II. L'UNION EUROPÉENNE EN ORDRE (TRÈS) DISPERSÉ DANS SA LUTTE CONTRE L'ÉVASION FISCALE

Cela fait des dizaines d'années que l'Union européenne parle d'harmonisation fiscale en son sein. Elle a fait quelques progrès, très minces, et a beaucoup reculé en même temps selon la figure classique d'un pas en avant, deux pas en arrière, malgré l'existence de projets ambitieux comme celui portant sur l'assiette de l'imposition des bénéfices des sociétés.

Un temps, on a pu espérer que la sublimation des sujets fiscaux, portés au niveau du Monde, serait un accélérateur de l'harmonisation européenne.

Cette espérance risque d'être lourdement déçue. La France doit s'attacher à l'éviter , en faisant avancer les dossiers qui s'enlisent. A ce sujet, elle doit être exemplaire, ce qu'elle ne fut pas toujours, par exemple quand elle demanda la substitution de l'examen du régime de TVA sur la restauration à celui du projet ACCIS dans le calendrier de l'Ecofin.

A. LA LUTTE CONTRE L'ÉVASION FISCALE, UNE PRÉOCCUPATION CROISSANTE A L'ÉCHELLE EUROPÉENNE ?

La commission européenne a récemment adopté une communication sur l'évasion fiscale internationale qui est une manifestation de plus d'un intérêt pour les abus de la concurrence fiscale.

Pourtant, celle-ci se déploie sans discontinuer au sein même de l'Europe, non-dit que l'humour britannique transgresse parfois, comme il est arrivé la veille de la mission de votre rapporteur à Londres.

L'harmonisation fiscale européenne reste une harmonisation a minima, dont le siège le plus efficace consiste ironiquement à veiller à ce que les mesures prises par les États pour combattre l'évasion fiscale ne viennent pas lever des obstacles au renforcement de l'intégration économique et financière d'une Europe fiscalement...désintégrée.

1. Un marché et une monnaie uniques, mais 27 souverainetés fiscales en concurrence sur les actifs les plus mobiles

La construction européenne s'est d'abord faite sur les principes de liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des personnes et des services, à l'intérieur du marché unique et sur le principe de concurrence libre et non faussée. L'introduction de la monnaie unique, en supprimant les opérations de change, est venue faciliter encore cette circulation.

Pour autant, les États membres de l'Union européenne (UE) conservent l'essentiel de leur souveraineté fiscale, considérée comme l'une des dernières compétences régaliennes susceptibles d'être transférées vers l'Union européenne. Ainsi, de manière inédite dans l'histoire économique, les États membres de la zone euro partagent la même politique monétaire mais conservent chacun leur liberté budgétaire (dans les limites fixées par le pacte de stabilité et de croissance conclu en 1997 et revu en 2005 et 2011) et fiscale.

a) Une régulation de la fiscalité amorcée pour assurer « une concurrence loyale » au sein du marché unique

Paradoxalement, c'est pour assurer une concurrence libre et non faussée dans le marché intérieur que des initiatives communautaires ont progressivement vu le jour en matière fiscale. En effet, des disparités entre les taux et les régimes d'imposition indirecte sont apparues susceptibles de fausser la concurrence au sein du marché unique. C'est pourquoi des textes ont pu être adoptés pour harmoniser la fiscalité indirecte (TVA et droits d'accise), sur le fondement de l'article 113 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) 344 ( * ) . L'une des ressources propres de l'UE étant fondée sur la TVA, l'UE a naturellement développé une action commune de lutte contre la fraude à la TVA sur la base d'une stratégie présentée en 2006, avec la contribution de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF). Ainsi, en 2008, une directive 345 ( * ) et un règlement 346 ( * ) ont permis d'accélérer la collecte et l'échange d'informations sur les transactions intracommunautaires à partir de 2010 pour informer plus vite les administrations fiscales des États membres et leur donner la possibilité d'agir à un premier stade. En juin 2009, le Conseil a également adopté une directive destinée à renforcer les mesures de lutte contre la fraude à la TVA sur les importations 347 ( * ) : pour éviter les abus (« fraude à l'opérateur défaillant »), ce texte encadre depuis 2011 les conditions dans lesquelles les importateurs profitent de l'exemption de TVA lorsque cette importation est suivie de la livraison ou du transfert des biens concernés à un assujetti établi dans un autre État membre.

