B. L'ÉTERNELLE INCONNUE GRECQUE

1. Le second plan d'aide

Dessiné à l'occasion du sommet de la zone euro du 26 octobre 2011, le second plan d'aide à la Grèce a été définitivement arrêté le 21 février dernier. Il comprend deux volets :

• Une réduction de l'encours de la dette grecque détenue par les bailleurs privés, via un effacement de 53,5 % des créances détenues, soit une économie de 107 milliards d'euros. 31,5 % des créances sont, par ailleurs, échangées contre de nouveaux emprunts grecs à plus longue échéance (11 à 30 ans) et à des taux plus bas (2 % jusqu'en 2014, 3 % entre 2015 et 2020 et 4,3 % au-delà). Les pertes essuyées par les créanciers privés sont, de fait, de l'ordre de 70 % ;

• Une assistance financière publique de 130 milliards d'euros sur trois ans, qui vient compléter une première aide de 110 milliards d'euros octroyée en mai 2010 par l'Union européenne et le Fonds monétaire international, 37 milliards d'euros n'étant pas encore décaissés le 21 février dernier. 30 milliards d'euros devraient notamment servir à garantir le programme d'échange de titres. Les taux sur les tranches du premier prêt déjà versées ont, dans le même temps, étaient abaissés.

L'objectif de ce nouveau dispositif est de permettre à la Grèce de ramener sa dette publique à un niveau équivalent à 120,5 % du PIB en 2020 contre plus de 160 % aujourd'hui. Cet objectif demeure néanmoins ambitieux, tant la Grèce se trouve dans l'incapacité d'atteindre un excédent budgétaire primaire - c'est-à-dire à l'exclusion des intérêts de la dette - de plus de 2,5 % du PIB. Un tel excédent est la condition sine qua non pour éviter toute augmentation de la dette publique. Le solde budgétaire primaire devrait ainsi être de - 1 % à la fin de l'année 2012.

Au total le soutien international public et privé à destination du pays s'élève à près de 380 milliards d'euros (en intégrant les fonds de cohésion), soit environ 80 000 euros par famille grecque depuis le début de la crise.

Le rapport sur la viabilité de la dette grecque présenté devant l'Eurogroupe le 21 février insiste sur l'effet déterminant d'une adoption rapide des réformes sur l'encours de la dette. Un différé de 3 ans dans la cession d'actifs de l'État conjugué à un retard de trois ans dans la mise en oeuvre de réformes structurelles devrait conduire la dette publique grecque à s'élever à 178 % du PIB en 2015. Une croissance annuelle inférieure à 1 % porterait quant à elle la dette à 143 % du PIB en 2020. Quand bien même les réformes et la croissance seraient au rendez-vous, l'endettement public grec devrait attendre 90 % du PIB en 2030, loin du seuil des 60 %. L'activité s'est pourtant contractée de 6 % en 2011, le mouvement devant se poursuivre en 2012 avec une récession de 6,5 %. La reprise n'est attendue qu'en 2014. Le chômage a, quant à lui, plus que doublé depuis 2009, passant de 9 % de la population active à près de 25 %. Les conditions macro-économiques ne semblent donc pas réunies pour permettre à la Grèce de respecter la trajectoire qui lui a été assignée en matière d'endettement.

L'octroi de l'aide financière a néanmoins été subordonné à la mise en place d'un nouveau plan d'ajustement budgétaire de 3,3 milliards d'euros, alors même qu'Athènes n'a pas répondu aux objectifs assignés lors de l'octroi du premier prêt. Les réformes souhaitées par l'eurogroupe visaient notamment la suppression de 150 000 postes sur les 800 000 que comprend la fonction publique d'ici à 2015, dont 15 000 en 2015, une réforme des retraites et la réduction de 22 % du niveau du salaire minimum (32 % pour les moins de 25 ans), qui était plus élevé qu'en Espagne, au Portugal ou en Pologne. L'ouverture à la concurrence des professions réglementées attendue depuis 2010 est également à mettre en oeuvre ainsi qu'un dispositif efficace de lutte contre l'évasion fiscale, le budget de la défense devant également être réduit. Les gains espérés des privatisations sont, quant à eux, revus à la baisse par rapport aux estimations de 2010 et 2011 : l'eurogroupe espère qu'elles rapporteront 19 milliards d'euros à la Grèce contre 35 initialement.

