II. POUR MIEUX DÉTECTER ET TRAITER LES TROUBLES AVÉRÉS
La continuité des soins en psychiatrie est indissociable de leur organisation territoriale. Or, celle-ci se heurte à une incohérence forte : les secteurs n'ont plus de fondement juridique, mais les pouvoirs publics ne parviennent pas à présenter aux professionnels une alternative qui puisse recueillir leur adhésion .
La taille des secteurs, 70 000 personnes, a conduit à leur marginalisation progressive dans la réforme de l'organisation des soins. Ils ont en effet été considérés comme ne pouvant regrouper une offre psychiatrique suffisamment diversifiée pour subvenir aux besoins de la population qu'ils couvrent. La Cour des comptes a par ailleurs souhaité que l'ensemble des politiques de santé soit gérées aux mêmes échelons territoriaux, ce qui tendait à marginaliser l'organisation spécifique de la psychiatrie de secteur.
Les compétences de coordination des soins dévolues aux secteurs ont donc été progressivement transférées à l'ensemble des établissements de santé, évolution consacrée par la loi HPST. En conséquence, l'ordonnance du 23 février 2010 25 ( * ) a supprimé à l'article L. 3221-1 du code de la santé publique la base légale des secteurs de psychiatrie. Comme le note la Cour des comptes, « cet effacement progressif a été pourtant peu perçu par les professionnels ». Il a pu l'être d'autant moins que la concertation sur cette évolution a été faible a priori et que les professionnels ont pu avoir l'impression de se trouver face à un fait accompli. C'est la mission confiée en juin 2008 par la ministre de la santé à Edouard Couty qui a suscité une prise de conscience de la part des professionnels. Ceci peut expliquer partiellement la force des réactions aux propositions faites par son rapport en matière d'évolution des secteurs 26 ( * ) .
L'opposition des professionnels et l'absence de solution concertée ont conduit les pouvoirs publics à adopter des positions incohérentes concernant le secteur. Le secteur psychiatrique n'a plus de base légale. Cependant, une partie des textes spécifiques concernant la psychiatrie de secteur demeure. La loi du 5 juillet 2011 sur l'hospitalisation sans consentement 27 ( * ) mentionne de manière juridiquement anachronique « la sectorisation psychiatrique » et une référence aux secteurs demeure dans l'article L. 3221-4 du code de la santé publique, alors que la définition de leurs missions a été supprimée dans l'article L. 3221-1. Par ailleurs, faute de mesure d'application, on ne sait pas comment les textes généraux censés remplacer les mesures spécifiques doivent être mis en oeuvre.
Pour Anne Fagot-Largeault, le maillage du secteur était à dimension humaine et personnalisée, adaptée aux populations précaires que voient les psychiatres, contrairement aux territoires de santé de deux cent ou quatre cent mille habitants qui sont l'échelle promue par la loi HPST. A l'inverse, la Fédération nationale des patients en psychiatrie (FNaPsy) regrette l'absence de possibilité réelle de choix du médecin et l'hétérogénéité des pratiques qui seraient consacrées par le secteur. Il semble que les pouvoirs publics attendent des réseaux de soins qu'ils remplacent progressivement les secteurs. Faute de clarté et de moyens, cette perspective est des plus incertaines. Il convient donc a minima qu'un programme de développement des réseaux de soins soit mis en place.
A. AGIR À TOUS LES NIVEAUX DE LA PRISE EN CHARGE
Quel que soit le type d'organisation choisi, trois objectifs s'imposent : éviter les ruptures de prise en charge, assurer une prise en charge globale et lutter contre la stigmatisation.
1. Eviter les ruptures de prise en charge
Il paraît essentiel de mieux articuler pédopsychiatrie, psychiatrie adulte et gérontologie . Les spécificités des différentes spécialisations au sein de la psychiatrie sont incontestables. Elles aboutissent néanmoins à un cloisonnement qui peut s'avérer problématique pour le malade. Développer des contacts entre les équipes paraît une solution envisageable pour éviter les solutions de continuité pour les patients. Aux considérations liées aux prises en charge en fonction de l'âge, s'ajoute la difficulté pour des équipes pluridisciplinaires de mettre en place des projets communs. En effet, les sources de financement, s'agissant notamment du handicap mental, sont partagées entre les départements et l'Etat.