En matière de TVA, au-delà de la fraude, une certaine évasion fiscale a pu naître à la faveur de l'essor de la vente à distance : des entreprises ont pu en effet s'implanter dans les États membres ayant les plus faibles taux de TVA, ce qui a entraîné une perte de recettes pour certains autres États membres. Cette difficulté sera résolue à compter du 1er janvier 2015 , date à laquelle le « paquet TVA » adopté en 2008 348 ( * ) a prévu d'imposer les services de communications électroniques et les services fournis par voie électronique dans l'État membre où est établi le consommateur. Ceci aura pour effet que la TVA sur ces services reviendra au pays de consommation . Les prestataires de services s'acquitteront de leurs obligations en matière de TVA dans leur État d'origine, y compris pour les services fournis dans les autres États membres, grâce à un système de « guichet unique » ; les recettes de TVA tirées de ces services seront transférées du pays où le prestataire est établi vers le pays du consommateur et les taux de TVA applicables seront ceux du pays où est établi le consommateur. Une transition en douceur est prévue : l'État membre d'établissement conservera une partie décroissante 349 ( * ) de la TVA perçue jusqu'au 31 décembre 2018. La concurrence fiscale en matière de TVA est donc en voie d'être jugulée.

Récemment encore, en mai 2012, les ministres de l'économie et des finances ont accueilli positivement les projets de la Commission européenne sur l'avenir de la TVA 350 ( * ) : l'objectif est de consacrer les principes de guichet unique et de l'imposition au lieu de destination pour tous et de moderniser la collecte et le contrôle de la TVA par la mise en place d'un mécanisme de réaction rapide à la fraude, l'élargissement de l'accès automatisé à l'information et éventuellement un dispositif de paiement scindé 351 ( * ) pour sécuriser la collecte de la TVA.

L'Union européenne avance moins vite en termes de fiscalité directe : celle-ci relève, quant à elle, de la compétence quasi exclusive des États membres, à l'exception de quelques domaines harmonisés 352 ( * ) . Et toute décision en ce domaine se prend à l'unanimité au Conseil , comme prévu à l'article 115 353 ( * ) du TFUE.


* 344 Article 113 (ex-article 93 TCE) : « Le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence . »

* 345 Directive 2008/117/CE du Conseil du 16 décembre 2008 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, afin de lutter contre la fraude fiscale liée aux opérations intracommunautaires.

* 346 Règlement (CE) n o 37/2009 du Conseil du 16 décembre 2008 modifiant le règlement (CE) n° 1798/2003 concernant la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, afin de lutter contre la fraude fiscale liée aux opérations intracommunautaires.

* 347 Directive 2009/69/CE du Conseil du 25 juin 2009 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne la fraude fiscale liée aux importations.

* 348 Directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services.

* 349 30 % des recettes en 2015 et 2016, 15% en 2017 et 2018 puis 0 % à partir du 1 er janvier 2019.

* 350 Communication de la Commission COM (2011) 851 du 6 décembre 2011 : Vers un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace, adapté au marché unique.

* 351 Modèle dans lequel l'acquéreur verse la TVA sur un compte bancaire TVA bloqué auprès de la banque des autorités fiscales, qui ne peut être utilisé par le fournisseur que pour le paiement de la TVA sur le compte bancaire bloqué de son propre fournisseur.

* 352 Directive « mère-filles » et directive « fusion » de 1990, directive « épargne » et « intérêts-redevances » de 2003.

* 353 Article 115(ex-article 94 TCE) : «  Sans préjudice de l'article 114, le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché intérieur. »

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