TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITIONS
Audition de
M. Antoine DURRLEMAN,
président de la sixième chambre de la
Cour des comptes
La commission procède à l'audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur l'enquête relative à la politique vaccinale de la France.
Mme Annie David , présidente . - Merci à M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, ainsi qu'à Mme Marianne Lévy-Rosenwald et M. Pascal Samaran, d'être venus nous présenter les conclusions de l'enquête confiée par notre commission à la Cour sur la politique vaccinale de la France. Celle-ci fait l'objet de débats récurrents : obligation ou simple recommandation ? Quel niveau de couverture effective de la population ? Quelle répartition des coûts ? Quels effets, et quels risques ? Nous avons désigné la semaine dernière notre rapporteur : M. Georges Labazée. Il sera chargé d'analyser les conclusions de l'enquête de la Cour.
M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes . - La politique de vaccination de la France se caractérise par un objectif encore insuffisamment ferme et par des résultats contrastés. Mais c'est aussi une politique fragilisée car le consensus assez large dont fait l'objet, dans notre pays, la vaccination, comme protection à la fois individuelle et collective, se réduit : entre 2005 et 2010, la proportion de personnes ayant une opinion positive de la vaccination est passée de 90 % à 60 %. C'est sans doute le résultat des difficultés rencontrées par de récentes campagnes de vaccinations spécifiques, contre l'hépatite B et contre la grippe H1N1.
Par la loi de santé publique du 9 août 2004, notre pays s'est assigné, en matière de vaccination, des objectifs ambitieux qui ne sont pas atteints aujourd'hui. Cette loi comprenait cent objectifs de santé publique, dont deux visaient spécifiquement la vaccination : porter le taux de couverture vaccinale de la population contre dix principales maladies à 95 %, et celui de certains groupes à risques, contre la grippe, à 65 %. Huit ans après la fixation de ces objectifs, nous avons cherché à évaluer dans quelle mesure ils avaient été atteints. Les données manquent ; c'est une des fragilités de la politique vaccinale. Mais nous avons pu constater que les résultats sont mitigés : les taux visés n'ont que rarement été atteints au terme du délai de cinq ans que la loi avait fixé. En effet, ces objectifs n'ont pas été définis avec suffisamment de finesse. Le taux de 95 % s'appliquait uniformément à toutes les pathologies, alors que la situation était pour chacune bien différente. Pour certaines maladies, l'objectif était donc extrêmement difficile à atteindre, quand pour d'autres il décrivait quasiment l'existant. Quant au taux de 65 % qui s'appliquait aux groupes à risques - personnes en affection de longue durée, professionnels de santé, personnes âgées de plus de soixante-cinq ans - il était trop ambitieux : par exemple, la définition de l'objectif de couverture vaccinale des professions de santé a été faite en s'inspirant de la situation aux Etats-Unis, qui est difficilement transposable !
Notre taux de couverture est donc très nettement insuffisant pour certaines pathologies : pour la grippe, il est inférieur de dix points à celui de la Grande-Bretagne, pour l'hépatite B, il est le plus faible d'Europe après la Suède, et pour la rougeole, il ne suffit pas à empêcher le maintien de poches de réceptivité, car 1,5 million de personnes ne sont pas immunisées contre cette maladie. C'est ainsi que nous avons connu récemment une résurgence très importante de la rougeole : 22 000 cas entre 2008 et 2011, engendrant 900 pneumopathies, 26 encéphalites et 10 décès. Triste record des pays d'Europe occidentale !
Quelles sont les causes de cette situation peu satisfaisante ? D'abord, la difficulté du suivi de la couverture vaccinale : les données sont insuffisantes et fragiles. Les données administratives concernent surtout les enfants, avec le certificat de santé qui doit être rempli au vingt-quatrième mois, et les jeunes scolarisés. Mais l'information, qui doit être centralisée dans chaque département avant d'être transmise à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) est incomplète : elle porte sur un quart environ des quelque huit cent mille enfants nés chaque année, et est transmise de manière très irrégulière par les départements. La consolidation des données sur le statut vaccinal des très jeunes enfants est donc difficile, alors que c'est l'essentiel : plus l'enfant acquiert une mémoire immunitaire tôt, plus celle-ci est efficace. Pour les enfants scolarisés, les données sont transmises par la médecine scolaire, mais elles sont assez imprécises et peu suivies. Elles montrent en tout cas que tous les enfants ne sont pas à jour de leur couverture vaccinale. Il existe enfin des enquêtes sur le statut vaccinal des personnes, mais elles sont ponctuelles. A cet égard, la disparition du service national a privé l'épidémiologie du dernier dispositif qui permettait de couvrir au moins la partie masculine de la population. Malgré les efforts de l'Inpes, qui procède également à des sondages, les données manquent et, quand elles existent, elles ne sont consolidées qu'avec retard : l'Inpes a réussi à gagner un an sur les trois ans de délai, mais cela reste trop long. Des progrès ont été faits, en revanche, dans la surveillance épidémiologique des incidents vaccinaux et dans la pharmacovigilance.
Le calendrier vaccinal est de plus en plus complexe (il est passé de 2 à 52 pages), alors que le nombre de vaccinations obligatoires est restreint : tétanos, diphtérie, et poliomyélite, tous les autres vaccins ne faisant l'objet que de recommandations, souvent nuancées. Cela traduit sans doute l'hésitation croissante de la communauté médicale et scientifique sur le bon usage de certains vaccins, mais le calendrier s'apparente de ce fait davantage à un document scientifique qu'à un guide pour les familles. Nous n'avons évidemment pas pris partie dans le débat sur le choix entre recommandation obligatoire et vaccination recommandée, car cela excède nos compétences, mais nous avons cherché à l'éclairer en rendant compte des positions des uns et des autres.
La multiplication des recommandations figurant dans le calendrier vaccinal découle aussi de la concurrence d'expertise qui s'est instaurée entre les institutions qui concourent à son élaboration. L'Agence nationale de sécurité du médicament (anciennement Afssaps) donne, pour un vaccin, une autorisation de mise sur le marché, si le rapport entre bénéfices et risque est positif. Le comité technique de la vaccination intervient ensuite : il dépend du Haut Conseil de santé publique, et est rattaché à sa commission des maladies transmissibles. Composé d'une vingtaine d'experts, il réfléchit pour chaque nouveau vaccin à la stratégie vaccinale dont il pourrait faire partie. La Haute Autorité de santé (HAS), créée par la loi de 2004, comprend une commission de la transparence qui intervient pour évaluer le service médical rendu par chaque vaccin, ainsi que l'amélioration du service médical qu'il permet. Enfin, le comité économique des produits de santé négocie, sur la base des éléments précédents, le prix du vaccin avec ses fabricants. Mais cette mécanique ne fonctionne pas aussi clairement qu'elle le devrait. Il y a concurrence d'expertise entre le comité technique de la vaccination et la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé : ainsi, quand le comité technique de la vaccination avait prévu, dans le cas de la vaccination contre l'hépatite A, un certain périmètre de vaccination, la commission de la transparence de la HAS, sur la base d'une autre expertise, l'a diminué.
La commission de la transparence propose toujours, pour les vaccins, le taux de remboursement maximal : 65 %. Contrairement à ce qui se fait avec un médicament, il n'y a aucune modulation de l'appréciation du service médical rendu et de l'amélioration du service médical rendu. Pourtant, tous les vaccins n'apportent pas la même contribution, et souvent d'autres choix sont possibles. Par exemple, avant la découverte, en 2006-2007, des vaccins contre le papillomavirus (qui est le facteur principal du cancer du col de l'utérus), la seule stratégie était le dépistage par frottis, et cela restait une stratégie individuelle : une expérimentation de dépistage organisé a été menée dans quatre départements (dont les deux départements d'Alsace) mais n'a jamais été généralisée. Quand le Gardasil et le Cervarix sont arrivés, l'administration a demandé à l'Université de Lille de procéder à une étude médico-économique des stratégies en présence : fallait-il mieux investir dans un dépistage organisé systématique, ou développer une stratégie vaccinale ? Le prix de ces vaccins était en effet très élevé. Les résultats furent clairs : le dépistage organisé, pour des résultats analogues, était plus de deux fois moins cher que le recours au vaccin.
