2. Une gouvernance locale en construction
Il appartient donc désormais aux collectivités territoriales et à leurs groupements de porter l'essentiel de l'exercice des compétences d'aménagement et d'entretien, voire de prévision rendue indispensable vu le caractère obsolète de la législation sur l'entretien des rivières et la complexité de la réglementation, sans en avoir l'obligation, d'où l'incompréhension de la population et des associations de sinistrés qui, comme VIVA, dénonce « la dilution des responsabilités et l'absence ce gouvernance globale » , en oubliant souvent la responsabilité, inscrite dans la législation des propriétaires riverains des rivières et que la « fièvre de la construction » n'atteint pas que les élus.
Ce renvoi de balle est évidemment stérilisant et le moment est venu de regarder la réalité en face. Il n'y aura pas de politique de prévention dynamique en France, sans prise en charge de l'entretien des cours d'eau et des investissements par un opérateur public, en lui assurant des recettes correspondantes.
Si la situation est bloquée depuis plusieurs décennies, c'est que le régime juridique des cours d'eaux non domaniaux est obsolète 169 ( * ) , diagnostic partagé aussi bien par la mission que par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale en 2001 ou par le Conseil d'État dans son rapport annuel de 2010 170 ( * ) .
Jusqu'à présent, pour concilier l'appropriation privée des cours d'eau, héritée du XIX ème siècle, et l'usage collectif de la ressource en eau, la loi a contourné l'obstacle en multipliant les polices administratives sur l'eau 171 ( * ) . Pour le Conseil d'État, ce constat devrait pourtant appeler « des réponses collectives plus fermes et plus invasives au regard des droits individuels de propriété et d'usage », alors qu'en l'état actuel du droit, les pouvoirs publics, en refusant de s'attaquer à cette question de propriété, « ont accru la complexité du droit et limité par contrecoup l'efficacité des dispositifs qu'ils ont mis en place. »
Plusieurs raisons plaident en faveur du transfert de la compétence d'entretien des cours d'eau vers les personnes publiques.
En premier lieu, les opérations lourdes de curage entraînent des frais 172 ( * ) sans commune mesure avec ce que la plupart des propriétaires privés peuvent supporter 173 ( * ) . De plus, ils paient pour des opérations qui bénéficient surtout aux autres riverains de l'aval.
En second lieu, les démarches administratives requises avant toute intervention sur un cours d'eau sont fortement dissuasives. La profusion des règles administratives est telle qu'elle suppose, du demandeur, une compétence technique qu'il n'a pas.
En troisième lieu, le très grand nombre de propriétaires riverains, responsables chacun d'un petit tronçon du cours d'eau, ne facilite pas une approche cohérente et efficace du problème.
Enfin, à l'expérience, l'outil de la redevance n'a pas démontré son adaptation au cas de l'entretien des rivières, amenant souvent les personnes publiques à renoncer à sa perception.
Une première solution serait l'acquisition amiable ou par voie d'expropriation, des cours d'eau et de leurs abords immédiats par la puissance publique. C'est la situation des départements d'outre-mer où le domaine public fluvial, historiquement important, permet un « régime intégré du droit de l'eau (...) avec un usage placé sous le contrôle de la puissance publique. »
Pour la métropole, cela supposerait cependant un engagement financier (en termes d'acquisition et d'entretien) excessif pour le résultat escompté. Et puis ce serait perpétuer le modèle ancien qui lie l'obligation d'entretien à la propriété.
Il serait préférable, au contraire, d'en sortir. En s'inspirant de la notion de cours d'eau mixte 174 ( * ) , on pourrait utilement distinguer l'usage de l'eau et la propriété du lit. Un opérateur public, doté des pouvoirs de police sur le cours d'eau, aurait l'obligation de l'entretenir et les moyens humains comme financiers de le faire. Cette compétence emporterait aussi celle des ouvrages et du ruissellement.
* 169 Dans son rapport annuel, le Conseil d'État relevait que la législation française, contrairement à la loi espagnole ou italienne, n'a jamais remis fondamentalement en cause le régime de propriété des cours d'eau et qu'au mieux elle a aménagé le droit de propriété sur les cours d'eau pour prendre en compte la nature particulière de cette ressource.
* 170 Rapport annuel du Conseil d'État, Considérations générales : L'eau et son droit - juin 2010
* 171 En 2010, le Conseil d'État dénombrait au moins 13 polices administratives en lien avec l'eau.
* 172 À titre d'exemple, la pose d'un chantier pour le curage est estimé entre 30 000 et 75 000 euros ; somme à laquelle il convient d'ajouter des frais de piquetage des travaux, de régalage éventuellement et de soutien des berges, sans compter que l'opération de curage en elle-même revient, pour un petit engin flottant ou un drague-marais, à près de 3 euros du mètre cube.
* 173 Le coût de l'opération est d'autant plus fort que les matériaux extraits sont moins importants, du fait de la règlementation, et compensent d'autant moins, par leur revente, une recette de compensation.
* 174 Introduite par la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964, la notion de cours d'eau mixte réservait l'usage de l'eau à l'État sans préjudice des droits de propriété des riverains mais a été finalement abrogée par la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sans même qu'il soit procédé à un retour d'expérience.