D. STRUCTURER LA GOUVERNANCE
1. Accorder la majorité aux élus dans les comités de bassin et les conseils d'administration des agences de l'eau
Paradoxalement, la gouvernance des organismes en lien avec la politique de l'eau et donc la prévention des inondations est organisée comme si l'État était encore le seul acteur légitime. Cette situation est d'autant plus cocasse qu'on s'attarde plus sur le financement de cette politique comme nous l'avons fait plus haut.
Les collectivités territoriales doivent donc avoir dans la gouvernance de l'eau et la politique de prévention des inondations, la place correspondant à leurs contributions financières.
Ce principe devrait, en particulier s'appliquer aux comités de bassin dont la composition repose sur trois collèges 197 ( * ) :
- celui des élus locaux pour 40 % des membres ;
- celui de la « société civile » pour 40 % des membres ;
- des représentants de l'État ou de ses établissements publics pour 20 % des membres.
Il serait logique que le collège des élus locaux y détienne la majorité absolue. C'est d'ailleurs la position défendue par le Sénat, en 2005, lors de l'examen en première lecture de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques. À cette occasion, un amendement visant à assurer au sein des comités de bassin 50 % des sièges aux représentants des collectivités territoriales avait été adopté grâce au soutien de la quasi-totalité des groupes politiques 198 ( * ) .
Logiquement toujours, le conseil d'administration de l'agence de l'eau qui émane essentiellement du comité de bassin, devrait être réformé dans le même esprit. Outre son président et un représentant du personnel, le collège des élus locaux devrait disposer d'un nombre égal de représentants à celui des deux autres collèges.
De surcroît, la loi prévoit la représentation au comité de bassin d'associations de protection de l'environnement et de défense des consommateurs, des instances représentatives de la pêche ou des usagers de l'eau et des milieux aquatiques, mais point des associations de victimes d'inondations, ce qui est pour le moins fâcheux et qui doit être corrigé.
- Rendre le collège des élus locaux majoritaire au sein du comité de bassin et du conseil d'administration des agences de l'eau. - Assurer la représentation des associations de victimes des inondations au sein du comité de bassin. |
2. Généraliser les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) et les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB)
Il est évident pour la mission qu'il n'y aura pas de politique de prévention des inondations efficace sans clarification des compétences et sans généralisation des structures publiques permettant de la mettre en oeuvre et disposant pour cela des moyens humains et financiers nécessaires, l'un n'allant pas sans l'autre. Qu'il soit clair que l'obligation pour les collectivités territoriales de créer les outils de gouvernance leur permettant de mettre en oeuvre leur politique de protection et de prévention du risque inondation n'est pas séparable de l'obligation de leur en donner les moyens financiers et humains.
L'exemple du SMAGE des Gardons démontre que la réussite d'une action globale au niveau des cours d'eau n'est ni une question de nombre de communes, ni de périmètre mais de volonté politique 199 ( * ) .
La mission est donc favorable à l'essentiel des propositions formulées par l'Agence régionale pour l'environnement (ARPE) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. La création d'établissements publics locaux spécifiques, sauf cas particulier des fleuves côtiers, est indispensable à la prise en charge effective de la gestion des cours d'eau non domaniaux, généralement laissée à l'abandon par les propriétaires privés qui en ont légalement la charge.
Cette modification législative aurait l'avantage de faire coïncider le droit avec les faits puisque nombre de collectivités territoriales ou de leurs groupements se sont déjà engagés dans cette voie avec les difficultés que l'on sait.
Cette réforme pourrait reposer sur trois principes.