La recommandation du comité technique de la vaccination, ainsi que celle du Haut Conseil de la santé publique, ont donc été de donner la priorité au dépistage organisé, et de le compléter par une vaccination ciblée sur les jeunes filles à partir de quatorze ans. Mais les pouvoirs publics n'ont retenu que la stratégie de vaccination, sans la coupler avec une stratégie de dépistage organisé. Résultat : notre pays a un taux de vaccination inférieur à celui des autres pays européens. Beaucoup de jeunes femmes ne se font faire que la première des trois injections nécessaires à l'efficacité du vaccin : seules 15 % vont jusqu'au bout du processus, sans doute à cause du prix trop élevé du vaccin (environ 400 euros pour les trois injections, auxquels s'ajoute le coût des consultations chez le médecin). L'absence de dépistage organisé et l'absence de mise à disposition du vaccin dans de bonnes conditions de prise en charge cumulent leurs effets chez les femmes les plus modestes : cette stratégie de santé publique va au rebours des objectifs qui seraient souhaitables. Le prix du vaccin est, de surcroît, beaucoup plus élevé qu'aux Etats-Unis, ce qui est très étonnant. Nous préconisons donc une renégociation du prix de ce vaccin par le comité économique des produits de santé : elle semble en passe d'être engagée.
Ce sont les médecins généralistes et spécialistes qui sont au coeur du dispositif de vaccination, même si en 2008 un décret a ouvert aux infirmières la possibilité de participer à la vaccination contre la grippe. On ignore le nombre exact de consultations qui sont liées à la vaccination. Selon certaines enquêtes, ce serait environ 20 % d'entre elles. Les structures de santé publique ont un rôle assez modeste. Les centres de PMI ont une activité de vaccination, le coût des vaccins étant pris en charge par l'assurance maladie. Les centres de vaccination sont dans des situations très diverses. Dans le cadre de l'acte II de la décentralisation ils ont fait l'objet d'une recentralisation : décentralisés au bénéfice des départements en 1982-1983, ils sont redevenus en 2004 de la compétence de l'Etat, même si certains départements ont souhaité en conserver la gestion. Le coût des vaccins qu'ils mettent à disposition n'est pas pris en charge par l'assurance maladie. Il est donc pris en charge par le budget des centres, et c'est parfois une limite à l'accessibilité des vaccins par leur biais, car certains sont très coûteux.
Le dispositif de vaccination paraît relativement inefficace sur certains types de populations, ou certains territoires. Les populations en situation défavorisée restent à l'écart de la vaccination. Les centres d'examen et de santé qui se sont orientés vers la prise en charge de ces populations ne sont pas autorisés à pratiquer la vaccination, cela pourrait pourtant être le moyen d'opérer un rattrapage ciblé. Si le taux de couverture des jeunes enfants est plutôt bon dans notre pays, le problème de la mise à jour des vaccinations pour les adolescents est lancinant : le dispositif actuel ne permet pas un bon suivi de leur situation vaccinale. Le service de santé scolaire pourrait peut-être aider à l'améliorer. Il existe, enfin, des disparités territoriales : les régions du Sud de la France sont moins bien couvertes. Cela appelle des politiques ciblées de prévention de la part des ARS : à l'exception du Limousin, les ARS n'ont pas fait de la vaccination une priorité de leur action.
La vaccination pose des problèmes spécifiques de communication : il s'agit de convaincre nos concitoyens qu'ils ont intérêt à se protéger individuellement pour protéger collectivement l'ensemble de la population, quitte à accepter, alors qu'ils sont en bonne santé, qu'on leur inocule un germe pathogène. Cela ne va pas de soi, et exige un effort de communication constant, surtout lorsqu'on sent que la confiance traditionnelle envers la vaccination s'érode. La politique de communication devrait être beaucoup plus active et continue, et beaucoup plus réactive : le discours anti-vaccinal qui se développe sur les réseaux sociaux doit y trouver une réponse. Les pouvoirs publics ont déjà été amenés à créer des cellules de veille sur internet, le temps d'une campagne de vaccination. Mais cette politique n'est ni continue, ni pérenne. La participation des industriels du vaccin aux campagnes de communication est un sujet controversé. Pour les médicaments, les fabricants sont par principe exclus de la promotion. Nous avons analysé les conditions dans lesquelles l'exception qui est faite pour les producteurs de vaccins est encadrée. Le Haut Conseil de la santé publique envisagerait favorablement une mutualisation des contributions des industriels des vaccins, mais la DGS craint qu'une telle mutualisation ne fasse disparaître les contributions ! Or, la politique de santé publique a très peu de moyens de communication, et la DGS estimait qu'elle pouvait difficilement se priver de la contribution des industriels du vaccin.
Notre rapport illustre bien les contradictions de la politique de prévention dans notre pays : volontariste, elle s'appuie sur des données peu établies qui en fragilisent les résultats. Elle manque souvent de cohérence et de continuité, est soumise à des pressions diverses... Bref, elle a besoin d'un nouveau souffle, et nous espérons que les seize recommandations que nous formulons pourront contribuer à le lui donner !
Mme Annie David , présidente . - Merci pour cette présentation très complète.
M. Georges Labazée , rapporteur . - Pourquoi cette défiance actuelle envers la vaccination ? Il y a quelques années, on vaccinait les enfants contre de nombreuses maladies, il y avait les piqûres pendant le service militaire... L'opinion publique, les familles, voyaient cela comme un acte de protection. Or aujourd'hui cela fait l'objet d'une répulsion. Pourquoi ? Comment peut-on y remédier ?
Les conclusions de votre rapport en appellent à une politique beaucoup plus ambitieuse. La loi de santé publique à venir pourrait-elle être le véhicule de dispositions qui iraient dans ce sens ?
Qui doit prendre en charge le coût de la vaccination ?
N'y aurait-il pas lieu de fusionner le comité technique de la vaccination et la Haute Autorité de santé ? Ils ont été conçus en 2004 par la même loi ...
M. Antoine Durrleman . - Il s'agissait de deux lois différentes, mais parallèles : l'une du 9, l'autre du 13 août 2004.
M. Georges Labazée , rapporteur . - Quel doit être, selon vous, le rôle des collectivités territoriales ? Les départements font un travail précieux dans le domaine de la protection maternelle et infantile, mais le suivi des enfants laisse à désirer, car la médecine scolaire fonctionne mal.
Les centres d'examen de santé de la sécurité sociale, qui ont une mission de prévention, ne pourraient-ils pas proposer des vaccinations ?
Mme Michelle Meunier . - Je remercie M. Durrleman de son exposé si précis. La politique de vaccination, comme toutes les politiques de prévention, a besoin de persévérance, de cohérence, et aujourd'hui d'un nouveau souffle. Le rendez-vous du service militaire n'existe plus. Les jeunes enfants sont correctement suivis, très peu de parents refusent de les vacciner, et les vaccins précoces sont efficaces jusqu'à l'âge scolaire. Mais c'est ensuite, au collège notamment, qu'il y a un vide. Les médecins généralistes, que les familles consultent régulièrement, ont leur rôle à jouer ; ils devraient systématiquement demander où en sont les vaccinations des enfants. Le suivi des adultes est encore plus difficile : plus on vieillit, plus on oublie les rappels.
M. René-Paul Savary . - Je félicite M. Durrleman de ses compétences médicales.
M. Antoine Durrleman . - Doctus cum libro !
M. René-Paul Savary . - Ce qui m'inquiète, c'est la complexité du calendrier de vaccination. Autrefois, dans le carnet de santé, une page était consacrée aux vaccinations, à renouveler tous les cinq ans. Depuis, certaines vaccinations sont devenues facultatives, le nombre et les délais des rappels varient, etc.
Des complications passées, à propos de l'hépatite B notamment, ont rendu la population rétive : il faut travailler à une prise de conscience. Il est vrai que la vie de certaines personnes a été bouleversée. Les supports de certains vaccins posent problème. Les médias ne parlent que des complications, jamais des vies sauvées grâce aux vaccins... Quant aux notices d'AMM, elles indiquent obligatoirement les contre-indications et complications éventuelles : on comprend que les gens soient effrayés...
La gratuité du vaccin contre la grippe pour certains publics n'a pas suffi à rendre le taux de couverture satisfaisant.
Mme Annie David , présidente . - C'est que les patients doivent payer une visite médicale pour se faire vacciner...
M. René-Paul Savary . - Rarement : beaucoup de médecins saisissent l'occasion d'une visite pour proposer une vaccination. La sécurité sociale fait d'ailleurs des efforts, puisque le taux de vaccination est pris en compte dans l'évaluation des médecins. Une meilleure communication n'est-elle pas nécessaire ?
Certains vaccins multiples, comme le tétagrippe, sont devenus introuvables. Les médecins ne sont pas avertis des changements de calendrier. Le suivi des jeunes enfants est satisfaisant, grâce à la PMI et aux services sociaux des départements, mais la médecine scolaire manque d'efficacité. Passé l'âge de cinq ans, un enfant n'est plus malade, il a développé des anticorps ; la surveillance médicale se relâche.
