INTERVENTION DE MARIE-ARLETTE CARLOTTI, MINISTRE DÉLÉGUÉE CHARGÉE DES PERSONNES HANDICAPÉES ET DE LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION
Je vous prie de m'excuser de n'avoir pu ouvrir le colloque ce matin. Je préparais avec le Premier ministre une réunion interministérielle sur le handicap, où l'autisme tiendra une place prépondérante.
Je sais que le Sénat est très engagé sur la question du handicap et de l'autisme. Je vous remercie pour l'organisation de ce colloque, car son compte rendu me sera très utile dans le travail que je mène actuellement sur le plan autisme. Son contenu n'est pas encore révélé, mais nous sommes dans une phase de large concertation, dont nous tirerons des éléments utiles à notre réflexion.
J'ai entendu vos cris, vos souffrances et je respecte vos parcours, cependant, mes fonctions m'obligent à prononcer un discours formel de ministre. En effet, mon travail consiste à entendre vos témoignages et à en tirer une politique d'un abord inévitablement plus technique.
Nous avons l'impression que l'autisme constitue un sujet qui a été longuement abordé cette année. L'avis de la HAS et de l'Anesm rendu le 8 mars est très important, et de nombreux débats se sont déroulés, toutefois je considère que le sujet n'a pas été suffisamment évoqué cette année. De nombreuses polémiques ont également agité cette période, probablement difficile à vivre pour les parents et les professionnels.
Je voudrais à présent ouvrir une phase plus concrète, et je suis certaine que nous parviendrons à travailler ensemble. Nous devons en priorité diffuser massivement l'état de nos connaissances sur les troubles liés à l'autisme, car le besoin d'information du public est immense. Il est indispensable que vous parliez de ce que vous avez vécu, car vous connaissez la réalité de l'autisme.
Lors de la soirée télévisée, vous avez peut-être regardé le film Le cerveau d'Hugo , et constaté les réactions d'incompréhension, de rejet, parfois de violence. Ces réactions témoignent d'une méconnaissance, car nous jugeons cette personne à l'aune de nos propres critères de comportement et de nos propres catégories. Nous nous interdisons ainsi de comprendre l'autre. Je découvre à travers vos témoignages la réalité de l'autisme. Imaginez donc ce que le grand public en perçoit, et les efforts qu'il reste à accomplir pour l'informer. Nos connaissances de la représentation du monde pour les personnes avec autisme sont encore faibles. Nous savons qu'elles manquent de vision d'ensemble et perçoivent en priorité les détails. J'essaie d'imaginer l'angoisse que peut susciter la perception d'une multitude chaotique de détails. Je comprends mieux les cris, les pleurs, les regards évités et je saisis l'angoisse des parents qui réalisent que leurs enfants ne se développent pas de manière attendue.
Je suis consciente du parcours du combattant que constituent l'accès au diagnostic et la lutte contre les attitudes trop rassurantes ou au contraire culpabilisantes. J'en ai pris connaissance à votre contact, en m'entretenant avec vous. Je tiens à rappeler que je partage votre approche. Les parents ne sont pas responsables de l'autisme de leurs enfants, malgré ce que certains ont cherché à leur faire croire.
Comment répondre aux besoins immenses suscités par le nombre important de personnes concernées ? La fourchette chiffrée est large, de 250 000 à 600 000 personnes, ce qui n'est pas uniquement dû à l'imprécision de la définition. En effet, en France, nous ne disposons pas d'une connaissance exacte des personnes avec autisme, ni de leurs lieux ou conditions de vie. Nous sommes capables d'établir quelques statistiques concernant les enfants, grâce à l'engagement des familles. En revanche, il est plus complexe de mesurer la population des adultes autistes, en raison des pathologies additionnelles qu'ils ont pu développer, de leurs parcours incluant des séjours en hôpital psychiatrique, et de leur fréquente situation de maintien au domicile de leurs parents.
Je tiens à rendre hommage aux deux précédents plans autisme, ainsi qu'à Valérie Létard. Grâce à l'action que vous avez menée dans les deux plans précédents, vous avez fait sortir l'autisme de l'ombre. Je salue également le rapport de M. Chossy. Des institutions ont été créées, comme les centres de ressources Autisme, qu'il conviendrait de rapprocher des parents, et des places ont été ajoutées. Toutefois, de nombreuses actions restent à accomplir. J'ai donc décidé de remettre à l'ordre du jour l'annonce du troisième plan autisme dès ma nomination.