L'articulation entre psychiatrie et médecine générale est également perfectible. Comme pour tous les types de pathologie, ce sont les médecins généralistes qui se trouvent confrontés à une part importante des troubles mentaux. D'après les données recueillies par Viviane Kovess-Masféty, seuls 20 % des patients souffrant de troubles mentaux sont référés à un psychiatre par leur généraliste, contre 80 % aux Pays-Bas. Les généralistes apparaissent de fait comme les premiers prescripteurs de médicaments psychotropes, avec un risque de prescription inadéquate. Ainsi, 20 % des personnes prenant des antidépresseurs se les voient prescrire pour moins de quinze jours, alors qu'ils ne font effet qu'au bout de trois semaines. La moitié des personnes auxquelles un antidépresseur est prescrit le prennent pour une raison autre que la dépression. Les liens entre généralistes et psychiatres doivent donc être développés et les cas où une prise en charge spécialisée est nécessaire doivent être précisément déterminés. Le rôle de la Haute Autorité de santé apparaît ici essentiel.
Le lien entre psychiatrie et psychothérapies doit également être clarifié. Il existe des indications nombreuses pour les différentes formes de psychothérapie qui constituent donc une part nécessaire des soins . De fait les psychothérapeutes prennent le plus souvent en charge les malades conjointement avec les psychiatres. Pour des raisons historiques, liées notamment à l'autonomie de la psychanalyse en tant que discipline, l'intégration des psychothérapies aux soins psychiatriques s'est, malgré des tentatives de définition commune, le plus souvent effectuée sur une base empirique et individuelle. Concrètement, la question des modalités de prise en charge d'une psychothérapie par l'assurance maladie n'a jamais été résolue . Plusieurs rapports ont pensé surmonter cette difficulté en organisant une filière spécifique reposant sur des diplômes communs aux facultés de psychologie et de médecine, voire en créant un internat en psychologie. La mise en place d'un diplôme prévu par le plan santé mentale 2005-2010 s'est en fait avérée inutile car il existe déjà, selon Cour des comptes, vingt-cinq diplômes de ce type. Votre rapporteur considère que la Haute Autorité de santé pourrait être chargée de voir lesquelles, parmi ces formations, permettent de former des professionnels dont les consultations ouvriraient droit à remboursement et selon quelles modalités .
2. Assurer une prise en charge globale
La prise en charge psychiatrique des malades doit intégrer une dimension somatique . L'espérance de vie des personnes atteintes de troubles mentaux est inférieure de vingt ans à celle de la population générale, en partie en raison des nombreuses comorbidités et des effets secondaires des traitements. Un suivi spécifique de ces deux aspects de la santé des malades doit donc être effectué. Dans ce cadre, il est important de lutter contre les addictions, notamment le tabac, dont l'Igas relève qu'il est pourtant toléré dans les hôpitaux psychiatriques, et les drogues illégales, qui semblent circuler dans de nombreux établissements.
De plus, comme le souligne Anne Fagot-Largeault, « la dépression n'empêche pas d'avoir une insuffisance cardiaque ; on rate trop de diagnostics masqués par un état psychiatrique ». En complément du regard du psychiatre, il est donc souhaitable d'avoir un regard somatique. Le patient en psychiatrie doit être suivi par une équipe pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire . Ce point essentiel est difficile à mettre en oeuvre.
Pour la FNaPsy, très attachée comme la plupart des soignants à l'idée d'une prise en charge globale, l'état de santé dégradé des personnes souffrant de troubles mentaux est en partie lié à la difficulté qu'ont ces malades à accéder à la médecine générale de ville. Afin d'y pallier, des consultations somatiques systématiques pourraient être conduites dans les établissements psychiatriques . Les recommandations pour le suivi somatique établies par Djéa Saravane 28 ( * ) et plusieurs de ses collègues paraissent un pas important pour le suivi des malades. De même, le développement de services de psychiatrie dans les hôpitaux généraux depuis les années 1970 favorise la prise en charge complète des patients. De fait, seuls 40 % des établissements psychiatriques d'Ile-de-France seraient, à l'heure actuelle, capables d'assurer la prise en charge somatique des patients. Il pourrait être envisagé de constituer des services de médecine générale au sein de ces établissements. La FNaPsy suggère pour sa part la mise en place de maisons de santé ouvertes à l'ensemble de la population en périphérie des établissements psychiatriques.