Vous avez dit que les départements tardaient trop à faire remonter les certificats de vingt-quatrième mois. Pourquoi ne pas dématérialiser la procédure ? On obtiendrait ainsi un reflet national de la situation.
M. Jacky Le Menn . - Je félicite à mon tour M. Durrleman. Je suis très surpris de voir que les spécialistes de médecine parallèle et autres charlatans savent très bien communiquer - une commission d'enquête se penche en ce moment sur le sujet, pour discerner d'éventuelles dérives -, tandis que les médecins de ville sont peu mobilisés sur la vaccination. Même les professionnels hospitaliers, que j'ai beaucoup fréquentés, sont réticents, alors que la vaccination est obligatoire à l'hôpital !
Vous avez proposé la nomination d'un chef de projet chargé de la vaccination dans chaque ARS, mais à qui s'adressera-t-il ? Il est difficile de parler à toute la population.
Mme Annie David , présidente . - En effet, la politique de vaccination a besoin d'un second souffle. Ne faut-il pas la clarifier ? Certains vaccins, naguère obligatoires, ne le sont plus ; on vaccinait systématiquement les collégiens contre l'hépatite B, on en est revenu... Dans ces conditions, on comprend les réticences des gens. Il faut les rassurer, en éclaircissant aussi le rôle des laboratoires pharmaceutiques : chacun doit être sûr que l'intérêt économique ne prévaut jamais sur l'intérêt médical. C'est en convaincant les gens de se faire vacciner que l'on évitera des épidémies.
M. Antoine Durrleman . - L'information et l'adhésion de la population sont en effet primordiales. Il est vrai que certains professionnels de santé tiennent un discours anti-vaccinal. Il n'entre pas dans les attributions de la Cour des comptes de dire si cela relève de procédures disciplinaires au sein de l'Ordre, voire de poursuites pénales... Toujours est-il que l'on accrédite ainsi des arguments fallacieux. La vaccination est d'intérêt général, elle assure notre protection collective et doit donc reposer sur la cohésion sociale. Au temps des ravages de la tuberculose, on parlait de « défense sanitaire » : la société s'estimait fondée à se protéger contre les épidémies. Mais aujourd'hui, le souvenir des grandes épidémies s'est effacé, sauf peut-être celui de la grippe espagnole.
M. Georges Labazée , rapporteur . - Et de la poliomyélite !
M. Antoine Durrleman . - La communication reste trop intermittente ; l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé a très peu de moyens. On dépense moins en France pour la prévention sanitaire que pour la sécurité routière ! Or de telles campagnes doivent être finement conçues, afin d'éviter le style moralisateur, être précédées et suivies d'essais. Comparées aux dépenses d'assurance maladie, les dépenses de prévention sont très faibles, et en leur sein la prévention est réduite à la portion congrue. En la matière, il faut un discours public de conviction.
Les médecins sont très vaccinés, les infirmiers très peu : cela montre qu'il faut aussi améliorer la protection des professionnels, considérés par la loi de 2004 comme un public prioritaire.
Quant à la prise en charge collective de la vaccination, il faut reconnaître que la gratuité des vaccins contre la rougeole ou la grippe n'a pas amélioré la couverture. Il n'est pas sûr qu'il faille dépenser davantage en ce domaine. Que tous les vaccins soient pris en charge à 65 % ne va pas de soi : certains pourraient l'être à 30 %, si l'on estimait que leur apport collectif ne méritait pas un taux de remboursement plus élevé. Cela dit, les vaccins ne coûtent que 400 millions d'euros par an, hors consultation ; c'est très peu, en comparaison des 167 milliards de l'assurance maladie.
Le rôle des institutions doit être clarifié : la HAS doit absorber le CTV, ou le CTV se voir transférer certaines compétences de la commission de la transparence. Les querelles d'experts en la matière ne sont pas de nature à favoriser la décision collective.
Les collectivités territoriales jouent un rôle important, non seulement en ce qui concerne la PMI, mais aussi par le biais des centres de santé entretenus par de nombreuses communes. En revanche, les communes auraient intérêt à regrouper leurs achats pour peser face à des firmes souvent monopolistiques. La Ville de Paris paie les vaccins en-dessous du prix de référence, d'autres communes les paient fort cher.
Pour mieux suivre la population après l'enfance, malgré l'extrême complexité des recommandations, un carnet de vaccination électronique serait précieux. Le carnet de santé des jeunes enfants est régulièrement mis à jour, mais par la suite il s'égare, se déchire, et l'on perd toute traçabilité. Ce carnet électronique pourrait être interfacé avec le dossier médical personnel. Les choses se mettent en place progressivement.
La dématérialisation du certificat de vingt-quatrième mois est en cours : j'ai pu le constater l'an dernier en examinant la politique de périnatalité. Elle simplifiera beaucoup la procédure.
Quant aux ARS, il leur appartient d'animer le réseau de prévention, puisqu'elles ont absorbé les anciens groupements régionaux de santé publique. Dans certains domaines, des campagnes régionales peuvent être utiles.
Mme Annie David , présidente . - Merci de vos réponses.
M. Georges Labazée , rapporteur . - Je vous propose d'entendre prochainement les représentants du CTV et de la HAS, ainsi que des industriels et des chercheurs.
M. René-Paul Savary . - Il faudrait aussi connaître l'avis des caisses de sécurité sociale.
M. Jacky Le Menn . - Et de l'Ordre des médecins.
M. Antoine Durrleman . - Ajoutez-y, si je puis me permettre, la direction générale de la santé.
M. René-Paul Savary . - Un an après la crise du H1N1, le taux de vaccination s'est effondré.
Mme Annie David , présidente . - En effet. La crédibilité de nos campagnes de vaccination est en cause.
M. René-Paul Savary . - D'autant que certains patients, effrayés par les contre-indications, exigent que les médecins prennent leurs responsabilités.
Mme Annie David , présidente . - Et ces derniers ont parfois peur des conséquences...
Audition du Pr Brigitte AUTRAN,
professeur des Universités-Praticien
hospitalier à l'hôpital
de la
Pitié-Salpêtrière (UPMC) et coordinatrice du réseau
Corevac (Consortium de recherches vaccinales)
Mme Annie David, présidente . - La Cour des comptes nous a exposé les conclusions de son enquête sur la politique vaccinale de la France le 5 décembre dernier. Le rapporteur que nous avons nommé sur ce sujet, M. Georges Labazée, a souhaité approfondir les principales problématiques liées à la vaccination. C'est à ce titre que nous recevons Mme le professeur Autran, qui est spécialisée en immunologie et vaccins. Vous exercez, Madame, à la Pitié-Salpêtrière, et vous êtes chargée d'animer le réseau Corevac, récemment créé pour coordonner les organismes publics de recherche dans le domaine de la vaccination.
Lors de la présentation de la Cour des comptes, nous avons abordé plusieurs questions générales, comme le débat sur le niveau de couverture de la population, ou la perception de la vaccination par le public et les professionnels de santé, du fait des interrogations sur la sécurité des vaccins. Nous souhaiterions vous entendre sur les enjeux de la vaccination, ainsi que sur les objectifs du réseau Corevac.
Mme Brigitte Autran, professeur des universités, praticien hospitalier à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (UPMC) et coordinatrice du réseau Corevac (Consortium de recherches vaccinales) . - Merci pour votre invitation. Je crois important qu'une institution comme le Sénat s'intéresse à la politique vaccinale. Je vais vous présenter la recherche française dans le domaine de la vaccinologie, et serai heureuse de pouvoir discuter avec vous, dans un second temps, de ses aspects sociétaux.
Une alliance des instituts de recherche en santé et sciences de la vie (Aviesan) a été créée il y a quelques années afin de développer la coordination sur des axes de recherches transversaux. L'un de ces axes, pathologie infectieuse et microbiologie, est confié à l'institut de microbiologie et de maladies infectieuses. Son directeur, le professeur Jean-François Delfraissy, ainsi que M. Syrota, qui dirige Aviesan, m'ont chargée de coordonner la recherche française sur les vaccins. Nous avons baptisé cette coordination Corevac : Consortium de recherche sur les vaccins.