J'ai demandé à Martine Pinville de coordonner ce travail, car il me paraît indispensable de montrer que la nation entière et ses représentants, notamment ses élus au Parlement, doivent collectivement se saisir de ce sujet. L'autisme ne doit plus être traité à huis-clos entre experts. Des solutions aux problèmes concrets que posent la scolarisation, l'emploi, la vie quotidienne, relèvent de la société dans son ensemble. J'ai décidé de rendre ce problème de société intelligible, sous tous ses aspects. Il me semble opportun que les trois axes qui soutiendront le plan autisme soient la recherche, la formation et le développement d'une offre d'accompagnement pour les enfants, les adolescents et les adultes. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter car je souhaite que ce plan fasse l'objet d'un débat collectif.
Je tiens à renforcer la recherche épidémiologique, clinique et sociale. En effet, il est établi que l'autisme est un trouble neurodéveloppemental à composante génétique, cependant nous ignorons l'étendue et les caractéristiques de la population touchée. Nous ignorons en outre les raisons de l'augmentation de la prévalence. Il convient par ailleurs d'évaluer les bénéfices procurés par chaque méthode, sans tabou. Des familles ont choisi des méthodes pour leurs enfants, et je veux qu'elles fassent partie prenante de l'évolution de la recherche.
Applaudissements
Je considère que nous devons mener ce combat en commun. En effet, les réticences existent dans les assemblées parlementaires, les ministères ainsi que dans votre vie quotidienne. Nous disposons d'une gamme d'outils qui permettront à vos enfants de mener une vie heureuse. Nous l'utiliserons et personne ne pourra nous en empêcher.
Je souhaite que les connaissances sur l'autisme se diffusent dans l'ensemble de la société grâce à des formations et des sensibilisations. Nous recourrons également aux médias. Un changement de regard est tout aussi nécessaire qu'un changement de pratique. Nous devons nous assurer que les professionnels s'approprient les recommandations de la HAS et de l'Anesm. En outre il est indispensable de décliner les formations dans les régions et de les faire labelliser par la CNSA. Le troisième plan autisme pourra développer ces pistes.
Il est nécessaire de communiquer pour que la société civile s'empare du sujet. Nous espérons par exemple qu'un film de renom soit réalisé, pour contribuer à modifier l'image de l'autisme et à l'intégrer à notre existence. La Grande Cause nationale aurait dû fournir des occasions pour ce type de création mais un nombre insuffisant d'actions a été réalisé dans ce cadre.
Le troisième axe du plan s'intéresse à la continuité des parcours. Il est impératif de développer l'offre d'accompagnement et de renforcer la coordination des interventions dans les différents secteurs, afin d'éviter les ruptures. Offrir un accompagnement de proximité adéquat implique de lutter contre les inégalités territoriales, ce qui suppose d'assurer la reconversion des places des hôpitaux vers les établissements et services médico-sociaux. Je ne dérogerai pas à cette volonté politique.
Ces trois axes font actuellement l'objet d'un travail approfondi par les différentes administrations : la direction de l'offre de soin, la direction de la cohésion sociale, la direction de la scolarité. Des personnes ressources nous apportent leur expertise au sein d'un groupe de travail qui associe les représentants des familles, des professionnels, des chercheurs et des parlementaires. Je répète aux familles présentes que le Gouvernement écoutera vos propositions, qui seront reprises. J'espère que nous serons amenés à en discuter ensemble avant que le plan soit révélé. Ces groupes se réuniront jusqu'à la fin de cette année.
Le plan sera formellement annoncé début 2013 et j'espère qu'il sera ratifié au cours du Comité interministériel du handicap. Tous les aspects de la vie sociale étant abordés, il s'agira d'un plan interministériel. La circulaire du 4 septembre exige en outre qu'un volet handicap figure dans chaque projet de loi, conformément à l'engagement pris par le Président Hollande. L'autisme sera le premier sujet à bénéficier d'une action interministérielle concertée et coordonnée.
Après des dizaines d'années de retard, il est temps de faire de l'autisme un exemple de bonnes pratiques. Après sa laborieuse émergence dans notre conscience collective, je suis déterminée, avec l'aide de mes relais parlementaires, à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour assurer la plus grande autonomie possible et l'inclusion dans la vie sociale des personnes autistes.
Applaudissements