La présence de la Commission sur place, via sa task force , est également renforcée et devient permanente afin d'accompagner la mise en oeuvre des réformes. Celle-ci est composée de 45 personnes auxquels sont adjoints 10 experts nationaux. La Commission a, par ailleurs, présenté une stratégie pour la croissance du pays en avril dernier, déclinée autour de trois thèmes : assainissement des finances publics, recapitalisation du secteur bancaire et réformes structurelles.

2. Un plan déjà obsolète ?

Un rapport présenté par la task force en mars dernier fait état de progrès relatifs en matière de réforme mais aussi d'utilisation des fonds de cohésion. L'amélioration du système grec de collecte des impôts a ainsi permis en 2011 de récupérer 946 millions d'euros contre 400 escomptés initialement. Cette somme représente cependant à peine plus de 10 % des arriérés fiscaux enregistrés l'an dernier et estimés à 8 milliards d'euros. Des progrès restent à accomplir en ce qui concerne le système de santé, très coûteux, ou de façon plus générale en matière d'allègement des procédures administratives. Les contrôles à l'exportation prennent ainsi 20 jours dans le pays contre 10 en moyenne au sein de l'Union européenne.

La task force relève également une meilleure absorption des fonds structurels, le niveau atteint - 35 % - étant supérieur à la moyenne européenne en la matière. La mise en oeuvre effective des décisions législatives en la matière demeure néanmoins tributaire de l'absence de structure de contrôle. Des retards sont donc à prévoir en ce qui concerne l'octroi d'une aide directe aux petites et moyennes entreprises grecques (1,3 milliard d'euros) ou la construction de 1 400 kilomètres d'autoroute (3,2 milliards d'euros).

La difficulté à mettre en place au printemps dernier une coalition gouvernementale apte à répondre aux objectifs européens a pu relativiser la volonté de la population grecque, lasse d'années d'austérité drastique, à aller plus loin sur la voie des réformes et prompte à miser sur une sortie de la zone euro. Si le nouveau gouvernement a insisté sur son engagement européen, il a également rapidement demandé un report de deux ans des objectifs qui lui étaient assignés jusqu'en 2014, date à laquelle l'excédent budgétaire structurel doit atteindre 4,5 % PIB.

Préalable indispensable au versement d'une nouvelle tranche du prêt international, estimées à 34,4 milliards d'euros (10,6 milliards affectés au budget, 23,8 milliards destinés à recapitaliser les banques), les mesures d'économies présentées par le gouvernement grec fin septembre portent sur 13,5 milliards d'euros sur 2013 et 2014, dont 9,4 milliards au titre de la première année. Les pensions de retraites seront ainsi amputées de 3,8 milliards d'euros, les salaires des fonctionnaires de 1,1 milliard. L'âge de départ en retraite est par ailleurs porté de 65 à 67 ans. De telles dispositions devraient permettre au gouvernement d'atteindre l'équilibre budgétaire avant paiement des intérêts de la dette en 2013. Le déficit budgétaire sera alors intégralement imputable au paiement des intérêts de la dette, qui représente environ 5 % du PIB.

L'octroi de cette nouvelle tranche du prêt était également conditionné à la mise en oeuvre de 89 actions prioritaires (réforme du marché du travail, privatisation, simplifications administratives et lutte contre l'évasion fiscale) définies en mars. La troïka exigeait notamment le licenciement immédiat de 15 000 fonctionnaires, le passage de 5 à 6 jours de la semaine de travail, la fin de l'indexation des salaires dans l'ancienneté et la réduction de moitié des indemnités de licenciement. La coalition gouvernementale est apparue divisée sur l'ampleur de telles réformes avant de devoir y souscrire, faute d'alternative. Il convient de rappeler que des réformes demandées par la troïka concernant le contrat d'apprentissage ou le salaire minimum pour les moins de 25 ans ont été jugés contraires à la Charte sociale européenne, dont la Grèce est partie, par le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe.