Le premier serait de créer un établissement public par bassin versant ou pour les bassins versants importants, par sous-bassin. Dans ce second cas, l'établissement public local relaierait l'établissement public territorial de bassin (EPTB) qui, couvrant parfois un bassin immense, assurerait la coordination d'ensemble. Les établissements publics locaux - que l'ARPE propose de baptiser établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) - seraient eux davantage tournés vers la maîtrise d'ouvrage des opérations décidées localement mais en accord avec l'EPTB, quand il existe : « Aux EPAGE le cours d'eau et son bassin-versant, aux EPTB l'échelle de regroupement des bassins versants (bassin hydrographique de l'ensemble des cours d'eau affluents). »
Cette création, à laquelle il serait procédé selon la règle commune de l'intercommunalité, serait obligatoire pour tout cours d'eau, donc à l'initiative des collectivités ou du préfet qui pourrait agir au besoin d'office au terme d'un délai de trois ans . Ces EPCI disposant de ressources spécifiques, il ne s'agit donc ni d'un transfert de charges ni d'une augmentation des charges actuelles des collectivités territoriales. La mission est trop attachée à l'effectivité de la libre administration des collectivités territoriales pour qu'il en aille autrement.
Pour ne pas remettre en cause les structures existantes qui jouent ce rôle, un système de labellisation tel qu'il existe à l'article L. 213-12 du code l'environnement, pour les EPTB, pourrait être repris.
Le second principe serait de définir le bloc de compétences obligatoirement exercées par ces établissements publics locaux, assorti d'une liste non limitative de compétences facultatives.
Sans souci d'exhaustivité, les compétences obligatoires devraient intégrer :
- l'entretien régulier des cours d'eau non domaniaux 200 ( * ) ;
- la gestion des ouvrages hydrauliques et de protection ;
- la maîtrise d'ouvrage des études et travaux relatifs à la prévention des inondations dans le secteur couvert ;
- la collecte, la conservation et la diffusion de données relatives au cours d'eau.
Cette liste étant complétée par des compétences optionnelles telles que :
- la mise en place et le fonctionnement d'un réseau d'alerte et la diffusion des informations obtenues dans le cadre des schémas de prévision des crues ;
- l'information de la population sur le risque d'inondation et les mesures de prévention ;
- le conseil des personnes publiques pour les actions en matière de prévention des inondations.
Ces établissements publics locaux seraient donc porteurs des PAPI.
Afin d'ancrer leur légitimité, ces établissements pourraient également être associés à la concertation lors de l'élaboration des PPRI. De même, ils seraient consultés lors de l'élaboration ou de la révision des documents d'urbanisme locaux en tant que personne publique associée.
Le troisième principe serait donc l'introduction d'un financement stable et pérenne de ces outils d'animation de la politique de prévention des inondations. Actuellement, les établissements publics locaux dépendent exclusivement des participations de leurs membres, selon des critères fixés librement - population, superficie, longueur du cours d'eau sur la commune, potentiel fiscal ou financier 201 ( * ) , etc -, des subventions, des départements, des régions, des agences de l'eau et des aides du fonds « Barnier ». Alors que leur politique d'investissement est nécessairement pluriannuelle, leur visibilité budgétaire est annuelle et les engagements de leurs membres pas toujours respectés. Les budgets ne leur permettent même pas toujours de recruter un personnel permanent, bon nombre d'agents étant mis à disposition de droit ou de fait par les agences de l'eau qui assurent leur rémunération.
C'est pourquoi la mission propose qu'une ressource financière nouvelle propre, de nature fiscale, soit affectée à ces nouveaux établissements publics locaux, sur le modèle des établissements publics fonciers régionaux qui, outre les participations de leurs membres, bénéficient d'une taxe d'équipement, sur le modèle du Conservatoire de la forêt méditerranéenne, qui bénéficie aussi de taxes affectées (briquets et allumettes, fraction de la taxe sur les tabacs) ou, sur le robuste modèle des Pays-Bas.
Il est clair, en effet que la redevance pour service rendu est non seulement impraticable 202 ( * ) , mais en contradiction avec l'esprit du dispositif qui crée une obligation pour l'établissement public.