Quels sont les défis de la recherche vaccinale au niveau mondial ? D'abord, nous devons affronter la croissance de populations nouvelles : le nombre de nouveau-nés, cible classique, augmente, ainsi que le nombre d'adolescents et celui de personnes âgées, deux groupes qui sont, de plus en plus, de nouvelles cibles. Puis le monde change, vous ne l'ignorez pas : les pays émergents et en développement ont un accès de plus en plus large aux vaccins, ce qui est très bien, mais aussi à la recherche, à l'innovation et à la production de vaccins, si bien qu'ils entrent en compétition directe avec les producteurs occidentaux. De nouvelles catégories de population vont devoir être vaccinées : personnes âgées, femmes enceintes, et aussi les immunodéprimés, dont le nombre augmente considérablement - les porteurs du VIH ont une espérance de vie de plus en plus longue. Il y a aussi l'usage des immunosuppresseurs pour les transplantations. De nouvelles maladies, enfin, menacent, dont certaines ne sont pas encore couvertes par des vaccins mais pourraient l'être demain : maladies infectieuses émergentes, cancers, mais aussi maladies qui ne sont ni infectieuses, ni tumorales, comme la maladie d'Alzheimer.
Où en est la recherche vaccinale dans le monde ? On est passé des vaccins vivants de Jenner à la fin du dix-huitième siècle aux vaccins atténués, puis inactivés de Pasteur, qui encore aujourd'hui protègent contre de très nombreuses maladies : variole, BCG, rougeole, oreillons, rubéole, fièvre jaune, polio, varicelle, grippe, rage, coqueluche, hépatite A... Puis sont apparus, au vingtième siècle, les vaccins subunitaires, qui reposent sur des fractions d'agents pathogènes et prémunissent contre le tétanos, la diphtérie - ils ont été inventés à l'institut Pasteur. Les adjuvants sont à l'origine d'un essor considérable de la vaccinologie, au point que la diphtérie a disparu des pays occidentaux, le tétanos ne s'y rencontre plus que rarement. A la fin du XX e siècle, de nouveaux vaccins dits conjugués ont été inventés, pour lutter par exemple contre des infections responsables de méningites très sévères. Les stratégies actuelles visent à induire une modification génétique des agents pathogènes : c'est la vaccinologie inverse, qui permet de développer de nouveaux vaccins contre la grippe, les rotavirus, les virus HPV.
Restent les « trois grands », VIH, tuberculose et paludisme. L'enjeu est de développer la vaccinologie structurale, notamment contre la bronchiolite, et d'augmenter l'immunité, l'acceptabilité et la sécurité vaccinales dans nos sociétés - c'est, de l'aveu même des scientifiques, un élément majeur.
Pour répondre à ces défis, il faut commencer par améliorer les vaccins existants pour les rendre plus efficaces sur les populations peu sensibles à des vaccins classiques, ou trop fragiles pour les supporter. Cela implique des recherches précliniques, sur les marques immunologiques de l'efficacité vaccinale, des recherches cliniques sur le développement de nouveaux vaccins et la sécurité vaccinale, et des recherches épidémiologiques sur l'efficacité de ces vaccins et sur les aspects sociétaux et économiques.
En France, la recherche vaccinale a longtemps été négligée car on considérait qu'elle relevait strictement du domaine de la politique industrielle : ce fut, en quelque sorte, la rançon de son succès ! C'est ainsi que depuis le vaccin contre l'hépatite B la France n'est à l'origine d'aucune découverte, aucun vaccin n'y a même été développé ou évalué. La recherche est très fragmentée : les équipes travaillent sur des pathogènes spécifiques, les uns sur la tuberculose, les autres sur la coqueluche... Mais il n'y a pas de liens entre elles. Certes, nous disposons de centres de recherches importants, tels que l'institut Pasteur, ou le BioPôle à Lyon, et de quelques universités, mais tout cela manque de visibilité sur le plan international - même si, au niveau européen, les Français sont présents dans les deux tiers des programmes et coordonnent un peu plus d'un quart d'entre eux.
Nous avons organisé en décembre 2011 un colloque pour dresser un tableau critique de la recherche vaccinale en France. Les acteurs de premier plan que nous avons alors réunis, MM. Plotkin (l'un des pères de la vaccinologie mondiale), Moatti, Lambert ou Duclos, sont tombés d'accord pour dire que la recherche française en matière de vaccin souffrait d'une trop grande fragmentation, d'un manque de visibilité, d'un financement peu satisfaisant. Des tables rondes ont été consacrées à des problématiques touchant les sciences humaines et sociales : perception de la balance bénéfices-risques, facteurs prédictifs de l'efficacité ou de la toxicité des vaccins, adjuvants, innovation... Des historiens de la science nous ont parlé de la perception française des vaccins, et le prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi de la recherche vaccinale sur le VIH. C'est de ce colloque qu'est né le Corevac, dont les missions sont d'interconnecter les acteurs multidisciplinaires de la recherche, instituts de recherche, participants aux programmes de santé publique, agences réglementaires, afin d'aider au développement de grands programmes de recherche vaccinale, incluant les questions sociétales, et de faciliter l'innovation vaccinale. La gouvernance de ce Corevac comprend un comité de pilotage, dont la composition reflète les différents aspects de cette recherche : clinique, avec le professeur Launay, santé publique, avec le professeur Perronne qui dirige la section des maladies transmissibles au Haut Conseil de santé publique, recherche fondamentale, avec les docteurs Combadière, Locht, Eliaszewicz et les sciences humaines et sociales, avec le docteur Verger. Le conseil scientifique fera appel en tant que de besoin aux responsables des grands instituts de recherche, à ceux des académies des sciences comme à celles de médecine et de pharmacie, ainsi qu'à des représentants des agences réglementaires, du Haut Conseil de santé publique, et à des experts internationaux. Corevac a commencé à se constituer au cours de l'année 2012, rassemblant des instituts de recherche fondamentale, l'institut de recherche et de technologie Bioaster qui relie Lyon BioPôle et l'Institut Pasteur, le réseau de recherche clinique Reivac ainsi que les organes de santé publique. Le nombre des participants, entre cent et deux cents, témoigne d'un grand enthousiasme pour cette initiative. La coordination existante de la recherche clinique sur les vaccins, menée par le professeur Launay à Cochin, regroupe un certain nombre de centres de recherche en France. Une plateforme de recherche fondamentale montée au CEA dans le cadre du grand emprunt développe des modèles animaux nécessaires au développement des vaccins.
Le Corevac se fixe comme tâche de réunir des chercheurs sur les grandes questions, parmi lesquelles l'amélioration de l'immunogénicité et de l'acceptabilité vaccinale. Des réunions ont eu lieu en 2012 sur les adjuvants, une autre aura lieu bientôt sur les stratégies alternatives d'immunisation, par voie muqueuse, cutanée... Corevac veut également aider à la création de plateformes de vectorologie, d'immunologie, pour aider la recherche fondamentale ; et nous entendons aider à connecter les chercheurs français aux programmes internationaux, ils le sont déjà aux programmes européens, et en particulier à l'European vaccine initiative dirigée par Mme Leroy.
On a des exemples de grandes cohortes, celle de 20 000 enfants par exemple, constituée grâce aux crédits du grand emprunt, ou celles de la Cnam : Corevac souhaite les utiliser pour étudier des questions sociétales, comme la perception des vaccins. La recherche en sciences humaines et sociales constitue un maillon essentiel de la recherche vaccinale, or elle a trop souvent été négligée en France.
M. Georges Labazée, rapporteur . - Merci pour votre exposé passionnant. Les auditions précédentes nous ont montré combien le regard porté par l'opinion publique sur le vaccin avait évolué. La vaccination est de plus en plus contestée - phénomène auquel internet n'est sans doute pas étranger, car de nombreuses contre-vérités y circulent sans contrôle. Est-il possible de fabriquer des vaccins sans adjuvants ? L'industrie vaccinale ne pèse-t-elle pas fortement en amont sur la recherche ? Quelle méthode préconiseriez-vous pour que les populations à risque acceptent de se faire vacciner ? Quelle doit être la part de la puissance publique dans cette incitation ? Quelles sont les avantages de la vaccination par rapport à d'autres stratégies de prévention ?
A mesure que nous avançons dans la préparation de notre rapport, le monde de la vaccination nous apparaît comme très complexe : beaucoup d'autorités, de hautes autorités, certaines relevant directement du ministère de la santé, d'autres indépendantes... Il y a la recherche en amont, les applications. Nous avons parfois du mal à démêler l'écheveau !
Comment devons-nous organiser la coopération avec les pays en développement ? Au Cambodge, par exemple, le vaccin est considéré comme un élément majeur de politique de santé en direction des enfants.