La réunion de l'eurogroupe du 12 novembre dernier a salué les efforts en la matière du gouvernement grec et satisfait à sa volonté de prolonger de reporter de deux ans les objectifs qui lui étaient assignés pour 2014. Le coût de ce délai supplémentaire est estimé à 32,6 milliards d'euros par les créanciers. Dans le même temps le niveau d'endettement de 120 % du PIB attendu en 2020 pourrait également être reporté de deux ans. En effet, compte tenu du report de deux ans des objectifs, l'endettement pourrait atteindre 145 % du PIB en 2020. Cette option était rejetée par le FMI qui a longtemps privilégié une restructuration des dettes détenues par les créanciers publics, induisant des abandons de créances. Cette solution a été refusée par un certain nombre d'États membres, au nombre desquels l'Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas.

L'accord trouvé le 26 novembre dernier permet de ramener la dette à 124 % du PIB en 2020 puis à 110 % deux ans plus tard. Afin de souscrire à ces objectifs, la BCE et les banques centrales nationales vont rétrocéder 11 milliards d'euros de profit réalisés sur les obligations grecques. Cette somme sera versée sur un compte bloqué destiné à rembourser à terme la dette grecque et où sont déjà versés le produit des privatisations et 30 % de l'excédent budgétaire primaire. Les taux d'intérêt des prêts octroyés à la Grèce sont diminués d'un point et leur échéance repoussée de 15 ans. Le paiement des intérêts au FESF est repoussé de 10 ans. La Grèce est, enfin, autorisé à racheter ses titres de dettes avec une décote d'environ 60. Cette opération vise environ la moitié des 63,3 milliards d'euros d'obligations souveraines détenues par les créanciers privés. Athènes espère ainsi alléger sa dette de 17 milliards d'euros. Il s'agit, en tout état de cause, d'un troisième plan d'aide.

Moins d'un an après l'octroi d'une nouvelle aide financière assorti de nouvelles conditions, impliquant d'énormes sacrifices pour les bailleurs privés, le report des objectifs grecs affecte la crédibilité de l'Union européenne dans ce dossier : les exigences de la troïka, au coût social et politique indéniable, s'avèrent in fine à géométrie variable, voire illisibles tant pour la population grecque que pour les marchés financiers.

Au delà de l'accord trouvé avec l'eurogroupe, il convient de s'attarder sur les hypothèses retenues par le gouvernement grec pour préparer le plan d'austérité. Il table en effet sur une récession de 4,5 % du PIB en 2013 et une dette publique atteignant 189,1 % du PIB. Le déficit budgétaire s'élèverait quant à lui à 5,2 % du PIB. De telles perspectives ne sont pas sans susciter d'interrogation sur la possibilité pour la Grèce d'arriver à atteindre ses objectifs, fut-ce en 2016.

La question d'une sortie de la zone euro, qui suppose aux termes des Traités une sortie de l'Union européenne elle-même, est souvent considérée comme une alternative crédible à l'incapacité pour la Grèce de faire face à sa dette et à retrouver le chemin de la croissance. Elle ne serait pourtant pas anodine pour l'ensemble de la zone euro. Liée à un défaut sur la totalité de sa dette, elle impliquerait des pertes de l'ordre de 82 milliards d'euros pour l'Allemagne et de 62 milliards d'euros pour la France par exemple. Le FMI craint que la tentation du défaut ne s'impose au sein du gouvernement grec alors que le déficit budgétaire pour 2013 ne sera imputable qu'au seul service de la dette. C'est en ce sens qu'il militait avant la réunion du 26 novembre pour une restructuration de la dette détenue par les créanciers publics.

De fait, avant de souscrire à un scenario, il convient d'insister sur le potentiel dont dispose la Grèce pour créer les conditions d'une relance de son activité. Si le programme d'austérité est en effet indispensable, il ne peut constituer la seule politique du pays. Une meilleure exploitation de ses ressources agricoles traditionnelles (olives, tomates, fruits), un développement de ses structures touristiques (le nombre de visiteurs continue à augmenter malgré la crise) et surtout l'utilisation optimale de son ensoleillement pourraient constituer les trois vecteurs du retour à la croissance. Les fonds de cohésion pourraient notamment être investis dans l'énergie solaire. 20 milliards d'euros d'investissement seraient nécessaires pour la mise en place de 20 000 parcs photovoltaïques permettant de produire 10 000 megawatts à l'horizon 2050. L'amélioration de la compétitivité grecque est par ailleurs devenue une réalité, puisque le coût du travail, sous l'effet de certaines réformes, a baissé de 11,5 % en un an, alors qu'il a augmenté en moyenne de 1,5 % au sein de la zone euro.

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