que le diagnostic soit affiné. Les diagnostics très précis sont utiles, mais pendant la durée de leur obtention les parents ne bénéficient d'aucune prise en charge ni d'aide de la MDPH. En outre, devoir justifier l'autisme chaque année est pénible et inutile, sachant qu'on n'en guérit pas.
Intervention de la salle - En Pays-de-Loire, la liste d'attente pour un diagnostic est actuellement de deux ans et demi. Lorsqu'un diagnostic est enfin établi, la prise en charge se heurte à de nouvelles listes d'attente, entre autres chez l'orthophoniste ou dans les CMP. Les enfants autistes pourraient-ils être prioritaires sur ces listes d'attente ?
Intervention de la salle - Pourquoi les recommandations de la HAS, désormais officielles, ne sont pas appliquées sur le terrain. ? Qui les fera appliquer ?
Intervention de la salle - Je souhaite revenir sur les files d'attente et la reconnaissance des différents professionnels. Souvent, le diagnostic doit être validé par un psychiatre ou pédopsychiatre qui n'est pas nécessairement compétent dans le domaine de l'autisme. Il en résulte des files d'attente inacceptables alors qu'il existe des psychologues qui seraient capables d'établir des diagnostics, dont la valeur n'est cependant pas reconnue par les MDPH. Les prises en charge ne sont pas systématiquement remboursées par l'assurance maladie, en fonction du professionnel consulté. Le psychologue est capable de gérer les interventions et la coordination entre les différents professionnels. Il devrait être envisagé d'étendre la possibilité de poser des diagnostics ou au moins de réaliser des dépistages, afin de réduire les files d'attente.
Intervention de la salle - Le volet financier des personnes seules avec un enfant autiste est-il étudié ? Ces personnes, qui ne peuvent pas travailler, se trouvent sans ressources, et cherchent des prises en charge adaptées.
Amaria Baghdadli - Certaines personnes ont témoigné de leurs préoccupations de parents, et du refus de prise en compte de celles-ci par les professionnels rencontrés. Je rappelle que les signes d'alerte sont exprimés par les parents. Un parent inquiet doit être écouté et ses inquiétudes prises en considération. Certains événements de vie sont susceptibles d'être reliés aux observations rapportées, cependant, il n'est pas raisonnable de réduire les difficultés au seul environnement.
Le CHAT est effectivement un outil intéressant en dépistage ciblé sur les enfants dont les parents s'inquiètent. Cependant, dans un contexte d'inégalité de l'offre territoriale, il est envisageable de proposer aux professionnels de première ligne ce type d'outils. Les items du carnet de santé représentent un autre outil complémentaire intéressant.
Catherine Barthélemy - J'accorde une importance cruciale à la pratique médicale. Les médecins étudient longtemps, sont formés par des médecins expérimentés et fréquentent longuement les hôpitaux. L'autisme a longtemps été classifié dans la catégorie des maladies mentales, alors qu'il s'agit d'une particularité de certains circuits cérébraux sans rapport avec la folie. L'amalgame de la psychiatrie, de la folie et du neurodéveloppement a été extrêmement délétère. Il est compréhensible que les médecins soient remis en question tant qu'il n'existe pas de traitement de la maladie. Toutefois, rappelons-nous que la maladie d'Alzheimer a été considérée comme une démence ; les malades étaient hospitalisés dans des hôpitaux psychiatriques. Nous savons désormais qu'il s'agit d'une pathologie neuro-dégénérative qui empêche les cellules nerveuses de communiquer entre elles. Je considère donc qu'il serait regrettable de retirer l'autisme à la médecine.
Claude Bursztejn - Les instruments de dépistage comprennent le CHAT, le M-CHAT et d'autres outils en cours de développement. A ce propos, le diagnostic devrait constituer un domaine de recherche. Une formation est nécessaire pour les utiliser correctement. J'ai d'ailleurs participé à un outil de formation au CHAT. Le médecin généraliste a de nombreuses responsabilités et ne peut détenir tous les outils. Toutefois, ces outils ont un intérêt dans un second temps, après avoir pris en compte les inquiétudes des parents et correctement renseigné le carnet de santé. Ils ne permettront cependant pas de résoudre les problèmes liés à toutes les formes de troubles du spectre autistique, qui se révèlent à des âges différents.
Le bilan diagnostic, établi selon un cahier des charges fondé sur les recommandations de la HAS, est non seulement un diagnostic d'une maladie ou handicap, mais également une évaluation fonctionnelle. Les psychologues interviennent régulièrement dans les équipes pluridisciplinaires. Leurs compétences ne sont donc aucunement niées mais il s'avère qu'en France, nous sommes souvent très attachés à des questions de statut.
Joëlle André-Vert - Les recommandations de bonnes pratiques se définissent ainsi : ce sont des propositions à destination des praticiens et des patients pour décider des soins les plus appropriés dans une situation clinique donnée. Elles ont donc pour objectif d'aider à la fois les professionnels et les familles.
Les professionnels sont chargés de les appliquer, s'ils s'en saisissent. Une des propositions que le plan autisme pourrait formuler consisterait à financer des plans d'amélioration de la qualité par des audits qualité des équipes, qui permettraient de faire état des points positifs et négatifs. De nombreux professionnels s'acquittent correctement de leur travail ; ne recevoir que des remarques négatives de la part des familles est décourageant pour eux.
Je suis convaincue de la capacité des familles à faire appliquer les recommandations, au même titre que les professionnels. Votre action a déjà provoqué des changements.
Françoise Laborde - M. Sajidi se fera l'écho des propos de la salle pour conclure cette table ronde.
M'Hammed Sajidi - J'exprime mon opinion en tant que membre associatif et parent. Une haute autorité a conçu le consensus représenté par les recommandations, en regroupant tous les spécialistes. Les professionnels doivent décider de les appliquer. Le politique ne peut pas imposer à un médecin d'appliquer des recommandations. En revanche, nous revendiquons que les politiques, en premier lieu le Gouvernement, se tournent à présent vers le législateur pour qu'une législation spécifique sur l'autisme soit créée, ainsi qu'il en existe en Suède ou au Canada. Cette loi prévoirait des mesures coercitives contre les professionnels refusant les recommandations. Le Gouvernement doit prendre conscience de la destruction que subissent les familles et les protéger, ainsi que les enfants, de cette « maltraitance » due au défaut de soin et de diagnostic. Or, actuellement, il n'est pas en mesure de faire appliquer les connaissances actuelles.
Je précise par ailleurs que le terme « traitement » recouvre l'ensemble des éléments susceptibles d'améliorer l'état de santé d'une personne. J'ai été attaqué pour avoir parlé de traitement éducatif. Une personne autiste peut combattre sa maladie en faisant progresser ses capacités par l'éducation. Le processus d'amélioration de la qualité de vie et de l'intégration d'un enfant autiste commence par la détection, se poursuit par un traitement principalement médical puis par l'éducation et la pédagogie.
Le meilleur outil de prévention précoce consiste à former et informer les parents, qui constituent l'encadrement le plus économique auprès de l'enfant.