Mme Brigitte Autran . - En France, on observe une désaffection à l'égard de la vaccination. Dans les pays en développement, les politiques vaccinales se voient reconnaître une importance majeure. La différence est simple : la plupart des maladies infectieuses visées par les vaccins ont disparu de France, et la perception de leur danger a disparu de la société française. Pourquoi se vacciner contre la diphtérie par exemple, puisqu'elle n'existe plus ? Mais la diphtérie existe dans le monde ! Si l'on voyage il faut être vacciné contre cette maladie mortelle. Les Cambodgiens la connaissent comme telle et il ne leur vient donc pas à l'esprit de contester la vaccination... Une des raisons essentielles de la désaffection de la population française par rapport au vaccin est la variation de la balance entre risques et bénéfices perçus. Il faut donc rappeler, sans brandir de menaces, que le risque infectieux existe bel et bien, et qu'on ne peut écarter la possibilité d'une épidémie. Ainsi la rougeole a été réintroduite en France par divers mécanismes.
On ne saurait se contenter d'asséner des affirmations sur la nécessité de se faire vacciner. Il faut aussi mieux comprendre les mécanismes du refus, grâce à des recherches en sociologie notamment. La France est en retard dans ce domaine, elle se place loin derrière des pays comme le Canada, les Etats-Unis ou les pays du nord de l'Europe. Et les chercheurs, comme les industriels, sont d'accord pour dire qu'il est inutile de développer de nouveaux vaccins si l'adhésion de la population à leur utilisation n'est pas meilleure. Il faut convaincre que les vaccins conservent un bénéfice important même si le risque d'être affecté par une maladie infectieuse a considérablement diminué. Il serait utile de réévaluer les risques d'effets secondaires, à travers de nouvelles recherches qui mettront en lien des cliniciens, des agences réglementaires mais également des concepteurs de vaccins.
La question des adjuvants est presque une fausse question. Un vaccin qui n'a pas besoin d'adjuvant est un vaccin qui a, en lui-même, les moyens d'activer le système immunitaire. Les premiers vaccins étaient constitués d'agents pathogènes entiers, mais aujourd'hui on injecte des extraits seulement. Lorsque ces composants sont trop purs, cependant, ils perdent leur pouvoir de protection. Il est alors nécessaire d'employer des adjuvants. Corevac s'intéresse aux stratégies possibles pour minimiser leur poids, tout en conservant leur capacité de stimulation du système immunitaire.
Mme Catherine Génisson . - Est-il ridicule d'évoquer, dans ce débat, la bilharziose ? La difficulté de la population française à accepter le vaccin n'est-elle pas le corollaire d'un manque de lisibilité de la politique vaccinale ? Comment la puissance publique pourrait-elle se réapproprier le sujet ? Je rappelle que toute intervention médicale a une balance bénéfices-risques.
M. René-Paul Savary . - Médecin généraliste, j'ai vécu des campagnes de vaccination. C'est vrai que le problème médiatique est terrible. Quelques complications et tout est bloqué. On l'a vu avec le H1N1 : le taux de vaccination contre la grippe, après cet épisode, a été très faible. Trop de vaccin tue le vaccin. Il faut commencer par faire en sorte que l'existant soit véritablement appliqué. La prévention et le dépistage ne sont pas bien acceptés en France. Comment changer cela ?
Faites-vous également des recherches sur la vaccination animale ? Les campagnes de vaccination des animaux modifient complètement les populations, comme on l'a vu lorsqu'on a vacciné les renards contre la rage. Enfin, où en sont les recherches sur la vaccination contre la maladie d'Alzheimer ?
Mme Chantal Jouanno . - Que veut dire immunogénicité ? Prend-on en compte, dans les programmes de recherche, la possible évolution des épidémies à cause du changement climatique ? Des épidémies qui étaient cantonnées au sud de la Méditerranée pourraient nous concerner demain.
Est-il prévu, pour lutter contre la désinformation, de mettre en place sur les réseaux sociaux une information à la fois transparente et validée par la communauté scientifique et universitaire ?
Mme Brigitte Autran . - L'immunogénicité - pardon pour le jargon ! - est la capacité à induire de fortes défenses immunitaires. Il existe, bien sûr, des travaux de recherches importants sur la bilharziose, conduits en particulier par des équipes françaises. Il n'y a pas encore de vaccin contre Alzheimer, mais il y a des stratégies d'immunisation, des essais cliniques, des actions contre ces agrégats de protéines et de phospholipides responsables de la maladie d'Alzheimer.
La France est un des pays qui connaît la plus grande crise dans la perception de la vaccination ; c'est aussi l'un de ceux où la puissance publique est intervenue de la façon la plus forte dans le domaine de la vaccination. On peut faire un lien...
Il est nécessaire d'informer et de former. J'appelle le Sénat à agir pour qu'il y ait un enseignement sur cette question à l'école : la vaccination est un capital extraordinaire donné aux enfants, il ne faut pas le négliger ! Il faut former les enseignants, sur la vaccination comme sur la notion de prévention. Or la puissance publique comme la puissance médicale françaises n'ont jamais été convaincues de l'importance de la prévention, contrairement à ce qu'on observe dans les pays du nord de l'Europe. Même en faculté de médecine et de pharmacie, la vaccination doit être mieux enseignée. C'est un trésor que Jenner et Pasteur nous ont légué, un bien public à faire fructifier. Evitons toute politisation du discours : les différentes interventions ministérielles dans le domaine du vaccin, depuis la vaccination contre l'hépatite, en passant par le catastrophique épisode H1N1, ont toutes eu un effet négatif. Dans les autres pays, la vaccination ne fait pas comme chez nous l'objet d'interventions politisées !
Mme Annie David, présidente . - Vous n'avez pas répondu à la question sur la vaccination animale. Et comment lever la crainte qui s'est installée par rapport à la politique vaccinale ? Nous avons tous entendu parler des problèmes liés à la vaccination contre l'hépatite B, qu'ils soient réels ou non.
Mme Brigitte Autran . - En ce qui concerne les animaux, il y a un concept promu par l'OMS et les grandes agences internationales, qui est celui de global health : une seule santé pour l'homme et l'animal dans le monde. Mais le champ de la recherche vaccinale humaine est déjà si vaste que Corevac ne pouvait pas développer en même temps ces aspects vétérinaires. Aviesan cependant veut connaître des deux aspects, santé humaine et santé animale.
Le lien imaginé entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques est spécifiquement français, il n'existe nulle part ailleurs. Chaque pays a son problème psychologique propre vis-à-vis de la vaccination : les Anglais ont accusé à tort le vaccin contre la rougeole d'être responsable de l'autisme, les Américains portent les mêmes accusations sur les adjuvants à base d'aluminium - auxquels on impute en France la responsabilité d'une maladie extrêmement rare, la myofasciite à macrophages, alors que l'ensemble de la population est vaccinée avec de tels adjuvants. Chaque pays déclenche ses propres fantasmes vis-à-vis du vaccin...
La France n'est pas en queue de peloton pour la première ligne de vaccination : les bébés français sont très bien vaccinés. Les familles sont donc conscientes du fait qu'il faut protéger les enfants. C'est pour les plus grands que le problème se pose - la société a perdu ses repères.
Mme Catherine Procaccia . - Vous évoquez l'information à l'école, mais l'exemple ne devrait-il pas être donné par la population médicale ? Certains médecins ou pédiatres dissuadent de vacciner les enfants et seulement 15 % du personnel des hôpitaux se fait vacciner contre la grippe...
Pour montrer l'utilité des vaccins, peut-être faudrait-il une grosse épidémie...
Mme Catherine Deroche . - Y a-t-il une corrélation entre la difficulté à recruter dans les secteurs de la prévention (médecine scolaire, médecine du travail) et le mauvais suivi de la vaccination des enfants en secteur scolaire, ou des adultes ensuite ?
M. Jean-Noël Cardoux . - Du point de vue financier, j'ignore comment les vaccins sont remboursés...
M. Georges Labazée, rapporteur . - Ils le sont tous à 65 %, c'est un système assez uniforme.
M. Jean-Noël Cardoux . - Y a-t-il eu des études comparées de la Cnam sur le taux de retour d'une prise en charge du vaccin par rapport au coût des pathologies développées par ceux qui n'ont pas accepté la vaccination ?
Mme Colette Giudicelli . - Tous les vaccins sont-ils remboursés ?
Mme Brigitte Autran . - Seulement s'ils sont recommandés.
Mme Colette Giudicelli . - Qui financerait la formation qu'à juste titre vous préconisez ? Y a-t-il un problème d'argent ?
M. Georges Labazée, rapporteur . - Nous allons auditionner tout à l'heure le directeur de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, il pourra vous répondre.
