III. DES MESURES PLUS VOLONTARISTES SONT INDISPENSABLES
L'augmentation de la désertification médicale témoigne de la difficulté à enrayer ce phénomène, mais aussi et surtout de l'inefficacité des politiques et des actions mises en place depuis deux décennies. L'évolution prévisible de ce phénomène est un véritable défi pour le système de santé français et pour nos territoires. Pour le relever, il faut désormais faire montre de volonté, de persévérance et de courage pour agir sans tabou ni a priori dans le seul souci de l'intérêt général.
Comment, dans ce contexte, ne pas s'étonner que la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, ait exclu par principe de recourir à la coercition, et même à la régulation ? Lors de son audition par la commission, dont le compte-rendu figure en annexe du présent rapport, la ministre a estimé que celle-ci « se heurte à la liberté des patients pour choisir leur praticien et à la liberté d'installation des médecins, principes anciens dans notre pays. Elle est en outre injuste à l'égard des jeunes praticiens, qui porteraient seuls les conséquences de problèmes qui leur sont antérieurs ». En réponse, votre rapporteur a souligné le caractère au moins tout autant « injuste » de l'inégalité d'accès aux soins.
C'est pourquoi il est donc aujourd'hui nécessaire d'agir sur tous les registres : revoir la conception même des études de médecine (A), appréhender différemment les modalités d'accès aux soins (B), clarifier et promouvoir les incitations financières existantes (C) et, enfin, de pas s'interdire par principe de réguler les choix d'installation de l'ensemble des professionnels de santé (D).
A. ADAPTER LES ÉTUDES DE MÉDECINE
Le constat qui est unanimement fait est que les études de médecine sont quasi exclusivement tournées vers le milieu hospitalier et ne permettent pas, sauf exception, aux étudiants de découvrir la pratique de la médecine de premier recours. Selon l'expression utilisée par l'une des personnalités auditionnées, on forme aujourd'hui des médecins hospitaliers. De surcroît, même ceux d'entre eux qui font le choix de la médecine générale - trop souvent par défaut - ne se sentent pas toujours suffisamment préparés, à l'issue de leur cursus, pour l'exercice libéral.
1. Modifier les critères de sélection pour l'accès aux études de santé
La première année commune aux études de santé (PACES) est, comme son nom l'indique, commune aux études de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de sage femme. Le nombre des étudiants admis à l'issue du concours en seconde année de ces quatre filières est fixé par arrêté, pour chaque faculté : c'est le numerus clausus , qui doit en théorie tenir compte des besoins de la population et l'objectif de réduction des inégalités géographiques, mais aussi très concrètement des capacités de formation des établissements concernés.
Plusieurs personnalités auditionnées ont pointé les aspects critiquables de l'intense sélection qui s'exerce en première année des études de santé, sur la base notamment des sciences « dures » que sont les mathématiques, les biomathématiques, la chimie théorique et organique, la biochimie, la biologie moléculaire et cellulaire, la physique, la biophysique, la médecine nucléaire, etc. Même si le programme de la PACES comporte également pour une part réduite des sciences humaines et sociales, ce mode de sélection aboutit, de fait, à réserver l'accès aux études de santé aux bacheliers issus de la série S ayant obtenu au moins la mention bien au baccalauréat. Par ailleurs, dans la mesure où l'intensité de la sélection favorise l'éclosion de préparations privées, elle renforce la part prépondérante des étudiants issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. Or, ceux-ci étant surtout urbains, ils auront naturellement une certaine réticence, au terme de leurs études, à s'installer en zone rurale.
Dans son récent rapport de parlementaire en mission sur l'enseignement supérieur et la recherche, notre collègue député Jean-Yves Le Déaut propose la suppression du concours en fin de première année et la mise en place d'une spécialisation progressive dans le cadre d'une licence par grand domaine (médical, pharmaceutique, rééducation, soins infirmiers, maïeutique...) qui permettrait d'orienter, en fonction des résultats académiques, les étudiants sur plusieurs années. Certaines personnalités auditionnées ont quant à elles envisagé, comme en Allemagne et dans les pays scandinaves, une sélection sur dossier ou par concours à l'issue du baccalauréat.
Votre rapporteur considère donc comme absolument nécessaire d'envisager une réflexion approfondie sur la question de la sélection pour l'accès aux études de santé.