À noter qu'une proposition similaire avait déjà été effectuée en 2001 par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, suite aux inondations de la Somme, pour permettre aux collectivités territoriales de se substituer aux propriétaires riverains dans l'obligation d'entretien contre une taxation de ces propriétaires 203 ( * ) . S'agissant non plus seulement d'une approche en termes de protection de particuliers et de leurs biens, mais également en termes d'aménagement d'un territoire, il est logique que l'assiette de la taxe, de nature foncière, soit beaucoup plus large, ce qui d'ailleurs en augmentera le rendement pour une pression individuelle bien moindre.
En conséquence, la réflexion pourrait être engagée sur les caractéristiques du prélèvement fiscal à créer en faveur de ces établissements publics locaux. Celui-ci pourrait en moduler le taux dans une fourchette fixée par la loi. Le périmètre géographique de cette taxe concernerait les territoires inondables et que la puissance publique s'est fixée pour objectif de protéger pour une crue cinquantennale, centennale ou autre. Dans ce système, la taxe est donc bien en lien avec le besoin de financement de l'opérateur public pour assurer une protection au niveau de l'objectif réaliste que les pouvoirs publics se sont fixé.
Selon l'ARPE, des ressources non négligeables pourraient être ainsi mobilisées : « Le traitement ainsi effectué sur l'ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, fait apparaître un potentiel fiscal de 797,5 millions d'euros/an réparti entre :
- Bâti : 786 millions d'euros/an (enjeu fort)
- Non Bâti : 11,5 millions d'euros/an (zone d'expansion potentielle)
Ces valeurs sont à rapprocher de la dépense moyenne de 35 millions d'euros/an qui est engagée, sur ce territoire, pour l'entretien des cours d'eau et la lutte contre les inondations. »
Encore une fois, il s'agit d'une ressource supplémentaire pour les établissements publics, contrepartie de l'obligation de leur création et garantie d'une politique pérenne de protection et de prévention des inondations. Cette ressource vient en complément de celles existantes rappelées plus haut, notamment en matière d'investissement.
- Créer un statut législatif pour les établissements publics locaux chargés de la politique de prévention du risque inondation pour les petits bassins versants ou les sous-bassins versants, en complément des établissements publics territoriaux de bassin, avec un bloc de compétences obligatoires et une ressource fiscale pérenne. |
* 197 Article L. 213-8 du code de l'environnement.
* 198 Séance publique du 8 avril 2005 - compte rendu intégral des débats : http://www.senat.fr/seances/s200504/s20050408/s20050408002.html#section2576
* 199 Cette préconisation n'est pas en opposition avec la loi n° 2010-1653 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. En effet, les syndicats intercommunaux ou mixtes en charge d'un cours d'eau ne peuvent être fusionnés ou se voir substitués des EPCI existants. Les cours d'eau dépassent largement les limites administratives et les échelons intercommunaux au sens classique du terme. Cette différence d'échelle explique donc un sort particulier pour les établissements publics locaux existants ou à créer en matière de gestion de l'eau.
* 200 La responsabilité, en cas d'entretien défaillant, serait alors assumée par l'établissement public local. Le transfert de compétence et de responsabilité serait alors explicite et clair. Les propriétaires riverains se verraient ainsi déchargés de leur responsabilité, car ils contribueraient, sous autre forme, par la voie fiscale. Le financement de cette nouvelle charge se ferait grâce à un prélèvement fiscal au niveau local.
* 201 L'écart de dépenses moyennes entre communes pour la gestion du milieu aquatique est estimé à 3,1.
* 202 Comme le relève l'ARPE, « sur 168 syndicats étudiés dans les deux régions méditerranéennes, seulement 8 mobilisent ce type de redevance et encore de façon symbolique par rapport aux enjeux financiers ». Même conclusion pour les EPTB comme on l'a vu.
* 203 Assemblée nationale - Rapport n° 3386 de M. Jacques Fleury, au nom de la commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des intempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation, XIème législature.