M. Gérard Roche . - Comment bloquer la désinformation croissante, qui se répand même dans les milieux sociaux les plus élaborés ? Nous, médecins, avons aussi noté dans le passé que les hommes étaient mieux vaccinés que les femmes, grâce au service militaire. Je suggère donc que quelques minutes soient consacrées, pendant la journée d'appel et de préparation à la défense, à faire un point sur la vaccination.
M. Bernard Cazeau . - Le problème est lié à certaines peurs, en particulier concernant le vaccin contre l'hépatite B. Je connais un cas, sans doute fortuit, où une sclérose en plaques est apparue après le vaccin...
Mme Brigitte Autran . - Vous avez raison : les médecins sont eux-mêmes trop peu convaincus de l'importance de la vaccination et c'est d'abord en faculté de médecine et de pharmacie qu'il faut améliorer l'information, renforcer la formation à la prévention. La santé publique a toujours été considérée comme la dernière roue du carrosse dans le monde de la médecine, c'est une erreur ! Quant à l'enseignement scolaire, il intègre l'éducation sexuelle, à juste titre ; il doit de même réserver une place pour une information sur la vaccination. La rougeole reste la première cause de mortalité infantile dans le monde...
Il y a là un enjeu de santé publique, mais le numerus clausus est tel que l'on manque désormais de médecins pour aller dans les écoles, comme pour la médecine du travail. Sans compter que les salaires ne sont guère attrayants.
La recherche vaccinale est insuffisamment financée, parce que l'on a longtemps considéré qu'elle relevait du domaine industriel, je l'ai dit. Si bien que nous sommes, aujourd'hui, très largement dépendants de l'Europe.
Les recommandations vaccinales prennent en compte l'aspect financier. Dans le cas du vaccin contre les HPV responsables des cancers du col de l'utérus, la question économique, c'est-à-dire le gain à en attendre pour la société, a pesé. Et s'il n'y a pas eu de recommandation pour le vaccin contre le rotavirus, responsable de la gastroentérite, c'est bien parce que le bénéfice économique pour la société a été jugé insuffisant.
Lorsque la puissance publique a rendu obligatoire le vaccin contre l'hépatite B, toute la population a été vaccinée... Une association a été faite avec la sclérose en plaque, maladie inflammatoire. Pourquoi ? Notons que l'obligation vaccinale est une particularité française - dans tous les autres pays européens, on considère que la recommandation suffit. Or l'obligation peut créer une réaction de rejet.
Mme Catherine Génisson . - Après la controverse sur la sclérose en plaques, n'a-t-il pas été proposé de modifier la population cible ?
Mme Brigitte Autran . - Oui, mais il reste que nous avons été les seuls à imposer la vaccination. Quand est survenue la crise, il a fallu faire marche arrière... au risque d'ancrer dans la population l'idée qu'il y avait sans doute danger, puisqu'on levait l'obligation. Si bien que notre taux de vaccination contre l'hépatite B est de 30 % à 40 % inférieur à ce qu'il est chez nos voisins.
J'espère que je vous aurai convaincus de l'intérêt de la vaccination pour la santé publique.
Mme Annie David, présidente . - La question restant celle des moyens d'atténuer les craintes de la population... Nous vous remercions.
Audition de M. Dominique
MARANINCHI,
directeur général de l'Agence nationale de
sécurité
du médicament et des produits de santé
(ANSM)
Mme Annie David, présidente . - La Cour des comptes s'est inquiétée de l'effritement du consensus sur la vaccination, relevant que les interrogations sur le rapport bénéfices-risques se sont accrues ces dernières années. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) étant en prise directe avec ce problème, nous avons souhaité vous entendre.
M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'ANSM . - Les vaccins obéissent à une relation bénéfices-risques qui doit être régulièrement réexaminée. Cela est le cas de tout médicament, mais les vaccins sont des médicaments particuliers parce qu'ils sont destinés à prévenir la maladie et administrés à des sujets sains. Sont en cause les maladies infectieuses transmissibles. Le risque épidémique fait des ravages dans le monde : il ne connaît pas les frontières et la prévention, pour être efficace, doit se déployer non sur le seul territoire national, mais bien à l'échelle mondiale.
Une cinquantaine de vaccins sont sur le marché en France, qui changent comme changent les virus et gagnent en sophistication. Ils sont faits pour prévenir vingt-cinq maladies ou groupes de maladies et éviter leur propagation épidémique. Fruit des progrès du XX e siècle, le vaccin, s'il est vrai qu'il suscite tout à la fois attentes et aversion, n'en apporte pas moins un bénéfice majeur à l'individu et à la société. L'objectif, porté par l'OMS, est d'éradiquer les maladies visées. C'est le cas de la poliomyélite, qui devrait avoir disparu en 2017.
Comment est assurée la sécurité des vaccins, en France et en Europe ? Ce sont des produits très particuliers puisqu'entre dans leur composition une culture de l'agent infectieux, ou de sa toxine, injectée pour provoquer une réaction immunitaire qui protège durant un temps déterminé. Les normes de sécurité doivent donc être très rigoureuses. Au stade de la production, deux dispositions sont prévues par la loi. En premier lieu, l'inspection régulière des sites par les autorités de contrôle nationale et européenne. J'ajoute qu'existe une reconnaissance mutuelle entre inspections américaines et européennes, pour mieux prévenir toute dérive, sachant que les risques sanitaires qui pourraient en résulter sont considérables. En second lieu, à la différence des autres médicaments, aucun vaccin n'est libéré sans vérification préalable de chaque lot. Et l'obligation vaut à l'échelle européenne. En France, l'ANSM fait contrôler chaque lot et vérifie les procédures de contrôle. Ainsi, aucun vaccin n'est libérable sans que l'usine ait été inspectée et le lot contrôlé. Ceci pour assurer la sécurité bactériologique du produit, déterminante. Auparavant, l'autorisation de mise sur le marché a constitué un premier verrou. La firme, pour l'obtenir, doit avoir démontré que le vaccin entraîne une réaction immunitaire contre la maladie visée et que cette protection est bien garantie par le mode d'utilisation préconisé. Une fois autorisé, le vaccin est commercialisé et distribué, le plus souvent à l'échelle européenne, car on s'achemine vers l'uniformisation.
Ensuite, la population vaccinée est surveillée. Il s'agit de dépister d'éventuelles toxicités. Cette surveillance repose sur trois piliers. D'abord, le recueil obligatoire des événements imprévisibles par les firmes, qui doivent produire, périodiquement, à l'échelle nationale, européenne et mondiale, les données d'exposition et les effets secondaires repérés. Le système de pharmacovigilance, ensuite, soit la déclaration spontanée par les professionnels de santé mais aussi par les usagers des événements indésirables, attendus ou non. Pour les professionnels de santé, cette déclaration auprès des centres régionaux est obligatoire. Troisième pilier, la réalisation d'études sur cohortes relativement aux effets secondaires. L'ensemble de ces données permet de corriger les modes d'utilisation du vaccin, voire de suspendre ou retirer l'autorisation.
Comment les vaccins sont-ils composés ? Pour certains agents infectieux, la culture de toxine suffit à assurer une protection. Mais il peut être nécessaire d'y ajouter des adjuvants, pour en assurer la stabilité et garantir une réaction immunitaire pérenne. Le débat à propos des vaccins tend à se déplacer sur la question des adjuvants, comme sur les excipients des médicaments. Et c'est bien l'ensemble qui est évalué, donc également la performance des adjuvants. Depuis 1995, les producteurs sont tenus d'élaborer pour chaque vaccin un plan de gestion des risques.
Les inquiétudes que suscitent les vaccins sont imputables à plusieurs facteurs. Une attitude égocentrique peut conduire à considérer que les autres étant vaccinés, on peut soi-même s'en passer. Mais c'est ignorer les circulations. Voyez la réapparition de l'épidémie de rougeole et les morts qu'elle a provoquées. En se vaccinant, on se protège en protégeant les autres, il faut le dire et le répéter. Notre rôle est d'éclairer, pour lever doutes et inquiétudes. Se pose également la question des effets à long terme de la vaccination. Il existe des maladies du système immunitaire, or c'est bien une réaction du système immunitaire que provoque le vaccin : pourrait-il y avoir un lien ? Il convient de s'interroger. Vient, enfin, un autre déterminant : alors que la France est le pays de naissance de la vaccination, la sensibilité de la société française au vaccin est particulièrement vive. Nous devons donc être d'autant plus attentifs à la transparence. Lorsque nous nous interrogeons, il faut rendre public le résultat de nos réflexions, comme celles que nous avons menées sur la vaccination contre les HPV.
Je conclurai en rappelant que le vaccin est un bien majeur pour la santé. Il faut se protéger.