Un point important, souligné par Marion Leboyer, est que l'interaction entre ce qui est généralement considéré comme relevant du somatique et les troubles psychiatriques est mal connue . Le déficit en vitamine D des patients hospitalisés pour troubles mentaux, récemment établi par les chercheurs, est un exemple de cas où examens somatiques et prise en charge psychiatrique doivent interagir. En Allemagne et en Autriche , la psychosomatique est une discipline à part entière tournée vers l'étude et la prise en charge de ces aspects des pathologies mentales. Une analyse plus détaillée de ces pratiques pourrait permettre d'améliorer le soin en France.
L'articulation entre la prise en charge psychiatrique et le secteur médico-social est un objectif de politique publique depuis la loi de 2005 29 ( * ) qui a reconnu l'existence du handicap psychique. Désormais, les personnes atteintes de troubles mentaux relèvent pour leur réinsertion sociale des dispositifs ouverts aux personnes handicapées. Néanmoins, comme le montre le rapport de la Cour des comptes, le manque de moyens s'oppose en pratique à la pleine application de la loi. Les structures d'accueil restent trop peu nombreuses, ce qui contribue à maintenir les patients en hospitalisation faute d'alternative et à précariser les malades incapables de subvenir à leurs besoins. Une approche par les besoins des patients, telle que préconisée par Guy Gozlan, apparaît dès lors comme fondamentale pour organiser un projet de prise en charge continu entre sanitaire et médico-social. Jean-Pierre Olié a pour sa part insisté sur l'importance du « case manager » , non médecin, qui assurerait le suivi et l'accompagnement des personnes dans leurs différentes démarches quelles que soient les institutions. Votre rapporteur partage l'analyse de Philippe Cléry-Melin selon laquelle la réinsertion sociale doit se préparer dès la prise en charge de la crise aigüe.
3. Promouvoir une meilleure connaissance du public sur les pathologies mentales pour favoriser la détection précoce
La mise en oeuvre de campagnes d'information fait l'objet de préconisations systématiques dans les rapports, mais fort peu ont été mises en oeuvre. La campagne conduite par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) en 2007 sur la dépression chez l'adulte a eu un impact limité en raison des divisions des professionnels sur le caractère médical ou sociétal du trouble et sur les préconisations faites. Elle a nourri pendant plusieurs années les réticences de l'Inpes sur la mise en place d'autres campagnes d'autant que, si elles étaient mal conduites, celles-ci pourraient avoir un effet inverse de celui recherché et renforcer la stigmatisation. L'Inpes a néanmoins suivi la question de la dépression chez l'adulte en s'associant notamment aux journées européennes sur ce thème. Il a mis en place depuis plusieurs années des actions d'information et de soutien sur le suicide.
Une nouvelle impulsion aux actions de communication à destination du grand public semble néanmoins avoir été donnée. Votre rapporteur juge ce progrès important car une meilleure information de la population est essentielle pour les malades et leurs familles afin de permettre la détection rapide des signes de troubles mentaux et la consultation spontanée, préalable à toute crise.
Anne Fagot-Largeault a pour sa part indiqué que le recours à la culture populaire , notamment le cinéma, pouvait jouer un rôle important. De fait, de nombreux films sur les abus de la psychiatrie ont pu contribuer à donner de cette discipline une image particulièrement négative. On peut penser que les oeuvres montrant les cas de lutte contre la maladie pourraient permettre une prise de conscience de la situation des personnes souffrant de troubles et de leurs besoins.
Le rôle des associations semble essentiel dans ce domaine. L'exemple britannique est de ce point de vue parlant. Le Royaume-Uni compte des associations très actives en matière de communication vers le grand public et les malades, dont deux ont une renommée importante : Mind et Rethink . Mind utilise le témoignage de personnalités (acteurs, chanteurs, sportifs de haut niveau, présentateurs de télévision) souffrant de troubles mentaux pour favoriser les connaissances sur ces questions et encourager la discussion, la détection et la consultation, avec des résultats semble-t-il positifs. Rethink s'associe notamment aux organismes de recherche britanniques et internationaux pour populariser leurs résultats et améliorer la prise en charge .
Le soutien aux actions des associations en lien avec l'Inpes pourrait donc améliorer les connaissances du grand public en matière de troubles mentaux et aider à leur détection précoce.
* 25 Ordonnance n° 2010-177 du 23 février 2010 de coordination avec la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 26 Edouard Couty, Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie, Rapport présenté à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, janvier 2009.
* 27 Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
* 28 D. Saravane et al., avec le soutien institutionnel du laboratoire Lilly, « Elaboration de recommandations pour le suivi somatique des patients atteints de pathologie mentale sévère », L'encéphale, n° 35, 2009.
* 29 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.