M. Georges Labazée, rapporteur . - Je vous remercie de votre exposé. J'ai été sensibilisé par un habitant de mon département à la question de la présence d'aluminium dans certains vaccins, qui a défrayé la chronique. Les craintes se sont-elles apaisées ? Formulez-vous des préconisations particulières pour les vaccins destinés aux enfants ? Certains vaccins peuvent ne pas être tolérés, ce qui vaut contre-indication. Où en est la recherche sur ces questions ? En dépit d'un contrôle très pointilleux en amont, certaines autorisations de mise sur le marché ont dû être retirées récemment. Quel en est le motif ? Les structures responsables en matière de vaccination sont nombreuses. Sans doute sont-elles toutes utiles, mais sont-elles toutes nécessaires ? Il est vrai que le législateur pourrait faire preuve de plus de vigilance : n'avons-nous pas, en 2004, créé deux organismes dont les missions se rejoignent ?
M. Dominique Maraninchi . - La préoccupation sur le composant aluminium est ancienne. Mais des centaines de milliers de personnes ont été vaccinées de par le monde avec des produits contenant de l'aluminium. C'est récemment, à la fin des années 1990, que les travaux d'un chercheur français, publiés dans une revue internationale, ont décrit une maladie musculaire inflammatoire, la myofasciite à macrophages, mise en évidence par l'examen anatomopathologique. La biopsie décèle la présence d'un granulum contenant de l'aluminium au lieu de la piqûre. La réaction inflammatoire serait-elle responsable d'une maladie, ou d'un syndrome dont la communauté internationale s'accorde à penser qu'elle reste mal définie ? Telle est la question. Pour l'heure, l'ANSM, l'Agence européenne du médicament et la Food and drug administration procèdent chaque année à un arbitrage bénéfices-risques et ont autorisé, jusqu'à présent, l'utilisation de ces vaccins. Reste que la vigilance doit s'exercer, pour déceler de possibles nouveaux effets secondaires. C'est pourquoi nous soutenons le développement des connaissances sur l'éventuelle toxicité liée à la présence d'aluminium dans les vaccins. Tous les cas déclarés au niveau national, européen et mondial sont examinés.
Nos systèmes de vigilance sont fragiles. Le principal vecteur en est la déclaration, qui reste rare. La collectivité doit développer la recherche. On a reproché à l'ANSM de n'avoir pas soutenu les travaux du professeur Gherardi, mais il faut savoir que notre mission n'est pas celle-là, elle consiste plutôt à aider les chercheurs à participer aux appels à projets. Nous avons reçu les membres de l'association de Romain Gherardi, ses recherches vont être soumises à l'examen d'autres chercheurs, dans le cadre d'un programme qui sera piloté par l'Inserm et qui pourra compter sur les crédits d'un fond d'intervention ad hoc. Vigilance, écoute, stimulation des programmes de recherche : tel est le coeur de notre mission. La myofasciite à macrophages, à la différence de la sclérose en plaques, n'est pas reconnue comme une maladie. Le danger pour la population n'est pas caractérisé, sinon nous n'autoriserions pas le produit. Ces vaccins sauvent des milliers de vies, il ne faut pas l'oublier.
Nombreux sont les vaccins destinés à être administrés aux enfants. Nous assurons des études et une surveillance particulières. Les effets protecteurs sont très rapidement observables, comme on l'a vu, a contrario, pour la rougeole, où le recul de la vaccination a bientôt provoqué un réveil de la maladie, avec des cas mortels.
J'en viens à la question des intolérances. Tout produit a ses indications et ses contre-indications. Mais le fait est que certaines personnes ne peuvent se protéger du fait de leur intolérance à un composant. Le virus de la grippe se développe sur les protéines de l'oeuf, que certains patients ne tolèrent pas. Un vaccin nouveau a été produit, qui se passe de ce support. La production des vaccins antigrippaires est complexe, elle se fait à grande échelle, mondialisée.
Il ne m'appartient pas de juger de « l'empilement des organismes » ; mais j'insiste sur notre responsabilité. Donner un avis est une chose, prendre la responsabilité d'autoriser ou d'interdire un vaccin, comme le fait l'ANSM, en est une autre. Et la surveillance ne s'arrête pas à l'autorisation de mise sur le marché, laquelle peut être modifiée, ou retirée comme ce fut le cas pour le vaccin contre le rotavirus, en raison d'un taux important d'invaginations intestinales aiguës induites, repérées grâce au réseau européen de vigilance, car l'observation, je l'ai dit, ne se limite pas au territoire national.
La variété des produits permet de répondre au mieux aux besoins des prescripteurs. Les autorités médicales sont là pour faire des recommandations de bonnes pratiques - ce n'est pas parce qu'une AMM est délivrée que le produit doit être utilisé dans tous les cas. En matière de vaccination, le Haut Conseil de la santé publique définit les politiques nationales. Nous fournissons des données au régulateur pour l'aider à prendre ses décisions.
Mme Annie David, présidente . - Sans doute, mais s'il existe cinquante autorisations de mise sur le marché pour vingt-cinq maladies, comment le patient peut-il s'y retrouver ? Comment faire confiance au choix de son médecin, et comment ce dernier se détermine-t-il ? Comment ne pas avoir de doutes sur un laboratoire qui vante l'efficacité de son produit, au vu des intérêts financiers en jeu ? A l'heure d'internet, enfin, comment lever les possibles craintes de la population ?
Un mot sur le système de pharmacovigilance : comment être sûr que le volet déclaratoire fonctionne et que l'information remonte réellement ? Car on a vu que ce ne fut guère le cas pour les pilules de troisième et quatrième générations.
M. Dominique Maraninchi . - La variété, encore une fois, a ses avantages. Nous vivons dans un système fragile. Un produit peut venir à ne plus être fabriqué ; qu'il en existe plusieurs pour une même indication est un élément de sécurité. Je peux comprendre que la population s'inquiète de la coexistence de plusieurs vaccins contre la grippe mais c'est, au vrai, une bonne chose. C'est la responsabilité du médecin que de choisir le produit le mieux adapté à la singularité de son patient. Sur quelles recommandations s'appuie-t-il, me demandez-vous. Il est vrai qu'il peut être lourd de prendre connaissance de toutes les études, d'où la nécessité qu'existe une autorité capable d'émettre des recommandations. C'est le cas de la Haute Autorité de santé.
Grâce à divers produits, on parvient à toucher toutes les tranches de la population, je pense aux vaccins contre la grippe. On limite les ruptures de stock. Quand un produit cesse d'être fabriqué, la compétition peut être vive entre pays pour se constituer des stocks, d'où l'importance d'une coordination européenne, voire mondiale. Quant au choix du médecin, dès lors qu'il a la garantie qu'un produit est sûr et qu'il le prescrit dans le respect de ses indications, c'est en son âme et conscience qu'il le prescrit.
Les déclarations spontanées ne sont, je le répète, qu'un élément du système de pharmacovigilance. Il faut en ouvrir au maximum la faculté, mais elles ne seront jamais exhaustives. Ce volet sentinelle est nécessaire, pas suffisant. Nous nous appuyons aussi sur les études post-AMM. Reste que la faculté de déclarer donnée par le législateur aux usagers en juillet dernier est importante. Le système mériterait sans doute d'être simplifié, mais l'information qui remonte des usagers est aussi bonne que celle fournie par les professionnels. On l'a vu pour la pandémie grippale. Et les centres régionaux de pharmacovigilance ont aussi obligation de déclarer et de publier.
Mme Marie-Thérèse Bruguière . - C'est le propre de tout médicament que de présenter des avantages et des inconvénients. Voir l'aspirine. Les vaccins n'échappent pas à la règle. Si pour les enfants, les pédiatres ont bien conscience de l'importance de la vaccination - et l'on a vu, avec la rougeole, les conséquences que peuvent avoir les réticences des parents - on peut se demander, en revanche, pourquoi les populations actives ne sont pas plus étroitement suivies. J'ai travaillé en milieu hospitalier : les contrôles de vaccination y étaient systématiques pour le personnel. Aujourd'hui, il n'en est même plus question. Le ministère de la santé ferait bien d'y réfléchir. D'autant qu'un meilleur suivi, voire une obligation, éviterait des hospitalisations onéreuses.
Mme Catherine Génisson . - On a assisté au combat de deux laboratoires pour la vaccination contre le cancer du col de l'utérus. L'ANSM a-t-elle été entendue par le ministère de la santé sur ce sujet ? Et sur la nécessité de remettre la politique vaccinale au premier plan ?
M. Dominique Maraninchi . - La politique vaccinale relève de la décision du gouvernement. Notre responsabilité est de garantir la sûreté des vaccins. L'engagement de l'Etat doit être garanti par une autorité indépendante.
Le monde a changé. On est noyé, sur internet, par les opinions contradictoires des médecins. L'exigence première est que les produits soient sûrs. Le législateur a également instauré, dans la loi du 29 décembre 2011, un meilleur contrôle de la publicité - c'est une spécificité française. Nous sommes habilités à interdire la publicité pour certains vaccins, si nous le jugeons préférable.
L'obligation de vaccination fait depuis longtemps l'objet d'un débat collectif. Notre mission est de garantir la protection individuelle et collective. Nous travaillons sous la tutelle de la direction générale de la santé, qui coordonne les politiques de santé. Lutter contre le buzz exige de nous plus de transparence, plus d'information, afin que les arbitrages soient réalisés en connaissance de cause. Nous devons nous montrer davantage proactifs !
Le vaccin contre les HPV ? Là encore, tout tient dans la relation bénéfices-risques. Chaque maladie, chaque produit est particulier. Un vaccin, qui vise à prévenir le stade précancéreux du col de l'utérus, a été autorisé. Reste que la notion de bénéfice est difficile, dans un tel cas, à démontrer, car elle apparaîtra dans longtemps. Nous savons aussi qu'il est beaucoup d'autres cancers liés aux HPV - de la bouche, de la gorge, comme les Etats-Unis l'ont récemment mis en lumière. Ces vaccins doivent donc être surveillés avec attention. Car il faut songer au risque de modification de l'écologie virale. Renforcer la protection contre certains groupes de HPV peut favoriser la virulence d'autres groupes. Dépister ou prévenir ? C'est là un autre débat. La prévention est autre chose que le dépistage précoce. Il est bon, en revanche, d'interdire la publicité pour ces vaccins, car elle est susceptible de perturber l'objectivité du regard et de rendre un produit utile détestable pour avoir été inadéquatement présenté.
Mme Catherine Génisson . - Il n'y a donc pas de recommandation sur cette vaccination ?
M. Dominique Maraninchi . - Pas à ce stade. Le comité technique des vaccinations statue périodiquement.
Mme Colette Giudicelli . - Je connais beaucoup de mères qui font vacciner leurs filles. S'il existe un risque, on ne peut se contenter de ne pas recommander, il convient d'interdire.
M. Dominique Maraninchi . - A ce compte, tous les produits le seraient, car tous comportent des risques. Le comité des vaccinations n'a pas pris position sur cette question, à la différence des Anglais, qui ont une forte culture de la prophylaxie et ont décidé de vacciner toutes les filles. Peut-être dans quelques années verrons-nous en Angleterre reculer ces cancers. En France cependant, le vaccin est recommandé dans le carnet vaccinal.
Mme Annie David, présidente . - Distinction bien confuse pour les non-initiés.
M. Dominique Maraninchi . - Ce n'est pourtant pas la même chose qu'une recommandation faite à toute la population de se faire vacciner.
Mme Colette Giudicelli . - Voyez ce qui s'est passé pour l'hépatite B. Peut-être, dans quinze ans, découvrira-t-on des effets indésirables au vaccin contre les HPV. C'est angoissant.
M. Dominique Maraninchi . - Les biens de santé sont là pour faire du bien. Il faut certes parler des risques, mais avec lucidité et modération. On ne peut afficher seulement les risques. L'aspirine peut tuer, mais pour des millions de personnes, ses bénéfices sont énormes.
Mme Annie David, présidente . - Un mot sur les pilules de troisième et quatrième générations ?
M. Dominique Maraninchi . - La contraception est un bien pour toutes les femmes, il faut la préserver. Les pilules contraceptives, en grande variété, ont évolué dans le temps. Elles contiennent, par nature, des hormones destinées à bloquer l'ovulation tout en stimulant au mieux l'équilibre hormonal, qui varie selon les femmes, d'où l'existence de pilules monophasiques, biphasiques ou triphasiques. La quantité des oestrogènes, qui ont des effets secondaires importants, a diminué avec le temps. Chaque pilule est le fruit d'un équilibre très sophistiqué entre les deux hormones, d'où la variété des produits, faite pour répondre à toutes les spécificités féminines. On parle, à tort, de « génération », ce qui peut laisser croire que la dernière serait la meilleure, alors qu'il s'agit, en réalité, de compositions différentes.
La surveillance sur ces produits, qu'utilisent 5 millions de Françaises, vise le rapport bénéfices-risques et la tolérance. Il est des risques communs à toutes les pilules, comme le risque vasculaire artériel. Le risque de thrombose veineuse, qui dans 1 % à 2 % des cas peut entraîner un événement fatal, est, en revanche, deux fois plus élevé avec les pilules de troisième et quatrième génération. A la différence du Mediator, ces pilules sont commercialisées dans tous les pays du monde. Dans les dernières évaluations, qui datent de 2011, les risques ont été rappelés.
Pourquoi prescrire ces pilules ? C'est là qu'intervient l'effet d'image : on a observé dans plusieurs pays une surprescription des pilules de troisième et quatrième générations. Au Danemark, en janvier 2012, l'agence de santé a dû recommander de ne pas les prescrire en première intention. En France, plus de 50 % des femmes prennent ces pilules, ce qui est beaucoup trop. Nous devons donc peser sur la prescription, de deux manières : nous avons écrit des lettres aux prescripteurs et ouvert des points d'information. L'ANSM doit pouvoir communiquer des mises en garde directes aux médecins, en leur transmettant des informations pour qu'ils veillent à prévenir les risques thromboemboliques.
Pour autant, cela ne doit pas remettre en question la pilule : l'effet serait dramatique ! En Angleterre, les doutes sur la pilule ont conduit à une augmentation du nombre d'IVG qui fut une véritable catastrophe sanitaire. La ministre a établi, en une semaine à peine, une feuille de route pour éclairer la population, restreindre les conditions de prescription, éventuellement suspendre l'utilisation à court terme, et lancer un arbitrage juridique européen. La ministre pose la question de la conformité des prescriptions aux termes de l'AMM. Elle a également demandé une remise en question du système de vigilance, trop obscur. Il est vrai que la loi de décembre 2011 n'est pas encore pleinement appliquée. Le conseil d'administration de l'ANSM a tenu sa première réunion le 26 octobre dernier, validant à cette occasion le nouveau cadre de mise en oeuvre des actions de vigilance et de surveillance. Nous sommes dans une personne charnière de reconstruction de la confiance dans les systèmes de vigilance. Les décisions claires, prises rapidement par la ministre, sont bienvenues. Les premières orientations vont être suivies de tout un train de mesures.
Mme Annie David, présidente . - Le débat sur la contraception offre un double aspect : la contraception est une avancée indéniable pour les femmes, qui maîtrisent ainsi leur corps et leurs grossesses. Mais pourquoi rattacher la contraception à des problèmes de santé spécifiques aux femmes ?
Le choix du terme « génération » est effectivement malheureux, car il donne l'impression que la génération nouvelle est plus performante que l'ancienne, ce qui est faux. Cela dit, comment se fait-il qu'une autorisation de mise sur le marché ait été donnée si le service rendu n'est pas meilleur que par les produits existants ?
Mme Catherine Génisson . - Toutes les pilules, quelle que soit la génération, ont leurs complications. La contraception est un sujet assumé par les femmes alors qu'il concerne la relation entre hommes et femmes. Ces pilules de troisième et quatrième génération ont-elles un intérêt particulier pour certaines catégories de femmes ? Cela leur donnerait toute légitimité pour être commercialisées. La disparition programmée des gynécologues médicaux est un vrai problème.
M. Dominique Maraninchi . - Nous n'avons pas parlé des victimes, et de notre capacité à les écouter. L'écoute, y compris juridique, des victimes, est l'évènement majeur, et déterminant pour l'évolution des politiques de santé. Si ces pilules sont inutiles, il faut les supprimer. Mais les études actuelles, celle réalisée en avril 2012 par la Food and Drug Administration, celle de décembre 2011 en Europe, suggèrent qu'elles sont efficaces pour certaines femmes. Nous lançons demain un arbitrage européen pour restreindre la prescription à certaines femmes et en deuxième intention. Le processus est engagé.
Mais la décision a été prise de modifier les prescriptions, afin de protéger d'ores et déjà la population française. Il n'y a pas lieu de réserver aux gynécologues la prescription de ces pilules : ce sont eux qui en prescrivent le plus ! Quel que soit le médecin, les femmes doivent avoir la garantie d'obtenir le meilleur médicament, le plus adapté à leurs besoins.
Mme Annie David, présidente . - Je vous remercie.